Raoul de Malherbe
Malherbe, Raoul de: L'Orient 1818-1845. Paris, Gide, 1846. Reprinted by Elibron Classics.
Dans une taverne à Athènes, 10/06/1843
p. 1/98-99
Le grand café grec [C’est le point de réunion le plus fréquenté de la ville, et il se passait peu de soirées sans que nous vinssions y prendre du café et des glaces, qui y sont délicieuses, en nous entretenant des événements de la journée], situé à l’angle de la rue d’Éole et de la rue d’Hermès, était silencieux comme la tombe; mais, en arrivant près de Kapni-Karéa, des chants bruyants, joints à des trépignements formidables, accompagnés des sons discordants de la mandoline, vinrent frapper notre oreille.
Ce tumulte partait d’une taverne située à l’angle de la petite place qui enveloppe la vieille église. C’étaient des Grecs qui s’amusaient à danser à huis clos, en s’ accompagnant de gaies chansons. Aujourd’hui, comme aux temps antiques, les Athéniens sont les mêmes.
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p. 1/228-230
Le général Grivas mène une ronde à Vonitza, 06/07/1843
La veille, le gouverneur nous avait invités à nous rendre chez M. Anagnoste Lybérakopoulos, contrôleur des finances, où devaient se trouver réunis quelques-uns des principaux fonctionnaires de la cité. Vers une heure, nous nous fîmes conduire à sa maison, qui est une des plus considérables de la ville. Nous fûmes assez surpris d'en trouver la porte encombrée de populaire, à travers lequel nous eûmes peine à nous ouvrir passage. Sous le vestibule se trouvaient trois azingani (Αζιγγάνοι, Γιφτοι), qui saluèrent notre arrivée par une aubade. Nous entrâmes enfin dans le salon, où se trouvait nombreuse compagnie. Le maître de la maison, le gouverneur et le général Grivas, vinrent à notre rencontre, et nous firent asseoir près d'eux sur le sofa. Les tchibouks furent allumés; M. Grivas m'offrit le sien, que j'acceptai en échange d'un cigarre.
Bientôt les instruments préludèrent de nouveau, et une bohémienne, qui avec deux hommes composait l'orchestre, entonna d'une voix nasale et stridente une chanson albanaise, en battant la mesure sur un tambouri (Tambour de basque). Ses deux camarades, accroupis comme elle sur le plancher, l'accompagnaient, l'un avec un agouto (sorte de guitare à huit cordes), et l'autre avec un violon à six cordes, appelé violi. La danse commença, et ce fut le gouverneur qui ouvrit le bal en dansant une albanaise. Plusieurs hommes se tiennent par la main, et celui qui conduit la danse marche en cercle, suivi par les autres, en se dandinant tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, et faisant à intervalles égaux des bonds et des génuflexions plus extraordinaires qu'agréables. Chacun devient conducteur à son tour, et la danse se termine quand tous l'ont conduite. Le général Grivas exécuta ensuite une danse du Chamouri, qui nous parut ressembler fort à la première, moins les génuflexions, cependant; et j'avouerai que, dans mon opinion, elle n'y perdait pas grand'chose. A cela succédèrent des danses des îles, et des solos tels qu'on les dansait devant Ali-Pacha. Ceux-ci dégénéraient en tours de force, et étaient mêlés de gestes, qui rappelaient l'impureté de celui qu'ils étaient destinés à amuser. Dans l'intervalle des danses, on nous apportait des rafraîchissements qui consistaient en glykon et en limonade délicieuse; on nous servait en même temps des tranches d'une sorte de galette chaude mi-feuilletée, dans laquelle il entre du beurre et du miel, et que l'on nomme bourrek. L'on en distribua aussi à l'orchestre, après quoi chacun se retira chez soi.
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p. 1/446-448
Dans le téké des derviches mevlevis à Constantinople, 10/08/1843
Nous trouvâmes à notre hôtel Destuniano, qui nous attendait pour nous conduire au téké des derviches mevlevites, qui ce jour là priaient à leur manière. Ce téké s'ouvre en face du petit champ des morts, et c'est derrière que l'on aperçoit l'école de médecine, fondée par Mahmoud dans le palais de Galata-Seraï. Pour pénétrer dans le sanctuaire des derviches, il fallut recouvrir nos bottes de chaussons, car il n'est pas permis d'entrer avec les chaussures dont on se sert dans la rue. La disposition de la salle est a peu près la même que chez les derviches hurleurs, seulement l'enceinte est circulaire. Lorsque nous entrâmes, les mevlevites étaient prosternés le front contre terre et recouverts de leurs manteaux. À un signal de leur chef, qui était assis sur ses talons, en face de la porte d'entrée, tous se relevèrent et laissèrent tomber leurs manteaux derrière eux. Au même moment, un orchestre établi dans une tribune, au-dessus de là porte, se mit à exécuter une musique bizarre, quoique d'un effet assez doux, et totalement dénuée de rythme et de mesure. Un soubabeh (flûte), qui montait et descendait perpétuellement une gamme chromatique, en était le principal instrument. Des violons et des nakariaths (tambours accouplés) l'accompagnaient, sans paraître s'inquiéter en aucune façon de la mesure.
Pendant ce prélude, les derviches avaient dénoué leur ceinture, et les flots de leur longue robe blanche étaient descendus jusqu'à leurs pieds. Ils avaient croisé leurs bras sur leur poitrine, et défilant devant leur supérieur, ils le saluaient humblement, s'inclinaient encore devant le frère qui marchait derrière eux, et commençaient à tourner lentement sur eux-mêmes, en s'éloignant de la place où se tenait leur chef, toujours muet et immobile. Bientôt leurs bras, se déployèrent, et, à mesure que leur walse devenait plus vive, ils les élevaient vers le ciel dans l'attitude de l'extase, tandis que leurs longues tuniques s'enflaient autour d'eux. Tous avaient passé, tous tournaient dans le cirque, se croisant, s'entremêlant, se confondant, sans se toucher et sans qu'on entendît d'autre bruit, pendant les courts repos de la musique, que le frôlement de leur robe et le souffle précipité de leur haleine. Tout à coup, à un autre signal de leur chef, et la musique cessa, et tous se retrouvèrent à leurs places, le front dans la poussière.
Cette même cérémonie se reproduisit plusieurs fois, et nous partîmes avant que la représentation fût terminée. Bien qu'il puisse paraître ridicule qu'on prétende honorer ainsi le Créateur, je trouvai qu'il y avait loin de là à la manière des derviches hurleurs.
De ce téké l'on jouit d'une vue magnifique. Tout autour se trouvent répandues, au milieu d'un jardin, les tombes vénérées des mevlevites, et, à la porte du téké, l'on voit une grille dorée avec un rebord extérieur en marbre blanc, sur laquelle sont déposées de petites tasses de fer élamé, pleines d'eau fraîche, destinée à apaiser la soif des passants. C'est une fondation pieuse de quelque riche musulman, qui a cru s'assurer ainsi l'entrée du paradis.
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p. 2/300-302
Procession de circoncision à Gaza, 01/1844??
En passant dans les bazars baraqués, qui sont fort malpropres, nous vîmes, dans des paniers d'écorce, des masses de dattes confites, et d'une sorte de pâte de dattes desséchée, faite en larges et minces feuilles, qui sert aux Arabes de provision de voyage. Au sortir de ce bazar, la musique, qui n'avait cessé de nous assourdir depuis la veille, retentit plus près de nous; nous nous empressâmes de courir du côté d'où partait ce bruit, et un singulier spectacle s'offrit à nos regards.
Sur un cheval blanc, richement caparaçonné et conduit par deux saïs, siégeait un enfant de cinq à six ans, coiffé d'un turban blanc et revêtu d'habits magnifiques; devant lui, marchaient deux hommes portant sur des coussins de satin blanc un seïf et un handjiar garnis d'argent et enrichis de pierreries. En tête était la musique; une foule nombreuse suivait le cortège: à droite et à gauche de l'enfant, marchaient deux hommes, la main appuyée sur la housse du cheval. De temps à autre, le cortège s'arrêtait, et des hommes, armés de longs bâtons, simulaient un combat à outrance qui ne devait pas être sans danger, car l'un d'eux avait le visage couvert de sang. L'enfant considérait tout cela du haut de son cheval, avec une indifférence stoïque, en rongeant une petite sucrerie. Son visage et ses mains étaient couverts de mouches que personne ne prenait soin de chasser. Je demandai ce que signifiait cette étrange cérémonie, et l'on me répondit que c'était le fils d'un des notables de Gaza, que l'on conduisait à la mosquée pour le circoncire. Les hommes qui se tenaient aux côtés de l'enfant étaient les témoins, les parrains de celui qui allait recevoir le baptême musulman. Ceux qui marchaient devant portaient les instruments de mort, que tout vrai croyant reçoit en entrant dans la carrière. Les enfants juifs étaient circoncis huit jours après leur naissance; les enfants musulmans ne le sont que lorsqu'ils peuvent comprendre quelque chose. Les riches musulmans donnent de grandes fêtes à l'occasion de la circoncision de leurs enfants, et c'était là ce que nous avions entendu la veille.
Egypt, 02/18??
Paul Lenoir
Unidentified book, notes of French artists with Gérome
p. 103-104
Les lampions pétillaient d’impatience, lorsque la danseuse Hasné (celle au foulard de treize sous) fit une entrée des plus écrasantes, drapée qu’elle était dans une longue robe bleue pailletée d’or et relevée à la ceinture par des franges de soie brodée qui lui donnaient l’aspect le plus extraordinairement sauvage; une étoffe jaune, artistement nouée sur le dessus de la tête, formait une coiffure des plus bizzares avec les nattes innombrables qui lui tombaient sur les épaules, et dont quelques-unes étaient ramenées sur le front par d’imperceptibles anneaux d’or. Le bruit métallique de tous les napoléons qui se jouaient dans ses cheveux et les cris aigus qui préludèrent à ses premiers pas, les instruments barbares des musiciens qui commençaient déjà leur accompagnement, tous ses bruits étranges donnaient quelque chose de diabolique à cette scène entièrement nouvelle pour nous
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page 100-108
L’une de ces danseuses nous avait frappés non par la beauté régulière de ses traits, mais par le caractère sauvage de sa figure et le feu extraordinaire de son regard. Comme artiste, elle semblait être l’objet des attentions particulières de nos amis d’occasion. Notre drogman lui demanda son nom, elle se nomait Hasné: «Hasné koïss ketir» fut alors pour nous une nouvelle phrase toute faite, et qui eut une succès énorme (...).
Pour l’amuser, j’eus l’imprudence de lui monter un affreux partin que j’avais emporté de Paris et qui avait déjà fait mes délices en plusieurs circonstances. Cette marionnette stupide, suspendue à un caoutchouc, présentat l’aspect le plus trivial; je l’attachais généralement au cou de mon âne, et j’avais fait le vœu de lui faire voir toutes les contrées que je devais parcourir, enfantillage colossal qui n’eut d’excuse que dans la découverte d’un second pantin du même genre dans les bagages de l’un de nous au Sinaï. Nous l’avions appelé Jules et Jules ne connaisait certainement pas son bonheur…»
Unidentified artist, Sénouris, Egypt, 06/02/18??
Unidentified book, notes of French artists with Gérome
page 109-110
Les nuits sont assez fraîches et pendant le jour il fait déjà pas mal chaud. Ce soir (6 février) nous avons eu le spectacle d’une danseuse. Elles sont devenues rares en Égypte, depuis que le gouvernement les a expulsées du Caire et autres grandes villes. Elles sont un peu éparpillées dans tout le pays; c’est surtout à Esné, dans la Haute Égypte, que se sont refugiées les plus renommées. Celle de ce soir nommée Hasné, est une très bonne danseuse (razieh) et chanteuse (almeh). Elle a fait ses prouesses dans la tente commune expressément éclairée pour l’occasion avec tous les fanous (lanternes) que nous avons avec nous. Elle avait avec elle ses musiciens, une espèce de tambourin (darabouka), des flûtes et une espèce de gaboulet. Notre cuisinier disant qu’il était très fort sur le darabouka a pris la place de celui qui devait en jouer. Elle a dansé les danses usitées en Orient, surtout remarquables par le mouvement des hanches, des ondulations impossibles. Elle accompagnait ses mouvements avec des castagnettes en métal. Elle était vêtue d’une espèce de justaucorps de couleur rougeâtre en velours, avec un vêtement de dessous de couleur violette en soie parsemée de fleurs ou petits ornements dorés. La poitrine était assez découverte où s’entrechoquaient à chaque mouvement du corps une quantité de pièces d’or chacune d’une valeur de 20 francs au moins. À des cordons en soie noir enfilés dans sa ceinture, pendaient des ornements en argent qui faisaient du bruit aussi. Sur ses cheveux en partie retenus par un mouchoir de soie couleur jaune elle portait un petit bonnet doré avec gland en or; sur le front pendaient encore de petites pièces d’or, ainsi qu’à un volumineux collier en or et dans ses cheveux dans le dos. Elle avait certainement pour plus de deux mille francs en pièces d’or sur son costume. Alternativement avec la danse, elle chantait les airs du pays, au grand réjouissement des Arabes bourriquiers, chameliers et curieux qui, peu à peu, avaient envahi l’entrée de la tente et s’asseyaient tranquillement. De temps en temps, ils poussaient des ah! admiratifs et semblaient être parfaitement contents. La danse, bien que très tranquille en ce sens qu’il ne faut qu’un très petit espace pour l’exécuter, est très originale, mais le chant est vraiment désagréable. Les Arabes aimaient à chanter du nez, ils n’ont pas la voie claire et franche. Je crois que le plus grand charme existe dans les paroles, dont il ne me parvenait que quelques mots seulement que je pouvais comprendre: Ya Leïleh. Elle était très contente quand nous lui avons donné pour sa séance 30 francs, pour elle et ses suivants.
Alfred Gilliéron
Gilliéron, Alfred: Grèce & Turquie. Notes de voyage. Paris, Neuchatel & Genève, 1877.
p. 210-211
Kastri, Delphes, 08/1876
En même temps le village s’anime ; à côté d’un petit café qui est immédiatement au-dessous du nôtre se dresse un figuier sur lequel s’appuient quelques poutres transversales : c’est là qu’on improvise la boucherie ; pour le moment trois moutons y laissent pendre leur dépouille sanglante ; ceux qui les remplaceront sont déjà là et les chiens des environs viennent de tous côtés goûter les prémices de la fête. Le lendemain, dimanche, la messe se célèbre avec grande pompe au couvent et, aussitôt après, le choros commence à déployer sa chaîne multicolore sous les oliviers ; au bout d’une heure et demie, la danse cesse, mais pour recommencer l’après-midi sur la petite place de Kastri ; là elle dure sans interruption jusqu’au coucher du soleil. La danse en choeur est une des coutumes les plus caractérisques que les Grecs aient héritées de leurs pères ; ce n’est pas, on le comprend sans peine, notre danse tourbillonnante, où l’homme et la femme dévorent l’espace enlacés par l’amour et enivrés par le plaisir et le mouvement ; non, ici, comme dit M. About, Pierre ne danse pas avec Marguerite, mais tout le village danse avec tout le village. La mélopée monotone du tambourin et le son aigu du flageolet rhythment avec une sage lenteur le balancement des deux chaines d’hommes et de femmes qui ondulent sans jamais se rompre ; pas un cri, pas un de ces trépignements par lesquels nos paysans donnent essor à leur ivresse ; on le sent, on est en face d’un peuple fait de raison et que de longs malheurs ont rendu grave et pensif jusque dans ses plaisirs. Malgré la rupture du jeûne, tout le monde est sobre, et si le cafetier vend quelques petits verres de raki de plus qu’à l’ordinaire, la fontaine du village a encore plus de chalands que son humble boutique.
Les danses de l’après-midi nous avaient rappelé les antiques choeurs de la Grèce : ce peuple en habits de fête, les femmes aux seins profonds avec leurs stoles traînantes et leurs ceintures voyantes, les hommes avec leur tunique aux plis flottants, les ruines du temple, les grands rochers tapissés de lumière et colorés de lueurs rougeâtres, tout jusqu’à cette colonne grossière simulant l’autel autour duquel tourne le choeur, tout nous avait transportés dans cette antiquité où les Nausicaa venaient danser aux fêtes des dieux, et où les choeurs tragiques déroulaient autour de l’autel consacré à Bacchus les savantes évolutions de la grave emméleia ou danse tragique.
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p. 215-217
Arachova, Grèce, 1876
Mes voyages en Grèce m’ont amené deux fois à Arachova. La première fois, c’était un dimanche du mois de mai 1875. Nous avions visité à la hâte Delphes pendant la journée, et, vers cinq heures du soir, nous faisions notre entrée à Arachova, suivis de deux agoyates que nous avions emmenés de Chryso. De loin déjà, un bruit étrange avait attiré notre attention ; nous nous arrêtons dans une rue montante, devant la maison du dimarque, à qui nous étions adressés ; le dimarque étant absent, on nous conduit dans la demeure d’un notable du village. Un jeune homme d’un type superbe, avec quelque chose de cette morbidezza italienne qui est rare en Grèce, nous reçoit et nous offre de nous conduire au choeur. La place de danse est une plateforme rocheuse située à l’extrémité est du village, dans le voisinage de quelques têtes de rocher au relief accentué ; à mesure que nous approchons, l’oreille perçoit toujours plus distinctement les sons de la musique, tandis que l’oeil découvre tout à coup toute une mer chatoyante de costumes blancs, bleus et rouges. Au moment où nous arrivons, tout le village a les yeux fixés sur quatre ou cinq danseurs qui se tiennent par la main, reculent puis avancent, non sans exécuter de gracieuses pirouettes où leur corps semble balancé à la fois par le rhythme monotone de la musique et le jeu de la danse. Quelques jeunes gars assis sur le bord de la plateforme se lèvent pour nous faire place ; l’orchestre est représenté par un tambourin et un joueur de flageolet, qui reprend en sous-oeuvre toutes les contorsions du choeur et sollicite, avec une mimique fort amusante, la générosité un peu paresseuse de la galerie. Nous sommes à une fête de noces, où les choeurs d’hommes et de femmes alternent, puis se mêlent l’un à l’autre. On nous montre l’époux, au moment où il prend la tête du choeur ; son bonheur lui donne des ailes et lui inspire d’aimables entrechats et des ronds de jambe artistement exécutés. Après la danse de l’époux vient celle de l’épouse ; pâle comme une Caryatide, elle porte sur la tête une sorte de tiare, et sur la poitrine le grand pectoral des jours de fête ; ses pas sont timides et mal assurés, mais son maintien est digne. Notre hôte, assis à nos côtés, nous rend attentifs aux diversités de costumes et aux mille détails du spectacle ; quand je l’entends parler de la nymphe ou mariée du jour, des parthenoi ou vierges, que je lève les yeux sur les rochers habités par les Muses ou que jue les abaisse sur le golfe de Corinthe, je me demande presque si je suis de mon siècle et si je ne me trouve point transporté comme par enchantement dans les premiers âges de la Grèce.
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p. 217
Dans les rues d’Arachova, les chants n’avaient point cessé ; çà et là nous rencontrions des groupes de jeunes filles se tenant par la main et dansant au son des chansons ; quelques-unes d’entre elles, blondes comme Vénus et grandes comme Pallas, nous frappaient par leur idéale beauté, et nous semblaient être un choeur de nymphes descendues du Parnasse pour célébrer quelque poétique fête. Revenus chez notre amphytrion, nous trouvons la grande chambre de la maison envahie par les belles danseuses d’Arachova ; au premier rang brille la fille de la maison, que la présence des étrangers rend doublement timide. Pendant la soirée, j’eus le loisir d’examiner son costume, composé d’un gros par-dessus fort élégant et d’une longue chemise bouffante très fine, ouverte au col, à longues manches pendantes et imitant les plis d’une stole antique ; sur le devant du corps tombe un gros tablier rouge en laine épaisse, attaché plus bas que la taille par une large bande d’étoffe voyante ; cette bande joue un rôle considérable dans le costume de la femme, c’est elle qui indique son état civil ; est-elle demoiselle, le bandeau est rouge: lorsque le jour de l’hymen luit pour elle, il se teint en bleu.
Antoine Ignace Melling
Melling, Antoine Ignace: Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore. Bruxelles, Wahlen, 1826. Reprinted by Elibron Classics, 2000.
p. 58-59
Danseurs de corde, région du Constantinople, Turquie
Le Grand-Seigneur est parti à neuf heures du serail, il arrive à onze au lieu indiqué. On dresse à la hâte des tentes pour le recevoir; il prend son repas, il fait sa prière; on donne le signal pour les jeux. Ce sont d’abord des danses de corde. Ce spectacle, qui a pour unique et triste genre d’intérêt le péril des acteurs, offre ici tout ce qui peut charmer la multitude en l’effrayant: les cordes sont tendues d’une montagne à l’autre, ou d’une plaine au sommet d’une montagne; les danseurs y arrivent avec une agilité et une intrépidité surprenantes. Ceci rappelle ce que les vieilles chroniques rapportent des fêtes données à nos rois dans les XIII et XIVe siècles.
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p. 87-88
Dans les harem du Sultan, Constantinople, Turquie,
Un plaisir dont on leur fait fête au moment où elles ont eu le bonheur de plaire au Sultan , c’est celui d’asister à une espèce de spectacle que leur donnent soit de jeunes danseuses ou musiciennes élevées dans l’enceinte du Sérail, soit des danseurs publics et des femmes dont la profession a beaucoup d’analogie avec celle de Baïadères des Indes. Par une singulière inconséquence, dans un lieu où tout semble prescrire la plus austère pudeur, on permet non seulement des danses lascives, mais des espèces de comédies ou d’ombres chinoises pleines d’obscénités. La favorite du jour, qui jouit de ce divertissement derrière une jalousie très-serrée, au travers de laquelle il est impossible de distinguer ses traits, appelle, à chaque intervalle de ce grossier intermède, l’eunuque qui se tient à côté des danseuses, et lui remet une somme en or dont il fait la distribution. Sous le règne de Sélim III, un maître de danse français et quelques musiciens avoient la permission d’entrer dans un local dépendant du harem, qui ressemble au parloir d’un couvent; et là, en présence de quelques eunuques, il donnoient des leçons à de jeunes esclaves destinées à ces amusements, et qui n’étoient pas encore instruites dans la religion musulmane. La loi de Mahomet interdit aux femmes des talents par lesquels elles pourroient prolonger leur empire sur les hommes que leur pesante gravité ne garantit pas de caprices fréquents.
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p. 237-239
Seconde vue du Bosphore, prise à Kandilly
Greek ladies and their leader, comparison with the Antiquity
Peut-être on nous demandera compte d’abord d’une scène accessoire qui ajoute beaucoup aux charmes de ce paysage. Les regards s’arrêtent avec plaisir sur un chœur de femmes qui dansent au son de la guitare. A l’élégance, à la noblesse de leur taille, à l’absence d’un voile importun, on reconnoît en elles des Grecques. L’imagination suit avec un attrait particulier des jeux que favorisent un ciel serein, la plus douce tempétature, un site enchanteur. A l’aspect de cette danse, le souvenir des fables antiques et de plusieurs tableaux tracés soit par les poètes, soit par les historiens de la Grèce, se reproduit à l’esprit. Qu’un érudit ou qu’un poète jette les yeux sur cette scène agréable, ils sauront bientôt l’embellir encore par des rapprochements plus ou moins vraisemblables, plus ou moins ingénieux. D’abord ils remarqueront au milieu de ce groupe assez nombreux une femme qui paroît présider à la danse: de la main droite elle tient un mouchoir déployé, et de la gauche elle s’unit à la seconde dame par un long schall, ou par un mouchoir brodé. Chez les anciens Grecs, il y avoit toujours une reine dans les danses des femmes, comme il y avoit un roi dans les festins des hommes. Tous les mouvements qu’exécute celle-ci sont fidèlement imités par ses compagnes. D’abord elle ne fait que des pas très-graves et très-mesurés: les attidudes qu’elle prend sont extrêmement diversifiées; quelques-unes peuvent paroître bizarres: mais on y cherche des allusion aux fables religieuses ou aux différents usages de l’antiquité. La reine de la danse s’anime bientôt; ses pas deviennent plus légers, plus rapides. Toute la troupe semble tourbillonner autour d’elle, et l’excès de la lassitude, le manque de respiration, mettent seuls un terme à cette danse. Elles se nomme la Roméka: elle paroît avoir beaucoup d’analogie avec la danse grecque nommée Candiote, et dont madame Chénier, mère de deux auteurs qui ont honoré notre littérature, a donné une description fort agréable dans le Voyage littéraire de la Grèce de M. Guys. L’opinion commune est que la danse nommée Candiote figure le labyrinthe de la Crète, le malheur d’Ariane abandonnée par Thésée, et les consolations qu’elle reçut de Bacchus. Si les Grecs conservent de vieux usages, c’est en les altérant un peu ; et l’on concoit que dans un long cours de siécles le caprice peut agouter à une danse des mouvements qui en changent le caractère. Nous ne nous livererons donc point à des conjectures qui pourroient être hasardées, et nous revenons à un site bien fait aussi pour exercer et charmer l’imagination.
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p. 241
Ladies at Constantinople, Turquie
Ce sont des Arméniens qu’on voit sur le devant du tableau : leur attention paroît se porter sur le groupe de femmes et sur le joueur de guitare qui semble animer la danse par ses gestes ; mais leur gravité naturelle leur interdit de prendre part à ces sortes d’amusements. Le lieu de cette scène est la terrasse d’une maison grecque située à l’extrémité du promontoire.
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Troisieme vue du Bosphore prise a Kandilly
On voit sur le devant du tableau quelques jeunes gens du bas peuple, qui, pour distraire ces Armeniens, dansent devant eux au son d'une musette et d'une guitare.
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Vue de la partie centrale du village de Buyuk-Déré
L'artiste montre ici un grand bateau turc à dix rangs de rameurs, où tout respire l'alégresse: c'est un nouveau marié qui va rendre visite aux parents de son épouse. Ceux-ci, après les compliments d'usage, doivent le ramener à sa demeure;... L'époux est assis au fond du bateau avec les parents de sa femme.
Deux jeunes Grecs exécutent au son des instruments une danse lascive qu'on est surpris de trouver dans des lieux où la pudeur est prescrite par des lois et par des usages séveres: elle ressemble tellement au fandango des Espagnols, qu'on peut croire que ceux-ci l' ont reçue des Maures. Il est vrai que les Turcs ne démentent point leur austere gravité jusqu'à la danser eux-mêmes; des jeunes gens, d' origine grecque et d'une beauté remarquable, sont formés par leurs parents dans cet art et dans tous ceux qui peuvent exciter la joie d'un festin: une corruption précoce est presque toujours la suite de leurs exercices efféminés.
Dufrénoy
Dufrénoy: Beautés de l'histoire de la Grèce moderne. Volume 1. Paris, 1825. (?)
p. 1/261-264
La Candiote est la danse que les jeunes filles aiment le mieux. Le caractèe de cette danse, sa marche embarassée, semblent offrir le tableau d'Ariane lorsqu'elle dessinait à Thésée les détours du labyrinthe. La Candiote, que les jeunes filles grecques ont reçue par tradition, et qui remonte peut-être à la plus haute antiquité, n'est pour celles qui l'exécutent qu'une danse ordinaire.
La danse connue sous le nom de la Valaque, plaît extrêment à la jeunesse, parce qu'elle exige beaucoup de légèreté et de vivacité.
La Pyrrhique exige plus de vigueur que de grâce. Deux hommes armés, de poignards, s'avancent á pas mesurés, en agitant leurs armes, qu'ils dirigent chacun contre lui-même, ensuite contre son compagnon. Des sauts et des mouvemens violens caractérisent cette danse; à leur impétuosité succède une sorte de délire et de fureur.
A ces danses de caractère, les Grecs en joignent d'autres, parmi lesquelles on distingue la Romeika, ou Romaine, et la danse des Voleurs. Dans la Romeika, un nombre considérable de jeunes femmes, mises avec la plus voluptueuse élégance, se tiennent par la main, se replient sur elles-mêmes, et s'enlacent en passant tour à tour sous le bras l'une de l'aurte. Leurs pas, d'abord lents et graves, s'accélèrent graduellement, et finissent par éblouir les yeux par leur vitesse. Des chants que répètent les danseurs règlent la mesure, de concert avec les instrumens. Le début de cette danse est à la fois imposant et plein de charme, au milieu d'un vaste salon, ou sur un plateau émaillé de fleurs.
La danse nommée par les Albanais danse des Voleurs [Xenophon parle d'une danse des Voleurs à peu près semblable, que les Grecs célébrèrent à leur retour de l'expédition de Perse, lorsqu'ils furent arrivés sur les bords du Pont-Euxin (Xénophon, retraite des dix mille)] s'exécute souvent chez le pacha. Les danseurs sont ses soldats. Des coryphées, le bras passé autour du col l'un de l'autre, une main dans la ceinture de leurs camarades, unis en rond de cette manière, s'ebranlent en formant un cercle. Leurs pas, d'abord asses lents, s'accélèrent par degrés et deviennent d'une rapidité extraordinaire. Au plus fort de cette rotation fatigante, se font entendre des cris sauvages, mêlés au fracas de la musique la plus barbare; il arrive quelquefois que, pour augmenter l'intérêt de cette danse, les acteurs y entremêlent la Pyrrhique, qui, par son caractère, s'y allie parfaitement. On feint ensuite de chercher des voleurs; on leur donne la chasse, et on les ramène en triomphe lorsqu'on les a arrêtés.
Les Grecs ne se réunissent guère sans danser. Cet exercice leur plaît à tous les âges de la vie. Il anime toutes les fêtes publiques et particulières; et, dans les jours consacrés au repos par la religion, la danse enchante leurs loisirs.
R.B., L’Univers Illustré, 1878, p. 635
Danse nationale, Larnaca, Chypre, 1878
Souvenirs de Chypre
Nous avons parlé dernièrement de la ville de Lacarna et de la localité appelée "la Marine" qui lui sert de port et où résident les consuls. On nous communique aujourd’hui un dessin représentant l’aspect pittoresque de cette partie du rivage. Ce petit port oriental est bien fait pour tenter le crayon d’un artiste. Dans un café bâti sur pilotis, les indigènes se réunissent pour deviser des événements du jour, tout en fumant et en savourant du moka brûlant. La position est commode, car les marchands de denrées peuvent observer à la fois la marché qui se tient sur le quai et les barques qui arrivent du large.
Par la même occasion, nous citerons la danse nationale des Chypriotes, qui fait l’object d’un autre de nos dessins. C’est une sorte de pantomime très-vive, qui s’exécute au son d’un tambourin et d’une sorte de trompette. Les danseurs, s’exaltant peu à peu, sautent et gambadent sans paraître souffrir de la chaleur ou de la fatigue. Les habitants du village font cercle et semblent goûter beaucoup ce genre de divertissement.
Dodwell
Dodwell in Duchêne
p. 414
Kastri, Delphes, Grèce, 1801-1806
Les femmes kastriotes se distinguent par leur beauté et leur simple élégance. Leurs beaux visages réunissent de jolis profils, des dents éclatantes et de grands yeux noirs. Un jour, mous allâmes dans une de leurs maisons afin d’obtenir quelques renseignements concernant des pièces de monnaie. Faisant compliment à la maîtresse de maison sur sa bonne apparence, elle parut extrêmement heureuse et nous dit qu’elle avait été belle lorsqu’elle était jeune, mais que maintenant elle était âgée; que cependant elle avait cinq filles, toutes aussi belles qu’elle-même avait pu l’être en son temps, et qu’elle désirait nous présenter, si nous voulions bien accepter de venir danser dans sa demeure le lendemain. Pendant notre conversation, deux de ses filles entrèrent, portant sur la tête deux grands vases emplis d’eau de la fontaine de Kastalie, ce qui nous montra que leur mère avait dit vrai.
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Kotomoula, plaine d'Orchomène, Boétie, Grèce, 1850-1851
Nous tournions dans les rues du village quand nous avons entendu des voix en choeur, et, tout à coup, sur la place, nous avons vu un chœur de femmes, avec leurs vêtements bariolés, qui dansaient en rond en se tenant par la main. Loin d’être criard comme les chants grecs, c’était quelque chose de très large et de très grave. Elles se sont arrêtées dans leur danse pour nous voir passer. Le chemin était entre la place et un mur; au pied du mur, se chauffant au soleil, d’autres étaient assises et couchées par terre, vautrées comme si elles eussent été sur des tapis. Rêve du bonheur de Papety! L’une d’elles, la tête sur les genoux d’une autre, se faisait chercher ses poux. - Petit enfant avec un bonnet de drap brodé, couvert de piastres d’or, avec des gales lie de vin sur le visage.
Quand nous avons été à une portée de carabine en bas du village, notre guide nous a fait revenir sur nos pas, la route était défoncée; nous avons revu sur la hauteur l’essaim colorié de toutes ces femmes, qui nous suivaient de l’œil; elles auront repris leur danse sans doute?
Boucher de Perthes
Boucher de Perthes: Voyage à Constantinople… an 1853. Paris, Treuttel & Wurtz, 1855, 2 vol. Reprinted by Elibron Classics.
p. 2/113-114
derviches, Smyrne, Asie Mineure, 1853?
On ouvrit enfin la mosquée. Nous parlementâmes pour conserver nos chaussures, ce qui nous fut octroyé moyennant un bachis additionnel et la promesse de nous tenir dans l’embrâsure d’une fenêtre où il n’y avait pas de nattes. Une barrière à hauteur d’appui, placée à environ deux mètres du mur, retenait les spectateurs et laissait vide le centre de l’appartement qui ressemblait plutôt à une salle de danse qu’à une église.
Sur ces nattes, entre les murs et la barrière, étaient accroupis une centaine de Turcs dévots ou attirés, comme nous, par le spectacle. Tous étaient en turban et portaient l’ancien costume. Bien qu’ils se conduisissent convenablement avec nous, qu’ils se rangeassent même pour nous laisser passer, on voyait qu’il y avait là plus de politique que de bienveillance, et que notre présence dans ce lieu saint leur agréait peu. La vieille haine qu’ils portent aux giaours existe encore, et, de notre temps, je ne pense pas qu’on fasse jamais d’un Turc l’ami d’un chrétien, pas plus qu’on ne fait d’un chrétien l’ami d’un Juif. Il n’est pas difficile de comprendre, pour peu qu’on connaisse l’Orient, que la réforme de Mahmoud n’a touché qu’à la coiffure et à l’habit. Quant au reste, il est absolument ce qu’il était.
L’espace dont la balustrade nous séparait semblait être destiné à la danse des tourneurs que nous voyions à tout instant entrer et sortir. Tous étaient élégamment vêtus de robes de soie de couleur tendre. Parmi ces religieux, il y en avait de fort jeunes et dont la barbe commençait seulement à poindre. Le chef avait une figure intelligente, avec une certaine expression de dignité: rien en lui n’annonçait un fanatique ou un charlatan. Il pouvait avoir une quarantaine d’années. Il jetait de temps en temps un regard inquiet sur nous et sur la foule des curieux qui augmentait sans cesse, et il semblait contrarié qu’on nous fît attendre. Cependant, sauf lui et notre petit groupe, personne ne témoignait de l’impatience, et ces Turcs appartenant à toutes les classes et même aux plus infimes, se conduisaient comme dans des circonstances semblables ne le font pas toujours les personnes bien élevées.
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p. 2/191
Constantinople, 1853?
Leur logis m'a paru assez d'accord avec leur cuisine. Sauf de rare exceptions, les maisons turques n'ont qu'un étage qui, de même que dans nos manoirs du XVe siècle, s'avance en cage et en balcon sur le rez-de-chaussée; de nombreuses fenêtres toutes petites et couvertes de treillage complètement l'illusion et leur donnent tout-à-fait l'apparence d'une volière enjolivée. Cependant, les oiseaux qu'on y met n'y chantent guère; le chant et la danse en Turquie, sont, lorsqu'on est riche, choses qu'on ne fait pas soi-même. Quand on veut s'égayer et se donner le bal, on loue des Bohémiennes, danseuses de profession. La femme d'un haut fonctionnaire croirait se dégrader en chantant. Quant à son mari, se serait une monstruosité; c'est tout au plus s'il parle. Il y en a qui pensent compromettre leur dignité en ouvrant les lèvres, c'est par signes qu'ils se font entendre.
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p. 2/215-218
derviches hurleurs, Scutari, Constantinople, 1853?
Quand la guérison des enfants fut terminée, une douzaine d'autres derviches entrèrent dans l'espace vide. Je reconnus parmi eux le maître des cérémonies. Ils commencèrent par ôter leur caftan, puis un second vêtement, puis un troisième. En ce moment, il se fit dans la tribune un mouvement presque électrique; il venait de nos jeunes miss qui se couvraient le visage en s'élançant vers la porte. Elles croyaient sans doute que le dernier vêtement, le caleçon, allait tomber, mais il ne tomba pas.
La tribune ainsi évacuée, je m'y trouvais au premier rang et assez près pour atteindre et toucher les instruments à chaînette suspendus au mur. Ils étaient de bon acier, forts et solides et sans aucun artifice. Les derviches s'emparent chacun d'un de ces outils et, le tenant par le poignard servant de manche, ils commencent à s'en frapper à tour de bras. Placé à deux pas, j'entendais les coups, je les voyais tomber sur leur dos et le chaînettes s'y appliquer; mais, à mon grand étonnement, je n'aperçus pas de sang.
Après cette fustigation, ils prirent la boule à deux mains et s'enfoncèrent, à plusieurs reprises, le poignard dans le corps, non obliquement, mais droit, et la boule se rapprochait de leur chair. De temps en temps, le chef se levait, courait à celui qui était blessé ou censé l'être, soufflait sur lui et il n'y paraissait plus. Là encore je ne distinguais ni sang ni plaie. L'un d'eux passant près de la tribune, je lui touchai le dos: il avait la peau fraîche et nullement fiévreuse, et il avait son poignard dans le corps, ou du moins il semblait l'avoir. En vérité, ici je ne savais plus ce qu'il fallait croire ou ne pas croire. Après une demi-heure de cette danse épileptique entremêlée de flagellation et de coups de poignards, d'autres derviches ou serviteurs vinrent couvrir chaque patient c'un caftan de soie rouge ou jaune.
J'en vis ensuite un s'étendre à terre, et le chef montant dessus, lui danser sur l'estomac. Après quoi il se releva lestement et se remit à gesticuler avec les autres. Pendant que ceci se passait, les chants, les tambours, les cymbales, les mouvements de tête allaient toujours leur train et de plus fort en plus fort: c'était un charivari à assourdir.
Ce n'était rien encore, nous n'en étions qu'au prélude. Les poignards raccrochés, nos derviches commencèrent leur concert ou leurs cris de allah-hou accompagnés de grimaces de démoniaques. Jamais plus effroyable clapissement, plus détestable musique n'avait frappé mes oreilles. C'est probablement ainsi qu'on chante en enfer, si l'on y chante. Voilà pourtant des gens qui croient ainsi honorer Dieu! Il faut avouer qu'ils ont de lui une idée bien singulière. Au surplus, rien de nouveau sous le soleil, et le diacre Paris n’était qu'un plagiaire. En lisant la description des miracles du cimetière de Saint-Médard, j'y retrouve, dans tous leurs détails, ceux de teké de Scutari; mais la priorité appartient aux derviches hurleurs, dont l'institution remonte aux premiers siècles de l'islamisme.
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Ainsi que déjà je l'ai fait remarquer, le programme des derviches ne différait en rien de celui de saint Médard. Là aussi on dansait sur les malades, on les accablait de coups, on leur enfonçait des clous dans le corps; non-seulement ils n'en mouraient pas, mais on prétendait qu'ils s'en portaient mieux. Partout ami du merveilleux, l'homme est le même à Paris qu'à Constantinople, et l'imagination aidant, on lui fait voir, au moyen d'un adroit charlatanisme, non-seulement ce qui n'est pas, mais ce qui n'est pas possible.
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p. 2/280-282
sur des barques & bohémiennes, Eaux d'Europe, Constantinople, 1853?
Quelques-uns de ces caïques, assez grands pour contenir de dix à vingt personnes, sont remplis d'individus à fez ou à turbans, fêtant gaîment le vendredi. Nous les entendons chanter ou miauler d'une voix avinée, avec accompagnement de flûte et de tambourin. D'autres agitent leurs bras au-dessus de leur tête en faisant retentir une sorte de castagnettes: c'est ce que Johanni appelle danser. Il prétend, et j'ai entendu bien d'autres personnes l'affirmer, que le goût du vin fait de jour en jour des progrès dans toutes le classes, et qu'un haut personnage qu'il n'a pas voulu nommer en donne l'exemple. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces gens que je vois gesticuler sont des Turcs et qu'ils sont ivres. Plusieurs, dans leur délire bachique, élèvent des flacons au-dessus de leur tête et les présentent aux passants, comme pour les défier ou les inviter à boire.
On ne voit pas de femmes dans ces sociétés d'ivrognes. Des caïques également fort grands leur sont exclusivement destinés; il n'y a d'hommes que les rameurs. Là, ces femmes se gênent encore moins qu'à terre. Elles aussi chantent et gesticulent, et rient de tout leur coeur quand leur barque accroche la nôtre.
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Sur le bord de l’eau, nous voyons des groupes de danseuses bohémiennes, au teint olivâtre et au costume mêlé de rouge, de jaune, et assez semblable à celui que nous donnons aux sorcières dans nos opéras. Un gros Turc, assis gravement sur un tapis et fumant comme toujours, avait réuni une demi-douzaine de ces femmes et les faisait chanter et danser devant lui, sur la pelouse. D’autres groupes de trois à quatre couraient dans la prairie ainsi que des âmes en peine, cherchant des amateurs disposés à leur faire gagner quelque monnaie. Leur danse, comme leur musique, m’a paru assez insignifiante; ce n’est pas en public qu’elles déploient tout leur talent, c’est à huis-clos et dans les harems. Ces femmes, aux cheveux noirs et plats, à la peau huileuse et verdâtre, aux yeux effrontés, ordinairement très-maigres, n’ont rien de séduisant. On assure pourtant qu’elles ont inspiré des passions effrénées, et qu’elles ont fait faire toutes sortes de folies à leurs admirateurs: c’est moins chez les Turcs que chez les Russes qu’on les a vues ensorceler ainsi les gens. Ensorceler est le mot, car je ne comprends pas la séduction sous une pareille enveloppe. Elles s’accompagnent, en chantant, d’une petite guitare ressemblant assez à une mandoline.
Louis Enault
Enault, Louis: Constantinople et la Turquie. Paris, Hachette, 1855. Reprinted by Elibron Classics.
p. 104-105
Avec les croisés dans l'église de Saint-Sophie, Constantinople
Les croisés avaient fait les affaires d’Isaac bien plus que celles des Grecs. La haine des Grecs contre les Latins s’accrut de toute la reconnaissance et de toute la générosité qu’ils voyaient déployer à leur empereur. Cependant le patriarche, du haut de la chaire de Sainte-Sophie, déclara, en présence des croisés et du peuple de Constantinople, "qu’il reconnaissait le pape Innocent, troisième du nom, pour successeur de saint Pierre, premier vicaire de Jésus-Christ." L’indignation des Grecs n’eut plus de bornes. De son côté, le jeune Alexis mécontenta ses alliés pour se rapprocher de ses sujets. On conspire contre lui, il est jeté en prison, et bientôt étranglé par Ducas Mursuffle. Le vieil empereur meurt de désespoir en apprenant l’assassinat de son fils. Rien ne retenait les croisés. Ils emportèrent la ville. Mursuffle prend la fuite; la ville est ravagée et pillée, comme par le Bulgares ou les Rurikschs. "Oncques ne fut si riche saccagement," dit Villehardouin. Les prêtres latins dépouillaient les églises de leurs reliques. Les chevaliers entrèrent à cheval dans Sainte-Sophie, et burent à leur victoire dans les vases sacrés. Une femme, que Nicétas appelle "une servante du démon, une prêtresse des furies, une boutique d’enchantements," monte dans la chaire du patriarche, chante des chansons impies et danse dans l’église. Cette ville, le musée de l’univers, vit aussi profaner ses chefs-d’oeuvres.
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p. 407
Les Turcs et la danse
Le repos semble être maintenant l’idéal de la félicité pour un Turc. Il ne comprend pas cette fièvre de locomotion qui tourmente plus que jamais les races inquiètes de l’Occident. Pour lui le bonheur est au logis. Il y a des milliers de bourgeois à Constantinople qui ne sont jamais allès plus loin que le Bosphore et les Dardanelles. Spectacles, bals et concerts leur sont également inconnus. Ils se demandent comment un homme riche se résigne à danser lui-même, quand, avec son argent, il peut faire danser les autres; souvent, en effet, à l’occasion des fêtes de familles on fait venir dans le harem une petite troupe de danseuses qui exécutent quelque ballet oriental d’une mise en en scène primitive.
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p. 419-420
Baladins aux noces, Turquie
Chacun des quatre jours consacrés aux noces est marqué par un incident particulier. Le lundi, il y a visites de parents, repas, danses de baladins, ombres chinoises et musique; le mardi, on porte le trousseau de la mariée dans la maison du mari; le mercredi, on mène la jeune femme au bain; le jeudi soir, on la conduit à son nouveau harem.
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p. 423-424
Dans le harem, Turquie
Ce ne sont pas là les seuls plaisirs du harem. Dans les grandes occasions, aux fêtes de familles, aux anniversaires qu’on veut célébrer, on fait venir des danseuses syriennes ou égyptiennes qui dansent tout à tour dans le sélamlik et dans le harem. Non-seulement on ne veut pas que les hommes et les femmes puissent se voir, mais on ne veut même pas qu’ils voient la même chose! Il est, je crois, difficile de pousser la réserve plus loin.
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p. 446-449
Derwischs tourneurs, Constantinople, Turquie
Les derwischs sont pour l’étranger qui arrive à Constantinople l’objet d’une véritable curiosité. Tout le monde lui en parle: ils jouissent d’un immense crédit parmi le peuple. Les docteurs de la loi les appellent des scélérats, mais le peuple les appelle des saints. J’en ai vu un au Kaire qui entrait dans toutes les boutiques du bazar, choisissait, prenait et emportait, sans jamais offrir un para. A Damas, il y en avait un autre, l’an passé, qui se promenait dans les rues avec son bonnet pour tout vêtement (il est vrai qu’il faisait très-chaud). On l’avertit que le pacha, qui avait des mœurs, était assez mécontent: il alla rendre visite au pacha dans son costume - et le pacha ne dit rien. Un derwisch arrêta un jour le sultan sur le pont de bois de Constantinople, et se jetant à la bride de son cheval: Eh bien, giaour ! quand finiras-tu tes damnées réformes ?
- Tâchez qu’il me laisse passer, dit doucement Abdul-Medjid, en se retournant vers sa suite.
Parmi leurs diverses sectes, que nous avons signalées, deux surtout sont connues en Europe: les derwischs tourneurs de Constantinople, et les derwischs hurleurs de Scutari. Nous avons voulu, pendant notre voyage en Orient, assister aux diverses cérémonies de ce culte étrange. On appelle tekkés les monastères des derwischs.
Le tekké des derwischs tourneurs est situé dans le faubourg européen de Constantinople, à Péra, sur une petite place encombrée de tombeaux en assez mauvais état. L’intérieur de la cour est peint de vives couleurs. Trois côtés sont occupées par les cellules riantes des derwischs; un grand cyprès et une fontaine complètent la décoration. A l’est, la vue s’échappe sur le Bosphore, étincelant comme un miroir d’acier bleuâtre. La chapelle de danse est au fond de la cour. Les murs extérieurs sont couverts de surates empruntées au Koran et tracées en arabesques bleues, avec une habileté de calligraphie qui, d’une page d’écriture, fait une décoration. Nous entrons. Le parquet uni, ciré, luisant, est entouré d’une balustrade circulaire, à hauteur d’appui. En face du mehrab, qui indique l’orientation de la Mekke, une place est réservée à l’orchestre. C’est dimanche; il est midi: des Francs et des Turcs, qui ont laissé leurs bottes ou leurs babouches à la porte, se pressent autour de la balustrade.
Les dewischs arrivent en procession, lentement, deux par deux, gilet blanc, veste blanche, jupe blanche, caleçon blanc, fermant aux chevilles. Le chef va s’asseoir sous le mehrab, ou plutôt s’accroupir sur un tapis recouvert de peaux de gazelle, et deux jeunes derwischs se tiennent à ses côtés. Les derwischs, s’avançant d’un mouvement doux, lent et rythmé, défilent devant lui en le saluant profondément. Tous vont alors se placer devant le mehrab. La prière commence par une sorte de bourdonnement pieux, accompagné de génuflexions et de prosternations: c’est la préparation à l’extase. Bientôt la procession recommence et passe devant le chef, qui fait sur chaque derwisch un geste onctueux de bénédiction.
La musique prélude: ce sont de petites flûtes jouant à l’unisson, avec un accompagnement de tarboukas marquant le rythme. Cette musique, à la fois suave et bizarre, vous saisit peu à peu et finit par vous pénétrer comme un charme étrange. D’abord les derwischs écoutent, immobiles au milieu de l’enceinte, puis un d’eux ouvre ses bras, les étend horizontalement, et commence à tourner sur lui-même, lentement et déplaçant peu à peu et sans bruit ses pieds nus; puis le mouvement s’accélère, la valse se précipite, l’homme devient tourbillon. Toute la bande suit. C’était un curieux spectacle de voir tous ces hommes vêtus de blanc, les bras étendus en croix, la tête penchée sur une épaule, les yeux à demi-fermés, la bouche entr’ouverte par le sourire divin de l’extase. Le mouvement de cette valse avait je ne sais quoi de souple, d’onduleux et de doux qui vous emportait dans le vertige de sa rotation.
Le chef se promenait à travers les groupes, frappant dans ses mains, pressant ou ralentissant le rythme. Après un temps d’arrêt et une seconde procession, couple par couple, la valse recommença, plus ardente cette fois, plus entraînante et plus éperdue. Il m’eût été impossible de compter le nombre de tours accomplis dans une minute. Légèrement, et comme des ailes d’oiseaux, les bras s’élevaient ou s’abaissaient; une écume légère venait de temps en temps tremper et blanchir la lèvre rouge; tantôt la tête se renversait en arrière, la paupière battait des ailes, la prunelle retournée se noyait dans l’infini, et l’on ne voyait plus que la nacre vitreuse et troublée du cristallin; tantôt, au contraire, elle retombait sur la poitrine, comme accablée du poids d’une volupté surhumaine.
Quand l’épuisement, survenant au milieu du rêve mystique, jetait le valseur dans une prostration invincible, il se laissait tomber sur ses genoux, puis s’étendait, la face contre terre, et de jeunes servants le recouvraient d’un manteau bariolé, puis le chef s’approchait, murmurant tout bas quelques paroles de son rituel. La musique ne cessa qu’après que tous furent ainsi terrassés par la fatigue des muscles et le ravissement de l’âme.
J.-M. P., p. 96
Derwichs tourneurs, Constantinople, Turquie
Arrivés en face du pont en fer, situé sur la Corne d'or, construit par le sultan actuel, nous le traversons pour gagner Péra et notre hôtel. Comme les derviches tourneurs (mévlévis) donnent aujourd'hui une représentation et que leur téké (couvent) est près de notre hôtel, nous nous y rendons. Il y avait là, sur un plancher, 14 à 15 derwiches couverts d'un bonnet en feutre (forme d'un vase à fleurs renversé), habillés d'un gilet et d'une veste d'étoffe blanche, avec une vaste jupe et des caleçons étroits de même couleur, qui, assis à la turque, attendent les ordres d'un chef pour danser ou plutôt tourner en rond et presque sur eux-mêmes. Une musique, d'abord subtile comme un vent qui souffle, puis plus forte et cadencée (produite par l'union de flûtes et de tarboukas, sorte de bassons), avec des intonations étranges, les accompagne pendant leurs danses, génuflexions et saluts....
Tout cela se fait en mesure avec un air profondément sérieux et convaincu, pendant plus d'une heure. C'est original, singulier, mais absolument ennuyeux au bout de quelque temps; on voudrait rencontrer une idée et on ne voit que des machines humaines s'agitant en mesure! Une galerie circulaire règne autour de la salle où s'accomplit la danse; une partie de cette galerie est occupée par des musulmans dévots, l'autre par des étrangers, dames et messieurs en grand nombre. Nous y avons retrouvé nos messieurs belges, affublés du fez turc!
Belle in Duchêne
p. 765-767
Dans le bagne de Navarin, Grèce
La citadelle est située sur une esplanade qui domine la ville et la rade. Aujourd'hui la citadelle sert de caserne et surtout de prison, ou pour mieux dire de bagne. Dans une grande cour centrale, sans porte, et où l'on descend par un escalier de fer comme dans une fosse aux ours, s'ouvrent, sur les quatre côtés, une série de niches grillées et voûtées, malsaines et dégoûtantes; c'est là qu'on tient les condamnés. Deux heures par jour on les fait sortir dans la cour, où nous les voyons assis, couchés, ou se promenant en traînant la chaîne rivée à la cheville et au poignet, vêtus de guenilles, et nous lançant des regards cyniques ou insolents, hébétés ou farouches.
Ils sont là-dedans deux cent cinquante condamnés à douze ou vingt ans de travaux forcés, et presque tous pour assassinat, car c'est le crime le plus fréquent en Grèce et qui domine dans les statistiques judiciaires. En 1860, sur quatre cent quatre-vingts crimes commis, il y en a deux cent quatre-vingt-dix qui sont qualifiés de meurtres ou tentatives de meurtre, brigandage, blessures. C'est une proportion de plus de soixante pour cent. Là-dessus il y en a bien un tiers qui sont des assassinats politiques. On en reconnaît les auteurs à leurs figures plus franches, plus énergiques et plus fières. Les autres portent le masque du vice ou de la bestialité et forment avec les premiers un contraste saisissant. Quelle étude curieuse de physionomie à faire au milieu de ces faces sinistres où les passions mauvaises ont marqué une empreinte profonde: fronts étroits et fuyants de l'hyène, yeux sanglants et sanguinolents du bouledogue, mâchoire forte et proéminente du gorille! Un seul type manque: le criminel gras aux joues bouffies et squameuses sur lesquelles le vice transsude et dépose sa vase immonde, ce type enfoui dans les bas-fonds impurs de nos sociétés modernes et qui n'en émerge que pour paraître sur le bancs de la cour d'assises ou derrière une émeute, dans les rangs de ceux qui pillent et qui brûlent.
Les prisonniers du bagne de Navarin, comme dans toute la Grèce du reste, ne sont astreints à aucune tâche. Si le régime alimentaire est insuffisant et mauvais, le régime moral est nul; les ateliers, le travail qui régénère, sont inconnus. Leur seule distraction est de jouer avec les cailloux à un jeu grec qui ressemble aux échecs, ou de danser la romaïka, par besoin de mouvement, ou peut-être par souvenir de leurs montagnes, et souvent aussi, quand il vient des étrangers, pour avoir quelques pièces de monnaie. Quand ils nous virent sur la terrasse qui domine leur fossé, ils se levèrent, formant une ligne de douze ou quinze et se tenant par les épaules. Ils se mirent à danser, lentement d'abord et en chantant à demi-voix, puis s'animèrent peu à peu, se lançant en avant par un mouvement brusque et violent. Le chant s'éleva aussi et devint bientôt une sorte de rugissement. Malgré les lourdes chaînes rivées à leurs jambes, ils bondissaient comme de tigres, et les chaînes en retombant sur le pavé retentissaient avec un bruit sinistre. On aurait dit une bande de sauvages hurlant le chant de guerre avant d'égorger leurs victimes.
Dans une loge grillée et verrouillée, un prisonnier regardait la danse, le visage collé aux barreaux de fer, et chantait la même mélopée que ses compagnons. Celui-ci était condamné à mort et devait être exécuté le lendemain. Il avait tué, pour une cause futile, un de ses parents, dans un village de Messénie, puis, rencontrant dans sa fuite la femme de celui qu'il venait d'assassiner, il l'avait tuée, elle et son enfant, et, par un raffinement de cruauté assez rare en Grèce, lui avait coupé la tête, qu'il avait posée sur sa poitrine. Il n'en eut que pour vingt ans de travaux forcés; mais, au bagne, il s'avisa, dans un accès de colère, d'assommer un gardien, et, pour l'exemple, il avait été condamné à mort. Le commandant de la forteresse nous prévint que l'exécution devait avoir lieu le lendemain matin, et que si nous désirions y assister, il nous réserverait des places au premier rang.
Quétin (Audin)
p. 1/149-150
Danse nationale des grecs, Grèce
L’éducation est encore beaucoup négligée dans la Gréce, parmi les femmes plus que parmi les hommes; la plupart des personnes du sexe ne savent ni lire ni écrire; mais elles brodent toutes supérieurement, jouent du luth grec ou rebeck. Leur danse nationale, appelée romaica, consiste dans des mouvements lents. Les danseuses se tiennent par leurs mouchoirs, et celle qui conduit la danse marque la mesure et le pas, comme dans les danses albanaises. Quand les hommes sont de la partie, chaque cavalier s’unit à une danseuse alternativement; ensuite toutes les personnes qui forment le groupe tiennent leurs mouchoirs en l’air, et le chef de cette espèce de ballet danse au milieu d’eux
Forbin
Forbin, in Duchêne
p. 488 & 491
Athènes, 1817
M. Fauvel, qui me parut âgé de soixante-cinq ans environ, venait d'être fort malade. La vivacité, l'atticisme de son esprit, font naître et alimentent la discussion; il l'aurait même soutenue avec avantage sous le portique célèbre dont son imagination relève les vestiges.
Sa maison est placée entre les ruines de la bibliothèque des Ptolémées et le temple de Thésée. Assis sur sa terrasse, nous entendions, le soir, la musique discordante des esclaves égyptiens, qui se réunissent parfois pour oublier leur servitude; ils forment des danses nubiennes sur le lieu même où de brillantes théories célébraient jadis la fête du fondateur d'Athènes.
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Nous assistâmes à la danse des derviches tourneurs dans la tour des Vents. Ce monument solaire a pu être aussi une horloge hydraulique : on pense qu'il fut élevé sous la direction d'Andronic Cyrrhestes. Les derviches s'en sont emparés. Nous les trouvâmes dans un accès de ferveur religieuse, dont les exemples sont assez rares : l'arrivée d'un saint musulman, qui revenait de la Mecque et rapportait quelques gouttes de l'eau sacrée du puits de Zemzem, exaltait leur dévotion jusqu'au délire. Ils exécutèrent des chants et des danses en préludant sur un mode lent et traînant ; mais ensuite ils s'animèrent au point de pousser des hurlements horribles; des vieillards de la plus belle figure se roulaient par terre, déchirant leurs vêtements; on les emportait hors de ce temple dans un état d'ivresse et de dégradation difficile à décrire.
Emerson
Emerson, in Duchêne
p. 547
Nauplie, 11/04/1825
Le 11 avril. - Ce soir, pendant une promenade que nous avons faite hors de la porte de Palamède, la plaine, à l'orient de la ville, nous offrit un spectacle animé et plein d'interêt. La beauté du jour, jointe à la fête qui n'était pas encore terminée, avait engagé un grand nombre d'habitants à sortir de la ville pour errer dans la plaine. Une foule de femmes élégamment mises étaient groupées sur l'herbe, et prêtaient l'oreille aux sons de la guitare et de la flûte. Des troupes d'hommes à cheval, montés sur de superbes coursiers arabes, volaient sur le chemin, et lançaient le djerid, tout en guidant avec une adresse étonnante leurs petits chevaux pleins de vivacité; ils se détournaient par les angles les plus aigus, et s'arrêtaient au milieu de leur course malgré sa rapidité. De toutes parts on voyait des musiciens entourés de danseurs, exécutant leur triste romaïca, et égayant ses monotones pirouettes par des coups de pistolet réitérés. D'un autre côté, des enfants, dans des habits de fantaisie, et couronnes de fleurs, jouaient autour de leurs parents enchantés. Il était impossible, en voyant cette scène, de croire que l'on fût dans un pays exposé à toutes les horreurs de la guerre, et entouré de familles au nombre desquelles il n'y en avait pas une seule qui n'eût déjà perdu au moins un membre dans la lutte.
Barthélémy in Duchêne
p. 400 & 405
Thessalie ancienne
Ils sont tant de goût et d'estime pour l'exercice de la danse, qu'ils appliquent les termes de cet art aux usages les plus nobles. En certains endroits le généraux ou les magistrats se nomment les chefs de la danse. Leur musique tient le milieu entre celle des Doriens et celle des Ioniens; et comme elle peint tour à tour la confiance de la présomption, et la mollesse de la volupté, elle s'assortit au caractère et aux moeurs de la nation.
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Descendus de la montagne, à la suite de la procession, nous fûmes priés au repas qui termine la cérémonie : nous vîmes ensuite une espèce de danse particulière à quelques peuples de la Théssalie, et très propre à exciter le courage et la vigilance des habitants de la campagne. Un Magnésien se présente avec ses armes ; il les met à terre, et imite les gestes et la démarche d'un homme qui en temps de guerre sème et laboure son champ. La crainte est empreinte sur son front, il tourne la tête de chaque côté, il aperçoit un soldat ennemi qui cherche à le surprendre ; aussitôt il saisit ses armes, attaque le soldat, en triomphe, l'attache à ses boeufs, et le chasse devant lui. Tous ces mouvements s'exécutent en cadence au son de la flûte.
Sieur D.T.V.Y.
p. 844
Mais les hommes qui ont le sçavoir, & l'experience des choses, nomment ces femmes Sahacut, qui veut dire Froteuses. Et certes ont cette mal-heureuse coustume de se frotter l'un auec l'autre comme les Tribades, & lors qu'il se trouve quelque belle femme entre celles qui les vont trouver, elles en deviennent amoureuses, comme un ieune homme devient amoureux d'une fille, & leur demande pour payement de coucher avec elle, en quoy elles sont si rusées, que beaucoup de pauvres sottes croyans devoit complaire à l'esprit y consentent bien souvent.
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p. 845
Il y a encore force charmeurs qui chantent par les places, joüans de certains tambours, violons, harpes, & autres instrumens, & ceux-cy vendent au peuple ignotant certains bress qui sont bons contre diuers maux, comme ils disent. On y void vne autre sorte d'hommes font vils, qui sont tous d'vne famille, & vont par la ville faisans danser des singes ; portant autour du col ? aux mains plusieurs serpens. Ils font encore quelques figures de Geomancie, & predisent leur fortune aux femmes. Ils meinent aussi auec eux des estalons, & rendent pleines les cauales de ceux qui les en requierent.
Cornelis de Bruyn (Corneille Le Brun)
Brun, Corneille Le: Voyage au Levant, c'est à dire dans les principaux endroits de l'Asie Mineure... Paris, Guillaume Cavelier, 1714.
p. 136
Professionnels, Turquie, 1687
Ceux qui ne sont pas d’une humeur trop severe, peuvent se divertir assez agreablement avec une espece de femmes que les Turcs appellent Singis. Ce sont des Danseuses publiques qui vont par tout où on les demande, & ce sont ordinairement des Juifves, des Armeniennes, ou bien des Esclaves Chrêtiennes. Il y a aussi de jeunes garçons Juifs qui s’en mêlent quelque fois & qui s’habillent en femmes. Ces Singis sont d’ordinaire fort agiles, & en dansant elles jouënt d’une espece de castagnettes dont le bruit est assez agreable, & qui va à la cadence des mouvemens & des postures de leur corps.
Je me suis trouvé souvent dans des lieux où l’on se donnoit ce divertissement, & entre autres au logis de Monsieur Coljers Ambassadeur de leurs Hautes Puissances à la Porte, lors qu’il traittoit l’Ambassadeur de France, ou celui de Venise. Cela duroit quelque fois jusques bien avant dans la nuit, mais sans y mêler des ces postures lascives & deshonnêtes auxquelles les Turcs prennent tant de plaisir. La gravité n’en étoit pourtant pas si grande que Messieurs les Ambassadeurs ne s’epanouissent la ratte de temps en temps. Mais lors qu’on laisse toute la liberté à ces Danseuses, & qu’on leur fait paroitre qu’on prend plaisir à leur peu de retenuë, elles font des mouvemens les plus deshonnêtes qu’on se puisse imaginer, car des leurs jeunesse elles ont tellement accoutumé tous leurs membres à tout ce qu’elles veulent, qu’elles leur font faire mille postures differentes.
Les Turcs, outre le Luth qui est l'instrument à quoi ils se plaisent le plus, & qui n'est comme nous avons dit qu'a trois cordes, & d'une harmonie fort mediocre, ont encore plusieurs autres instrumens. Ils se servent aussi de la flute de Pan, de la Cymbale ou Tambour de Basque à la maniere des Italiens, des Castagnettes &c. Mais pour ces beaux Instrumens que nous avons dans la Chrêtienté, ils n'en ont pas seulement la connoissance, & la Musique n'est pas encore allée chez eux jusqu'a ce poit là.
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p. 154
Marriage, Grèce, 1687
Cependant tous les assistans marmottent quelques prieres, & sont plusieurs signes de croix, comme s’il prioient pour ceux qui entrent dans l’etat du mariage, apres quoi le Papas leur lit le formulaire, & les marie, prenant premierement l’anneau de dessus l’Autel, & apres l’avoir benit & fait plusieurs signes de croix, il le met au petit doigt de la main droite de l’Epoux, & puis au petit doigt de l’Epouse, ce qu’il reïtere jusqu’a trois fois tant à l’un qu’à l’autre. Il fait la même chose des deux petites couronnes qu’il leur met sur la tête. Lors que cela est fait ils s’entre-donnent la main, & on leur presente un verre de vin dont ils boivent chacun une gorgée & le Parrain aussi. Quand le verre est vuide le Papas le jette & le casse, & puis il leur etend une espece de voile ou morceau d’etoffe de soie sur la tête, & les fait danser, ou faire quelques mouvemens semblables. Apres que toutes ces Ceremonies sont faites, les hommes se retirent & les femmes aussi, & ils s’en vont chacun à part se rejouir & faire les Noces.
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p. 168-170
Les femmes de Chios, 1687
Nous y entrâmes entre dix & onze heures, & nous logeâmes cette nuit dans la maison d'un Grec, qui étoit parent d'un de ceux que nous avions dans notre compagnie. Nous y fumes receus d'une maniere fort honnête, & toute la nuit nous entendimes de grandes rejouïssances dans la ruë, à danser, chanter, jouer &c. Cela me parut fort surprenant, parce que ce n'est pas la coutume dans toutes les autres villes des Grecs, de voir ces sortes de licences.
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Les Femmes y sont fort belles, blanches, & la plus part avec des cheveux blonds, elles sont enjouées & pleines d'agrément, jusques là qu'il faut que j'avouë que je n'en ai trouvé nulle part si agréables. On les voit toujours fort proprement habillées, & coiffées d'une maniere qui a quelque chose de galant. Elles ont une coiffure de toile de batiste à la quelle elles attachent tant par devant que par derriere des bouquets de plumes noires, & où elles laissent pendre negligement un ruban ou cordon noir. J'en dessinai une des plus considérables, telle qu'elle est representée de l'autre côté. La maniere ordinaire n'est pourtant pas si magnifique. Le reste de leur habillement ne me plut pas tant, parce qu'il empêche que leur belle taille ne paroisse, car elles portent un corps trop court, & leurs juppes sont trop courtes aussi & trop epaisses. Leur souliers sont hauts & garnis par dedans de Semelles de Liege; et couverts par dessus de velours, ou de quelque etoffe de soye brodée fort proprement, à quoi elles s'entendent en perfection. Elles ne sont pas non plus trop dedaigneuses ni même trop retenuës à l'egard des hommes: car & dans la ville & à la campagne on les voit aux jours de rejouissance, danser en branle de tous côtez, & même une etranger s'y peut joindre librement, & prendre par la main celle qu'il trouve la plus à son gré sans que personne en prenne de la jalousie. Elles font aussi tant de civilité aux étranges qu'on a sujet d'en être surpris. Mais pour avoir le plaisir de les frequenter, & de jouir les douceurs de leur conversation, il faut sçavoir parler leur langue, parce qu'il y en a tres peu entre elles qui sachent l'Italien.
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Bruyn, p. 329-334
Danses, Grèce, 1687
Leur coëffure, qui est simple et noble, n’a pour ornement que des fleurs et quelques diamans disposés sur un bandeau nommé jémini, entrelacé de perles, qui entoure la tête. Sa beauté consiste en de beaux cheveux noirs, qui ne sont pas dénaturés par une poudre grisâtre (mode que les vieilles ont introduite parmi nos femmes), et qui tombent en tresses jusqu’à la ceinture. Leur chaussure, imitée des Turques, est on ne peut pas plus maussade: au lieu des sandales des anciens, qui laissoient voir tout nu un joli pied, elles portent de grandes et larges culottes, au bas desquelles il y a des bottines jaunes. Cependant elles se chaussent à la françoise quand elles vont au bal.
La danse des Grecs modernes est la trait de ressemblance le plus frappant qu’ils aient avec leurs ancêtres. En voyant danser la romeca, nom qu’ils donnent à leur danse, je me suis cru transporté dans les champs gnossiens, ou dans les parvis de ces temples où les femmes dansoient en choeur en l’honneur de Vénus. Différens auteurs ont parlé des danses gnossiennes, Κνωσσια Σχηματα. Sophocle en fait mention dans son Ajax. Homère en fait la peinture la plus élégante dans sa description du bouclier d’Achille. “Vulcain, dit-il, y grava l’image d’une danse semblable à celle que composa autrefois Dédale, dans la vaste Gnosse, pour Ariane à la belle chevelure.” Le poëte laisse ignorer le nom de cette danse ; mails il y a tout lieu de croire que c’étoit le γερανος, geranos, dont parle Julius Pollux. Elle étoit composée d’une multitude de danseurs rangés à côté l’un de l’autre et formant le branle. Aux deux bouts étoient les coryphées ou les chefs de la danse. Elle fut dansée dans les premiers tems de la construction du temple de Thésée, en imitation des divers détours que ce héros avoit été obligé de faire pour sortir du labyrinthe. Julius Pollux, liv. IV, chap. 14. Il est vraisemblable que cette danse fut appellée geranos ou la grue, parce que la figure du branle représentoit le vol des grues, qui volent en troupes, rangées avec beaucoup d’ordre l’une à côté de l’autre, en formant une ligne qui embrasse une grande étendue, et qui se remplie quelquefois en différentes figures. Cette danse est exactement le branle, que ls Grecs modernes appellent χορός ou romeca, en usage chez tous les Grecs du Levant. On retrouve dans la manière dont on la danse, la peinture exacte d’Homère et la description de Pollux. Les femmes, car rarement s’y mêle-t-il des hommes, se tiennent simplement par la main, ou forment une chaîne avec leurs bras entrelaçés. Il paroît qu’Homère a voulu exprimer cette seconde manière par le vers relatif à la danse de Gnosse: Ορχεούτ' αλλήλων επί καρπώ χείρας έχοντες. (Illiad. Σ, v. 590 - 605). On m’a assuré qu’aujourd’hui encore elle étoit plus en usage à Candie que dans d’autres pays du Levant, et les Candiotes passent pour les plus habiles danseurs parmi les Grecs. La romeca commence d’abord par le ζυγανος, zyganos, sur une mesure de gigue à quatre tems, ou 12/8, comme la sicilienne, mais extrêmement lente. Les danseuses y sont liées en se donnant simplement la main, ou en tenant chacune le bout d’un mouchoir; ce qui s’accorde avec la traduction d’un vers d’Homère par Sylburg: Saltabant alterna manu, seu vincla tenentes. Elle finit ensuite par le χορος, choros, dont la mesure est aussi à quatre tems, mais prompte et vive. Alors le coryphée, ou celle qui mène la danse, figure quelquefois seule, et les autres la suivent en imitant les pas et les tours qu’elle fait. Cette danse, quoiqu’au fond la même, diffère cependant selon les différens pays du Levant: le naxiote est plus vif et moins noble; le sfachiote et les autres branles candiotes sont communs et rustiques. L’arnautique est une danse assez maussade: elle est en usage en Valachie, en Moldavie et en Bulgarie. Les conducteurs ou coryphées sont placés aux deux bouts dans tous ces différens branles. C’est la place que Jul. Pollux leur assigne dans la danse des anciens, nommée geranos: έκαστος εφ' επαστω κατά στοίχον, τα άκρα εκατέρωθεν των ηγεμόνων εχόντων. "Ils étoient rangés à côté l'un de l'autre, et les deux bouts étoient occupés par les coryphées." Quand cette danse est bien exécutée, elle commence par le δεχιο ou le côté droit, et le conducteur qui est au bout mène le branle de son côté, de gauche à droite; ensuite, quand la musique change de mesure, le coryphée du bout opposé prend le ζερσό ou la gauche, et mène la bande de droite à gauche.
M. Cahusac a donné un savant traité sur les danses des anciens, où il est question de la danse pyrrhique, dont je n’ai rien retrouvé dans la danse moderne. Cette nation est aujourd’hui si éloignée de son premier caractère belliqueux, qu’il n’en reste pas le moindre souvenir. Les trois danses crétoises dont parlent Cratinus dans sa Némésis, Céphisodore dans ses Amazones, et Aristophane dans le Centaure (Athénée, liv. XIV, p. 629), sont l’apokinos, αποκινος, l’orsite, ορσιτες, et l’epicridios, επικριδιος. Apokinos, qui veut dire fuite ou départ, pourroit signifier l’action du coryphée dans le χορος, lorsqu’il se sépare de la ligne, s’éloigne, danse seul et se fait suivre par les autres. Alors celui qui étoit auprès de lui mène le branle à la suite du coryphée qui s’en étoit séparé, et qui fait différens pas et diverses figures, tantôt à la tête de la ligne, tantôt au milieu du cercle. Le bactriasmos, l’apokinos et l’aposisis étoient, d’après Pollux (liv. IV, chap, 14), trois danses lascives caractérisées par des mouvemens lubriques des reins. Le tripidito, danse moderne à deux, en usage dans les îles, a en effet des mouvemens lascifs, tels que ceux du fandango des Espagnols, et pourroit bien être un reste des danses dont je viens de parler. L’orsite étoit une danse extrêmement violente et agitée, dont le nom étoit tiré du verbe éolien ορσω, sauter. Dans le sfachiote; il y a ordinairement plusieurs coryphées, qui se séparent de tems en tems de la linge en sautant, et reviennent ensuite au milieu du cercle en faisant toutes sortes de mouvemens forcés. L’epicridios étoit une danse où, d’après Homère, on mettoit la tête en bas et les pieds en haut. La même roue se fait dans le sfachiote avec une légéreté admirable. Dans la danse candiote, on trouve encore du rapport à l’ancienne danse nommée oclasma, l’une des quatre espèces que les danseuses dans les thesmophories appelloient danses persiques et syntotiques: Pollux, loc, cit. On danse encore avec les genoux à terre dans les branles candiotes. Toutes ces danses ne sont guère jolies, mais plutôt rustiques et ignobles; tandis que la romeca dansée par une vingtaine de jolies femmes, toutes bien vêtues, est le spectacle le plus noble, le plus majestueux qu’on puisse voir; et je suis sûr, que M. Noverre, le métaphysicien de la danse, tiereroit parti de celle-ci pour la composition de ses ballets. On y chante encore comme anciennement. Le conducteur du branle entonne des chansons sur l’air de la danse, et le choeur répète les couplets chantés par les coryphées. Les instrumens de musique sont la lyre et le tambourin, tels qu’ils sont représentés dans les peintures d’Herculanum. La lyre a la forme de celle que les anciens nommoient testudo. Elle a trois cordes, et l’on en joue avec un petit archet. Les cordes ne se pressent point comme celles du violon, mais les tons sont produits en les frappant obliquement avec la main gauche. Il faut que Raphaël ait vu cette lyre, car il en a donné une semblable à son Apollon au Parnasse du Vatican.
Monsieur Chopin
Chopin & Ubicini: Provinces danubiennes et roumaines. Bosnie, Servie… Valachie, Moldavie.. Paris, Firmin Didot Frères, 1856.
p. 126
Albanais
Après la bénédiction, on se met à table. Pendant le repas, la mariée se tient debout dans un coin de la salle, les bras croisés sur sa poitrine, et dans l'attitude du recueillement. Le marié garde le silence, et ne répond même point aux toasts qu'on lui porte, le vlam étant chargé de le faire à sa place. Durant le reste de la journée, on mange, on chante et l'on danse.
C'est le marié qui ouvre la danse; les hommes le suivent et forment une ronde en se donnant la main; tout à coup il se précipite du côté de la mariée, qui danse au millieu des femmes, la prend par la main et danse avec elle, tandis que l'on répète ce chant: Le corbeau a enlevé une colombe, que veut-il faire de cette colombe? s'ébattre et jouir avec elle tout le reste de sa vie.
Vers le soir, les conviés se retirent après avoir fait un présent en argent à la mariée, qui leur baise la main. Celle-ci passe la nuit avec les femmes, et le fiancé va dormir au milieu de ses compagnons.
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p. 284
Serbes
Vers la fin de l'hiver et aux approches du carême, les Seviens célèbrent la fête des morts, qui coïncide ainsi avec la dernière période du deuil de la nature; au dimache des Rameaux, quand tout ce qui a vie se renouvelle, ils se réunissent de nouveau pour solenniser cette époque de promesse et de rajeunissement universel. La veille de cette fête, les jeunes filles s'assemblent sur une colline, et chantent quelque ballade sur la résurrection de Lazare. Le lendemain, avant le lever du soleil, elles se rendent à l'endroit où elles ont coutume de puiser de l'eau; là elles dansent des rondes et repètent en choeur des chants où le poëte raconte comment le bois du cerf trouble les ondes, tandis que son oeil les rend limpides.
A peine la glace et les dernières neiges ont-elles disparu que le peuple célèbre divers rites symboliques. La veille de la Saint-George, vers la fin d'avril, les femmes cueillent de jeunes feuilles, et des fleurs qu'elles jettent dans de l'eau agitée par la roue d'un moulin, et le lendemain matin elles se baignent dans cette eau aromatisée par les offrandes printanières. Il semble qu'elles veulent s'associer ainsi au renouvellement des forces de la nature, et sans doute qu'elles attachent à cet usage un espoir de fécondité.
C'est à la Pentecôte que se célèbre la fête de la kralitze ou de la Reine. Des jeunes filles se réunissent; l'une représente le porte-bannière, une autre le roi et une troisième enfin la reine, qui, la tête voilée et accompagnée d'une demoiselle d'honneur, s'arrête en chantant et en dansant devant chaque habitation du village. Le sujet de ces chants est ordinairement le mariage, le choix d'un époux, le bonheur de la vie conjugale et les soins de la maternité. A chaque stance on répète le refrain Lélio, divinité qui présidait à l'amour chez les anciens Slaves méridionaux, et qui paraît être la même que le Lado des Russes et le Lelum des Polonais.
On répète encore processionnellement d'autres chants symboliques qui célèbrent les vila (nymphes des forêts) dansant sous les arbres dont les fruits mûrissent, ou Radischa, qui se plaît à secouer la rosée des fleurs et des feuilles et qui, poursuivant quelque vila, essaye de l'attirer sous l'ombrage en lui promettant qu'elle y filera près de sa mère une soie précieuse sur une quenouille d'or. Toutes ces coutumes naïves respirent je ne sais quelle joie innocente, née des premières émanations du printemps.
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p. 286
Serbes
Une des créations les plus gracieuses du génie servien est la vila ou nymphe de la forêt. Il est souvent question de la vila dans les chants populaires; quand on veut donner une haute idée de la beauté d'une jeune fille, c'est à la vila qu'on la compare. Ces récits, que le Servien entend depuis son enfance, frappent son imagination; à force de rêver à la vila, il croit la voir, et l'on affirme de très-bonne foi dans le pays qu'il est donné à certaines personnes de converser avec ces êtres mystérieux. Les vilas se plaisent surtout dans les profondeurs des forêts ou sur les bords des rivières et des lacs; en général, elles évitent les regards de l'homme; mais souvent leur voix domine le murmure des torrents, et l'on entend le bruissement de leur danse ou de leur vol rapide à travers le feuillage. Douées de facultés surnaturelles, elles lisent dans l'avenir. Elles communiquent leur science magique à ceux qu'elles préfèrent, et qui dès leur naissance doivent ce privilège à certaines conditions fortuites. Le peuple, qui est porté à associer le merveilleux aux qualités extraordinaires, admet dans ses conceptions poétiques que ses héros de prédilection sont les frères d'adoption des vilas. Mais le vulgaire doit se garder de rencontrer ces nymphes capricieuses, et surtout de les surprendre dans leurs danses nocturnes.
Monsieur Ubicini
Chopin & Ubicini: Provinces danubiennes et roumaines. Bosnie, Servie… Valachie, Moldavie.. Paris, Firmin Didot Frères, 1856.
p. 214
Molde-valaques
Jeux, danses populaires, musique. - Les jeux et les passe-temps favoris des paysans moldo-valaques, les luttes des bergers, les danses des montagnards sont également renouvelés des Romains. Il y a deux danses nationales dans les Principautés, la hora (prononcez chora, en aspirant fortement l'h), et la danse des calusari. Cette dernière est selon toute apparence l'ancienne danse des prêtres saliens. Les danseurs saliens, dit Nieuport, possédaient un temple sur la colline Quirinale. Aus ides d'avril ils exécutaient, en récitant des rhapsodies qui étaient à peine intelligibles au temps d'Horace, des danses que menait un chef ou vates. Aujourd'hui les danseurs valaques portent, comme les Romains, deux courroies garnies de boutons en cuivre qui se croisent sur les épaules et dont l'une figure le baudrier; ils commencent à la fin d'avril ou après la Pentecôte leur danse, que l'on regarde en quelque sorte comme sacrée, se mêlent en brandissant des massues et des boucliers qu'ils choquent avec un grand fracas, et donnent à celui qui les dirige le nom de vatof (De Gérando, t. I, p. 312). D'autres voient dans ces simulacres guerriers un souvenir de l'enlèvement des Sabines. La hora rappelle exactement le chorus romain tel qu'on le voit figuré sur les bas-reliefs antiques. Les danseurs, hommes et femmes, se prennent par la main et forment un cercle au centre duquel se tiennent les musiciens (lautari); puis ils tournent en rond en se balançant les bras et pliant un pied, tandis que l'autre pied fait un pas soit en avant, soit en arrière, et se rapprochent tour à tour et s'éloignent du centre de manière à rétrécir ou à élargir le cercle. Pendant ces évolutions, dont la lenteur et l'uniformité prêtent à la hora un caractère d'indolence et de laisser aller tout à fait en harmonie avec le génie mélancolique du peuple roumain, un des lautari chante en s'accompagnant. Ces chants portent également le nom de horas.
Il y a aussi la danse de la ceinture (joc de brau), aussi vive et rapide que la hora est lente et monotone. Les danseurs se tiennent tous de la main gauche par la ceinture, et ont leur main droite appuyée sur l'épaule de leur voisin; ils commencent d'abord moderato, et peu à peu pressent la mesure avec une vitesse inimaginable.
L'orchestre ambulant, formé par des Tsiganes qui vont de village en village, comme nos anciens ménestrels, se compose ordinairement d'un violon, d'une flûte de Pan et de la kobsa, sorte de mandoline à cordes de métal. Le chef de la troupe rend la mélodie sur le violon: la flûte de Pan fait ressortir en sons aigus les passages les plus passionnées; la kobsa forme la basse; elle est tenue ordinairement par le plus âgé des artistes bohémiens, qui exécute sur cet instrument les accompagnements les plus difficiles avec une prestesse étonnante.
Quelquefois ce sont de simples villageois qui forment l'orchestre au moyen du boutchoum (sorte de trompe en bois de cerisier) ou du fluër, flûte longue et droite, compagne indispensable du pâtre moldo-valaque.
Chaussard
Lucien "Dialogue sur la danse", 24-26
La Gymnopédie [2. Lucian. de Salt. Thucyd. l. vi. Plut. Lacon. Athén. l. xv., c. xiv. Pausan. Lacon. Hésych. etymolog. aut. Suid. Maxim. Tyr. dissert. xxxvi ] ; Les danses nues, Fête Lacédémonienne
Institution particulière et bizarre de Lycurgue, et dont l'éloquence de Plutarque ne le justifie pas.
Dans la Gymnopédie, on voit s'avancer deux choeurs, l'un d'hommes, et l'autre d'adolescens : ils sont nus. Les coryphées portent des couronnes formées de palmes. On chante les hymnes de Thalêtas et d'Alcman ; de Thalêtas, qui, après Terpandre, régla le système musical ; d'Alcman, dont la lyre fut suspendue à la voûte d'un temple. Les péans sont de la composition de Dionysodote.
Des choeurs forment des pas cadencés et assujettis au mode lyrique. Ces pas sont coupés avec grâce et avec précision.
Ces danses ont lieu dans les fêtes d'Hyacinthe. Ici, on prétend honorer, selon les uns, la victoire obtenue à Thyrcé, et, selon les autres, les manes des héros morts aux Thermopyles.
Cet usage paraît remonter à des rites religieux ; car les hymnes y sont consacrés à Apollon, et les danses à Bacchus.
"Pour leur ôter toute délicatesse et toute tendresse efféminée, il accoutuma les jeunes filles, ainsi que les garçons, à se trouver aux processions, à danser nues en quelques fêtes et sacrifices solennels et à chanter en la présence et à la vue des jeunes jouvenceaux, auxquels, bien souvent, elles donnoient, en passant, quelque brocard à point touchant concernant ceux qui en quelque chose auroient oublié leur devoir ; et quelquefois aussi récitoient en leurs chansons les louanges de ceux qui en étoient dignes. En qui fesant elles imprimoient ès coeurs des jeunes hommes une très-grande jalousie et contention d'honneur ; car celui qui avoit été loué par elles comme vaillant, et duquel elles avoient chanté les actes de prouesses, s'en alloit élevé en courage de faire encore mieux à l'avenir, et les atteintes et piquures qu'elles donnoinet aux autres, ne luer étoinet moins poignantes que les plus sévères admonestemens et corrections qu'on eût pu leur faire; attendu mêmement que cela se fesoit en présence des rois, des sénateurs et de tout le reste des citoyens qui se trouvoient là pour voir l'ébattement. Mais quant à ce que les filles se montroient ainsi toutes nues en public, il n'y avoit pour cela vilenie aucune ; mais étoit l'ébattement accompagné de toute honnêteté, sans lubricité ni dissolution quelqueconque ; et plutôt, au contraire, portoit avec soi une accoutumance à la simplicité et un envi entr'elles à qui auroit le corps le plus robuste et le mieux dispos ; et qui plus est, cela leur élevoit encore ancunement le coeur, et les rendoit plus magnanimes [1. Plut. traduct. d'Amyot (h)]. "
Estournelles de Constant
Constant, Estournelles de: La vie de province en Grèce. Paris, Hachette, 1878.
p. 12-18
Costume, Aigion, Grèce
Le costume national se rencontre de jour en jour plus rarement à Athènes ; dans les petites villes, au contraire, une grande partie des habitants a conservè fidèlement les anciennes traditions. C'est un dimanche, le matin, qu' il faut se promener dans les rues d'Aigion pour voir les Grecs parés dans tout leur éclat. On est frappé d’un luxe, d'une variété de costumes vraiment étonnants, quand on considère que c'est là parfois toute la richesse de ceux qui les portent.
On connaît la foustanelle, sorte de jupon de coton blanc aux mille plis, serré à la taille: c'est la seule partie de l'habillement qui soit la même pour tous; elle ne supporte aucun ornement, et il serait impossible de distinguer la foustanelle d'un palikare de celle d’un paysan, si l'une n'était généralement propre, l'autre, au contraire, toujours sale, et destinée à servir alternativement de mouchoir ou de serviette. La ceinture seule, toujours en soie, est plus ou moins large ou longue, ou brodée d’or. Le gilet, droit ou croisé, est en velours noir ou en soie de différentes couleurs, orné de boutons ronds en rapport avec l'étoffe et brodé de toutes les variétés possibles de soutaches. Une veste fort courte, arrondie aux coins, découvre le devant du gilet, et tantôt, - dans les costumes de gala, - laisse le cou libre, tantôt s’attache par un double bouton. La veste est la plus riche partie du costume; les côtés et le dos sont couverts de broderies de soie, d'argent ou d'or entremêlées. Quelques riches personnages en portent dont l’étoffe est absolument cachée sous les galons et les passementeries d'or; un pareil costume coûte 2000 drachmes (environ 1800 francs). De longues manches ouvertes, également brodées, pendent le long du bras, laissant à decouvert la soie de la chemise. Les guêtres tombant sur un brodequin verni, et montant un peu au-dessus du genou jusqu'au caleçon de soie, sont de la même étoffe que la veste, avec les mêmes broderies; on les serre au-dessous du genou par des jarretières de soie tissée qui sont presque toujours de petits chefs-d'oeuvre de travail et de finesse. La coiffure est pour tous la même, c’est le fez; elle ne varie que par la richesse du gland, qui est en soie noire ou bleue, ou en or, attaché quelquefois par une agrafe de diamants.
Les paysans portent un costume différent, mais non moins original. La veste, le gilet, les guêtres ou scaltsès sont en flanelle blanche brodée de soie ou de soutache de laine rouge et bleue. Ils ont conservé la vraie chaussure grecque, les tsarouchia, sorte de souliers à la poulaine, en cuir de Russie, piqués de soie jaune, rouge ou bleue, et terminé au bout et sur les côtés par trois touffes de soie aux couleurs de la piqûre. Ils ont toujours une ceinture (thilaki), également en cuir de Russie, très-large sur le devant, et divisée en plusieurs poches dans lesquelles ils passent de longs poignards, des pistolets à pierre et toutes les armes qu’ils possèdent; ils y suspendent en outre des munitions et leur nécessaire de fumeur. Les bras sont nus sous les manches ouvertes de la chemise et de la veste, et souvent, au lieu du fez, ils adoptent pour coiffure un mouchoir de soie. En hiver, ils ont un gros manteau court en laine grise épaisse, à longs poils et grossièrement brodé de passementeries de couleur.
Les costumes des femmes à la ville n’ont été conservés que par un petit nombre; on les a sacrifiés aux modes de Paris, et ceux qu'on voit encore à Aigion sont fort laids. Ils se composent d’une jupe de soie ou de popeline claire, longue et large, comme celles qu'on portait en Europe il y a une quinzaine d'années, d’une veste analogue à celles dont se parent les hommes et d'un fez. Cet assemblage forme un contraste choquant et du plus mauvais effet. On trouve pourtant encore dans certains villages, particulièrement à Delphes, au pied du mont Parnasse ou chez quelques paysannes, des costumes qui ont gardé tout leur charactère. Plus riches encore que ceux des hommes, ils forment un trésor de famille et se transmettent de génération en génération. Les jeunes filles aux longues nattes noires tombant sur leurs épaules s'en parent les jours de grandes solennités. Aux noces, par exemple, elles portent une chemise de soie très-longue qui forme robe, serrée à la taille par une agrafe d’argent; un tablier aux vives couleurs, attaché sous la ceinture, descend jusqu'à la cheville; un manteau long, ouvert sur le devant, tombant droit, sans manches, laisse dégagés la poitrine, l'agrafe et le tablier. La chemise, entr'ouverte sur la gorge, est fermée par des boucles de pierreries ou de métal ciselé et couverte de riches ornements. Des colliers de médailles antiques ornent le cou, le front, les cheveux, et retiennent un voile merveilleusement brodé.
J'ai trouvé à Aigion même des costumes de femmes qui, bien que moins riches, n'étaient pas moins curieux. Je me souviens qu’un soir, quelques jours après mon arrivée, comme je me promenais en dehors de la ville, sur un plateau qui domine la campagne, je vis venir au loin une troupe assez nombreuse de travailleurs, dont le chant doux et tranquille arrivait jusqu'à moi, troublant à peine de son paresseux murmure le calme mystérieux du crépuscule. Ils montaient lentement, tous ensemble, par une route toute blanche dans la verdure noire des oliviers; leur chant grandissait peut à peu, et je les vis bientôt qui passaient devant moi: les hommes marchaient en tête, insouciants, suivant d’un regard vague la poussière que soulevaient leurs pas, et répétant d'une voix égale les mêmes mesures de leur rustique chanson ; les femmes venaient après, courbées sous le poids des instruments et des fagots qu'elles portaient sur le dos, et chantant, comme chantaient ceux qui les précédaient. Le costume pour toutes était à peu de chose près le même: au lieu de la chemise de soie, une chemise de cotonnade transparente et lamée de rayures écrues, ouverte au col et sans parure: un tablier de gros drap rouge éclatant, serré à la taille, et un long manteau brun sans pli, sans ornement, tombant jusqu'aux genoux, découvrait le tablier et la poitrine et les longues manches traînantes de leur chemise blanche.
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p. 45-47
La danse en général, Grèce
Une coutume, un culte plutôt, est restée vivante en Grèce, dans toute la province, et offre un grand attrait aux voyageurs: je veux parler de la danse. Si le temps et le contact de l'Europe l’ont fait oublier dans les grandes villes, les paysans y sont restés fidèles, et pas un jour de fête, pas un mariage ne se passe sans ce divertissement. Tous les Grecs savent danser, et leur taille élégante et souple s’y prête à merveille. Quelques habitants des villages et mêmes des villes sont renommés pour la seule lègéreté de leur pas et pour leur habileté à conduire les choeurs. C’est un exercice qui ne paraît pas compliqué, mais qui ne laisserait pas d’embarrasser pourtant beaucoup un étranger.
Des jeunes gens se réunissent au nombre de trente ou quarante, le plus souvent en plein air; ils se prennent tous par la main et forment une ligne, marchant ou sautant en mesure. Il est difficile de s’imaginer quelque chose de plus gracieux ou de plus beau, quand les costumes sont riches, que cette longue chaîne humaine aux couleurs éclatantes et variées qui s’avance, se plie, se déroule, s'étend et se resserre tour à tour, obéissant au rhythme cadencé d’un chant que tous répètent à la fois. La voix baisse et s'élève, douce ou vibrante, en même temps que le mouvement du pas se ralentit ou se précipite; par instants, à un signal du palikare qui tient la tète de la chaîne, chacun des danseurs lâche la main de son voisin, qu'il tenait élevée au-dessus de sa tête, tourne sur lui-même et reprend en chantant plus haut la main du suivant, et toujours ainsi. Un spectateur remplace aussitôt l'acteur fatigué, qui se retire, et la danse continue animée, variée et cependant toujours égale, et cette longue file d'hommes semble bientôt ne faire qu’un seul être, tant leurs mouvements réguliers sont les mêmes et s’accordent avec les accents de leurs voix.
Il existe encore d’autres danses, dont les noms seuls couvriraient facilement une page; mais la plupart diffèrent à peine de celle que j'ai décrite ou sont beaucoup moins populaires; aucune ne s’est transmise depuis des siècles avec autant de fidélité. C'est l'antique ormos ou chaîne dont nous parlent les auteurs anciens et qu’on retrouve aujourd’ hui dans toutes les parties de la Grèce. Comme ils ont dénaturé la musique, les usages européens ont aussi modifié sur ce point les costumes classiques. La haute société ne consent que rarement et à l'occasion de fêtes exceptionnelles à se mêler aux choeurs si chers à ses ancêtres; la valse et le quadrille ont maintenant toute la faveur de la bourgeoisie, et je dois constater que, durant mon séjour, on a donné à Aigion quatre ou cinq bals, de vrais bals. C'est une innovation qui désolera les voyageurs en quête d'originalité; mais on ne peut pas exiger d'un peuple qu'il se rapproche de la civilisation de ses voisins et qu'il garde à la fois intacts tous ses anciens usages.
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p. 209-210
Locride Ozole, Grèce
Quand nos visiteurs furent partis, je sortis avec mon hôte. Quel ne fut pas mon étonnement de voir devant toutes les maisons, couvrant la terre que j'avais foulée tout à l'heure, de grands tapis rouges, jaunes, bleus, étalés à l'ombre, sur les-quels dormaient indistinctement hommes, femmes et enfants; c'était la coutume dans l'île. La jeune fille jeta trois tapis sous les figuiers; tout pénétré du charme de cette existence primitive, je fis comme tout le monde, et je m'étendis à mon tour.
Le soir, on soupa gaiement de diavourti (sorte de lait caillé), de galette noire, de fromage et de fruits; puis les jeunes gens et les jeunes filles, au milieu de toute la colonie amicalement réunie, se mirent à danser en chantant. La nuit était pure comme un beau jour de France, éclairée par les rayons de la pleine lune dans un ciel lumineux d'étoiles; une brise légère, encore tiède, soufflait de la mer et des montagnes voisines, semant d'étincelles sans nombre la surface argentée des flots. La danse finie, on étendit de nouveau les tapis devant les maisons, et chacun se drapant à sa guise s'endormit après avoir encore jeté à son voisin un fraternel bonsoir.
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p. 237-243
Locride, Grèce
Les lumières et les feux du village nous apparurent au détour d'un chemin, et nous fûmes bientôt de retour au logis. Les soldats s'étaient installés sur une petite place en face de notre maison, et se tenaient couchés par terre, en cercles, autour d’un grand feu où rôtissait leur chevreau. Ils saluèrent notre arrivée de bravos et de bruyantes exclamations, et je vis bien à leur attitude que la soirée se passerait plus animée que la veille: à l'exception de celui qui survellait le feu, les soldats s’etaient levés au-devant de mes deux amis et, sans faire attention à moi, se prenant tous les cinq par la main, voulurent les entraîner dans leur danse improvisée. Tous deux préféraient en ce moment des plaisirs plus calmes et surtout le repos; ils résistèrent et vinrent me réjoindre. La petite troupe n’en continua pas moins; ses cris et ses chants remplirent bientôt tout le village.
Nous étions rentrés, et de la fenêtre je ne les perdais pas des yeux; le mouvement de la danse, la chaleur du feu et le bruit même qu’ils faisaient augmentaient leur ivresse que de trop fréquentes libations avaient déjà commencée. Le rhythme du chant irrégulier, sans cesse interrompu par de grossiers éclats de rire, retardait ou arrêtait leurs pas; souvent l'un d’eux tombait, ou bien sautait en poussant un cri aigu et empêchait les autres de danser. C'était une gaîté répugnante, le commencement d’une orgie. Je considérais à la fois cette troupe de soldats bandits et les quelques paysans indigènes qui formaient cercle autour d’eux. Certes tous ces misérables se montraient les dignes descendants de leurs ancêtres les Locriens Ozoles: paresseux, insouciants, grossiers, cruels, voleurs même, ils n'avaient aucune des qualités qui rendent un peuple aimable; mais on sentait du moins vibrer chez eux des sentiments correspondants aux nôtres; ils parlaient de leur pays, de leurs enfants, de leur famille, de leur religion, et leur naturel s’adoucissait dans la conversation. Chez ces soldats, au contraire, je ne découvrais qu’un orgueil stupide, tel qu’on ne saurait se l'imaginer; paresseux en outre, et plus que les autres, ignorants, mal-propres, honteusement vicieux, ils sont les seuls hommes en Grèce que j'ai vus ivres, et leur ivresse est horrible. L'armée grecque d’ailleurs ne saurait être jugée d'après ces compagnies franches, laissées sans surveillance dans les montagnes, et qui forment un corps tout spécial.
La femme de mon hôte nous avait apprêté durant ce temps le repas du soir; comme les soldats retombés à terre commençaient à couper en morceaux leur rôti, elle m'appela de mon côté, et nous fîmes notre dîner au bruit des vociférations dont retentissait tout le village. Quand nous sortîmes, la troupe nous apparut plus nombreuse et la petite place plus encombrée. Les paysans, attirés par les chants des soldats et l'odeur du chevreau, étaient venus un à un les rejoindre: on faisait cercle autour de chacun d’eux, et on les écoutait conter leurs galants exploits et débiter leurs rodomontades.
L'un s'écriait tout haut qu’il avait tué quatre klephtes avec son bon fusil et qu’il leur avait coupé la tête. Un autre serrait le bras d'un paysan tremblant d’effroi et le regardant les yeux dans les yeux: "Moi, je ne crains personne, et quand j’ai bu seulement un verre de raki, je me battrais seul contre dix."
Le plus vieux parlait de ses amours. "Et la petite Catina de Galaxidi, mon âme, tu ne la connais pas bien! Elle est venue avec moi dans la montagne, elle nous a suivis pendant un mois et serait encore avec nous, si je ne l’avais pas renvoyée. Quand j'entre à la ville, toutes les femmes me regardent, et je suis, moi aussi, comme le pacha, je choisis celle que je veux. Un jour, la petite Marie, la blanche, la belle Maritza..." et il commençait une triste histoire dont il se faisait le héros. La plupart des assistants demeuraient attentifs, et la petite place était fort tranquille en ce moment; elle offrait en revanche un coup d'oeil frappant: éclairés par les hautes flammes du feu qui brûlait toujours, ces différents groupes d’hommes aux costumes blancs ou gris péroraient, s’agitaient sous les arbres. Les fusils brillaient, rangés en faisceau au milieu de ce va-et-vient de silhouettes animées, tantôt sombres, tantôt colorées aux reflets rougeâtres des flammes quand elles approchaient du feu. La lune était voilée à cet instant par un nuage presque immobile, et tous ces costumes enveloppés d'une lueur pourpre, découpant autour d’eux de grandes ombres noires aux contours bizarres, produisaient au milieu des sombres maisons du village un effet extraordinaire.
L'animation générale tombait; les conversations avaient duré longtemps et chacun s'en lassait. On s'était peu à peu groupé autour du feu; quelquesuns se mirent à chanter:
"Je t'aime et je t’adore, - mon petit oiseau, mon coeur, - et personne ne le saura, - si ce n’est tout mon bataillon!"
Ce fut le signal; soldats et paysans se donnèrent la main, et, la chaîne formée, le cercle s'élargit, la danse commença. Tranquille d’abord, le mouvement s’accentua et se précipita bientôt, les chants grandirent; en quelques minutes, ce fut une sarabande indescriptible.
La chaîne s'était étendue, allongée, puis repliée sur elle-même en colimaçon, gardant toujours au centre le feu et les fusils. Un des soldats menait la tête, agitant de la main gauche une mantille rouge, élevée en l’air, que le second danseur tenait de la main droite; les autres suivaient, marchant et tournant tour à tour. Des femmes accroupies le long des murs suivaient ardemment des yeux ce spectacle; elles battirent des mains. Alors le mouvement redoubla; ce fut comme un vertige, une danse fantastique au milieu d'un fracas inouï. Les plus proches du feu passaient rouges devant la flamme, baissant et levant les bras ensemble; derrière eux, confondus avec leurs ombres, les autres venaient, hurlant et sautant à l'envi. Par instants, quand la chaîne s'écartait, un rayon ardent de lumière glissait jusqu'au fond de la place, et l’un des derniers danseurs se trouvait tout à coup seul, éclairé d’une lueur éclatante. Il y avait là quelque chose d'infernal, et, tandis que mes yeux suivaient fascinés cette longue grappe d’hommes, mon imagination y croyait voir des démons plutôt que des êtres humains.
Enfin l’un d’eux tomba, puis un autre; et la moitié des danseurs épuisés restèrent sur place et s'endormirent là, pêle-mêle, à la belle étoile. Quelques instants encore, les flammes mourantes du feu les distinguèrent les uns des autres; bientôt tout se confondit, et les rayons argentés de la lune éclairèrent seuls dans le silence de la nuit ce singulier sommeil.
Mes deux palikares n'avaient pas résisté à l'attrait de cette fête, et s'étaient mêlés après le dîner à la danse commune. L'un d'eux rentra et s'étendit par terre sans me parler; je me couchai moi-même pour retrouver les tourments de la veille. Le matin, la place était vide; les soldats étaient repartis et les cendres seules de leur feu me rappelaient encore leur passage et mes impressions de la soirée.
Olfert Dapper
Dapper, Olfert: Description exacte des isles de l'Archipel… Amsterdam, Georges Gallet, 1703.
p. 225
Chios
Ils y vont habillez & y vivent à la maniere des Génois, qui ont été autrefois les maîtres de cette île. Car bien qu'elle soit comprise dans l'étenduë des îles Gréques, ses habitants y vivent, pour la plus-grande partie, à la maniere des Francs ou Chrétiens Occidentaux. Les femmes Chrétiennes y sont généralement d'une beauté extraordinaire & d'une humeur aprochante de celle des Italiennes. Elles ont la plûpart une taille belle & majestüeuse, le visage bien proportionné, le teint fort-blanc & d'une couleur si vive, avec des manieres si douces & si agréables, qu'on ne peut rien voir de si charmant. On les peut voir & leur parler toutes les fois que l'honnêteté & la déference qu'on doit à leur séxe le peut permettre. Il arrive même bien souvent qu'on danse tout le long de la nuit avec elles, ce qui se pratique principalement les jours de fête, ou lors qu'après un festin on donne le bal.
Belon témoigne qu'il n'y a pas de lieu au monde où l'on puisse choisir une maniere de vie plus-douce & plus-agréable qu'en l'île de Scio, & où les femmes aient, outre l'avantage de la beauté, des manieres si honnêtes & si engageantes.
Les habitants y sont fort-civils, tant entre eux qu'envers les étrangers ; de sorte qu'on peut dire à leur avantage, qu'ils surpassent tous les autres peuples en humanité, en honnêteté & en douceur. Ils ont aussi beaucoup de panchant à la musique, & aux autres éxercices & divertissements honnêtes.
Les habits des femmes sont d'une façon propre & qui n'a rien de ridicule, comme dans tous les lieux circonvoisins, où les femmes se tiennent couvertes jusques aux yeux. Elles vont coiffées à peu près comme les Françoises, & ne couvrent leur sein que d'un linge fort délié. Tout le reste de leurs habits est fort-leger & proprement fait. Il y en a quelques-unes qui portent une coiffe de satin blanc, qui aboutit en pointe par le haut. D'autres sont couvertes d'une longue robe noire & laissent pendre leurs cheveux negligenment sur les épaules. Elles portent un grand écu ou bouclier d'argent, qui leur pend du cou sur la poitrine, au milieu duquel on voit la figure d'une épée ; aux oreilles des pendants qui ont la forme d'un arc. Ces ornements, qu'elles ont voulu conserver, sont des glorieuses marques de leur valeur. Car on raconte que leurs enfants & leurs maris aiant été batus en un combat, elles prirent les armes, & regagnerent par leur courage ce que les hommes avoient perdu par leur lâcheté. Ainsi elles portent ces marques d'honneur, pour un témoignage de cette action.
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p. 447
Origine de la Pyrrhique, Antiquité
Cybele, la mére des Dieux autrement apellée Ops & Rhea, en étoit native. Cependant comme il étoit porté par la destinée, que Saturne devoit être chassé du Roiaume par ses fils, ce Dieu les devoroit aussi tôt qu'ils étoient nez. Mais Rhea, qui n'étoit pas pourtant reverée parmi les Cretains, aiant caché Jupiter, elle lui bailla une pierre en sa place, qu'il devora. Ensuite elle ordonna aux Corybantes, aux Dactyles & aux Curetes, à qui elle l'avoit baillé en gardé, de dancer autour de son berceau, en choquant leurs boucliers les uns contre les autres, au son des cymbales, tambours & autres instruments de musique, afin que les cris de l'enfant ne pussent être entendus. C'est de-là que la danse Pyrrhique a pris son origine : & c'est aussi pour cette raison que dans les offrandes de Cybele l'on joüoit du tambour, des cymbales, & d'autres semblables instruments à cliquettes ou de cuivre resonnant, dont se servoient les Corybantes.
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Dapper, p. 454
La Pyrrhique, invention des Curetes, Antiquité
Les Dactyles Idéens ont les premiers enseigné aux hommes l'usage du feu, qui jusques alors avoit demeuré inconnu, comme aussi la nature du cuivre & du fer, & la maniere dont on les pouvoit mettre en oeuvre. Ainsi Strabon témoigne qu'ils ont les prémiers mis en oeuvre le fer & qu'ils ont enseigné à l'étendre sous le marteau. Semblablement Pline raporte, après Hesiode, qu'ils ont les prémiers fait connoître le fer aux hommes, & la maniere de s'en servir.
Après eux les Curetes s'étant avisez de garder & de nourrir des troupeaux de brebis, ils ont montré les divers avantages qu'on en pouvoit tirer pour la commodité de la vie. Ils se sont apliquez à rendre privez & domestiques la plûpart des autres animaux, & ont trouvé l'invention d'éléver des abeilles, & d'en recueillir & ramasser le miel. Ils s'exerçoient fort à la chasse & à tirer de l'arc, dont on les fait les inventeurs, de même que des fléches. Ils ont introduit dans le monde les assemblées publiques & les festins, & ont inventé les sabres & les épées, les casques & les pots en tête, & la dance Pyrrhique qui se pratiquoit avec des épées nuës.
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p. 455
Sfakia, Crète
Les habitants de Spachia, communement apellez Sphachioti, qui habitent près de Leucos, où sont les montagnes blanches, surpassent tous les autres en courage & en adresse à manier les armes. Car ils sont des hommes rudes, mal polis & presque sauvages, qui sont acoûtumez à vivre de pirateries & de brigandages.
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Ils vont tous botez jusques au nombril, & ne marchent jamais qu'ils ne soient armez d'un arc, de fléches & d'un sabre. Leurs botes sont atachées à une longue & large bande de cuir qu'ils ceignent autour du corps comme une ceinture. Ils portent des calçons de toile, & couvrent seulement d'une chemise le reste du corps. Ils ne la mettent pas pourtant dans leurs calçons, comme on le fait par tout ailleurs, mais ils la laissent pendre par dessus.
La dance fait un de leurs plus-grands plaisirs, & on peut même dire que c'est leur divertissement ordinaire. Car la plûpart d'entre eux hommes & femmes dancent jour & nuit, même dans les plus-ardentes chaleurs de l'été & exposez au Soleil, sans quitter leurs armes & sans pourtant se lasser. Ils se croiroient même deshonorez & couverts de honte s'ils quittoient leurs armes en dançant ; de sorte qu'ils se font un point d'honneur de les avoir toûjours sur eux. Ils entendent merveilleusement bien une certaine dance, qui étoit apellée par les Anciens la dance Pyrrhique, qu'ils dancent fort-frequenment, & où ils se prennent en cette maniere. Ils branlent la tête d'un côté & d'autre en dançant, & frapent avec leurs sabres sur des boucliers en gardant la cadence & la mesure, tantôt deux seulement & tantôt deux à deux, qui courent les uns contre les autres, & forment ensuite un rond ou un cercle, & continüent à dancer de cette maniere en gardant toûjours le même ordre.
Le comte Jaubert
Jaubert, le comte: Lettres écrites d'Orient. Revue des Deux Mondes, 29. Paris, 01/01/1842.
p. 373-374
Derviches, Constantinople, 1839
Un autre ordre de derviches, les tourneurs, ont leur couvent à Péra, à deux pas de chez nous. Leurs exercices sont très suivis, et n'ont rien du caractère dégoûtant de ceux des hurleurs. Au centre d'une jolie mosquée très propre est un parquet. Une quinzaine de derviches, à grand bonnet gris en forme de gâteau de Savoie, à robe flottante, y exécutent, sous la conduite d'un chef, diverses cérémonies, et principalement cette espèce de walse qui les a fait nommer tourneurs. Ils tournent en effet au son de la flûte et du tambourin comme de véritables toupies d'Allemagne, les bras étendus et leurs robes enflées en cloche par le vent, pendant des demi-heures entières, avec une régularité inconcevable, sans jamais se heurter, ni même se toucher dans le cercle assez étroit qui circonscrit leurs exercices. Pendant ce temps, l'un d'eux, qui paraît chargé d'une fonction particulière, circule parmi eux d'un pas lent, et aucun des tourneurs ne l'atteint même du bout du doigt; leur habitude de cet exercice est telle que, lorsqu'ils s'arrêtent à un signal donné, ils ne chancellent point, et ne paraissent pas éprouver le moindre vertige. On remarque seulement qu'ils sont, en tournant, livrés à une sorte d'extase qui est sans doute le but de cet exercice. Tout cela se fait gravement ; c'est bizarre au dernier degré, mais point ridicule. Les derviches tourneurs jouissent d'une grande considération ; à diverses époques, le gouvernement a même redouté leur influence. A la sortie de la mosquée, le chef est accueilli par des démonstrations de respect, et les factionnaires lui portent les armes.
P. (Johan Michael) Wansleben
Wansleben, P. (Johan Michael): Nouvelle relation en forme de journal fait par le P. Wansleben en 1672-1673. Paris, 1677.
Wansleben, p. 271
Vessa, Chios
Επειδή δε οι Χίοι είναι εξαιρετικά ευγενείς απέναντι των ξένων, δεν ηδυνήθην να εμποδίσω από του να στήση ολόκληρον το χωρίον προς τιμήν μου χορόν κατά την νύκτα ταύτην υπό το φως πυρσών εις την πλατείαν, ήτις ευρίσκετο έμπροσθεν της οικίας, όπου είχον καταλύσει, διά να εκδηλώσουν την χαράν των, διότι έβλεπον παρ' αυτοίς Γάλλον ελθόντα από τόσον μακράν διά να ίδη τα περίεργα του τόπου των και διά να μού δείξουν τον τρόπον, κατά τον οποίον διασκεδάζουν και χορεύουν.
...
p. 271
Vessa, Chios
Le premier village que nous rencontrâmes se nomme Vessa où il y a des arbres qui produisent cette gomme. Nous nous y arretâmes pour y passer la nuit. Et parce que les gens de Chio sont extrêmement civils aux étrangers, je ne pus empêcher que tout le village ne me fit l'honneur de faire un bal cette nuit là à la clarté des flambeaux, dans la place qui étoit devant la maison en laquelle j'étois logé, pour nous témoigner la joie qu'ils avoient de voir chez eux un Franc qui étoit venu de si loin, pour voir les curiosités de leur pays et pour me faire part aussi de leurs divertissements et leur manière de danser.
… ???
L. de Launay
Launay, L. de: Chez les grecs de Turquie. Paris, Cornély, 1897.
p. 59
Lesbos (Métélin)
III. Les danses du dimanche à Hagia Paraskévi
Hagia Paraskévi (Sainte-Vendredi) est un gros bourg, où l'on se rend de Pyrrha, en une matinée, par la côte du golfe de Kalloni. Nous y arrivons un dimanche, au moment où l'on danse dans toutes les rues.
Les costumes des hommes sont fort élégants ici ; on dirait presque des habits de cour : le gilet noir ouvert en coeur sur la chemise blanche, la veste noire, la culotte noire attachée au-dessus du genou et bouffante entre les jambes, des bas blancs bien tirés, des escarpins noirs et, pour égayer ces tons graves, un fez rouge sur la tête.
Les femmes, elles, ressemblent quelque peu à ces oiseaux des colonies, à ces cacatoès des forêts du Brésil, sur lesquels le créateur semble avoir essayé, pour se distraire, les tons les plus extraordinaires de sa palette. C'est une juxtaposition étrange, criarde, disparate, et que cette lumière intense arrive seule à rendre harmonieuse, de tons orange, verts, rouges, bleus, brutalement associés. Dans les cheveux, les jeunes filles ont des fleurs artificielles, des aigrettes, des rubans, posés sur deux longues nattes noires ; les femmes s'encadrent le visage d'un foulard orange, vert ou bleu, noué sous le menton.
Nous nous promenons dans le village ; devant les cafés, on fume le narghilé, on dévide le chapelet avec béatitude.
Arrivent trois musiciens de front, jouant : l'un d'une mandoline appelée lagouto ; le second, d'une table d'harmonie, aux cordes tendues, que l'on frappe de deux marteaux : le santour ; et le troisième, d'un violon ; ils se promènent par les rues ainsi, musiquant à l'envie, et, comme des gamins derrière un régiment, nous emboîtons le pas à leur suite.
Ici, sur une place, ce sont des hommes qui dansent, rien que des hommes (les deux sexes ne se réunissent que rarement) : deux beaux garçons, bien découplés, au costume gracieux, qui n'exécutent pas de mouvements vifs, mais seulement une succession d'attitudes un peu bizarre, monotone, conservée, prétend-on, de l'ancienne Grèce, quelque chose de plastique, où l'on peut, en effet, retrouver le caractère calme de l'art antique : rien de commun avec nos danses rapides, enfiévrées.
Ils sont, en face l'un de l'autre, tête nue ; ils baissent la tête et, lentement, absorbés, d'une jambe sur l'autre, se balancent, un pas en avant, un pas en arrière, inclinant le corps à droite, à gauche, levant le bras droit, levant le bras gauche, et faisant claquer leurs doigts en étendant les bras ensemble ; et toujours, comme s'ils avaient un devoir à remplir, un pas en avant, un pas en arrière, le corps à droite, le corps à gauche, tournant dans un cercle étroit l'un autour de l'autre.
Ils tournent, ils dansent, ils se balancent ; presque personne ne s'occupe d'eux ; sur la place, des hommes regardent, fumant leur narghilé, en assez petit nombre ; des femmes bariolées passent sans s'arrêter ; d'autres, sur les terrasses des maisons, sont groupées et bavardent.
Ailleurs, sur des escarpolettes, dans une grange, de belles jeunes filles, oiseaux au bariolage éclatant, se balancent en chantant. C'est un air d'un charme étrange et pénétrant, bien oriental ; cela rappelle certaines mélodies de Delibes : une série de phrases modulées, espacées par de longs silences ; des notes très hautes ; et, donnant le ryhtme, des coups sourds et espacés de tambourin.
... Nous avons gagné la campagne ; nous montons sur une colline couverte de genêts en fleur, d'asphodèles et de prunelliers accrochés aux flancs des rochers ; à ce moment, le soleil se couche, au bout de la vallée, sur le golfe de Kalloni.
... Et nous rentrons dans le village ; le soir est venu tout à fait ; partout les danses redoublent, dans tous les cafés, sur toutes les places, au son des chansons ici, là au son des instruments, toujours sur ces rythmes un peu plaintifs, maigres, parfois suraigus, métalliques.
Vers une petite place sombre, une chanson nous attire. Les étoiles commencent à briller dans le ciel ; quelques lumières s'allument aux fenêtres des maisons closes ; la nuit tiède tombe sur la terre ; l'odeur des fleurs du printemps s'exhale plus pénétrante et, dans le crépuscule attendri, étroitement enlacées par le balancement de la danse, des jeunes filles tournent en chantant. Un pas en avant, un pas en arrière, les bras levés, graves, classiques, elles tournent avec des poses de statues. Et elles chantent un air simple et doux ; trois mesures, toujours les mêmes, dites alternativement, un ton plus haut, un ton plus bas. Tendrement unies et souriantes, dans la pénombre vague, elles tournent en se balançant ; tandis que, d'un coin, à l'écart, partent des voix plus mâles, plus sonores, qui rythment de leurs chants, leur chant ; c'est le choeur des amoureux qui regarde ; eux aussi sourient comme les jeunes filles ; et, par moments, en signe d'amitié, l'un d'eux tire en l'air un coup de pistolet, qui les égaie toutes.
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p. 73
Mantamado, Lesbos
Après avoir passé la crête à Kliou, nous dégringolons vite sur Mandamado, encore un gros bourg de près de 3000 habitants (toute cette île est remarquablement peuplée).
Là, on prépare une fête, qui aura lieu dans deux jours et il est déjà arrivé beaucoup d'étrangers, même de loin, de la côte d'Asie, d'Adramyti, d'Aïvalik. En attendant, l'on danse sous les tonnelles de vigne, qui forment une voûte continue au-dessus des rues : toujours cette danse grave entre jeune gens, sans aucune femme présente, qui nous semble un plaisir si incompréhensible.
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p. 81
Vrissia, Lesbos
Vers l'embouchure de la rivière Vourkos, nous cavalcadons sur des plages de sable ou de galets (les meilleurs chemins de l'île), forcés parfois, pour doubler quelque rocher, de faire avancer nos chevaux dans les vagues, presque jusqu'au poitrail. Puis nous grimpons vers Vrissia, que nous trouvons en grandes réjouissances pour la fête du roi Georges de Grèce.
Singulier pays que la Turquie, du moins que ces îles turques, où les Turcs sont censés les maîtres, et ne font, en réalité, désormais que travailler pour enrichir leurs esclaves grecs, plus intelligents, plus habiles, auxquels, sous un apparent despotisme tempéré par le backschich, ils laissent en réalité, toute liberté !
Ici, pour la fête, les toits des maisons sont couverts de plusieurs rangs de femmes aux couleurs éclatantes ; d'autres sont accroupies par terre à l'ombre de quelque mur ; et des hommes, au costume de cour noir et blanc, au bonnet rouge, dansent, reliés deux à deux par un mouchoir.
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p. 87
Mariage, Lesbos
La veille du mariage, dans le salon de la fiancée, les jeunes filles se réunissent ; quelques jeunes gens sont là aussi, mais tout à fait intimes et qui restent à part, dans un coin. La fiancée se place au centre, toutes ses compagnes autour et, sur sa tête, on pose un grand gâteau. Alors on choisit une jeune fille, remplissant les conditions d'avoir encore son père et sa mère et d'être fille aînée, qui vient couper, au centre du gâteau, un morceau rond et l'offre à la fiancée ; celle-ci doit le manger sans en laisser tomber une miette ; sans quoi, un peu de son bonheur s'enfuit en même temps.
Ensuite, les jeunes filles font une ronde, les mains entrelacées et dansent, en disant une chanson à la louange de leur amie.
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La mariée, qui a dû, selon la coutume, garder constamment l'air ému et les yeux baissés, va s'asseoir sur un canapé disposé au centre, où il est convenable qu'elle reste absorbée dans un mélancolique recueillement à l'idée de quitter sa famille. A ce moment, comme dans toute réunion grecque, on offre le café, le raki, les confitures, etc...
Le soir, on danse et jusqu'au matin.
Le lendemain, tandis que le mariée reste dans sa maison, on promène le marié en musique par toute la ville ; le soir, les danses reprennent et ce n'est qu'à la fin du second jour qu'on laisse enfin seul à seul les deux époux.
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p. 103
Kastro, Lemnos, 1895~
Un jour de fête est toujours une occasion favorable pour apprécier les moeurs spéciales et caractéristiques d'un pays ; aussi ai-je été fort heureux, rentrant un soir à la nuit dans Kastro par le quartier turc, de m'y trouver mêlé aux réjouissances qui accompagnent, chez les musulmans, la circoncision d'un enfant.
De loin déjà, j'avais été attiré par des reflets de flammes sur le ciel noir et sur quelques coins plus hauts de murailles ou de toits; j'arrivai sur une grande place, éclairée par la lueur d'innombrables torches de résine; sur la crête d' un mur, en face de moi, une quantité d'hommes et d'enfants étaient assis, tenant des feux à la main; de tous les côtés, sur la place, d'autres groupes d'hommes étaient massés; sur la gauche, au pied d'une maison blanche, s'alignaient par terre, plusieurs rangs de femmes accroupies, bien curieuses d'effet en cette prénombre sous leur costume comparable à celui des religieuses, la robe noire et seulement une tache blanche en losange pour la coiffe enveloppant la tête, avec un trou sombre, au milieu, sur la partie de la figure découverte. Au centre enfin, des enfants, rois de la fête, couraient et gambadaient en tous sens et, devant un large feu de paille pareil à nos feux de la Saint-Jean, des hommes dansaient, et se tenant la main, une de ces danses lentes aux nobles attitudes, aux balancements harmonieux, qu'on retrouve (toujours dansées par des hommes) dans tous ces pays d'Orient; tandis que, derrière eux, leurs grandes ombres, projetées par la lueur de la flamme, ondulaient et tournaient lentement avec eux.
Dora d'Istria
Istria, Dora d': "Les Îles-Ioniennes sous la domination de Venise et sous le protectorat britannique", Revue des Deux Mondes, 16. Paris, 1851.
Les Iles-Ioniennes, p. 384-387
Fêtes de l'installation du provéditeur-général à Corfou, Grèce, 07/1794
Si l'on veut se faire une juste idée de la pompe dont s'environnait le provéditeur-général, il faut se transporter par la pensée dans la ville de Corfou, afin d'y assister à l'installation du dernier de ces fonctionnaires qui ait représenté Venise sur la terre ionienne. On est au mois de juillet 1794. Chacun attend avec impatience M. Widman, qui s'est fait une réputation d'équité de nature à rassurer les Ioniens, fort mécontens de la rapacité de son prédécesseur. Une foule immense se presse sur le port. Les classes supérieures sont habillées à la française, mais le peuple corfiote a conservé le costume hellénique.
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Le général, en grande tenue et environné de toute sa cour, reçoit le cortège au palais du gouvernement. Le plus ancien des syndics prononce une harangue en l'honneur de son excellence, puis on se met en marche sur deux rangs, et on se dirige vers l'église de Saint-Spiridion. Au sortir de la forteresse, toutes les batteries saluent le général de vingt et un coups de canon, salut qui est aussitôt répété par les galères de l'armata suttile et par les vaisseaux de l'armata grossa. Lorsque son excellence paraît sur l'esplanade, l'infanterie italienne et l'infanterie esclavonne font trois décharges de mousqueterie, et les artilleurs mettent le feu à des pièces de campagne. Le général s'achemine sous l'arc de triomphe, foulant aux pieds les tapis que les Juifs étalent à mesure qu'il s'avance. Arrivé à l'église de Saint-Spiridion, il est reçu par le protopapa (archiprêtre) et par tout le clergé orthodoxe. On ouvre en son honneur la châsse du saint, et après une courte prière la procession reprend la route du palais.
Pendant tout le reste de la journée, divers groupes de jeunes gens forment des danses sur l'esplanade, où la municipalité fait distribuer du vin et des rafraîchissemens. Divers jeux occupent aussi la foule. Ceux qui remportent les prix à ces jeux sont couronnés de lauriers et promenés en triomphe, comme autrefois les vainqueurs des jeux olympiques. La nuit venue, on illumine la ville, les galères et les vaisseaux. Au théâtre, éclairé par une multitude de bougies, on exécute une cantate en l'honneur du général, qui envoie des rafraîchissemens dans toutes les loges. Chacun élève aux nues le nouveau représentant de Venise et n'épargne pas les épigrammes à son prédécesseur.
M. Quiclet
P. M. L., Sieur: Les voyages de M. Quiclet à Constantinople par terre. Paris, Iean Promé, 1664.
Voyages de Constantinople, p. 41-42
Raguse, 1658
Procession faite le jour de S. Blaise, patron de Raguse
Le Dimanche 3 Fevrier, nous vismes la ceremonie de la Procession qui se fait le jour & Feste S. Blaise Evesque & Protecteur de cette ville, où il y fut porté un nombre infiny de Reliques, car il n'y avoit pas assez de Prestres & de Religieux dans la ville pour les porter tant il y en a, elles y ont esté apportées autrefois de Belgrade, & des autres villes de Hongrie, lors que les Turcs s'en sont rendus les maistres; il y en a certainement plus que la charge d'une bonne barque; & nous y vismes aussi les danses des villageoises sur le midy dans la place du corps de garde, & l'apresdinée faire l'excercice aux Bourgeois & soldats de la ville, qui furent mis en bataillons hors la ville à la porte des Pilles, & vindrent en assez jolie et belle ordre faire leur tirades & exercice en forme de bataille, les uns contre les autres, en presence du Prince ou Rettore devant le Palais. Tout ce jour se passa en réjouïssance, comme tout le reste du carnaval, où les Gentilshommes & les Bourgeois de la ville sont reçus tous les jours.
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Voyages de Constantinople, p. 74-77
Bosna Serai, Bosnie, 05/1658
P. M. L., Sieur: Les voyages de M. Quiclet à Constantinople par terre. Paris, Iean Promé, 1664.
La ville est ornée de trois ou quatre differends Hhammans, ou bains publics, pour les deux sexes, mais à heures differentes, & particulierement le Ieudy & le Vendredy auquel jour elles y vont comme en procession, elles vont cachées par toute la ville, c'est à dire comme masquées d'un voile blanc qui leur laisse un peu d'espace pour se conduire, & assez grand pour reconnoistre tous ceux qu'elles voyent par la ville; elles marchent fort viste, & quoy qu'elles aillent tousiours cachées par la ville, & qu'elles s'enfuïent quand les hommes entre dans leurs maisons; toutefois elles venoient à nostre rencontre, & fortoient pour nous voir, & admirer nos habillemens, & particulieremet nos souliers & nos gands, y ayant mesme de fort vieilles gens qui n'avoient jamais veu de françois habillez à leur mode.
Nous vismes aussi dans les Tekiè ou Monasteres des gens comme des Religieux, à leur mode, qui le Vendredy dansoient en priant Dieu en leur langue, & l'un tournoyoit au son de trois petits tambours sourds qui les anime davantage, disent-ils, & faisoient sans tomber plus de dix milles tours, & s'arrestoient ferme & fixe quand ils vouloient, comme s'ils n'eussent point tournoyé de leur vie, & les regardans, nous ne pouvions souffrir deux de ces tounoyements sans frayeur.
Au commencement de May le Pacha ayant eu ordre de la Porte de se mettre en campagne avec ses gens pour aller en guerre, les tentes & pavillons ayant esté apprestez, & le jour donné pour le départ, tous les Seigneurs & Officiers de la Cour, & tous les Bourgeois le conduisirent en pompe, chaque mestier avec sa banniere, sa compagnie & ses armes, & le Pacha & ses Officiers armez de fer de pied en cap à cheval, s'en alla avec ce bel ordre au son des Tambours de sept ou huit façons differentes, de peau, de bois, de cuivre, &c. & des fifres, hautbots, & deux Tchigours, ou maniere de Lut à la Turque, avec cinq cordes, & les deux hommes qui en joüoient auprès de luy en l'accompagnant, chantans des chansons de victoire en langue Turquesque.
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p. 115-117
Belgrade, 06/1658
P. M. L., Sieur: Les voyages de M. Quiclet à Constantinople par terre. Paris, Iean Promé, 1664.
Dans le Chasteau d'en bas sur la rive de la Save il y un petit port fermé, où l'hyver durant les glaces, on retire les batteaux.
Il y a aussi enclose, sortant du roc, une tres-belle & fraische fontaine d'eau vive, & un beau Kiarvansarai fait par le commandement de Sultan Soliman, dont il porte le nom, il est tout couvert de plomb.
Les Tchenghené, hommes et femmes, avec leurs danses et chansons au son de leur Kementhe, ou maniere de violon & de sautour, ou espece de manichordion; & leur Tchigour, ou façon de guitarre à cinq cordes y sont assez agreables, nous en eusmes plusieurs fois le divertissement pendant notre sejour.
Je rendis la lettre de Seyd Hhamed Pacha à Mahhmond Effendi, ou Molla Cady de la ville, lequel par le malheur avoir esté fait Mazoul, c'est à dire privé de sa charge quelque jour avant nostre arrivée dans cette ville, il me dist pourtant que nonobstant sa disgrace, que sans m'addresser au Caymacam, comme je voulois, que où il estoit, il estoit Molla Caymacam & l'acha, & qu'en consideration de la recommandation du Seyd Ahhmet Pacha, qui lui avoit écrit en ma faveur, qu'il me donneroit un caroffe à ses despens pour me conduire à Constantinople, & qu'il estoit au plustost sur son départ, & que nous irions ensemble.
Je me separay donc du Capigi Bacha, & pris le carrosse que m'envoya le Seigneur Molla Cady, & partis avec luy de la ville de Belgrade le Ieudi 13 Iuin 1658, sur les neuf heures du matin.
Marcellus, M. de, p. 336-339
Chants du peuple en Grèce, tom 2. Paris, Lecoffre, 1851.
Ε΄. ΚΥΡΑ ΜΑΡΙΟΡΑ.
"Α κυρά Μαριόρα,
Ανδρας σ’ πείνασε." -
" Αμ’ σαμ πείνασε, και τι;
Κι’ ο χορός καλά κρατεί.
Τα παπούτσιά μου ξεσχώ,
Τον χορό μ’ δεμ παρατώ.
Το ψωμί ’ναι στο αμπάρι
Και ας πάγη να το πάρη."
"Α κυρά Μαριόρα,
Ανδρας σ’ δίψασε." -
"Αμ' σαν δίψανε, και τι;
Κι ο χορός καλά κρατεί.
Τα παπούτσιά μου ξεσχώ,
Τον χορό μ’ δεμ παρατώ.
Το νερό ’ναι στο καυκί,
Και ας πάγη να το πιη."
"Α κυρά Μαριόρα,
Ανδρας σ’ ψυχ’ μαχεί."
"Αμ σαμ ψυχ’ μαχεί, και τι;
Κι ο χορός καλά κρατεί.
Τα παπούτσιά μου ξεσχώ,
Τον χορό μ’ δεμ παρατώ.
Η θυμιάμα στο χαρτί,
Και λαμπάδα στο καρφί."
"Α κυρά Μαριόρα,
Ανδρας σ’ πέθανε." -
"Αμ’ σαμ πέθανε, και τι;
Κι ο χορός καλά κρατεί.
Τα παπούτσιά μου ξεσχώ,
Τον χορό μ’ δεμ παρατώ.
Αι γυναίκες ας τον κλάψουν,
Κ’ οι παππάδες ας τον θάψουν."
V. MADAME MARIORA.
- Ah! Madame Mariora, votre mari a faim. - "Eh! s’il a faim, que m’ importe ? La danse me plaît par-dessus tout. Quand je déchirerais mes souliers, je ne quitterais pas la danse. – Le pain est sur la planche du grenier ; qu’il aille en prendre, s’il lui plaît."
- Ah ! madame Mariora, votre mari a soif. - "Eh ! s’il a soif, que m’importe? La danse me plaît par-dessus tout. Quand je déchirerais mes souliers, je ne quitterais pas la danse. - L’eau est dans la cruche; qu’il en aille prendre, s’il en veut."
- Ah ! madame Mariora, votre mari expire. - "Eh ! s’il expire, que m’importe? La danse me plaît par-dessus tout. Quand je déchirerais mes souliers, je ne quitterais pas la danse. - L’encens est dans le cornet de papier; et la lampe pend au clou."
- Ah ! madame Mariora, votre mari est mort. - "Eh ! s’il est mort, que m’importe ? La danse me plaît par-dessus tout. Quand je déchirerais mes souliers, je ne quitterais pas la danse. Que les pleureuses le pleurent ! - et que les prêtres l’enterrent!"$$
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p. 341-343
MADAME MARIORA.
COMMENTAIRE.
Après une longue chasse dans les grands bois environnant les aqueducs de Justinien et les bendt (réservoirs) ménagés par les sultans pour abreuver la ville aux sept collines, je passai la nuit dans la moins petite maison du village de Beligradi, qui occupe le centre de l’impériale forêt. C’était cette même maison d’où lady Montague voyait chaque soir, comme elle le raconte, se réunir à la fontaine, pour danser et chanter, ces femmes chrétiennes dont l’habillement et la beauté retraçaient les nymphes antiques, commes ces majesteuses forêts de Beligradi lui rappelaient les champs Elyséens. Dans les loisirs de la soirée, en souvenir de la spirituelle Anglaise, on parla de danse et de chant. Des voisines averties par leurs voisins, des gardes fontainiers et les bûcherons réunirent leurs familles : la voix alternative des acteurs et des assistants tint lieu d’orchestre ; et quelques verres d’un punch dressé par nos mains européennes animèrenet l’assemblée. - Alors, dans le milieu de la galerie, ou de la chambre principale de notre maison de bois, se formèrent les lentes ondulations de la Romaika, à l’aide du mouchoir blanc qui la dirige : je détachai bientôt un anneau de la chaîne qui continuait à serpenter, et je m’assis à côté du chanteur venant en aide aux danseurs essoufflés. Bientôt aussi l’orchestre s’arrêta, et le Grec m’adressa en souriant le dicton populaire :
"Celui qui est hors de la danse, sait bien des chansons" (Οπ’ είναι απ’ έξω του χορού, Πολλά τραγούδια ξεύρει.)
C’est un proverbe qu’on applique aux drogmans et aux fonctionnaires émérites de Constantinople ; il signifie que les hommes sortis des affaires les connaissent mieux que ceux qui y entrent ou y restent. Et aussitôt, pour confirmer le proverbe et me prouver sa science, le Grec se mit à entonner "madame Mariora," accompagnée de gestes mimiques qui communiquèrent la gaieté dans tous les rangs. Or l’enthousiasme fut poussé si loin, que les premiers mots, sorte de refrain placé en tête de la chanson, contre l’usage qui les met en queue, furent répétés à pleins choeurs entrecoupés d’éclats de rire par toute l’assistance, tant madame Mariora était en faveur dans les villages grecs du Bosphore !
Baltazar de Monconys
Monconys, Baltazar de: Journal des voyages, où les savants trouvent un nombre infini de nouveautés. 2 volumes. Lyon, 1665.
p. 198
Chios
Derriere : pres le diné qui fut assez beau, l’on dansa vn bransle à la Chiote qui est très-joly et où l’on fait diuerses figures comme à la depiteuse ; ils dansent aussi des courantes où l’homme fait faire divers tours à la femme, et la fait passer souvent sous son bras qu’il esleue fort, mais ce qui est de plus joly, c’est lors qu’il danse auec deux femmes et qu’il les fait ainsi passer sous ces bras et lui mesme passe sous les leurs se tenant tousiours par la main ; cette danse est fort gentille et serieuse, et tousiours terre à terre sans sauter, marchant trois pas et haussant vn peu le pied le joignant au quatriesme pas : l’obseruay en cela aussi bien qu’au signe de la Croix et à tourner des tours ou devuidoirs qu’ils font tout à rebours de nous, car ils menent les femmes de la main gauche en dansant font le signe de la Croix de droit à gauche, et devuident de mesme de droit à gauche : nous fusmes coucher chez le pere de l’Espoux.
Jean de Gontaut Biron
Biron, Jean de Gontaut: Ambassade en Turquie de Jean de Gontaut Biron baron de Salignac (1605-1610), voyage à Constantinople, séjour en Turquie. Paris, 1888.
p. 37-39
Chios, 1605-1610
La troisyème journée de nostre séjour, les sieurs Nicolo Mysagui, vice consul, et autres, accompagnés de janissaires, menèrent le sr ambassadeur et la plus part de son train voir les arbres du mastie (Voir la description de ces arbres au chapitre XI) dont j'ay ci devant parlé, dont la plus part sont sur le rivage de la mer, bien qu'il y en ait assez ailleurs; où nous eusmes tel plaisir et contentemant que l'on sauroit désirer, pour la diversité de tant de jardinages et gentilles maisonnetes qu'il y a par tous ces chemains ; et vismes devant et l'après dinée, que le sr Nicolau voulut faire voir la manière des dances des Isolants de tout ce contour. Qui avoit convoqué et faict assembler au logis du seigneur ambassadeur, lequel estoit grand et spacieux avec les jardins du tout admirables, où jà estoient plusieurs gens tant de la ville que de ces lieux, avec musettes, hauxbois, fluttes, timballes, tembours de basques et autres instrumants, dont ils savent euser à leur mode. Où ne manqua aussy de s'y trouver quantité d'hommes, femmes et filles qui commencèrent leurs dances, dont sera parlé cy après. Tant y a que cette journée se passa sous les beaux et grands orengers et autres arbres ombreux en sorte qu'il n'y avoit neul de nous, qui ne desirast un vent contraire pour 15 jours, affin de jouir de tant plus de la gracieuse acointance de tous ses gens, qui ne s'espargnoient à récréer la compagnie : de manière qu'il me sembloit voir les dences et carolles des festes de village de Beauce, hors la façon des habits dont sera parlé cy après. Sur le soir, chascun fit retraite chez soy, où ne fut parlé que de ce qui s'estoit passé tout le jour. Le lendemain nous arriva ce que beaucoup avoient souhaité, qui fut un vent directemant contraire, au grand regret de nostre patron et mariniers qui ne désiroient que de faire voile ; craignant d'estre surpris et retardé du vent de tramontane (Vent qui souffle du côté qui est au-delà des monts par rapport à l'Italie), comme arriva depuis dans le canal de l'Helespont, dont sera parlé cy après. Voyant donc que nous estions atachés à l'ancre pour le vent qui nous estoit favorable pour le séjour de Scio ; ce que voyant, le sr Nicolau ne voulant perdre temps, se disposa à faire baptiser un sien fils qui lui estoit nouvellement né. Pour cet effect donc, il pria monseigneur l'ambassadeur luy faire cest honneur que d'estre le parin. Ce qu'il accepta volontiers, et fit que le sr Nicolau se prépara et n'oublia chose requise à telle cérémonie; et d'autant qu'il estoit personnage d'honneur et authorité, il s'employa à faire voir à Mr l'ambassadeur et aux siens de combien les Sciots surpassent leurs voysins de près et de loing en tout ce que l'on sauroit imaginer. A ceste occasion, tous les catholiques romains furent conviés tant au baptesme qu'à la colation et au bal. Car il faut entendre que, sur toutes les nations du Levant, celle cy est la superlatifve pour se plaire à la musique, dances, bals et festins. Le jour assiné, l'enfant fut porté à l'église où sont maintenant les religieux de saint Domenique, où là se trouva monseigneur l'evesque accompagné de celuy d'Andros (Ile d'Andro, dans l'Archipel), qui lors estoit à Scio ; n'y ayant faute de bonne compagnie tant hommes que femmes et filles. Le nom de l'enfant que monseigneur l'ambassadeur luy donna fut François (Ce nom était celui du fils de M. de Salignac). Après la cérémonie requise à tel effect, M. l'ambassadeur festoya les plus aparants de la troupe ; comme aussy le sr Nicolau fit-il les dames, qui ne manquèrent à leur trouver à l'heure assignée pour le bal, qui fut hors la ville, suivant la coutume, sur la pante d'une coline, en trois ou quatre places herbuées et autres tirant sur la marine ; lieux fort délectables et plaisants. En ces lieux donc arivèrent de tous costés de la ville et faux bourgs toutes manières de gens, Grecs, Juifs, Turcs et autres, pour voir le bal. Qui fut commencé par le sr Nicolau accompagné de ses familliers amis, ayant chascun l'espée au costé alors (combien que nul ne la porte en la domination du Turc, mais à tels jours il y a permition) ; ayant aussi la cape ou manteau en escharpe à l'antour du corps, à l'ancienne genoise, dont ils sont yssus. Chaque homme menant une femme ou fille en forme d'un branle clos et rond, ainsy que l'on faict en chrestienté ; vray qu'ils observent plus d'artifice, bien que les joueurs de luth et autres instrumants, dont y avoit quantité, ne changent de notte jusques à ce que la forme qu'ils prennent de dancer ne soit finie par le dernier de la bande ; qui durera plus d'une heure et le plus souvent, deux, suivant le grand ou petit nombre qui y est. Parce que la danse estant close en rond, l'homme se sépare avec sa compagne pour dencer ensemble au milieu du cercle, de quelque gentille manière ou façon de gavotte au serabante. Ce qu'ayant finy, puis retournent en leur place ; et ainsy, chascun en faict autant à son tour, changeant tousjour non de note, mais bien de passages, avec tant d'agilité et galantise qu'en France, où la dance est au période de sa perfection, malaysément pourroient ils faire mieux. Car c'est la vérité que chasque nation a natutellemant ne sçay quoy de propre et facille à soy qui manque et défault aux autres ; n'y pouvant naturellemant atindre, bien que facille. Tout ce jour donc fut employé en festes, jeux, dances, musiques et chansons qui ça, qui là en plusieurs lieux, d'autant qu'il y avoit grande compagnie, et ce avec tant d'honeur et respec parmy tant de nations, qu'il n'y avoit neul de nous qui ne fut esmerveillé d'un tel silance. Ce qui ne se voit en chrestienté ; où la feste ne se faict souvent sans folie. Certes en ceste assemblée, se pouvoit dire estre la fleur des femmes et filles de toute la Grèce.
Lizet, Bemard (ed) & Seweryn, p. 76
Leur musique est singulière. Elle se compose du chant et du mewoual, qui est un espèce de récitatif crié, duquel on retombe ensuite dans l'air. Les tribus ont leurs chantres, qui entonnent les hymnes guerriers nommées heroubieh, célébrant en chants les actions des héros. L'instrument dont ils s'accompagnent est une espèce de violon carré composé d'une peau de chèvre tendue et de deux cordes. On le joue avec l'archet. Il porte sur un piquet comme le violoncelle et s'appuie par terre. Les musiciens s'asseoient sur une ligne. Placé au milieu, le directeur donne avec la tête des signes que tous comprennent. Tout joue et chante à l'unisson. Un seul exécute le mewoual. J'ai noté dans le "Cahier des Cartes" un air que l'on chante pour faire danser les femmes. Ils ont encore un tambourin de terre cuite sans fond, dont une extrémité est recouverte d'une peau de chèvre tannée. Ils tiennent cer instrument sous l'aisselle gauche et frappent dessus avec les deux mains du bout des quatre doigts. Ici, la mesure est singulière. Les Bédouines dansent avec infiniment de simplicité et de grâce. Les hommes exécutent à deux celle du sabre, souvent on voit plusieurs paires l'exécuter ensemble. C'est une danse à attitudes de lutteurs ou gladiateurs. Elle est dure, mais noble et imposante. J'ai vu des bayadères la danser et manier deux sabres à la fois. C'est l'idéal du moelleux et de la grâce. En général, la danse des femmes orientales est très voluptueuse.
La poésie occupe beaucoup les Bédouins et on voit des enfants et des jeunes filles exceller dans l'art des rimes. Les femmes causent entre elles et se livrent aussi à la gaieté. Le cri de leur joie, comme celui qu'elles émettent pour animer les combattants, est "lililili", à plusieurs reprises.
J. B. Lechevalier
Lechevalier, J. B.: Voyage de la Propontide et du Pont-Euxin. Paris, Dentu, 1800 & 1802, 2 vols.
"Propontide", p. 1/127
Troupe de danseurs et de musiciens sur un bas-relief, Antiquité
Il n'est pas aisé de donner une explication satisfaisante des bas-reliefs qui ornent son piédestal : on peut seulement conjecturer avec Pierre Gilles, que dans la face tournée vers l'est, l'artiste a représenté l'empereur tenant sa couronne à la main et se délassant des fatigues du gouvernement à la vue d'une troupe de danseurs et de musiciens ; que dans celles de l'ouest et du nord, l'empereur reçoit des couronnes et des offrandes ; et qu'en fin dans celle du sud, il instruit ses deux fils Arcadius et Honorius dans l'art de gouverner.
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"Propontide", p. 2/205
Esclaves dans le harem du sultan, Constantinople, Turquie, 1785-1786
Les esclaves destinées au plaisir du sultan, vivent toutes en commun, et logent dans deux grandes chambres appelées odas, d'où leur vient le surnom d'odalique. On les occupe du matin au soir, tantôt à travailler à l'aiguille, tantôt à prendre des leçons de musique, de danse, de langues et d'écriture. Chacune a son lit à part. Une cadun ou surveillante a l'inspection sur cinq d'entr'elles, et elle rend compte à la cadun-kiaia (la gouvernante générale), des moindres fautes qu'elle observe.
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p. 2/132
Danse à cheval, qu'on appelait Troja, Rome, Antiquité
"Il y avait à Rome une espèce de danse à cheval, qu'on appelait Troja (Voy. Meursius, sur le vers 249 de Lycophron, et sur-tout dans son Orchestra, sive de saltationibus veterum, à l'article de Πυρριχη, p. 1285, t. VIII du Thesaurus graecarum antiquitatum de Gronovius, éd. de Venise, 1753, in-fol. Sueton. in Caesare, ch. xxxix, p. 91, t. I, edit. Petri Burmanni. Amstelaedami, 1737, in-4o. Et in Augusto, ch. XLIII, p. 319 ; in Tiberio, ch. VI, p. 496 ; in Claudio, chap. XXI, p. 755, t. I; in Nerone, ch. 7, p. 14. t. II, etc. etc.). C'était un des exercices des jeunes patriciens ; et il ne faut pas confondre la Troja avec la Pyrrique, dont les Albanois nous retracent encore aujourd'hui l'image.
Sieur Paul Lucas
Lucas, Paul: Voyage du Sieur Paul Lucas... Paris, 1712, 2 vol.
p. 1/21
Grecs à Pâques, Constantinople, Turquie, 1704+
Le dix-neuviéme je vis la Pâque des Chrêtiens Schismatiques. Pendant trois jours qu'on leur donne une entiere liberté ils s'amassent & courant les ruës en troupes ils dansent au son de leurs Instrumens ; il y a un ordre exprès du Grand Seigneur de les laisser aller par tout, & il ne se trouve personne assez hardi pour leur faire insulte.
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p. 1/27
bal, Constantinople, 1704+
Les Danses, la Musique & la Comedie Turque commencerent à joüer ; ensuite il y eut un bal, & bien-tôt après on illumina en moins d'une demi heure tout le tour du Palais, le Couvent des Capucins attenant la grande allée de l'Orangerie, & le berceau qui est au bout ; en sorte que chaque Oranger se trouvoit ???
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p. 1/63-4
Dame hongroise à Nicomédie, Turquie, 1704+
Après avoir pris congé de lui, je fus saluer Madame Catherine ; c'est une Dame Hongroise toute aimable, & d'un visage le plus gracieux qui fut jamais ; elle a outre cela des manieres qui enchantent, & plusieurs belles qualitez qui la mettent au dessus des femmes ordinaires ; elle danse dans la perfection, & ce qui parmi ceux de sa nation est aussi de quelque estime, elle sçait boire une nuit entiere, & mettre à bas les hommes les plus hardis, sans qu'en elle il paroisse la moindre marque d'yvresse ni aucun derangement. J'eus l'honneur de dîner avec elle, & je remarquai qu'elle ne s'épargnoit pas à boire. Après la bonne chere vint le plaisir de la danse ; la belle Hongroise suivant exactement le cadence & le son, y parut dans toutes sortes de mouvemens avec une adresse & une legereté qui ne lui ôtoient rien de son air majestueux ; ainsi mes propres yeux me convainquirent qu'on ne me l'avoit point trop vantée ; & sa conversation honnête & pleine de douceur me persuada encore plus, qu'en l'honorant de tant de loüanges, on ne faisoit que lui rendre justice : on peut croire que je ne la quittai pas sans lui en faire mon compliment. Comme je ne pouvois faire au Champ de Fleurs un plus long sejour, j'allai prendre congé de Sa Serenité Hongroise, je remontai à cheval & revins à Nicomedie.
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p. 1/188-190
Procession, Konya, Turquie, 1704+
Cogne est presque au bout de la plaine. En y entrant nous en vîmes les ruës tenduës de tapis, & tout le peuple en joïe & en tumulte. On y celebroit une Fête pour la naissance du premier fils du grand Seigneur Sultan Achmet. Je fus d'abord me loger dans un camp assez propre, ensuite j'allai me promener par la Ville, pour en voir la magnificence. Selon l'ordre du Grand Seigneur la Fête devoit durer dix jours, & il y en avoit déja cinq de passez.
On avoit orné toutes les boutiques des plus belles étofes : les camps étoient aussi tendus ; & l'on y avoit mis sur de grands tapis des sabres, des fusils, des pistolets, & même des rondaches, des arcs, des fleches, & toutes sortes d'armures antiques. Cette Fête à mon avis ressembloit assez à celles que donnoient les Anciens Romains pour les réjoüissances publiques. Chaque corps étoit obligé de se tenir sous les armes, & de faire une marche par toute la Ville avec les marques chacun de son part & de son métier. J'y vis passer les Boulangers dont quelques-uns au bout de leur pêle à four portoient une baniere ; d'autres tenoient un moulin ; d'autres des bluteuax, & enfin plusieurs des morceaux de pâte. Peu de tems après passerent les tailleurs : ils marchoient armez, & faisoient comme deux haïes : au milieu d'eux étoit un brancard porté par deux mules, sur lequel deux hommes assis faisoient semblant, l'un de couper du drap, l'autre de coudre. Devant & derriere on voïoit plusieurs bandes de masques, déguisez de cent sortes differentes, dansans & faisant mille postures au son des tambours, des hautbois, & des trompettes à la mode du païs. Toute cette troupe poussoit en marchant des cris de joïe, qui retentissoient dans toute la Ville. Les autres corps de metiers firent ensuite, ou avoient déja afait le même manege. Les boutiques parées comme je l'ai marqué resterent ouvertes pendant toute la nuit. On fit dans toutes les ruës de petits feux, les uns dans des terrines, les autres dans des rechaux emmanchez au bout d'un grand bâton : il y eut aussi des illuminations aux maisons les plus apparentes ; & le peuple poussoit dans tous les quartiers des hurlements continuels, qui durerent autant que les feux; c'est-à dire toute la nuit. Ces sortes de Fêtes s'appellent Sinne ou Daulamal.
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Relief avec une figure dansant, Zeitun (Lamia), Grèce, 1704+
La Ville de Zeiton n'est habitée que par des Chrêtiens & des Turcs : pour le Château l'on n'y voit que des Mahometans. Sur la porte par où j'entrai, je trouvai un Marbre blanc avec un bas-relief d'une figure qui joüe d'un instrument assez semblable à la lyre. Auprès est une autre petite figure grotesquement habillée en capuchon, & dans l'attitude d'une personne qui danseroit au chant ou au son de l'instrument de l'autre.
Cyprien Robert
Robert, Cyprien: Le monde greco-slave 1, Revue des Deux Mondes 29. Paris, 01/01/1842.
p. 418-419
Grecs et slaves
Soumis par des barbares étrangers au christianisme, les Slavo-Grecs n'ont sauvé leur nationalité, à travers les âges, qu'en la cachant au fond du sanctuaire, en investissant, à l'instar des Gaulois de l'époque mérovingienne, leurs évêques de tout le pouvoir civil laissé à leurs cités conquises, et en les proclamant despoti, vladikas. Mais le despote, ou mieux l'igoumène, présent aux fêtes nationales, n'en trouble point la gaieté, comme ce serait souvent le cas si un semblable usage existait dans nos communes rurales. Sans se mêler aux danses, il les regarde en spectateur satisfait. C'est qu'au lieu d'affaiblir la morale publique, ces danses la fortifient et élèvent les ames vers l'héroïsme. Voyez les palikars grecs et les younaks slavons préparer leur danse du kolo ; ils se placent sur deux lignes dans une plaine ouverte : chacun saisit son voisin par la ceinture, en lui tendant un mouchoir blanc. Alors commence le kolo (danse du cercle), qui va s'élargissant toujours, entraînant par centaines, dans sa course circulaire, tous ceux qu'elle trouve sur son passage.
Ailleurs, dans quelque coin de la plaine, au son de la gousla, s'exécute une danse plus paisible, celle de l'oie, où le danseur et la danseuse isolés tracent des cercles de plus en plus étroits l'un autour de l'autre. On voit aussi danser la valaque (la momatchka igra des Bulgares), qui consiste à tourner sur les talons en se baissant et se relevant, puis à sauter en rentrant les genoux et en faisant claquer les doigts. On retrouve cette danse chez les paysans de la Moscovie ; burlesque et disgracieuse, malgré la naïveté de ses figures et la prodigieuse souplesse avec laquelle on les exécute, elle semble avoir été inventée pour des peuples satyres. Les Grecs ne daignent pas danser la valaque ; mais, là-haut sur la colline, voyez-les exécuter leur terrible pyrrhique, appelée aussi l'albanaise, qui fait trembler au loin la terre et inonde de sueur l'homme le plus fort. Celui qui la mène frappe du pied en cadence, et tous ceux qui le suivent l'imitent, tantôt en bradissant leurs sabres nus, tantôt en élevant leurs bras entrelacés.
Dans l'ancienne société hellénique, chaque danse était, pour ainsi dire, un récit, le résumé d'un drame ; chacune avait un caractère; il fallait que la pantomime suppléât la parole, et fût assez claire pour faire comprendre le sujet. L'art de la danse, devenu ainsi une véritable étude, atteignit chez les anciens Grecs une haute perfection, dont il est douteux que nos danses modernes approchent. Chaque province grecque a encore aujourd'hui sa danse locale toujours figurée, et qui semble n'être que le souvenir dénaturé d'une pantomime religieuse d'avant le christianisme. Les paroles chantées qui accompagnent cette pantomime, retracent presque toujours un évènement récent qui intéresse toute la province ; cette chanson accompagne constamment la danse faite pour elle, et l'une ne tombe jamais sans l'autre en désuétude. Le plus remarquable débris des antiques théories helléniques est la romaika, dont la simple voix ou le son du théorbe règlent les mouvemens cadencés. Homère décrit en vers magnifiques cette danse, qu'il place parmi les sujets sculptés sur le bouclier d'Achille. Les figures de la romaika rappellent encore, comme jadis, les détours du labyrinthe, où le fil d'Ariane dirigeait Thésée contre le monstre. Le trouble de l'amante de Thésée revit entièrement dans l'éloquente pantomime de la jeune coryphée, qui dirige, en agitant un mouchoir blanc, la longue chaîne de ses compagnes, se porte en avant, en arrière, s'élance, puis reploie en spirale cette belle guirlande, dont elle est la tête et la fleur. Les Slaves ont modifié, sous le nom de kolo, cette antique danse athénienne. Ils ont de mêne emprunté leur musique aux peuples grecs, et la gousla paraît être le seul instrument d'origine vraiment slave. Cette grossière guitare est de bois dur taillé en forme de demi-poire et garni en cuivre, avec un long cou à tête de cygne ou de bélier. Sept ou dix cordes en crin de cheval, étendues sur un tympan de fine peau, et qu'on touche avec les doigts, complètent l'instrument. A défaut de la flûte d'Albanie, la gousla dirige les danses, qui, tantôt douces et fraîches églogues, tantôt turbulentes tragédies, excitent l'étonnement d'un Européen. Si ces danses, ainsi altérées, exécutées dans leur simplicité rustique, sont pourtant d'une si profonde poésie, que deviendraient-elles, rehaussées ou transformées par l'art ? Et combien ne doit-on pas regretter qu'on n'ait pas encore songé à les réhabiliter ! Malheureusement les Gréco-Slaves civilisés. c'est-à-dire francisés, dédaignent ces jeux, transmis par la sainte et noble antiquité ; ils regrettent de ne pas connaître les danses de nos salons, et rougissent d'eux-mêmes comme s'ils n'étaient que des barbares. C'est ainsi que le mépris des Francs pour des moeurs qu'ils ne comprennent point égare les libéraux d'Orient, et les porte à dépouiller leur pays de tout ce qui en constituait la poésie et la vitalité.
Albert Dumont
Dumont, Albert: "Souvenirs de Roumélie. 3 - Philippopolis et le réveil bulgare", Revue des Deux Mondes, 2/95. Paris, 01/10/1871.
p. 548-549
Philippopolis, Roumélie, Bulgarie, 1871--
La vie de ces paysans se passe à labourer le petit champ dont ils vivent. D'ordinaire ils le cultivent pour le compte de quelque riche propriétaire grec ou arménien. Les seules distractions de cette monotonie sont les grandes foires où l'on va de 50 lieues à la ronde et de plus loin encore, la danse ou choro le soir après le travail. La foire principale de cette partie de la Turquie est celle d'Ouzoungova, qui se tient à mi-chemin entre Andrinople et Philippopolis. Au mois d'octobre, deux villages de tentes et de baraques en planches s'élèvent en cet endroit, l'un pour les boutiques, l'autre pour les acheteurs. Tout autour s'alignent des milliers de chariots qui ont amené la foule, paissent des troupeaux de grands boeufs à longue corne recourbée, des chevaux qui ont traîné les véhicules. Ces voitures grossières, souvent à roues pleines, sont construites pour aller à travers champs, au milieu des marais. La cuisine se fait en plein air ; on tue les agneaux et les boeufs dans des fosses remplies de détritus et de sang, on rôtit les viandes à de grands feux dans la plaine. Cette foire, où viennent plus de 20,000 personnes, dure plusieurs semaines. On y vend surtout des étoffes communes et ces petits objets de mercerie indispensables dans la vie du ménage. Le paysan y apporte des fourrures ; les riches propriétaires y rencontrent des Européens qui voyagent dans le pays pour les soies, la laine et les céréales. Je n'y ai pas remarqué de ces beaux bijoux dont les Grecques, les Albanaises ou les Slaves aiment à se parer ; une verroterie très vulgaire suffit aux femmes bulgares. Ce qui frappe peut-être le plus, c'est le silence de cette foule, qui circule sans gaîté ; il n'y a là ni musiques, ni baladins, ni tout l'accompagnement habituel de ces sortes de fêtes, même en Orient. La Thrace a toujours eu des réunions de ce genre ; au Ve siècle avant notre ère, la plus célèbre se tenait à la ville d'Agora (le marché), qui était située non à l'intérieur du pays, mais à l'entrée de la Chersonèse.
Le choro tient une grande place dans la vie des Bulgares. Il admet plusieurs formes : l'une, qu'on appelle le labyrinthe ou la guirlande, est une imitation grecque. Vingt ou trente jeunes filles se tiennent par la main, et forment un ruban que conduit un jeune homme. Dans la Grèce propre, ce divertissement a encore toute la simplicité antique : c'est une suite de pas cadencés, toujours très lents, où le mérite consiste surtout dans la noblesse du maintien, dans l'habileté avec laquelle on suit les rhythmes d'une musique très douce, dans les figures que décrit le ruban. Les jeunes filles y portent des robes de soie brodées d'or, et n'y paraissent que chargées de bijoux. Les Bulgares dansent la guirlande à leur manière, tantôt très rapide, tantôt très lente, toujours désordonnée. Une danse qui répond mieux à leur caractère est celle de l'ours. Un homme vêtu d'une peau de bête est poursuivi par les jeunes filles et les garçons au bruit d'une musique barbare qu'accompagnent des éclats de voix stridens. On prend l'ours, on l'attache ; on le charge de foin, il fait des gestes bouffons, des pas grotesques qui ravissent l'assistance. Ce jeu dure des heures entières et ce renouvelle souvent à l'époque des moissons ; hommes et femmes y portent une grande animation, une gaîté qui a quelque chose de sauvage. Le Bulgare, si paisible, a des accès de joie, des expansions sans mesure. J'ai vu des guides embrasser leurs chevaux avec fureur, se livrer sans raison sur leur monture à des contorsions violentes.
Ibrahim Manzour Effendi
Manzour Effendi, Ibrahim: Mémoires sur la Grèce et l'Albanie. Paris, 1827.
p. 48-49
Zalongo, Epire, Grèce
Cent femmes restaient avec une troupe d’enfans, elles s’étaient trouvé séparées des leurs, et, du haut d’un rocher qu’elles avaient gravi, devenaient les témoins du sort épouvantable de leurs compagnes : il les menace à leur tour ! mais une résolution subite leur promet un secours contre l’infamie et la honte du supplice. Elles se saisissent les mains, et sur la plate forme du rocher, commencent une danse dont un héroïsme inouï inspirait les pas, et dont les angoisses de la mort pressaient la cadence. Des chansons patriotiques l’accompagnaient ; leurs refrains allaient retentir aux oreilles de Mahométans.... le ciel sans doute les entendait ! au dernier de leurs refrains, les cent femmes poussent un cri perçant et prolongé, dont le son va s’éteindre au fond d’un horrible précipice, où elles ont entraîné avec elles tous les enfans [Note d'Ibrahim: Suleiman-Aga, officier albanais, triste témoin de cette mémorable tragédie, m’en a raconté tous les détails. Des larmes mouillaient sa paupière en faisant ce récit : et cependant il était de l’armée d’Ali]
Cyprien Robert
Robert, Cyprien: Du rôle de la diplomatie européenne dans la question des frontières turco-grecques, Revue des Deux Mondes 10. Paris, 01/04/1845.
p. 794
Le roi Othon et de la reine Amélie parcourent le pays, Grèce, -1845?
Le manque d’auberges obligeait les deux majestés à prendre leur frugal repas sur l’herbe, au bord des sources classiques, et à camper sous la tente, comme des pasteurs de peuples de l’ère homérique; mais ils étaient, sous cette humble apparence, entourés d’hommages bien préférables à ceux que rendent les courtisans. Des milliers de bras se levaient pour appeler sur eux les faveurs du ciel, et les portaient en triomphe aux églises et aux ruines fameuses de la Grèce. Des choeurs de jeunes filles, conduites par leurs amans, et se tenant enchaînées les unes aux autres par des guirlandes de fleurs, exécutaient, sous les yeux du père de la patrie, les danses mimiques des temps anciens, et des Saphos champêtres venaient, le téorbe en main, chanter à la reine des vers comme ceux-ci :
Να νη, ζα σε χαρουμεν,
Σαν τα ψηλα Βουνα,
Βασυλισσα, ματια μας.
«Vis pour que nous réjouissions ton coeur, vis aussi long-temps que nos cimes montagneuses, ô reine, prunelle de nos yeux ! »
W. Wilkinson
Wilkinson, W.: Tableau historique, géographique et politique de la Moldavie et de la Valachie. Traduit de l'anglais. Paris, 1824.
p. 122-126
Danses publics et bals, Bucarest, Romanie (Moldavie et Valachie), 1818+?
La musique valaque a quelque ressemblance avec celle des Grecs modernes, quoique les temps en soient plus réguliers et qu’elle soit plus harmonieuse. Son style a peu de variété, et tous les tons sont joués uniformément sur le clefs mineures. Quelques-uns de leurs airs produiraient un bon effet s’ils étaient joués avec la délicatesse et l’expression convenables. Les instruments dont on fait le plus d’usage, sont le violon ordinaire, la flûte de Pan, et une espèce de guitare ou luth particulier au pays. Les orchestres sont composés de ces tois sortes d’instruments, qui jouent tous la première partie sans accompagnement; on les emploie seulement dans les jours de fête et de divertissements. Les boïars n’ayant pas un goût bien décidé pour la musique, ne l’étudient jamais; et leurs esclaves bohémiens sont les seuls qui s’en occupent. Leurs femmes aiment néanmoins le genre de musique allemand, et plusieurs d’entre elles touchent du forté-piano; mais, faute de persévérance, elles n’atteignent jamais un certain degré de perfection, et le défaut d’émulation leur ôte l’envie d’avoir de la persévérance.
La danse autrefois en usage dans toutes les classes, et qui, maintenant, n’est seulement connue que du peuple, a un caractère tout particulier. Quinze ou vingt personnes des deux sexes se prennent par la main, et formant un grand cercle, tournent et retournent en rond sans discontinuer, d’un pas lent : les hommes fléchissenst les genoux de temps en temps, comme pour marquer la mesure, et regardent languissamment à droite et à gauche leurs danseuses, dont ils tiennent la main. La mode a, depuis quelques années, banni cette espèce de danse des cercles de la belle société, et a introduit les contre-danses anglaises, les valses et la mazurka polonaise. La plupart des dames les dansent bien, mais les hommes assez mal, la forme de leus vêtements s’opposant à ce qu’ils puissent y obtenir des succès.
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Pendant l’hiver, les principeaux amusements des boïars de Buckarest consistent à se rendre dans des clubs publics, établis sur le plan des Redoutes de Vienne. On y donne trois ou quatre fois la semaine des bals masqués qui attirent beaucoup de monde. Il y a en outre des clubs pour les différentes classes de la société; le principal auquel la cour et le principaux boïars souscrivent, est appelé club-noble. Il est fréquenté par beaucoup de personnes vers la fin du carnaval, et quoique son titre semble annoncer un choix exempt de mélange, toutes les classes peuvent y pénétrer sous le masque. Les gens distingués n’y dansent jamais, à moins d’être masqués; mais ils jouent à une table de Pharaon, et à d’autres jeux dont le club offre une grande variété.
On donne aussi quelquefois des bals particuliers ; mais il n’y a le soir aucune autre espèce de réunion habituelle. Les billets d’invitation ne sont point une formalité d’usage, les tables des boïars et leurs maisons étant ouvertes dans tous les temps à leurs amis et connaissances.
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p. 143-144
Danses d'ours, Romanie (Moldavie et Valachie), 1818+?
Wilkinson, W. Tableau historique, géographique et politique de la Moldavie et de la Valachie. Traduit de l'anglais. Paris, 1824.
Les deux sexes ont l’habitude de se marier de bonne heure. Ils ne sont point adonnés par inclination aux plaisirs des sens; mais comme la religion ne recommande pas la chasteté aux femmes, l’excessive pauvreté les engage à accorder leurs faveurs pour de l’argent, et souvent avec la connaissance et du consentement de leurs maris ou de leurs parents.
Les jours de fête, ils passent une partie de leur temps dans les cabarets du village, où ils mangent, boivent et quelquefois dansent. Quelquefois aussi ils s’amusent à voir danser des ours conduits par de Bohémiens ambulants, qui les dressent très jeunes, et gagnent quelque argent à les montrer : c’est un amusement très répandu dans ce pays.
Dodwell “Views”, p. ??
Dervishes, Athènes, Grèce
La Tour octogone des huit Vents, qui fut construite par Andronicus Cyrrhestes, et qui formait à la fois l’horloge d’eau, le chronometre et la girouette d’Athenes, subsiste encore dans un état de conservation à peu près parfaît. Varron [Liv. 3. ch. 5. De Re Rusticâ] et Vitruve [Liv. 1. chap. 6] en font mention, mais Pausanias n’en parle pas. Stuart [Vol.1. ch.3] a donné d’amples détails sur son état ancien ainsi que sur son état présent.
Cette tour à été convertie en un Semà-Khanés, ou chapelle destinée à la danse religieuse appelée Semà, qu’un ordre particulier de Derviches dansants exécute dans l’intérieur de ses murs tous les Vendredis. L’intérieur de cette tour est couvert d’un parquet en bois, qui pose sur la corniche inférieure, à plusieurs pieds au dessus de l’ancien pavé. Les murs sont ornés de tablettes de bois peintes de diverses couleurs, et qui contiennent des passages du Koran en caracteres Arabes, langue dans laquelle ce livre sacré fut composé. La niche qui est pratiquée dans la muraillé et sur laquelle on a peint des bandes vertes et rouges, indique la direction de la kaaba, ou oratoire de la Mecque. De chaque côté de la niche est une bougie, devant laquelle est placée une imitation de l’étendard verd de Mahomet. L’Alcoran est déposé dans l’intérieur de la Mihrab. Une imitation du sabre à deux tranchants d’Aly est suspendue à la muraille. Le Calife Aly reçut en héritage du Prophete cette arme célèbre. De la pierre centrale du plafond de la tour descendent douze petites lampes suspendues à une chaîne. On y voit seize œufs d’autruche également suspendus à un cordon. On croit que ces œufs possedent une vertu secrete contre les effets redoutés du mauvais regard.
La danse qu’on exécute dans la Tour des Vents est une des cérémonies les plus ridicules de l’Islamisme. Le ballet sacré est ouvert par les Derviches, et par tel nombre de Turcs de tout rang et de tout âge à qui il plait d’être de la partie. Ils commencent par s’asseoir en cercle sur le plancher, puis ils se mettent à chanter les louanges de Dieu et de Mahomet. Les seuls instruments d’accompagnement sont deux petites tymbales. Les chants s’animent progressivement, jusqu’à ce que toute la compagnie se leve par un mouvement soudain, et se mette à chanter et à danser en cercle avec une vitesse extraordinaire et des clameurs violentes. Après un certain temps ils font place aux deux principaux danseurs, qui, se tenant tous les deux par leur écharpe ou ceinture, tournent avec une rapidité incroyable. Le Sheickh, ou chef des Derviches, habillé en verd (la couleur sacrée,) la tête ceinte d’un large turban blanc, les anime de la voix, et en battant un gros tambour. Lorsque les Derviches ont continué de tourner et des pousser des cris aigus pendant un temps considérable, ils tombent enfin de lassitude dans les bras des spectateurs et paraissent pendant quelques minutes avoir perdu les sens, et être remplis d’un enthousiasme divin.
Bröndsted, p. 1/7
Sur les toits plats des maisons, Kéa, Iles Cyclades ?, Grèce,1811
Du port de Zéa jusqu’à la ville, il y a une bonne lieue de montée. Les maisons le plus souvent peintes en blanc, toutes à toits plats, et disposées en amphithéâtre sur les terrasses assez étroites de la montagne, présentent à quelque distance un aspect singulier. Quand le temps est beau, les toits offrent aux familles leur rendez-vous ordinaire et le plus agréable. Les enfants aiment mieux y prendre leurs ébats que dans les rues qui sont étroites et sales. Au jour de l’an grec, qui répond à notre treize janvier, et qui se trouvait un fort beau jour, nous eûmes beaucoup de plaisir à voir se former sur la plupart des toits de joyeux groupes de danseurs. Ce spectacle aurait été encore plus agréable pour nous, si le riche et joli costume national des femmes de Zéa et de Thermia (anciennement Kythnos) était encore d’un usage général. Mais malheureusement il n’en est plus ainsi.
Maxime Raybaud
Raybaud, Maxime: Mémoires sur la Grèce pour servir à l'histoire de la Guerre de l'Indépendance. Paris, Tournachon-Molin, 1824, 2 vol.
p. 1/411
Grecs pendant le siège de Tripolitza, Peloponnèse, Grèce, 08/1821
Après la chaleur et les travaux du jour, nos soldats, pour charmer les longues heures de la soirée, dansaient au son d’une espèce de haut-bois et d’un tambourin; ou bien, groupés autour d’un chanteur qui s’accompagnait d’une mandoline asiatique, ils écoutaient quelque production du Thessalien Rhigas, et plus souvent encore un chant patriotique sur la guerre actuelle.
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p. 2/130-131
Carnaval à Tinos, Grèce, 1822?
Les Tiniotes (je ne parle point ici des Latins) sont extrêmement portés au plaisir. La famille nombreuse des Paximadi, la plus influente de l’île par ses richesses, ses clients, son crédit et ses alliances, ne contribue pas peu à donner cette direction à l’humeur de ces insulaires. Les femmes de Tinos jouissent d’une plus grande liberté que dans aucune autre partie de la Grèce. On est frappé de la beauté, des grâces, et particulièrement de l’air de propreté qu’on rencontre chez elles ; cette dernière remarque est surtout sensible quand on sort du Péloponèse. Leur passion pour la danse est extrême : nous approchions du carnaval ; elles consacraient à cet amusement des nuits entières et une partie des jours. On dansait à Tinos, on égorgeait ailleurs ; et ces heureux insulaires, que la prudence chassait vers leurs montagnes à chaque apparition de la flotte ottomane, retombaient dans leur incurie dès que le pavillon du croissant avait quitté l’horizon.
Des gens du peuple, masqués, parcouraient les rues. Imitateurs grotesques des cérémonies religieuses et des usages de police des Turcs, ces cadis, ces imans, ces derviches, de formation impromptue, excitaient au dernier point la gaieté de la foule qui se précipitait sur leurs pas, satisfaite de pouvoir enfin rire, avec impunité, aux dépens de ses oppresseurs. Peuple aimable et imprévoyant, puisse le fer des farouches Osmanlis ne jamais changer, sur tes bords, les accents du plaisir en cris de douleur!
A. L. Castellan
Castellan, A. L.: Lettres sur la Grèce, l'Hellispont et Constantinople. Paris, Agasse, 1811.
Castellan "Grèce", p. 2/95
Turcs, Grèce
Les vieillards étaient assis sur le gazon, à l'ombre des arbres touffus qui bordent le canal : de là ils jouissaient de la fraîcheur de l'ombrage et des eaux, et surtout du coup d'œil que présentait la plaine couverte de gens, dont les vêtemens variés, et presque tous de couleurs très-vives, semblaient parsemer le gazon d'une moisson de fleurs ; ou bien, appelant des baladins et des lutteurs, ils se plaisaient à voir les mouvemens efféminés et lascifs des premiers, qui, très-jeunes, d'une jolie figure, vêtus d'habillemens de soie brodés, portant des pendans d'oreilles, des chaînes d'or ou d'autres bijoux, et faisant voltiger autour d'eux des schals légers, ressemblaient moins à des hommes qu'à des courtisanes avec lesquelles on ose à peine soupçonner qu'ils aient des rapports encore plus frappans.
J'ai décrit ailleurs les combats des lutteurs ; j'ajouterai que c'est un des exercices que les Turcs préfèrent. Ils semblent mieux jouir du divino far niente, de cette douce incurie, lorsqu'ils sont spectateurs d'actions vives ou de mouvemens violens ; aussi recherchent-ils le spectacle des baladins, des danseurs de corde, des escamoteurs, et en général de tout ce qui peut leur remuer vivement l'imagination, sans les obliger de sortir de leur immobilité physique.
A. L. Castellan
Castellan, A. L.: Lettres sur la Morée et les îles de Cérigo, Hydra et Zante. Paris, Agasse, 1808.
p. 2/28-29
Garçons chez le bey de Coron, Péloponnèse, Grèce
Le Bey a fait exécuter en notre présence une danse singulière, qu'on peut nommer danse pantomime [On sait que les Anciens faisaient grand cas de ce spectacle : on avait même l'usage, en Grèce et en Italie, autrefois comme aujourd'hui, d'accompagner ses discours de gestes et de mouvemens, et on les multipliaiat beaucoup plus que nous ne le faisons. Ces gestes étaient soumis à de certaines règles, et faisaient une partie essentielle de l'ancienne pantomime, chironomie. (Voyez Lucien, Danse des Anciens.)]. Les Grecs modernes ont conservé la plupart des danses anciennes, qui prenaient leur nom de l'action qu'elles représentaient [Telles que la danse d'Ariane, la Pyrrhique, etc. Encore en usage chez les Grecs modernes. (Lettres sur la Grèce, Guys)].
Je me bornerai à vous parler de celle-ci, qui exprime une action simple, et d'ailleurs si bien représentée, qu'il est difficile de se méprendre au sujet. C'est une scène supposée se passer entre un amant et sa maîtresse ; elle était exécutée par deux jeunes gens [Cette danse rappelle l'ancien théâtre grec, où l'on faisait jouer les rôles de femmes par des hommes.] On choisit de préférence pour jouer ces rôles, ceux qui, par leur figure ou leur jeunesse, peuvent le mieux prêter à l'illusion des sexes. A l'instant de la déclaration, l'amant était accroupi, presqu'à genoux, et, dans cette position, il tournait, faisait des contorsions bizarres ; l'autre, qui remplissait le rôle de femme, affectait les minauderies et les grâces analogues à la circonstance. Cette scène était plaisante, mais elle s'est terminée par des actions figurées peu décentes, et qui sont celles que les Turcs applaudissaient avec le plus d'ardeur, encourageant et excitant les danseurs par toutes sortes de moyens.
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p. 2/112-113
Antiquité, Grèce
Les anciens statuaires avaient sans doute plus d'occasions que nous n'en avons pour étudier le nu. Le climat les favorisait ; les vêtemens couvraient le corps sans le cacher ; les danses, les jeux gymnastiques, et surtout les athlètes, leur offraient le corps dans tout son développement de grâce et de vigueur.
Les mêmes occasions se présentent dans la Grèce moderne : les vêtemens des Grecs sont encore aujourd'hui à peu près tels qu'ils étaient autrefois ; leur gymnastique est la même : on y retrouve jusqu'aux combats de lutteurs. Leurs danses sont vives, voluptueuses ou guerrières : ils sont adroits nageurs, bons écuyers ; ils excellent, en un mot, dans tous les exercices qui exigent de l'adresse ou de la force. Les femmes, moins sédentaires que les nôtres, se livrent aussi à des jeux variés ; elles ont aussi des danses pantomimes et voluptueuses, qui donnent à leur corps de la souplesse, et à leurs mouvemens un charme irrésistible.
Jean-Alexandre Buchon
Buchon, Jean-Alexandre: La Grèce continentale et la Morée. Voyage, séjour et études linguistiques en 1840 et 1841. Paris, Charles Gosselin, 1843.
Buchon, p. 76-79. Repris par Berchet sous Quinet (?)
Le premier avril à Athènes, 01/04/1841
Le temple de Thésée, le mieux conservé de tous les monuments d'Athènes et de la Grèce, est situé assez près de là sur un petit plateau qui s'élève au bas des dernières pentes de l'Acropolis. Tout l'extérieur de ce temple antique est dans son entier, et toutes ses jolies colonnes sont debout; l'intérieur seul a changé. Au Moyen Age, c'était une église sous l'invocation de saint George; c’est aujourd'hui un musée. La situation isolée de ce joli temple ajoute encore à son effet.
Le jour du 1er Avril, selon le style grec (13 Avril, n. st.), ce plateau devient tous les ans le rendez-vous d'une foule nombreuse de tout sexe, de tout âge, de tout rang, de tout costume. Cette réunion populaire a lieu annuellement sur l'esplanade qui est entre le temple de Thésée et la colline du Pnyx. Le jour où j'y assistai, il faisait un temps magnifique; il n'y a rien là du mouvement tumultueux d'une fête champêtre française, mais la variété des costumes et des physionomies offre à elle seule un tableau animé et piquant. Les femmes étaient toutes amoncelées sous le péristyle, sur les degrés, et autour de l'enceinte du temple de Thésée, avec les divers costumes de l'Albanie, de Smyrne, d'Athènes et d'Hydra. Les femmes albanaises abondent surtout parmi le peuple d'Athènes, et, vues du bas de la route dans leur costume aux brillantes couleurs, sous ces colonnes brunies par le soleil, elles forment un groupe d'un bel effet pittoresque. Leur tête est enveloppée comme celle des Arabes, et le haut de leur figure ressort seul, comme dans une momie égyptienne, de l'espèce de linceul blanc qui entoure la tête et les épaules. Quelques autres portent sur la tête une coiffure formée de monnaies d'or et d'argent étagées les unes au-dessus des autres, et au bas du dernier rang desquelles pendent d'autres monnaies légères qui, en plus petit nombre, se balancent comme autant de clochettes autour du front. La robe pendante et flottante est recouverte d'une espèce d'étoffe bariolée de toutes couleurs et d'or, assez semblable à l'aumusse d'un prêtre.
Les hommes seuls semblent s'être réservé les plaisirs de la fête. Groupés çà et là, on les voit danser entre eux sans qu'une seule femme se mêle à leurs jeux. J'y remarquai surtout des bergers albanais. D'un côté douze ou quinze d'entre eux, vêtus d'une fustanelle et d'une veste blanche sur laquelle flotte une longue peau de mouton à brillantes soies blanches, la tête couverte du fezy retenu par un mouchoir en forme assez peu gracieuse de turban, se tenaient par la main et se dandinaient en chantant. Le chef de la bande seul, qui conduit cette chaîne avec toute l'autorité d'un de nos beaux conduisant un cotillon dans un de nos élégants salons de Paris, conserve le privilège de se livrer à la liberté de ses mouvements et de ses allures ; il exécute, à la grande admiration des spectateurs, les mouvements les plus difficiles en se lançant de côté et d'autre, et se laissant retomber, tantôt avec les jambes entrelacées d'une manière bizarre, tantôt comme plié sur lui-même, puis se relevant d'un bond pour recommencer encore. Les autres le suivent en se dandinant aussi à la façon grecque, mais sans imiter ses bonds, ses chutes et rebonds, qui sont comme les points d'orgue d'un chanteur émérite. Plus loin une autre bande de danseurs, car ce ne sont que des hommes qui se livrent à cet exercice, s'agite au son du tambourin et d'une sorte de hautbois à trois trous. Sur une autre partie de l'esplanade, c'est un joueur de guitare qui règle les mouvements en frappant sur des cordes ordinaires ou sur des fils d'archal, assis sur une chaise curule antique, ou debout sur un tombeau de marbre sculpté qui va sous peu de jours prendre sa place parmi les monuments du musée. M. Pittakis assure que ces danses autour du temple de Thésée remontent à la plus haute antiquité, à Thésée lui-même, dit-il gravement, qui, à son retour du labyrinthe de Crète, interrogé par ses jeunes concitoyens, avides de connaître la difficulté des tours et détours de ce labyrinthe, les fit ranger ainsi par cercles qui se repliaient l'un sur l'autre et s'entremêlaient pour se dégager ensuite; et, pour appuyer sa démonstration, le grave archéologue Pittakis se met à exécuter ces évolutions. Cette danse, au reste, ressemble beaucoup à celle de nos paysans des montagnes du Béarn. Seulement, dans nos belles vallées des Pyrénées, les jeunes Béarnaises, avec leur capulet rouge, viennent s'entremêler aux lestes Béarnais : et bien que le chef de la danse soit chargé de l'exécution des sauts les plus merveilleux, tous cependant chantent ensemble des chansons gaies qui les animent ; et les sauts des hommes, et les pas gracieux des femmes, témoignent de la vivacité de leur plaisir.
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p. 79-83
Le Carême à Athènes, 22/02/1841
Une autre fête populaire a lieu annuellement autour d'un autre des plus vastes monuments de l'Antiquité, les colonnes du temple de Jupiter-Olympien, dans la vallée de l'Ilyssus, le premier jour de carême. Ce jour solennel tombait, en 1841, le 10 Février à la grecque (22 Février n. st.). Le carnaval grec se termine avec le dimanche gras, et le carême commence le lundi. Les catholiques portent le carnaval jusqu'au mercredi des cendres, c'est-à-dire deux jours au-delà du carnaval grec; et les Milanais, qui jouissent d'un carnavalone, ou long carnaval, poussent le leur jusqu'au lundi d'après exclusivement : c'est-à-dire qu'ils ont cinq jours de carnaval de plus que les autres catholiques, et sept jours de plus que les Grecs. Dans tous ces pays, le premier jour du carême est une sorte de fête demi-profane et demi-religieuse. A Paris, on va enterrer le carnaval avant de venir recevoir les cendres ; en Grèce, on commence le long jeûne par des fêtes et des danses.
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Plus de vingt mille personnes étaient réunies dans cette vallée : les uns, assis en cercle sur le gazon déjà fort vert dans la vallée, prenaient leur part d'un repas de carême qui pendant trois jours ne peut se composer que de fruits et de légumes, d'olives, d'oranges, de pruneaux, d'oignons, sans poisson, sans œufs et sans beurre, mais sans exclusion du vin, dont on use et abuse ; et ils invitaient tous les passants à l'hospitalier partage du repas et de la dame-jeanne de bois, ou tzitza. Les autres, aux incertains accords de la guitare à cordes de laiton, du tambour de basque et de la flûte, se formaient en cercles et dansaient la danse albanaise, ou la danse guerrière des palicares. Quelques mascarades composées de catholiques, dont le carnaval se prolonge de deux jours, viennent se mêler aux groupes des danseurs, tandis que d'autres groupes portent le masque derrière la tête en signe de l'expiration du carnaval grec. Pendant que les hommes forment leurs danses, les femmes forment aussi les leurs, plus gracieuses et plus molles. Le chef de la danse des hommes doit être vif et alerte, la conductrice de la danse des femmes doit être souple et digne ; un signe de dignité pour les femmes, dans les habitudes anciennes, c'est de porter le ventre en avant, comme les aldermen de Londres. Ce grand air de dignité prend aussi sûrement un cœur grec que le meneo prend un cœur espagnol, et l'aisance élégante de la démarche un cœur français ; les Grecs le célèbrent dans leurs chansons, et en font le type de la beauté. J'en citerai comme preuve les paroles d'une chanson grecque populaire :
Que les montagnes s'abaissent
Afin que je puisse voir Athènes
Et que je puisse contempler ma belle
Comme elle marche dignement, semblable à une oie grasse.
[Voici le texte en langue populaire :
Να χαμελόναν τα βουνά,
Νά γλεπα την Αθήνα,
Νά γλεπα την αγάπην,
Πώς περπατεί σαν χήνα.]
Pour les jeunes gens le type de la beauté est plus conforme à nos idées d'élégance ; leur taille est prise ainsi que dans un corset, et une ceinture de soie serrée avec puissance leur donne, non la souplesse, mais la finesse d'un corsage de guêpe.
Des danses nationales s'exécutent en même temps. Ici deux danseurs renommés sautent une sorte de passe à deux, plus semblable à la vigoureuse gigue des infatigables Écossais qu'à la gracieuse tarentelle de la Grande-Grèce actuelle. Là quatre couples d'hommes et de femmes, vêtus du léger costume ancien des îles Ioniennes, tout blanc et tout rose, avec force rubans, exécutent une espèce de contredanse zantiote, que danse avec des passes fort gracieuses chaque couple, avec ses houlettes attachées deux à deux en haut par des rubans roses.
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p. 98-100
Bal de la cour, Athènes, 1841
Les femmes, captives dans les liens étroits de la société orientale, ne peuvent qu'à peine se révéler à elles-mêmes ; mais déjà l'amour de la toilette, le bon goût dans le choix des parures, l'absence d'affectation et de lourdeur, la simplicité étudiée, le discernement dans le choix des couleurs se font en général remarquer dans les toilettes. Il y a d'ailleurs des chefs savants parmi elles qui ont étudié à Paris et plu à Paris, et qui donnent la leçon et l'exemple.
La jeune reine n'a pas étudié à Paris, mais elle a deviné la science et y est passée maîtresse. On la citerait certainement à Paris même au premier rang des belles les plus remarquées. Ecuyère infatigable et intrépide, danseuse légère, animée et gracieuse, reine élégante et belle, elle jouit de ses succès avec un bonheur qui l'embellit encore. Aucune femme dans sa cour ne se livre avec plus de charne au plaisir de la danse. Polonaise, valse, contredanse, galop, mazourque, cotillon, tout lui plaît, et lui plaît avec la même vivacité, depuis la solennelle polonaise qui ouvre le bal, jusqu'à la folle danse du grand-pêre qui le ferme, à l'exclusion des danses grecques, dont aucune n'est dansée dans les salons d'Athènes. Il faut ajouter que c'est sur elle que pèse le moins le poids de l'étiquette, qui doit gêner un peu les autres ; car l'étiquette règne avec toute sa roideur dans un bal de la cour de Grèce. A neuf heures du soir, tout le monde est réuni dans la salle de bal. A neuf heures et demie, le roi et la reine entrent suivis de leur maison. Tout le monde, hommes et femmes ; reste debout aussi long-temps qu'ils tiennent cercle ; environ une demi-heure ; pendant ce temps chacun d'eux va de son côté, adressant la parole à l'un ou à l'autre et montrant toujours aux étrangers la plus grande bienveillance et la plus parfaite politesse : puis commence la polonaise. Le roi offre la main à une des dames ; la reine à un des hommes, en général un des chefs du corps diplomatique ; les autres chefs des légations en font autant, et tous font ainsi un tour de salle ; après quoi le roi passe à une autre dame, et la reine à un autre diplomate, pour recommencer un second tour de promenade, et ainsi de suite jusqu'à ce que les chefs de mission et ceux que la reine veut distinguer aient accompli leur tour de promenade : puis la valse commence. Tant que la reine danse, les femmes qui ne dansent pas peuvent être assises ; mais dès qu'elle quitte la danse et se promène elles doivent se tenir debout, et ne peuvent se rasseoir que quand elle se rassied. Deux fauteuils sont mis en avant hors ligne pour le roi et la reine, et les autres femmes sont placées en arrière sur des chaises. De temps à autre on apporte quelques rafraîchissements. Vers les trois ou quatre heures, quand toute la série des danses de tout nom est épuisée et que les danseurs sont épuisés aussi, tout le monde se lève ; et le roi et la reine tiennent un autre cercle d'une demie-heure, qui oblige tous les conviés à rester : car il n'est aucun moyen honnête de quitter le bal avant que le roi l'ait quitté. Le roi et la reine prennent congé, et chacun rentre chez soi.
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Buchon, p. 228-239
Mariage de bergers, Roumelie, 1841
Pendant que mes regards se portaient sur ces montagnes, comme si j'eusse dû en voir descendre encore une fois les phalanges de Philippe, je vis tout à coup sur ma droite un groupe mouvant et animé descendre des pentes inférieures du Knémis vers la plaine de Karpena, l'antique Chéronée, que je traversais en ce moment. Peu à peu ce groupe, en se rapprochant, se dessina plus nettement à mes yeux ; je distinguai une cinquantaine d'hommes à cheval, puis d'autres hommes à pied rangés autour d'une bannière flottante ; un nombreux cortége de femmes terminait la marche.
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Je demandai à mes bergers l'autorisation de me joindre à eux et d'assister à la fête du mariage, si cela n'était pas contraire à leurs usages, et tous vinrent me donner la bienvenue en me présentant la main. J'entrai donc dans le cortége au milieu de ce groupe de prêtres, de palicares et de jeunes filles qui dansaient et chantaient, et nous arrivâmes près des ruines de Chéronée.
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Cette eau doit servir à pétrir le levain (prozymi) destiné à faire le pain des noces. La sœur du futur, si elle n'a pas été mariée, ou, à son défaut, la jeune fille sa plus proche parente, est chargée de pétrir ce levain pendant que tous les parents et parentes du jeune homme, rangés sur deux lignes, chantent des chansons analogues à la circonstance ; après quoi on soupe, on chante et on danse jusqu'à minuit.
Le jeudi, on va en pompe choisir dans le troupeau le bœuf le plus gras ou la vache la meilleure, et les moutons destinés au repas de la noce ; on garnit leurs cornes et leur tête de guirlandes de fleurs ; puis, au son de tous les instruments, on les amène dans le village, on leur fait faire le tour de la paroisse en accompagnant leur marche de chants et de danses, et on vient les placer en grande pompe dans l'étable.
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Ce même jour, la mariée et ses douze gardiens sont placés dans un appartement séparé pour la nuit. On passe la soirée en repas, en chants et en danses. Le lundi matin, tout le cortége des deux familles se réunit et se rend en pompe à l'église, où on célèbre la cérémonie religieuse, puis on donne un grand festin où le mari dîne pour la première fois avec sa fiancée et à côté d'elle ; mais les douze gardiens ne la quittent pas encore, et elle passe nuit seule sous leur protection.
Le mardi on donne un garnd dîner aux douze gardiens, qui prennent congé des nouveuax époux. Les parents du marié restent à danser toute la soirée, puis vont en grande cérémonie préparer et parfumer la couche de la mariée, simple lit de camp recouvert de tapis.
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Buchon, p. 294-302
Fête multinationale, Roumélie, 1841
M. Roberty avait annoncé que, pour célébrer l'anniversaire de la Saint-Philippe, il invitait ce jour tous les employés de sa manufacture, maîtres et ouvriers, Français, Italiens, Allemands, Anglais, Grecs, Albanais et Bulgares, à une partie de campagne dans une belle forêt située au-delà de Thronium. Je fus invité aussi et fus charmé de cette occasion qui s'offrait à moi de satisfaire amplement ma curiosité.
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Nous fîmes chanter des chansons françaises, grecques, albanaises et bulgares. Un jeune garçon albanais de treize à quatorze ans, à la voix de fausset extrêmement élévée et qu'il forçait de son mieux, entonna la chanson albanaise, tandis que ses compatriotes, assis en cercle autour de lui, répétaient le refrain en chœur. Les airs bulgares sont plus vifs et plus saccadés que les airs grecs; les airs grecs sont toujours dits par les beaux chanteurs avec un accent nasillard qui en détruit outrageusement la mélodie.
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Aux chants succédèrent les danses de toute espèce. Les Bulgares, qui vivent presque toute l'année dans la plus grande abstinence, se livraient avec bonheur aux plaisirs d'une fête si nouvelle pour eux, et formaient des rondes fort animées. La danse des Grecs na manque pas d'une certaine grâce, mais elle est lente et froide, et les beaux danseurs se dandinent beaucoup trop. La ronde des Turcs est beaucoup moins gracieuse, mais plus vive et plus gaie, et on y retrouve fréquemment les germes de la mazourque des Hongrois, leurs compatriotes antiques, et parfois de la valse allemande. La danse terminée, on se livra à l'exercice du tir ; un prix fut promis au meillleur tireur, et ce fut un ancien klephte qui le remporta avec sa longue carabine. Son adresse a dû être fatale à plus d'un Turc dans les désordres de sa vie klephtique ; c'est aujourd'hui un garde-chasse habile et régulier.
Tout se passa dans l'ordre le plus parfait et la meilleure harmonie, et il n'y eut pas une parole, pas un geste blessant pour aucun des convives. Nous nous étions assuré des montures pour le retour ; une musique improvisée, cors-de-chasse, clarinettes, flûtes de France, guitares grecques et tambours turcs, nous précédait avec les deux bannières déployées de France et de Grèce. Tous à cheval, nous fîmes une halte sur les ruines de l'homérique cité de Thronium, qui peut se relever à Kainourio-Khorio, et nous rentrâmes sans encombre, fort satisfaits d'une fête dont on n'eût pu rêver la possibilité en Grèce dix ans auparavant.
Beaulieu (in Argenti?) 642
Chios, Grèce, 1721-1723
Il nous a fait servir une Collation dans le Goût du Pais, et m'a regalé d'un Vin dont il me promet quelques bouteilles. Il parle bien François et a une teinture des belles Lettres; en me rendant le même jour ma visite, il m'a prié de lui donner un jour avec Monsieur et Madame de Marigni; nous y avons passé toute une Dimanche ou nous avons parlè que d'Histoire et de Religion, pendant que ses Filles dançoient avec leurs Compagnes les Danses du Pais, qui ont de l'agrément et de la Majesté; deux Demoiselles de la Maison de Justiniani bien faites et bien Parées ont été de la Fête qui m'a paru comlette dans une noble simplicité.
Covel (Grélois) 205
1675
Le soir nous allâmes dans plusieurs de leurs cafés, qui n’ont pas encore été supprimés ici. Bien au contraire, plusieurs centaines de personnes peuvent s'y rassembler, comme j'en fis l'estimation dans l'un des plus grands [Evliya celebi (Seyahatname IX, p. 36) avait été impressionné quelques années auparavant par la vie de café à Manisa]. C'était le ramadan [Le mois de ramadan H. 1087 a duré du samedi 28 octobre/7 novembre au dimanche 26 novembre/6 décembre 1676 (voir aussi n. 578)] et ils étaient tous ouverts jusqu'à minuit passé. Bien que les gens s'abstiennent strictement de nourriture et de boisson pendant tour le jour, je m'aperçois bien que ce n'est qu'une affectation de piété, car ils passent ici la majeure partie de la nuit à voir des spectacles de pantins et des danses lascives, ainsi qu'à écouter d'abominables chansons grivoises. Ils n'exhibent pas directement leurs figurines, parce qu'ils pensent, selon moi, que ce serait une forme d'idolâtrie, mais ils en projettent les ombres à la lueur d'une chandelle à travers un drap de gaze ou de tissu de Trébizonde. De toute ma vie je n'ai vu une telle paillardise et une telle obscénité, et pourtant tout est combiné d'une si sotte façon que l'on ne saurait l'imaginer. Le polichinelle arrive pourvu d'un appendice toujours aussi gros et aussi long que son bras, avec une protubérance au bout pour montrer qu'il est un vrai musulman circoncis. Et ce pantin de Turc [On aura reconnu Karagöz, le héros du théâtre d'ombres turc, dont une pièce différente était jouée chaque soir de ramadan (cf. El IV, p. 625-627)] feint de se liver à toutes manières de paillardises et d'infamies avec des femmes, des garçons, des animaux, choses qui occupent les pensées de tous les autres, qu'ils approuvent et qu'ils font à autrui pour de bon. Mais assez de cela ! Laissons-les à leur honte. Cette nuit-là je perdis mon cheval.
Champollion 77
Les quinze jours passès à Béni-Hassan ont été monotones, mais fructueux : au lever du soleil, nous montions aux hypogées dessiner, colorier et écrire, en donnant une heure au plus à un modeste repas, qu'on nous apportait des barques, pris à terre sur le sable, dans la grande salle de l'hypogée, d'ou nous apercevions, à travers les colonnes en dorique primitif, les magnifiques plaines de l'Heptanomide; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donnait seul le signal du repos; on regagnait la barque pour souper, se coucher et recommencer le lendemain.
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Voici un petit crayon de mes conquêtes : cette note sera divisée par matières, alphabétiquement
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p. 80-81
4 Chant, musique et danse. - Un tableau représentant un concert vocal et instrumental ; un chanteur, qu'un musicien accompagne sur la harpe, est secondé par deux chœurs, l'un de quatre hommes, l'autre de cinq femmes, et celles-ci battent la mesure avec leurs mains : c'est un opéra tout entier ; des joueurs de harpe de tout sexe, des joueurs de flûte traversière, de flageolet, d'une sorte de conque, etc. ; des danseurs faisant diverses figures, avec les noms des pas qu'ils dansent ; enfin, une collection très-curieuse de dessins représentant les danseuses (ou filles publiques de l'ancienne Egypte), dansant, chantant, jouant à la paume, faisant divers tours de force et d'adresse.
Levecque, J. 12 [Les coutumes]
Macédoine
Il est très exact de dire que “les aventures galantes sont tout à fait exceptionnelles en Macédoine. Les femmes macédoniennes, à quelque religion qu’elles appartiennent, vivent isolées des hommes. Même aux fêtes, à la danse, hommes et femmes forment (ordinairement) deux groupes qui ne se mélangent pas…
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Levecque, J. 23 [Les coutumes]
Macédoine
La route se poursuit : le joueur de cornemuse marche en tête lançant dans les airs les notes criardes des choeurs les plus en vogue. Les jeunes gens n’interrompent leur danse que pour boire à longs traits à la gourde du généreux parrain. Près du joueur de cornemuse marchent quatre jeunes gens toujours choisis parmi les plus agiles et appelés pour cela “chevaux rapides”. Pour insigne ils portent une couronne sur la tête. A mi-chemin les deux plus lestes courent en avant pour annoncer aux parents de la fiancée l’approche du cortège.
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Levecque, J. 35-36 [Les coutumes]
Macédoine
Jusqu’à l’arrivée à l’église les chants ne cessent pas. De son côté la cornemuse exécute une mélodie particulière qu’on n’entend que dans cette circonstance et pendant laquelle les jeunes gens dansent une espèce de pavane qui n’a rien de commun avec le choeur traditionnel.
Le joueur de gouzla (espèce de rebec primitif) entonne également une ronde particulière que les jeunes filles dansent en se dandinant. D’autre part le choeur ne perd rien de ses droits: tous les instruments précités en jouent tour à tour; les jeunes gens dansent tout en marchant devant le cortège. Quand ce dernier est arrivé devant l’église le joueur de cornemuse lance un puissant appel de son instrument et sans plus se préoccuper de la noce, les jeunes gens, le porte-drapeau en tête, entament un dernier choeur. Le père attend sa fille à la porte de l’église; si elle est venue à cheval, il la descendra lui-même; si en char à boeufs ou à buffles, le soin en sera confié à la marraine.
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Levecque, J. 40 [Les coutumes]
Macédoine
Lorsque le dernier coup de hache a marqué l’apport du dernier cadeau, uu air particulier de cornemuse retentit. La belle-mère apparaît alors en haut de l’escalier et le descend en jetant sur les assistants des poignées de froment et d’orge, la nouvelle mariée la salue par une profonde inclination. Quand elle est arrivée au bas de l’escalier la belle-mère place deux pains sous les bras de sa fille qui lui verse de l’eau sur les mains et monte dans la maison où elle arrose le palier, le corridor et les chambres. Tandis qu’elle monte les escaliers ses amies l’inondent de raisins secs, de pois chiches grillés et autres projectiles de même nature. Le marié profite de ce moment pour se faufiler dans la maison et se cacher derrière une porte où il attend sa femme. Quand elle paraît il la frappe de trois coups sur le front. Elle laisse tomber un pain et l’aiguière et se met à la poursuite de son agresseur qui s’est sauvé. Quand au bas de l’escalier ils finissent par se retrouver, la belle-mère leur jette sa ceinture autour du cou et les force à remonter ; la mariée saisit un petit garçon par la main, mais est obligée de suivre sa belle-mère avec son époux, tandis que les invités abandonnent la danse pour venir leur administrer un coup de poing.
Après mille bousculades, traînés de force, ils arrivent enfin dans la plus grande chambre où la belle-mère les délivre. L’enfant, lui, va dans la cour déposer le pain sur un boisseau autour duquel les danses continueront.
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Levecque, J. 41-42 [Les coutumes]
Macédoine
Le nouveau marié, lui, assiste impassible à toutes ces cérémonies, assis sur une chaise. Tout à coup sa femme vient à lui et par trois fois, malgré son opposition le force à avaler du sel. Le garçon d’honneur intervient pour calmer la colère, toute feinte d’ailleurs, du mari dont les grimaces divertissent l’assistance. Il conduit ensuite la mariée près du foyer, la fait asseoir et s’assied lui-même sur ses genoux et, dans cette posture familière, fait un triple signe de croix sur les cendres et attise le feu. La mariée y jette le reste du sel : si celui-ci pétille - et il pétille toujours évidemment - le marié est certain d’avoir épousé une jeune fille honnête et cette certitude achève de lui enlever sa mauvaise humeur. La belle-mère commence ensuite une ronde autour des jeunes mariés: elle tient d’abord deux chandelles allumées croisées l’une sur l’autre, puis les éteint et les remet au joueur de cornemuse, prend un verre de miel et un d’eau de vie et en fait goûter à sa bru. Puis toujours en dansant elle lui place deux gâteaux sous les bras : ils seront mangés par les assistants. Dans d’autres endroits, la belle-mère danse en tenant d’une main une bouteille de vin, de l’autre un bouquet de fleurs. Elle donne l’accolade au jeune couple, le couvre de fleurs et lui offre du vin en lui souhaitant la bienvenue. On fait ensuite circuler la bouteille pour que chacun puisse boire à la santé des nouveaux mariés. Ce qui reste est versé par la jeune mariée par terre tandis qu’elle jette du blé au plafond pour obtenir riche moisson et abondante vendange.
Après la belle-mère vient le tour du beau-père qui va indiquer à sa bru toutes occupations dont elle sera chargée dans sa nouvelle demeure. Il la conduit à la huche pour lui signifier que désormais elle aura à pétrir le pain de toute la famille. Il lui confie un rouleau à nouilles, car, en dehors de la nourriture ordinaire, elle doit être à même de faire de la pâtisserie et des gâteaux. Il la mène à la cuisine, à la cave, dans le jardin, à l’étable et lui donne tous les conseils nécessaires pour la bonne administration de tous ces domaines. En revenant de l’étable où elle a donné le fourrage aux animaux, elle arrose tout le parcours jusqu’à la grande salle avec une aiguière. Son mari la conduit ensuite près du billot, où elle coupe quelques morceaux de bois pendant que les jeunes filles dansent le choeur traditionnel.
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Levecque, J. 45 [Les coutumes]
Macédoine
Deux autres proches parents exécutent ensuite une danse particulière en l’honneur du parrain. Les deux danseurs tirent leur mouchoir de leur ceinture qui leur sert de poche, se donnent la main et avancent en cadence vers le parrain, accentuant du pied droit les temps forts de la mélodie. Parvenus devant le parrain, les jeunes gens se séparent et font, chacun de son côté, toute sorte de mouvements où bras et jambes prennent une allure de plus en plus vive, tout en suivant avec précision la mesure de la danse. Cette danse particulière devient elle-même le signal de la joie générale : les tables se vident et les farandoles recommencent. Chacun des instruments exécute les plus beaux de ses airs.
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[Levecque, J. 48 [Les coutumes]
Macédoine
Le Lundi, de grand matin, la mère du marié, va redemander à sa bru la chemise qui lui a été offerte pour la nuit. Quand un examen attentif du vêtement a fait constater la parfaite honorabilité de la jeune fille introduite dans la famille, la mère vient présenter le vêtement aux amis et parents dont la joie se manifeste immédiatement par des réjouissances. Les tambours résonnent, les coups de feu retentissent, on boit de l’eau de vie melée de miel et de sucre, on danse autour de la chemise placée au milieu de la cour. La pièce à conviction est ensuite mise dans un sac qu’on porte en triomphe chez les parents de la jeune fille.
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[Levecque, J. 51 [Les coutumes]
Macédoine
Les différentes invitations ont été déjà faites par le garçon d’honneur et le joueur de cornemuse. La parenté du marié déjeune dans sa famille et celle de la femme dans celle de l’épouse. La noce se rend ensuite, le joueur de cornemuse et les mariés en tête, sur la grande pelouse gazonnée que tout village macédonien possède pour les réjouissances publiques: on y dansera le "choeur mélangé". C’est le nouveau marié qui conduit le choeur. De sa main droite il tient un mouchoir qu’il agite en cadence, tandis qu’il donne la gauche à sa femme. Le garçon d’honneur est de l’autre côté de la mariée et a à sa gauche la soeur du marié. A leur suite, se forme une file interminable d’hommes et de jeunes gens, entre chacun desquels s’intercale une femme ou une jeune fille, ce qui donne à la farandole, grâce aux couleurs voyantes des costumes, un aspect des plus pittoresques. Les vieillards et les vieilles femmes, assis à la turque sur les nattes de jonc, ne quittent pas le spectacle des yeux et ne donnent le signal du départ que bien tard dans l'après-midi.
On absorbe un copieux goûter; la jeunesse reprend la danse ; les parents congédient les autres invités en leur offrant un verre d’eau-de-vie, celle-ci du reste n’a cessé de circuler de toute la journéé.
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Levecque, J. 55 [Les coutumes]
Macédoine
Les jeunes gens qui ont occupé tout leur temps à danser le choeur traditionnel, ramènent au logis, toujours en dansant, les jeunes mariés, offrant du vin et de l’eau-de-vie à tous ceux qu’ils rencontrent le long de la route. A l’entrée de sa demeure la mariée est reçue par son époux qui goûte par trois fois à l’eau, se laisse asperger trois fois aussi et dépose une monnaie dans le seau. Les beaux-parents en font autant.
La belle-mère présente ensuite à sa bru la quenouille et le fuseau l’invitant à filer. Elle lui donne le drapeau de noce à découdre: avec les fils de soie qu’elle en a retirés la mariée donne quelques coups d’aiguille au col d’une chemise qu’elle terminera dans la soirée.
Les jeunes gens qui l’ont accompagnée à la fontaine reprennent leurs danses. La mariée pénètre alors dans la maison avec ses seaux, arrose la cave et le grenier pour que le pain et le vin ne lui manquent jamais; vient dans la chambre où la famille se tient ordinairement, en fait trois fois le tour et la traverse finalement en forme de croix pour que la bénédiction divine repose sur la maison.
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Levecque, J. 58 [Les coutumes]
Macédoine
Non dance
Le “Correspondant” du 25 décembre, 1917, p. p. 1116-1118, publie un article très intéressant de Jean Saison, officier à l’Armée d’Orient, intitulé “Notes d’un officier”. L’auteur y raconte l’arrivée dans le village d’Ala-Kilissé (Hagios Apostolos) près des ruines de Pella, du cortège amenant la nouvelle mariée chez son mari. On y retrouve des détails rapportés dans la présente étude. L’auteur, intrigué par tout ce qu’il avait vu, demanda à l’instituteur du village la signification de ces différentes cérémonies. La réponse fut celle-ci : “Nous ne savons pas; nos pères ont toujours fait ainsi; ils le faisaient déjà au temps du grand Alexandre.” Quoiqu’il se trouvât sur les ruines de Pella, Jean Saison, de son propre aveu, ne s’attendait guère à voir le grand Alexandre dans cette affaire. “Nous avons appris le lendemain, dit-il, que c’étaient des rites bulgares, complètement étrangers aux grecs”.
Edmond About
About, Edmond: La Grèce contemporaine. Paris, Hachette, 1854.
p. 338-339 & 366
La reine de Grèce Amélie et ses dames d'honeur, Athènes 1852
Après le repas de midi et le sommeil qui s' ensuit, la reine monte à cheval et fait quelques lieues au galop, pour prendre l' air. En été, elle se lève à trois heures du matin pour aller se baigner dans la mer, à Phalères ; elle nage, sans se fatiguer, une heure de suite. Le soir, elle se promène après souper dans son jardin. Dans la saison des bals, elle ne perd ni une valse, ni une contredanse, et elle ne semble jamais ni lasse ni rassasiée.
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Les dames d' honneur de la reine sont des filles choisies dans les meilleures familles grecques. La reine n' en a que deux auprès d' elle: autrefois elle en avait davantage. Ces jeunes filles sont tenues d' accompagner la reine au bal, au bain froid et à la promenade. Il faut qu' elles soient écuyères, danseuses et nageuses infatigables; car la reine veut avoir à qui parler même dans l'eau. On devine sans peine que les dames d'honneur ne sont pas menacées d'obésité.
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p. 426-434
Au bal de Madame S. à Athènes 1852
C'est le 18 février que ce grand événement se produisit. Les astronomes l'annonçaient depuis le commencement de l' hiver. Les bals ne sont pas communs dans la société d'Athènes, qui n'est pas nombreuse. Lorsqu'en dehors des bals de la cour on a dansé quatre fois en une année, on dit: "l' hiver a été gai, nous nous sommes bien amusés." Mme S avait fait une sorte de coup d'état en s'abstenant d'inviter un certain nombre d'uniformes mal élevés qui s'imposent partout, et qu'on tolère en murmurant. C'est assez dire qu'elle avait fait bonne provision d'ennemis qui n'auraient pas été fâchés d'empêcher son bal.
Il n' y a dans Athènes qu'un seul orchestre: celui du théâtre. Quand le roi a la fantaisie de dîner en musique, le spectacle est retardé. Mme S avait, comme on peut croire, retenu l'orchestre un mois à l'avance. Elle ne pouvait l'avoir qu'à la fin du spectacle; mais on lui avait promis de donner un très-petit opéra et de le chanter au galop. Par malheur, ou plutôt par malice, la commission de guerriers qui surveille la direction du théâtre fit mettre sur l'affiche un opéra des plus longs, intercala des morceaux dans les entr'actes, et menaça d'une grosse amende tout violon qui déserterait son poste.
On commença donc par danser au piano. Il y a deux sortes de luxe dans un bal: celui qu'on y trouve et celui qu'on y apporte. L'un vient du maître de la maison, l' autre de ses invités. M S avait fait pour le mieux. Il s' était procuré des fleurs, denrée assez rare à Athènes : il les avait prodiguées, ainsi que les bougies. Faute de parquet (il n' y a de parquet qu' à la cour) on dansait sur un beau tapis. La musique ne jouait pas les airs de l' hiver dernier, mais la vieille musique n'est pas la moins dansante. Les rafraîchissements étaient assez abondants pour qu' il en restât aux dames après que les hommes s'en étaient remplis. La seule chose qui manquât un peu, c'était la place. Mais on ne peut pas démolir sa maison pour donner un bal.
Les invités, de leur côté, avaient apporté tout ce qu' ils pouvaient. Les hommes n'étaient point parfaits (où le sont-ils?): on remarquait çà et là quelques habits fripés, quelques cravates blanches en tortillons et quelques gilets du siècle de Périclès. L' habit des officiers grecs est terne : ces épaulettes de fer-blanc, qui sont les mêmes pour le sous-lieutenant et pour le colonel, et les maigres galons qui les accompagnent, n' ont rien qui éblouisse les yeux. Mais tout le monde (nous n' en sommes pas encore au souper) se comportait vraiment bien. La marine française n' était représentée que par un charmant petit aspirant, homme du monde et beau danseur ; la marine hollandaise avait député un gros garçon formidablement rouge, et dont le nez singeait la pomme de terre à s' y méprendre. Mme S aurait pu avoir chez elle un millier de foustanelles: elle n'en avait invité que deux ou trois. De ce nombre était le grand maréchal du palais, ce petit homme exotique dont le visage est coloré comme une tuile, et je crois même un peu tatoué. Les femmes étaient presque toutes serrées dans des robes de Mme Dessales, la couturière de la place Vendôme, qui fournit tout l' orient. Trois ou quatre hydriotes montraient leur poitrine tombant en cascades dans leur chemise, suivant la mode du pays. Il manquait à la fête la présence du roi et de la reine, mais on ne s' en plaignait point; leurs majestés traînent partout avec elles le cérémonial de l'Allemagne, et la gaieté fuit par une porte en les voyant entrer par l' autre. Depuis la révolution de 1843, la cour a cessé d'aller en ville. Une seule fois j'ai vu le roi accepter une invitation: c'était à la campagne, chez le ministre de Bavière. Le bal fut très-joli : on dansait en plein air. Mais on ne s'égaya qu'après le souper, lorsque l'esprit d'égalité eut coulé dans tous les verres. On vit alors le ministre de la marine se promener devant ses souverains, le chapeau sur la tête; et l'on entendit le colonel Touret insinuer hautement au ministre de la guerre qu'il était un galopin. Retournons vite au bal de Mme S.
Dès l'arrivée de l'orchestre, il se répandit dans le salon un vague parfum d'ail qui se précisa de plus en plus. C'est une odeur locale qui se retrouve dans presque tous les bals. On pense, dans le pays, que sans un peu d' ail les bals sont fades comme les gigots.
Je n' ai jamais vu de peuple qui dansât avec plus de furie que la bonne société grecque. Il est vrai que je n'ai pas voyagé en Espagne. Les femmes surtout sont infatigables. Si vous vous arrêtez un instant pour laisser respirer votre danseuse, vite un autre cavalier vient vous demander la permission de faire un tour avec elle, comme si c'était vous qui eussiez besoin de repos.
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Après le souper, on s' est remis à danser plus vivement
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Un des officiers les plus brillants d' Athènes, et celui qui, malgré une laideur exemplaire, compte le plus de bonnes fortunes, dansait avec une très-jolie personne, lorsqu' un maladroit marcha sur le pied de sa danseuse, qui se plaignit vivement. "Est-ce que vous avez des cors, madame? Dit poliment ce cavalier accompli. Et, tandis que la dame (une très-grande dame, s'il vous plaît) ne savait si elle devait se moquer ou se fâcher, l'aimable officier se mit à lui conter qu'il en avait beaucoup de ces maudits cors, et dans ce coin-ci, et sur ce doigt-là, et qu'il était forcé de fendre ses souliers lorsqu'ils n'étaient pas très-larges.
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p. 698-701; [typed]
Un bal à la cour royale, Athènes, 1852-1853
Le roi, la reine et la cour
Un bal à la cour. Les uniformes diplomatiques. Le grand cercle. La danse, les rafraîchissements et les bouquets
Tout étranger qui se lave les mains et qui a une lettre de recommandation pour son ambassadeur peut espérer, s’il vient à Athènes pendant l’hiver, qu’un valet de la cour lui apportera un billet conçu en ces termes: "Le grand maître du palais a l’honneur d’inviter, AU NOM DE SA MAJESTÉ LE ROI, Monsieur X au bal du … On se réunira à huit heures trois quarts."
La lettre d’invitation ne fait pas mention du costume. L’habit noir est admis à ces bals, avec ou sans décorations; mais la cour adore les uniformes, et tout étranger qui se respecte doit se munir d’un habit brodé. Un Français qui voulait être présenté déclara d’avance qu’il avait un uniforme. Le jour de la présentation, il vint en habit noir, alléguant que l’habit noir était l’uniforme des bourgeois de Paris. Peu s’en fallut qu’il ne fût mis à la porte.
Les officiers grecs endossent leur habit d’ordonnance; le ministre de France, son secrétaire et ses attachés revêtent leur joli frac sobrement brodé de guirlandes d’or; l’École française met son habit brodé de soie violette et d’or; le ministre de Bavière s’enferme dans un grand habit rouge à plastron jaune, enrichi d’une paire d’épaulettes de colonel; le ministre de Prusse se boutonne dans un frac bleu, tout brillant de passementeries; le ministre d’Angleterre se coiffe d’un tricorne qui ferait recette au théâtre de Luxembourg; le chargé d’affaires de Russie, qui est d’ordinaire un des cent soixante-six chambellans de son empereur, se claquemure dans une carapace d’or qui le fait ressembler à une tortue californienne; les consuls de toutes nations, sans excepter le consul du pape, qui s’habille en écrevisse cuite, arrivent dans tous leurs atours : chacun revêt les ordres dont il est décoré et se met en marche vers le palais. Les uns montent en carrosse, les autres font venir un fiacre; les plus modestes viennent à pied, précédés d’un domestique qui porte une lanterne.
C’est le bon Pétros qui nous accompagnait d’ordinaire dans ces circonstances, et, chaque fois que nous avions la témérité de le faire aller à pied, il trouvait moyen de nous conduire à travers une flaque d’eau, n’y en eût-il qu’une dans toute la ville.
Tous les fonctionnaires grecs, excepté les gardes champêtres, sont invités aux grands bals de la cour; tous les chevaliers de l’ordre du Sauveur y viennent de plein droit. Les petits bals sont plus intimes: on n’y invite que le corps diplomatique, les hauts fonctionnaires et les personnes qu’on a du plaisir à recevoir. Pour les grands bals, les invitations sont souvent collectives; pour les petits, elles sont toujours individuelles. Mais je ne veux parler que des grands bals qui se donnent dans les appartements de réception, et qui ont le caractère le plus marqué. Les petits bals ont lieu dans l’appartement de la reine et ressemblent à tous les bals du monde.
À neuf heures moins cinq minutes, tout le monde est arrivé, excepté la cour. Le salon de danse est divisé en deux parties: à gauche s’étendent trois rangs de fauteuils destinés aux dames; les fauteuils mâles sont en face. La séparation des sexes est le fondement de la paix politique. En avant des fauteuils des dames se dressent deux grandes machines destinées à contenir la personne du roi et de la reine. A la suite de ces deux trônes, on a placé une douzaine de sièges pour les femmes des ministres étrangers et pour le Grecques de distinction.
À neuf heures précises, le grand maître du palais et la grande maîtresse, les aides de camp, les officiers d’ordonnance et les dames d’honneur entrent à pas comptés. Enfin le roi paraît. Il porte quelquefois le costume de ses officiers de cavalerie, et plus souvent l’habit des soldats irréguliers, gris et argent, de bon goût et très simple. Si sa foustanelle était un peu moins longue, son costume serait à peindre. La reine, un peu trop serrée dans une robe à demi-queue, chef-d’œuvre d’une couturière de Paris, étale des épaules que seraient admirables si elles étaient un peu plus maigres. On forme un grand cercle autour de Leurs Majestés.
Tout le monde, hommes et femmes, se tient debout; ainsi le veut l’étiquette. Le roi parle successivement à tous les membres du corps diplomatique, tandis que la reine s’adresse à leurs femmes. Puis le roi va parler aux dames, tandis que la reine cause avec leurs maris. Ces conversations, comme on peut croire, ne sont ni animées ni variées. Le roi et la reine parlent grec à leurs sujets, allemand à leurs compatriotes, français aux étrangers. On sait que, depuis les traités de 1648, le français est la langue de la diplomatie. Après une demi-heure environ de conversation avec le corps diplomatique, le roi se laisse présenter les nouveaux venus.
Quand toutes les présentations sont terminées, le maréchal du palais, après avoir pris les ordres de la reine, donne le signal de la danse. Le bal commence toujours par une promenade majestueuse, à laquelle la cour et la diplomatie peuvent seules prendre part. Le roi donne la main à une ambassadrice, la reine accepte la main d’un ambassadeur, et toutes les sommités du bal s' avancent à la suite, en se tenant par la main. À chaque tour de salon, les couples se défont et se recomposent. Cet exercice plein de dignité dure un peu moins d’un quart d’heure.
Ces bals de la cour se composent presque exclusivement de valses et de contredanses. On valse a deux temps. La valse à deux temps, je ne sais pourquoi, s’appelle en Grèce la valse allemande. La valse à trois temps est indûment qualifiée de valse française. Je suppose que les Allemands ont abusé de leur influence sur l’esprit du peuple pour nous imputer leur valse à trois temps.
Vers le milieu du bal on donne une polka, une seule. La polka est la danse favorite du roi; mais la reine ne peut pas la souffrir. La schotisch est une curiosité inconnue à la cour. On croit généralement que la rédowa est une cantatrice italienne. On n’a pas encore entendu parler de la varsoviana. Les essais de polka-masurke qui ont été risqués ont assez mal réussi, par la faute de l’orchestre, qui ne voulait pas jouer en mesure. En revanche, on danse toujours une mazurka à grands ramages, avec figures, et l’on termine régulièrement par un interminable cotillon.
La reine fait inviter les danseurs de son choix, mais elle s’arrange de manière à dédommager presque tous les autres en leur accordant un tour de valse ou de mazurka. Le roi a la même attention pour les dames. Lorsque les hasards de la danse le mettent en contact avec un étranger, il s’efforce de lui dire un mot aimable. Après chaque valse ou chaque quadrille, le cercle se reforme autour de Leurs Majestés, qui s’avancent tantôt vers une personne, tantôt vers une autre, pour lui dire ce qu’elles peuvent. À la fin du bal, on recommence le grand cercle diplomatique.
Les bals se terminent à trois heures du matin; ils durent donc six heures, dont deux au moins se passent en conversation. L’éclairage de la salle de danse est très brillant; les rafraîchissements le sont beaucoup moins. Les gâteaux qu’on fait passer sont presque tous des pains d’épice déguisés. On se bat à la fin pour avoir du bouillon. Ceux qui ne dansent pas vont jouer dans un salon voisin: ceux qui n’aiment ni la danse ni le jeu descendent à l’étage inférieur pour y fumer; mais les fumeurs, en rentrant, doivent se tenir loin de la reine. Des dames qui veulent rester bien en cour viennent au bal sans bouquet: la reine déteste l’odeur des fleurs, et surtout elle craint que les bouquets qu’on apporte dans son salon n’aient été cueillis dans son jardin, ce qui est vrai le plus souvent.
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p. 701-705
Kérésova, Arcadie, Grèce, 1852-1853
Le même soir, après une longue promenade sur les bords du Ladon, nos agoyates nous conduisirent au village de Kerésova. Tandis que nos chevaux grimpaient de leur mieux le sentier escarpé qui y mène, Garnier crut entendre par intervalles les sons de ce tambourin qui est en possession de faire danser le peuple Grec.
Comme nous avions la tête enveloppée de nos mouchoirs, dans la crainte des coups de soleil, nous n’osions pas trop nous fier à nos oreilles; mais bientôt nous entendîmes distinctement le son du flageolet. Il n’en fallait pas douter: on dansait à Kerésova. Pourquoi dansait-on? Un homme endimanché nous l’apprit: on célébrait la Saint-Nicolas, une grande fête dans la religion grecque.
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Tandis que nous buvions tour à tour à la même coupe, la rue se mit à passer à travers notre chambre: hommes, femmes, enfants, accouraient pour nous considérer. Un jeune indigène, qui avait voyagé, comme Ulysse, dans la Méditerranée, et qui savait un peu d’italien, accourut engager la conversation avec nous; et tous ses amis de se grouper alentour, d’écouter sans comprendre, d’ouvrir de grands yeux et de grandes oreilles. Nous étouffions. Le marin nous parla d’aller voir la danse, et nous ne nous fîmes point prier: il nous délivrait.
Nous eûmes bientôt grimpé jusqu’au haut du village. La plate-forme où l’on dansait pouvait contenir cinq cents personnes: il y en avait mille, Dieu sait à quel prix! Au milieu était la danse, les spectateurs alentour. Mais à chaque instant un spectateur allait se joindre aux acteurs, un acteur rentrait dans foule des regardants.
Pour se bien représenter ces danses des Grecs, il faut oublier complétement ce qu’on a vu dans les autres pays. En France et partout, on danse par couples: un homme engage une femme, elle accepte, et les voilà pour quelques minutes, souvent pour quelques heures, compagnons et associés de plaisir. On cause ensemble, on se donne le bras, on s’assied côte à côte, et dans la valse, l’homme et la femme, étroitement enlacés, s’enivrent de musique, de mouvement, et surtout s'enivrent l’un de l’autre. C’est ce qui fait que quelques moralistes sévères grondent contre la danse; qu’on ne mène les filles au bal que lorsqu’on songe à les marier, et que les mamans de province défendent la valse à leurs demoiselles.
A Kerésova, M. Alphonse Karr lui-même avouerait que le bal est un plaisir innocent. Cette danse des Grecs, qui est la même dans tout le pays, quoique les femmes n’y soient pas admises partout, est un divertissement pris en commun, et non pas deux à deux. Pierre ne danse pas avec Marguerite: tout le village danse avec tout le village. Quinze ou vingt hommes se tiennent par la main ; autant de femmes, attachées de la même manière, viennent à la suite; puis les petites filles, les petits garçons, tous les enfants en âge de se dresser sur leurs jambes, forment la queue de ce long serpent qui tourne sans cesse sur lui-même sans jamais se rejoindre.
Au milieu du cercle était la musique, composée d’un tambourin à la voix sourde et de trois de ces flagolets qui imitent la forme d’une clarinette et le son d’une scie qui coupe le fer. Leur tapage organisé, à la fois criard et monotone, ne ressemble à rien de connu, si ce n’est peut-être à cette musique antimusicale que les Chinois chantent avec le nez en s’accompagnant sur trois fils de cuivre. Au son de ces quatre instruments, la foule se mouvait en cadence, gravement, lentement, posant un pied, puis l’autre, portant le corps en avant et le reportant en arrière. Un seul danseur s’agite pour tous: c’est celui qui conduit le choeur. A chaque instant, il saute en l’air, il tourne sur lui-même, il fait des ronds de bras, des ronds de jambes, des ronds de tout ; il lance en l’air son mouchoir et son bonnet rouge, et ne s’arrête que lorsqu’il n’en peut plus. Quand il sent que les forces lui manquent, il fait un signe, et dans l’instant il est remplacé. En général, ces fins danseurs sont nu-pieds pour être plus agiles. On voyait auprès des musiciens une belle collection de souliers: c’est le bureau des chaussures, placé sous la garde de la bonne foi publique.
Sur un côté de la place, une quarantaine de femmes étaient assises par terre, et faisaient non pas tapisserie, puisqu’elles étaient libres de danser, mais galerie. Elles n’attendaient pas qu’on les vînt inviter, pouvant fort bien s’inviter elles-mêmes. Et l’on ose dire que la femme est sacrifiée en Orient ! En France, dans le pays qu’on appelle le paradis des femmes, qu’une fille soit jeune, spirituelle, jolie, reine du bal, elle restera dans son coin, si par hasard l’envie de l’inviter ne prend à personne. Ni sa jeunesse, ni sa beauté, ni son esprit ne pourront l’introduire dans un méchant quadrille, où le plus sot cavalier peut la faire entrer. A Kerésova, le sexe faible jouit du plus beau de ses droits, du droit de danser quand il lui plaît. Il est vrai que le lendemain il travaille à la terre, et nos Françaises trouveront peut-être qu’il est moins dur d’attendre un danseur que de pousser une charrue. Vous pensez bien que, grâce à cette liberté illimitée, les femmes de quarante ans passés ne manquaient pas dans la danse, non plus que les hommes d’âge mûr. N’avait-on pas autrefois les choeurs de vieillards ? Le papas assistait à la fête et l’autorisait par sa présence: il regardait danser sa femme et ses enfants; cependant il ne dansait pas. Sans doute quelque vieille foudre de l’Église de Constantinople défend à ces révérends pères de famille les plaisirs enivrants du bal. Mais je garantis que le brave homme aurait pu danser dans la foule sans danger pour lui-même ni pour les autres: il n’eût ni risqué le salut de son âme, ni compromis la dignité de sa longue barbe. Le maître d’école, autre personnage grave, se contentait également du rôle de spectateur. Dès notre arrivée à la danse, l’un et l’autre étaient venus se mettre à notre service.
A notre arrivée, la danse fut un moment interrompue, ce qui ne faisait pas notre compte ; mais la curiosité publique une fois satisfaite, la musique reprit son train et les anneaux du serpent se renouèrent en un clin d’oeil. Aucun des détails de la danse ne pouvait nous échapper : cinq ou six jeunes gens, animés d’un empressement hospitalier, écartaient la foule et empêchaient à coups de poing que personne ne se mît entre le spectacle et nous.
Au bout d’un quart d’heure, la musique s’arrêta pour se recommander à la générosité des danseurs. Il était visible que cette interruption n’était qu’une lettre de change tirée sur nos seigneuries. On nous présenta le tambourin, où une dizaine de centimes se poursuivaient sans s’atteindre. Faute de menue monnaie, nous y déposâmes majestueusement un zwantzig, c’est-à-dire environ 75 centimes de France, et notre grandeur d’âme inspira autant d’admiration au public que de reconnaissance à l’orchestre ; car un instant après, les trois flageolets et le tambourin vinrent s’établir en face de nous et nous régaler d’un concert à bout portant dont les oreilles me tintent encore. Nous eûmes beaucoup de peine à les faire taire, ou de moins à les rendre à la danse.
Le soleil allait se coucher ; la fête touchait à sa fin : elle avait duré plus de douze heures.
C’était un spectacle vraiment curieux que cette danse à son paroxysme. Les rangs n’étaient pas rompus, chacun gardait sa place; la musique ne précipitait pas la mesure, si toutefois il y avait une mesure, mais chacun, prévoyant la fin du plaisir, sautait aussi haut qu’il pouvait. Or, les femmes grecques (je n’ai pas dit les dames) ne portent jamais de corset, quoiqu’elles en aient besoin plus que personne. Il y avait dans cette foule bon nombre de nourrices au corsage exagéré qui riaient du haut de leur tête en voyant osciller librement toutes leurs richesses maternelles. Mais ces mères de famille, rudement ballottées par la danse, ne servaient qu’à mieux faire valoir deux ou trois jeunes filles à l’oeil calme, au visage sévère, qui pouvaient bondir impunément sans troubler l’harmonie de leurs lignes sculpturales.
Ce qui nous frappait le plus dans cette fête, c’est que, malgré l’ivresse de plaisir dont tout le monde était possédé, et quoique le village entier parût avoir perdu la tête, on ne remarquait ni violences, ni querelles, ni rien qui s’écartât de la plus stricte convenance. Quoique le Français ne soit point brutal par nature, nos fêtes champêtres ne vont pas sans quelques vivacités, voire sans quelques coups de poing échangés fraternellement au plus fort du plaisir. Et notre gaieté est tellement sujette à caution, qu’il est prudent de la faire surveiller par un gendarme. Rien, au contraire, n’est plus doux, plus honnête et plus bienveillant que la gaieté des paysans grecs. Le mérite en revient à leur bon naturel, mais surtout à leur sobriété. Nous ne voyions autour de la danse aucun de ces colporteurs de liqueurs frelatées qui empoisonnent toutes nos fêtes publiques. Lorsqu’un danseur avait soif, il allait boire à la fontaine; et, le soleil couché, chacun s’en retourna souper chez soi avec sa femme et ses enfants.
Eusèbe de Sale
Sale, Eusèbe de: Pérégrinations en Orient ou voyage... en Egypte, Nubie, Syrie, Turquie, Grèce pendant les années 1837-38-39. Paris, Pagnerre & Curmer, 1840.
p. 2/204-206
Bal de la cour, Athènes, Grèce, 1839?
A neuf heures et un quart, conformément au billet de M. le grand-maître, ma voiture me déposait au palais de la rotonde. Une société nombreuse y était réunie ; les dames en moindre proportion que les hommes. Ceux-ci, curieux surtout par la variété excessive des costumes, variété nationale et bigarrure diplomatique : une bonne moitié des Grecs présents étaient en fustanel. La plupart des femmes en accoutrement grec de toutes les îles et de toutes les provinces du continent. On y remarquait le deux demoiselles Botzaris dont l'aînée, dame d'honneur de la reine, passe pour une beauté. En la regardant attentivement, on comprenait bientôt que cette célébrité était plutôt celle du nom de son père. Elle a une face moutonnée, des joues énormes, de petits yeux, pas de taille, une tournure commune, et la coiffure hideuse des Albanaises, un tarbouch démesurément long suspendu sue une oreille. Encore passe, si on avait fendu ce bonnet rouge pour l'enforcer sur la tête comme le bonnet phrygien de Paris. Parmi les personnages marquants revêtus du fustanel, j'ai retrouvé plusieurs démarques déjà aperçus chez M. de Lagrenée, et quelques vieux chefs de l'insurrection grecque, les Colocotroni, les Mavromichaely, titrés de généraux et décorés du grand cordon du Sauveur, sous leurs grosses et blanches moustaches turques. Le roi et la reine arrivèrent vers neuf heures et demie, et tirent quelques mots de conversation avec la diplomatie, en commençant par la Russie, puis l'Angletterre, puis la France, la Bavière, etc. Cette hiérarchie est celle des titres avec lesquels les représentants sont accrédités : la Russie a un envoyé extraordinaire, l'Angletterre un ministre plénipotentiaire, la France un ministre résidant.
La musique donna le signal de la danse, et l'on commença par une promenade diplomatique, elle aussi, car les représentants sexagénaires, chauves, gris, ventrus, goutteux, firent quelques tours en donnant le bras à la reine, aux dames d'honneur et aux ambassadrices. On marchait majestueusement autour da la rotonde : cela s'appelle la polonaise des ambassadeurs. La valse, la contredanse, la mazourke eurent leur tour. Le roi et la reine ne perdirent pas un coup d'archet : l'etiquette le veut ainsi ; leur goût paraît, d'ailleurs, conforme à l'étiquette, les Allemands raffolent de la danse.
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p. 2/219-220
Derviches tourneurs, Péra, Constantinople, Turquie, 1839?
Nous sommes aussi voisins des derviches tourneurs qui ont dans leur cimetière la tombe du pacha Bonneval. Les exercices des ces religieux ont rappelé à quelques érudits la danse des Corybantes, avec accompagnement de timbales, de crotales et de flûtes. La Phrygie leur en a semblé la commune patrie ((Phrygias turrïta per urbes. Virg.)) Pourtant au Qaire, où ces zikr sont plus communs et aussi habiles, les supérieurs de la corporation sont toujours des Chaldéens et même des Persans. Le mysticisme musulman s'est surtout développé au-delà du Tigre, comme s'il y avait reçu l'influence des anciens mythes parses et indous ! Deux officiers de l'escadre Lalande, après avoir assisté à la valse sacrée, sont venus nous prendre pour aller aux eaux douces.
Marchebeus
83-84
Nauplie, Grèce, 1833
Nous retournâmes à Nauplie, et nous remarquâmes, en passant, la campagne du sombre et ombrageux Colocotroni que l'on y voyait chaque jour cultiver ses champs. Lorsque nous rentrâmes dans la ville, le 12 mai, le prince de Bavière, frère ainé du roi Othon, venait d'y arriver. La capitale était illuminée, et la régence offrait un grand bal à l'auguste voyageur. Par ordre du roi, les femmes n'y devaient être admises qu'en costume national. Car, ici, comme à Athènes, comme à Smyrne, et bientôt à Stamboul, les robes légères et les coiffures des Franques sont déjà établies en souveraines. Les hommes seuls portent avec orgeuil la fustanelle, les guêtres, la ceinture et le yatagan de leurs pères. Ils n'ont pas tous encore échangé le riche costume des intrépides Palycares pour la grotesque redingote dans laquelle on les voit quelquefois emballés.
Le 16 mai, veille de notre départ, la ville donna aussi son bal au roi et au prince son frère. Les voyageurs de François 1er y furent invités. Nous avions dîné, ce jour-là, avec le commandant de la station française, chez M. le baron Rouan, le seul de nos représentans, je le dis à regret, qui se soit acquis en Orient, par son caractère et ses soins empressés, la gratitude et l'estime de ses compatriotes et de tous ceux qui l'ont connu.
Le soir, son secrétaire nous accompagna au bal où se trouvaient réunies toutes les nouvelles illustrations de la Grèce qu'il nous présenta. Cette belle figure que vous remarquez près du roi c'est, nous dit-il, l'amiral Miaoulis, marin illustre de l'île d'Hydra; à côté de lui vous voyez Mavrocordatos et Metaxa le bel esprit. Cet autre de petite taille, c'est l'intrépide Canaris, surnommé le Brûlotier. Voici Makriani et le sombre et remuant Colocotroni. Ce grand maigre et basané, c'est Nikitas, surnommé le Turcophage; c'est lui qui disait aux siens : Je suis pauvre, je n'ai qu'une épée, elle est à mon pays. Le brave général Coletti est près de lui. Je ne connais pas de plus noble tête. Son voisin est Petrombey, jadis l'un des plus riches habitans de l'ancienne Sparte et l'un des citoyens les plus dévoués à la patrie. Cette belle Grecque assise, c'est la femme de Kalergi ; près d'elle, vous voyez les fils et la veuve de Botzaris, l'héroique victime de Missolonghi. Du reste, ajouta notre obligeant cicérone, toute la salle regorge d'envieux, de solliciteurs et de courtisans. Voilà, je le crains, les élémens qui vont entrer dans l'avenir et la civilisation de la Grèce.
Le bal fut très gai et ne finit qu'à quatre heures. Le roi Othon se montra fort empressé près de nous. Il semblait heureux de nous faire les honneurs de son nouveau royaume, et pendant tout notre séjour en Grèce sa bienveillance ne cessa pas un instant de nous être utile. Je crois remplir un devoir de convenance, en témoignant ici à sa majesté toute notre gratitude. Cette réunion offrait, surtout à des étrangers, un véritable intérêt. La ronde nationale, dite la Romaika, dansée par les capitaines de Palicares, n'est autre chose que la danse antique, si souvent reproduite dans les étrusques et dans les peintures de Pompéia. La valse et la contredanse se disputaient une foule de jolies femmes, parmi lesquelles nous remarquâmes surtout mesdemoiselles d'Armansperg.
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p. 126
Smyrne, Turquie, 1833
Les murailles sont tapissées quelquefois de plantes grimpantes qui croissent dans des vases méthodiquement disposés pour toute la saison ; il est aussi d'usage, en plusieurs maisons, de suspendre des balançoires dans les galeries et le jardin pour s'éventer, et donner aux femmes l'exercice dont elles sont privées par le régime claustral.
A deux heures, ells font la sieste, après quoi elles vont au bain se parfumer et se peindre les ongles en rouge et les sourcils en noir. Ensuite elles se parsèment la figure et les épaules de paillettes d'or, et reviennent manger des confitures, des pâtisseries et des sorbets. Quelquefois, pour les distraire, on leur envoie des danseuses, almées du pays, mais rarement : on craint les indiscrétions.
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157-158
Constantinople, Turquie, 1833
Cette digression utile m'a sans doute un peu éloigné de notre promenade. La journée était belle et le vent nous favorisait pour remonter avec notre barque les rapides courans du Bosphore jusqu'à l'embouchure des eaux douces d'Asie, où le Grand-Seigneur a un pavillon d'agrément. C'est là que se réunit, après la prière, la haute société turque et arménienne. Il est fâcheux que la vallée et la praierie soient trop étroites; elles auraient besoin d'être développées pour ouvrir une vaste carrière aux jeux et aux courses des promeneurs. Sous ce rapport, les eaux douces d'Europe ont un plus bel emplacement. Le dimanche, ces eaux sont le rendez-vous des familles arméniennes et grecques les plus distinguées de Constantinople. Un repas frugal au bord de la rivière, des courses, des danses à l'ombre des platanes, de la musique et de la joie, tels sont les charmes de ces parties de campagne, qui valent bien, à coup sûr, les pastorales excursions des bourgeois de Paris dans les forêts de Saint-Germain ou de Versailles. Quelquefois les jeunes filles accompagnent l'orchestre de leurs voix plus ou moins harmonieuses, et c'est plaisir de les voir livrer avec abandon aux regards indiscrets des étrangers, toutes les graces de leurs figures, et toute l'élégance de leur joli corsage.
Dalvimart
pl. 46
Planche quarante-sixième. Un Derwisch
Les Derwischs, (voyez Planche Vingt-quatrième) sont divisés en trente-deux societés ; et les règles et pratiques des Derwisches Mewlewys peut-être sont plus curieuses que la pluspart des sectes. Le fondateur de cette societé etoit appellé Djelal-ud-dinn Mewlana. Les Mewlewys se distinguent par la singularité de leur danse, qui n’a rien de commun avec celle des autres sociétés. Ces Derwischs ont aussi des prieres et de pratiques qui leur sont particulieres. Chez eux les exercises publics ne se font ordinairement que par neuf, onze, ou treize individus. Ils commencent par former un cercle et chantent avec leur chef le premier chapitre du Koran. Ils recitent alors deux prieres, auxquels succede la danse des Derwischs. Quittant leur place tous à la fois, ils se rangent à la gauche du supérieur, et s’avancent vers lui à pas lents. Le premier des Derwischs, arrivé presque en face du Scheik, fait une salutation, et lui passent, commence la danse : elle consiste a tourner rapidement sur le pied droit avec les bras ouverts.
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Dalvimart
pl. 29
Planche vinght-neuvième. Une danseuse à Constantinople
Quoique la musique et la danse sont proscrites par les lois de la religion Mussulmanne, ces amusements sont néanmoins tolerées par le gouvernement. Les danseuses, qui pour la plupart sont des filles esclaves, ou les femmes des musiciens Mahometans, ne paroissent presque jamais dans les lieux publics. Elles se rendent dans les maisons particulieres, où elles dansent, comme les hommes, seules, ou deux à deux. Vetues assez lestement, la tête toujours demi couverte d’un voile, des castagnettes a la main, et les yeux tantôt languissans, tantôt etincelans, elles se livrent aux attitudes les plus voluptueuses et les plus libres.
Dans les harems des grands, comme dans celui du serail, il y a toujours un certain nombre de jeunes esclaves exercées à la danse, pour amuser les dames ainsi que leurs maitres. On remarquera que ces divertissemens n’ont jamais rien de bruyant ni de tumultueux. Ils sont encore retenus par les lois de la police, toujours vigilante et sevère sur cet article. Aussi personne n’oseroit donner chez lui une fête avec de la musique, et des danses, sans la permission expresse des magistrats.
Motraye
Voyages 194
Scio, Grèce
La campagne de Scio, comme on peut le présumer par ce que j’ai déja dit de sa fertilité, est agréablement diversifiée de Cotoniers, d’Oliviers, de Meuriers &c, sur tout de ces derniers qu’on employe si utilement à la nouriture des vers à soye. Ces insectes en produisent une grande quantité, qui est assez bonne. On en manufacture la meilleure partie dans l’Isle, comme je l’ai déja dit, & l’autre se vend crue aux Etrangers. On voit encore avec plaisir ça & là de grands jardins remplis de Citronniers, d’Orangers &c, qui accompagnent les Maisons de campagne ou les Metairies, sur tout aux environs, ou au moins à une petite distance de la Ville. Ces Metairies, qu’on nomme Birgos, sont comme autant de petits Forts, ou de Tours quarrées faites de pierre. Il n’y a point d’endroit dans toute la Turquie où les Turcs soient en aussi grande societé avec les Chrétiens que dans cette Isle. Les Grecs, à ce qu’ils m’ont dit eux-mêmes, y ont onze cents Chapelles, & diverses bonnes Eglises. Ils ont conservé la liberté de sonner les cloches, comme du temps que les Venitiens en étoient les Maîtres. Ils y jouissent d’ailleurs de toute la liberté qu’ils peuvent raisonnablement souhaiter, tant dans le spirituel que dans le temporel. Les hommes & les femmes de cette Nation sont là d’un enjouement & d’une gayeté extraordinaire. Ils passent non seulement toutes les après-dinées des Dimanches & des Fêtes, mais même les nuits qui suivent ces jours-là, à dancer & à chanter. Souvent même ces divertissements commencent la veille: ils dancent en chaîne, comme le représentent les figures des planches XIII & XXVI. Ils chantent à gorge déployée, & le vin n’y est pas épargné de sorte qu’ils justifient de Proverbe Latin des Anciens, Risus Chius, le ris & la gayetè de Scio. Voici l’explication de la Planche XIII. La figure 1 est une femme habillée à la manière des Greques de Smirne: elle mene la danse. 2. Une femme de Pathmos. 3. Une de Scio. 4. & 6. qui est la même representée par devant & par derriere, une femme de Bulgarie dont je parlerai en son lieu. 5. Une de Tino; & des autres Isles voisines. 7. Une petite fille vetue à la Smirnienne. Quant à la Planche XXVI, elle représente une nopce Grecque ou Armeniènne, dont je parlerai aussi en son lieu, & la figure 4 est une Greque Constaninopolitaine ou de quelque autre Ville Turque.
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Voyages 195
Chios (Scio), Grèce
La liberté qui regne à Scio est la même par toute le Turquie, quoiqu’il n’y ait point d’endroit où l’on en fasse un plus grand usage qu’en cette Isle, à cause de la gayeté extraordinaire & naturelle de ses Habitans ; à quoy peut contribuer l’abondance du bon vin & la beauté du climat. Les rejouissances les plus solemnelles des Grecs en géneral se font pendant les fêtes de la semaine de Pâques : la Porte leur accorde en ce temps-là par un Haticheriph exprès la permission de boire du vin, même au milieu des carefours ou autres places publiques, de s’y enivrer, de danser, & de chanter dans toutes les rues des Villes, & des fauxbourgs, comme ils avoient coutumé de le faire avant la ruine de leur Empire. On entend alors jusques bien avant dans la nuit un bruit d’instrumens mêlé de voix, ou plutôt de hurlemens tels que des gens yvres, peuvent en pousser.
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Voyages 214
Lamentations des femmes juives, Turquie
Pour ce qui est des femmes Juifves, elles font aux enterremens des mouvemens qui ont assez l’air des danses. Mais elles ne font pas moins de bruit que les premieres, & paroissent moins pleurer que gronder. On les entend crier à un Corps mort de leur Sexe, si c’est une femme mariée ; Pourquoi mourois-tu? N’avois-tu pas un mari qui t’aimoit, qui te donnoit de beaux habits, des bijoux? &c. Si c’est une fille, N’avois-tu pas des charmes pour te faire aimer, des Parens qui te cherissoient & te fournissoient tout ce dont tu avois besoin, & qui te preparoient une bonne dote? &c. Si c’est un homme marié, elles lui crient, N’avois-tu pas une femme fidelle qui t’aimoit uniquement? N’avois-tu pas toûjours une longue pipe, avec du meilleur Tabac, qu’elle t’allumoit elle-même? A chaque question, elles répetent, hé pourquoi mourois-tu, tu, tu, tu?
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Voyages 336
Harems, Turquie
Pendant la ceremonie que j’ai raportée dans le Chapitre precedent, le Sultan deposé & les autres Princes du sang furent conduits dans leurs appartemens du Serail, aussi bien que le Harem ou les Odalicks du nouveau Sultan dans les leurs. Je dis le Harem du nouveau Sultan, car quoiqu’il n’eut pas même la liberté d’avoir une seule fille, avant que d’être proclamé Empereur, cela n’étant permis à aucun des Heriters des Sultans, ou Empereurs déposez, on m’assura qu’avant que de quitter Andrinople, il en avoit déja plus de cent, dont on lui avoit fait present, & qui étoient toutes jeunes & pucelles. Ces presens viennent des personnes qui aspirent à quelque emploi, ou à être confirmées dans les leurs. Ce sont ordinairement des Circaffiennes, comme les plus belles qu’on puisse acheter ; je dis acheter, car les Sultanes doivent toujours être esclaves achetées, soit Payennes ou Chretiennes. Le Sultan les fait Sultannes en les honorant de ses embrassemens. Ses Sujettes ne peuvent l’être selon la Loi, & il ne reçoit en mariage les filles d’aucun Prince Mahometan, fût-il Empereur, comme il ne donne les siennes à aucun de ce rang. On m’a dit pourtant à l’égard de ses Sujettes, qu’il y a quelques Turcs plus ambitieux que riches, qui aïant de tres belles filles, leur font aprendre à danser, à chanter, en un mot à plaire, & les confient à des marchands d’esclaves qui les vendent pour le lit de Sa Hautesse; mais cela doit être bien secret, & seroit puni s’il étoit decouvert, comme une infraction de la Loi, qui defend de vendre aucune personne, née Sujette du Grand Seigneur, de quelque Religion qu’elle soit, sur tout de la Mohametane. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le Sultan qui viole la loi en cas-là ; ce sont les parents de la fille qui sont les infracteurs.
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Voyages 337
Harem, Turquie
Un Pacha qui a dessein d'aller à son Harem après diner, ou après souper, s'envoye annoncer par un Eunuque à ses concubines. Celles-ci cherchant à lui plaire selon leur éducation, s'habillent, composent leur visage, & leurs yeux le plus avantageusement qu'il leur est possible, se rangent en la posture des deux figures 10, 10. Il passe entre hayes, jette le mouchoir, s’il veut, à celle qui remporte ce jour-là le prix de la beauté dans son coeur, ou lui fait quelque autre signal. Alors elle va s’asseoir auprès de lui à 1 ; le caresse selon son devoir, l’appelle son Empereur, & lui dit toutes les douceurs ordinaires, & extraordinaires dont elle s’avise. L’éducation, comme j’ai deja dit ailleurs, enseigne au sexe en Turquie à caresser les hommes, & c’est la mode là, comme le contraire chez nous, au moins entre les honnêtes femmes. Si c’est en Eté, la revue amoureuse se fait dans une salle telle que celle de mon plan, qui représente fort fidelement l’interieur de ces sortes de bâtiments Turcs. Une des Odaliques prend un éventail de plumes fait comme celui de la Planche XVI. No 9. Tom. II. & les évente comme fait la Figure, 3 de la Planche XXII. Les fenêtres sont ouvertes, & des Eunuques y font la garde dans le jardin. Si pour échauffer sa passion, il ordonne aux autres de chanter, & de jouer des instrumens, elles se postent pour la faire comme les figures 5, 5, 5. S’il veut qu’elles dansent, elles s’en acquitent d’une maniere fort lubrique comme, 4, & les chansons des premieres y repondent. D’autres se tiennent debout, comme 10, prêtes à recevoir des ordres de celle à qui une d’elles en pourra donner le jour suivant dans une pareille rencontre. Car elles sont toutes égales, sinon en jeunesse, & en beauté, au moins en autorité ; mais elles doivent servir celle que leur maître choisit, comme celle-ci doit servir à son tour les autres. A un signal qu’elle donne, l’Eunuque 7, apporte le caffe, les confitures, & les parfums qu’il remet à 8, pour être presentez à 1, 2. Cela fait, le Pacha voulant être seul avec sa Maitresse, frappe doucement d’une main dans l’autre, & les Eunuques 6, 7, & tous les autres qui sont dans les avenues, donnent un second signal de retraite en sifflant comme des serpens, sur quoi toute la compagnie chantante & dansante disparoît comme un éclair: cependant les Eunuques font toujours la garde autour de l’appartement, & aux portes. Quant à ces Odaliques, les enfants qui en proviennent sont censez aussi legitimes que ceux des femmes le plus solemnellement épousées. Elles sont fort bien habillées, & fort bien entretenues: on ne les oblige point à changer de religion, si elles en ont une fixe. Après 9 à 10 ans d’esclavage ou de concubinage, on leur donne la liberté (il en faut excepter celles du Serail), ou on les marie à quelque homme esclave ou Affranchi de leur religion. Les femmes Turques, ou élevées pour les Harems des Turcs, ne sont pas sensibles à cette grande liberté, que celles de l’Europe Chrétienne goutent, comme à nos spectacles, & festins publics, mais elles ne sont malheureuses à cet égard, que dans notre imagination. Leur éducation leur a appris à trouver excellens leurs divertissemens entr’elles, comme leurs chansons, leurs danses, le son de leurs instrumens. Il est difficile de s’imaginer avec quel respect, avec quelle civilité elles se traitent reciproquement dans leur visites.
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Voyages 384
Chios, Grèce
Nous partîmes le lendemain, qui étoit un Samedi, pour aller coucher à une metairie qui n’etoit éloignée de Mamaky-Burgo que d’environ quatorze Milles. Nous étions montez à la Portugaise ou à l’Espagnole, c’est-à-dire, sur des Mules qui sont la monture la plus ordinaire de Scio. Nous admirâmes sur la route une agreable varieté de jardins, de champs couverts de Coton qui étoit en fleurs, de petits bocages d’Orangiers, d’Oliviers, de Meuriers, &c. Nous prîmes notre logement chez le Prêtre du Village où nous fûmes fort bien traitez; & comme les Grecs & les Greques assemblez vers le soir dans le cimetiere, chantans & dansans en cercles comme sur les Planches XIII. & XXV. y formoient une autre agréable varieté ; après souper deux filles du Papa, nous inviterent à aller mêler notre joye à la leur. Mr. Heyman étant, comme j’ai déja dit, vetu à la Turque ou à la Greque, eut la complaisance de s’y rendre avec moi, & nous nous divertîmes avec la compagnie qui s’y trouvoit, & que nous laissames à une heure après minuit, pour nous aller coucher.
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Voyages 393
Je m’informai si une certaine coutume que j’avois oui dire qu’on y pratiquoit, étoit telle qu’elle m’avoit été représentée, à sçavoir, que quand l’Evêque Latin portoit l’Hostie en procession, le jour de la Fête-Dieu, il marchoit sur le ventre des Chrétiens Catholiques, prosternez pour adorer cette Hostie ; & tout le monde m’assura que cela étoit vrai. C’est ainsi que chaque Païs a ses coutumes differentes à l’égard du Spirituel, de même qu’à l’égard du Temporel. Ici on voit des Peuples qui se font un devoir & un merite d’être foulez aux pieds par un Evêque, &c. On en voit comme en Espagne, qui se masquent, qui se dépouillent jusqu’à la ceinture, & qui s’appliquent sur le dos & sur les épaules de grands coups de discipline. On en voit d’autres & dans le même Païs qui, après s’être aussi masquez, dansent & chantent devant celui qui porte l’Hostie, & qui marche, non sur des corps vivants, mais sur les plus beaux tapis étendus par terre, sur les Roses & les Lis, répandus par tout où il passe. Entre les Mahometans mêmes, les Derviches servent Dieu en dansant au son des Flutes douces & des Timbales.
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Voyages 398
Mariage grec, Turquie
Le troisième jour après mon arrivée, je fus invité avec Mr. Holbrook à une noce Grecque. Il faut remarquer qu’il n’y a gueres de difference entre les Ceremonies qui precedent, & qui accompagnent le mariage des Grecs, & celles que l’on fait aux mariages des Armeniens. Ces ceremonies approchent assez du Kebin des Turcs en ce que les hommes ne voyent & ne fréquentent point, non plus qu’eux, les femmes qui leur sont destinées pour épouses, avant que le Prêtre leur ait donné la benediction dans l’Eglise. Voici ces ceremonies.
La mariée demeure assise dans la posture d’une Pagode, comme on le voit representé au N. 1. de la Planche XXV, dans la sale où se fait le festin, ou dans le jardin, lorsque la saison permet que l’on y danse & que l’on y chante, comme on a coutume de faire en ces sortes de cas. Elle ne mange point pendant tout ce temps-là, & ne prend part que par les yeux & les oreilles aux divertissemens des autres. De sa tête pendent des clincants d’or, dont quelques jeunes garçons & filles prennent quelques fils. No. 2. est l’époux; No. 3. est le Compere de mariage; No. 4. est une femme Grecque habillée à la maniere de Constantinople; No. 5. un Grec habillé de même; No. 6. une Moldavienne; No. 7. un Armenien; N. 8. une femme des Isles; No. 9. un Bulgarien qui joue de la Cornemuse; No. 10. un jeune Grec Insulaire qui joue d’une espece de guitare, à la maniere du Païs. Leur danse est une espece de Passe-pied. Je mets ensemble ces differentes sortes de Nations, pour faire remarquer d’autant mieux la difference de leurs habillemens. Quand l’épouse Greque va à l’Eglise, elle est voilée à la Turque, comme les figures qui suivent l’épouse Turque de la Planche XVI. Pour ce qui est de l’épouse Armenienne, on la voile si bien qu’elle ne peut rien voir ; & elle est conduite comme une aveugle, à pas de Tortue, par deux femmes telles que No. 11. Nous fumes bien traitez à cette noce, & nous dansames, à leur maniere, même avec l’épouse, après son indolente seance.
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Voyages 410
Constantinople, Turquie
Peu de jours après, Monsieur de Feriol fut attaqué de l'indisposition à laquelle on a donné le nom de folie, & qui arriva en la maniere suivante. Il avoit invité au village de Belgrade plusieurs Dames, & diverses autres personnes de sa nation, avec quelques-unes de celle de Hollande. Il faisoit extremement chaud quand il monta à cheval avec la plupart des hommes, ce qui étoit neuf à dix heures du matin. Les Dames allerent par eau jusqu’à un village nommé Buyukdery sur le bord de la Mer, & peu éloigné du premier, où elles se rendirent en chariot. Son Excellence traita toute la Compagnie assemblée en cet endroit, avec sa magnificence ordinaire. On fit bonne chere, on dansa, on chanta; en un mot tout se passa fort agreablement.
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Voyages 424
Grecs, Thrace de l'est, Turquie
Je passai la nuit à Heraclée, sans y avoir fait d’autres remarques que celles-ci. J’en partis le 1er de Juillet de bon matin, & gagnai Rodoste, la nuit du 9 au 10. Comme je n’y remarquai aucunes traces d’antiquité, je ne m’y arrêtai que pour changer de cheval. Je traversai ensuite divers villages, où je n’observai rien que de fort ordinaire par raport aux Grecs, que je vis le Samedy & le Dimanche vers le soir assemblez, tant hommes que femmes, dans des cimetieres ou Jardins où ils dansoient en chaînes ou en cercles, comme sur les Planches XIII & XXV. Les habillements des femmes, sont tels que 4, & 6, de la premiere Planche. Elles portent diverses pieces de monoyes attachées sur une estomachere, & sur leurs cheveux tressez, ce qui faisoit un cliquetis assez semblable à celui des grelots ou clochettes attachées aux harnois des chevaux de bât, ou des mulets. Les hommes étoient vetus de la même maniere que 9: ils avoient de grandes cruches pleines de vin au pied de quelques arbres, où ils se rafraichissoient par intervalles, après quoi continuant de chanter sur le même ton que les femmes & filles qui menoient la danse, ils venoient se rejoindre à elles & danser de nouveau.
La veille & le jour de la visitation de la Vierge, après le service, je les vis prendre les mêmes divertissements ; ce qu’ils font aussi les Dimanches & les fêtes jusques bien avant dans la nuit, & même souvent les nuits entieres.
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Voyages 424-425
Grecs, Dardanelles, Turquie
Cette découverte me fit naître l’envie de chercher l’ancienne Cardia, que les anciens Géographes ont placée sur l’Isthme de la Chersonese, & qui a donné son nom au Golfe que les Francs appellent encore Caridia, en y ajoûtant un i. Mes recherches furent peu satisfaisantes, & mes découvertes fort incertaines à cet égard, car premierement je ne trouvai aucun vestige de Ville sur l’Isthme ; mais m’étant avancé sur les bords du Golfe, un peu plus loin vers le Sud-Ouest, je remarquai un petit Village nommé Carusal, habité par des Grecs. C’étoit un Samedi, jour consacré par les Grecs à la Vierge. Les habitans étoient plongez dans la joye. Les uns dansoient & les autres buvoient assis sur l’herbe, selon leur coutume. Le vin plûtôt que la danse y avoit attiré quelques jeunes Turcs, peu scrupuleux observateurs de la Loi Mahometane à cet égard. Dès que ceux-ci m’apperçurent habillé à la Turque, avec un bonnet de Bostangi, comme (q) de la Planche 1, ils me crurent un Bostangi qui venoit pour les épier, & ils prirent la fuite. Mais les Grecs dont je m’approchai, m’entendant parler Grec, & ensuite Turc, virent bien que je n’étois pas ce que j’avois paru, & envoyerent après les fugitifs, qui revinrent fort joyeux, & presque aussi vite qu’ils s’en étoient allez. Ils me donnerent la main en signe d’amitié. La Compagnie tant dansante que buvante me força à faire l’un & l’autre : l’un me presenta deux ou trois rasades fort près l’une de l’autre, & un Grec me prit par la main pour danser. Il n’y eut personne de cette joyeuse Compagnie qui s’allat coucher avant trois heures du matin, excepté un des principaux Grecs du lieu, qui voulut être mon hôte, & moi, à qui il fit faire un bon lit chez lui, où je reposai fort bien.
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Voyages 432
Mariage grec, Turquie
Je fus prié deux jours après d’être compere d’un mariage entre un Pilote Grec, qui m’avoit servi, & une jeune fille de sa Nation. Cette invitation demandoit quelque present, & je leur en fis. Les Noces furent celebrées à la Greque, c’est à dire qu’on mangea bien, qu’on but encore mieux, & qu’on dansa & chanta immediatement après la cérémonie.
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Voyages 462
Modon, Peloponnèse, Grèce
Le vent étant tombé, nous permit à peine de gagner Modon, petite Ville assez forte, autrefois Cepeas, ou Pedafus, une des Villes qu’ Agamemnon offrit, avec sa fille, à Achille. Je descendis à terre, mais je ne trouvai rien dans la Ville qui meritât d’être remarqué, si ce n’est l’inquietude, & le mecontentement des habitans Grecs, qui faisoient des voeux pour retourner sous la domination des Turcs, & qui temoignoient envier le sort des Grecs qui y vivoient encore, en parlant à peu près ainsi au maître de la Tchaique, & à l’Ecrivain que j’avois avec moi : "En payant deux ou trois écus par an de Haratch, ou tout au plus dix par tête, nous faisons ce que nous voulons : nous chantons, nous dansons, nous buvons, nous nous divertissons dans nos maisons avec nos familles, sans craindre qu’ils les viennent troubler.
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Voyages 467
Isle de Psara, Grèce
Comme le vent étoit trop foible, chacun mit la main à l’oeuvre pour remorquer la Tchaique, en se relayant les uns les autres, d’heure en heure, sur le Bateau qui la tiroit hors de ce Port. Enfin la crainte augmentant leur courage & leur vigueur, nous gagnames à force de rames la petite Isle de Psara le 25., jour de Noël, à la pointe du jour. Outre la devotion ordinaire que ce jour exigeoit, les Matelots & l’Equipage voulurent accomplir un voeu qu’ils avoient fait en remorquant, qui étoit de presenter chacun un cierge à la Panagia, s’ils échapoient du danger où ils s’étoient trouvez de tomber entre les mains des Turcs. Après le Service Divin & l’accomplissement de leur voeu, ils passerent le reste de la Fête à manger, boire, chanter, danser &c. à leur ordinaire.
Arvieux
Arvieux, Chevalier d': Mémoires du Chevalier d'Arvieux, envoyé extraordinaire du Roi à la Porte... Paris, 1731.
1/123-125
Smyrne, Turquie, 1657
Les affaires du commerce & mes études des Langues ne m'occupoient pas tellement, que je ne trouvaille encore du tems pour me divertir. Comme je sçavois la musique, & que je touchois assez bien des instrumens, nous nous assemblions presque tous les soirs chez M. Joseph Edoüard fameux Négociant Anglois. Il avoit épousé la fille de l'Ambassadeur à la Porte, & l'avoit amenée à smyrne. Elle étoit jeune & belle, & avoit avec elle quatre Demoiselles, qui ne lui cedoient ni en jeunesse ni en beauté, & qui faisoient soupirer bien des jeunes gens. On la divertissoit tant qu'on pouvait. Il y avoit bal très-souvent, & après le bal des colations magnifiques : on y faisoit des concerts où je tenois ma partie.
Les Dames Grecques y furent invitées, & malgré la repugnance de leurs maris qu’elles sçûrent rendre moins farouches & plus traitables, elles y vinrent, y prirent goût : elles dansoient & faisoient comme les autres, excepté qu’elles eurent de la repugnance au commencement à se laisser baiser. Elles trouverent à la fin qu’elles devoient imiter les Angloises qui ne sont pas chiches de cette legere faveur, & elles s’y accoûtumerent si bien, qu’elles trouvoient mauvais, quand on sembloit les negliger sur cet article, & elles vouloient qu’on les traitât à la Françoise ou à l’Angloise, comme les autres Dames. Peu à peu elles s’accoûtumerent à recevoir des visites chez-elles, & même à permettre qu’on y donnât le bal, chose rare dans ce Païs. Les Turcs qui venoient prendre part à ces divertissemens, & qui s’en scandalisoient dans les commencemens, cesserent de s’en formaliser, & avoüoient que nos manieres de vivre étoient plus raisonnables que les leurs ; mais ils en demeurerent à la simple aprobation de ce qui se faisoit chez les autres, sans vouloir les imiter. Je crois que leurs femmes s’y fussent portées volontiers ; mais leur pragmatique y étoit trop opposée.
Le carnaval de cette année se passa dans les divertissemens ordinaires, dans les bals & dans les festins ; les Consuls tour à tour recevoient chez-eux les compagnies ; on joüoit, on dansoit, on portoit des momons, & on faisoit grand chere. Ce qu’il y avoit de désagréable, c’est que ces Messieurs emprisonnez dans leur caractere n’alloient point les uns chez les autres, quoiqu’ils vêcussent également bien avec toutes les autres Nations, & même celles contre lesquelles leurs Souverains étoient en guerre. Tout le monde étoit ami dans ces parties de plaisir. Le vin accommodoit tous les differends.
Thévenot
p. 80
cisrconcision, Turcs
Les Turcs font grande réjouissance aussi bien que les Iuifs à la Circoncision de leurs enfans ; car quand un enfant a l’âge requis, on prend le jour pour cette cérémonie, lequel étant venu, on met l’enfant sur un cheval, et on le promène par la ville au son des tymbales et tambours de basque, puis il revient au logis, où on luy fait prononcer la profession de foy susdite tenant un doigt élevé, puis on le circoncit, après quoy le père fait un festin où il invite tous ses parents et amis, là on se réjouit fort, on y danse, on y chante, et le iour suivant les invitez ne manquent pas de faire chacun un present à l’enfant selon la condition du donnant et du recevant.
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p.160-161
Chios, 1655
Pour moi je ne me pouvais tenir de les quereller quelques fois, de ce qu’elles ne se le couvraient point avec quelque mouchoir ou autre linge, car après cela il ne se pourrait rien voir de plus beau. Leur habit sert encore beaucoup à les faire paraître si agréables, car elles sont toujours fort proprement vêtues, et coiffées d’un linge fort blanc, fait en forme d’un petit capuchon rabattu par le bout ; outre tous ces agréments, un autre plus solide est qu’elles ont toutes de l’esprit, mais esprit enjoué et gaillard, qui les rend les plus agréables personnes de la terre, mais si elles sont jolies, elles sont fort remplies de vanité, qui est un vice qui accompagne toujours ce sexe. Elles veulent être vêtues des plus belles étoffes qu’elles peuvent avoir, et toutefois ce n’est rien à présent au prix de ce que c’était autrefois, car il n’y avait si chétive, jusqu’à la femme d’un savetier, qui ne voulût avoir de beaux souliers de velours, qui coûtaient cinq ou six écus, des colliers et bracelets d’or en quantité, et leurs doigts pleins d’anneaux, mais un jour elles payèrent bien cher toutes ces parures. L’église de Saint-Jean est hors la ville de Chio à la portée du mousquet sur la marine, il y a la veille de la Saint-Jean grande assemblée en cette église, toute l’île s’y trouve, et les femmes et filles tâchent de se parer le mieux qu’elles peuvent ; ce iour estant venu, elles vuiderent tous leurs coffres pour y chercher ce qu’elles avoient de plus beau et de plus precieux, & celles qui n’avoient point d’ornemens en alloient emprunter chez leurs amies : apres qu’elles furent bien parées, elles s’en allerent l’apres-dîner à Saint Iean ; or il y a prés la porte par où il faut sortir pour aller à cette Eglise une tour, au haut de laquelle estoit le Capitaine Bacha, qui les regardoit passer, ce qui augmentoit fort leur fierté : quand le service fut finy, elles revinrent toutes, & s’arresterent à danser devant la tour où estoit le Bacha, qui tesmoigna y prendre grand plaisir ; le lendemain, ce Bacha demanda à Messieurs de la ville cent mil piastres, dont il disoit avoir affaire pour l’arrivée du G. Seigneur, ils voulurent s’excuser, disans qu’ils n’en avoient point, mais il leur ferma la bouche, en leur repliquant qu’ils en avoient bien trouvé pour charger d’or leurs femmes et leurs filles, & tout ce qu’ils purent faire fut d’accommoder avec le Capitaine Bacha, et de luy payer cinquante mil piastres. Apres cela, tant les Grecs que les Latins, tous d’un commun accord, firent defendre aux femmes par leurs Evesques, sous peine d’excommunication, de porter aucun ioyau, ny or, ny argent : mais ne pouvans se résoudre à se priver de ces bijous, elles se mocquerent de l’excommunication iusqu'à ce qu’on en fist venir une du pape, depuis ce temps-là elles n’en ont plus porté.
Les Chiotes aiment fort la danse, aussi bien que les Chiots, & tous les Dimanches et festes on voit tout le monde, tant hommes que femmes pesle mesle, danser en rond le soir & toute la nuit, aussi bien à la ville qu’aux villages, & un estranger nouvellement venu, & qui ne connoist ny n'est connu de personne, s’y peut mettre librement comme les autres, & donner la main à la plus belle, sans aucun scandale, ne plus ne moins qu’en nos villages de France, & ie ne trouve que cette difference des Chiots d’avec les Genois, que les premiers ne sont point ialoux, car quoy qu’ils soient dans un pais où une femme n’oseroit se laisser voir à un homme, si elle ne veut passer pour femme publique, neanmoins les femmes de cette isle se sont tant conservé de liberté, tant à la ville qu’aux villages, que les filles passent ordinairement les iournées et les soirées sur leurs portes causans, & iouans avec leurs voisines, ou regardans les passants, & chantans, & un étranger qui ne les aura jamais vues peut sans scandale s’arrêter à parler à celle qui lui plaît, laquelle l’entretiendra et rira avec lui aussi librement que si elle le connaissait depuis plusieurs années : mais pour avoir bien ce divertissement il faut savoir un peu jargonner le grec vulgaire, car quoiqu’il y en ait plusieurs qui sachent l’italien, leur language ordinaire est le grec vulgaire, dont la meilleure partie n’est autre chose que le grec littéral corrompu.
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p. 237-238
Ramazan, Constantinople
L’an mille six cent cinquante-sept, le mardi au soir 12 juin se fit le carnaval des Turcs, ou la cérémonie du commencement du Remesan, laquelle, quoique ce ne soit qu’une bagatelle, mérite pourtant d’être vue une fois. Cette cavalcade s’appelle Laylet el Kouvat, c’est-à-dire la Nuit de Puissance, parce que les mahométans croient que fut cette nuit que l’Alcoran descendit du Ciel.
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Etant donc assurés qu’on a vu la lune, et que par conséquent le Remezan commence ce soir, ils commencent leur fête de cette sorte ; à une ou deux heures environ de nuit, on voit une quantité de santons à pied, armés de massues, avec chacun un flambeau à la main, accompagnés de plusieurs gens portant des fallots, ils vont dansant, chantant, criant, hurlant, et au milieu d’eaux est sur une mule un scheikh, qu’ils appellent scheikh el Arfar, c’est-à-dire scheikh ou prince des Cornus ; c’est un scheikh de grande réputation parmi eux ; lorsqu’ils passe, le peuple fait de grandes acclamations.
Tott
1/l-lj
Danseuses esclaves, Turquie
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en état de guerre avec les peuples de ces deux provinces; ils transportent à la côte Orientale de la mer Noire les esclaves qu’ils y ont faits, & les vendent aux marchands Turcs, qui s’y rendent par mer à des époques marquées. Les habitans de cette côte enlèvent aussi aux villages voisins, leurs compatriotes, dont ils font commerce. On assure que les pères & mères y vendent quelquefois leurs enfans.
Un pays plus froid par ses montagnes que par sa latitude, un peuple assez misérable pour vendre ses enfans, assez mal gouverné pour se les dérober, assez faible pour céder à des rapines étrangères, n’annonce aucun genre de recherche ni d’éducation. Les enfans sont donc les seuls esclaves dont on puisse soigner la beauté & préparer les grâces. L’avarice du marchand s’en occupera, il cherchera même à augmenter la valeur de son esclave par quelques talens agréables; une danse indécente accompagnée de castagnettes y mettra le plus grand prix.
Milady Montagu assure que ces dances sont voluptueuses. J’ai vu dans ce genre ce qu’il y avait de plus parfait, les maîtres de l’art : mais je n’ai point de terme pour les décrire & je n’emploierai jamais celui de volupté pour les peindre.
Je pourrais ajouter que les danseuses en Turquie y sont méprisées, & qu’une esclave qui par ce talent aurait plu à son Maître, cesserait bientôt de l’exercer. Aussi n’y sont-elles destinées qu’à réveiller & ranimer des automates ; la beauté ne peut y suffire, l’indécence a plus de succès. Les grâces, la vivacité, l’expression ont seules celui de séduire & peuvent se passer de la régularité des traits ; tandis qu’une nonchalante dignité, une ignorance profonde rend la beauté même insipide.
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Tott
1/12-15
Ambassadeurs et turc, Turquie
Mon application à rassembler beaucoup de mots, & sur-tout mon empressement à les employer, me mirent en peu de tems en état de m’expliquer passablement ; & j’étais déja parvenu au point de me passer d’interprête, lorsque M. de Vergennes voulant dans une fête assembler tous les Ministres étrangers, ainsi que tous les Européens établis à Constantinople, en ordonna les préparatifs. Cette annonce excita la curiosité de quelques Turcs de distinction qui demandèrent à y assister, & je me chargeai d’autant plus volontiers de leur en faire les honneurs, que je voyais une nouvelle occasion de m’exercer dans leur langue.
J’étais nouvellement marié, & la liaison qui existait entre le plus considérable de ces Turcs & mon beau-pere, ajoutait à l’intérêt que lui inspirait mon zèle à m’instruire. Il me pria en arrivant de lui faire remarquer Madame de Tott dans le nombre des femmes qu’il appercevait, & bientôt attentif à ses moindres mouvemens, il la suivit des yeux, & paroissait inquiet, si elle lui échappait un instant dans la foule. A cette inquiétude près le coup d’oeil de cette fête semblait absorber mes Turcs, dont les questions sur ce nouveau tableau n’étaient pas moins réjouissantes qu’instructives pour moi.
Cependant un menuet ouvre le bal : on me demande quel est le danseur ? c’est l’Envoyé de Suéde. Quoi! me dit le Turc avec surprise.... l’Envoyé de Suéde ;... le Ministre d’une Cour alliée à la Sublime Porte !.... non cela n’est pas possible..... vous vous trompez, voyez mieux. Je ne me trompe point, lui dis-je, c’est lui : oui, lui-même. Le Turc alors convaincu, baissa les yeux, réfléchit & se tut jusqu’à la fin de ce menuet auquel un autre succéda : nouvelle question pour en connaître le danseur : c’est l’Ambassadeur de Hollande.... Oh, pour celui-là, me dit le Turc gravement, je ne le croirai jamais. Je sais, continua-t-il, jusqu’où peut s’étendre la magnificence d’un Ambassadeur de France ; & malgré ma surprise, j’ai pu porter cette opinion jusqu’à concevoir qu’il fût assez riche pour faire danser un Ministre du second ordre ; mais à quel prix pourrait-il obtenir ce service d’un Ambassadeur ? Il ne peut exister entr’eux cette énorme différence. J’employai alors tous les mots Turcs que je savais pour lui faire entendre que ces Ministres étaient l’objet de la fête, qu’ils n’en étaient pas les baladins, qu’ils y dansaient pour leur plaisir, que l’Ambassadeur de France y danserait lui-même. Je persuadai difficilement. Cependant un objet que le Turc croyait sans doute plus intéressant l’occupa bientôt tout entier. Je ne vois plus votre femme, me dit-il.... Ah! bon la voilà... Mais quelqu’un lui parle ! courrez vîte rompre cet entretien. Pourquoi donc, lui dis-je ? Il s’expliqua alors plus clairement & j’entreprenais de le tranquilliser, lorsque Madame de Tott, continuant à causer, entra dans le Sallon du jeu & disparut. Le Turc alors perdant toute contenance, se leve & m’entraîne ; je me laisse conduire, & le spectacle de plusieurs tables où des femmes & des hommes se disputaient, n’était pas sans doute celui que son amitié redoutait pour moi.
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Tott
p. 1/151-158
Danseurs de corde, Turquie
Murad Mollach avait eu des torts de ce genre, il n’avait pas assez ménagé la multitude. Ses amis l’avertirent que dans sa position, il devait un peu plus compter avec elle, s’il voulait parvenir aux grands emplois; ce fut donc pour lui plaire, & en même temps pour se procurer les bonnes graces de son Maître que cet Effendy, profitant du moment, donna dans la prairie de Buyukdéré, une fête relative à l’événement qui exécitait la joie publique.
On me saura gré de m’attacher à ces détails, ils offrent le vrai tableau des moeurs & des usages d’une Nation.
Deux grands poteaux distans l’un de l’autre de 40 pieds supportaient une corde tendue à leur extrémité supérieure. On avait suspendu à cette corde des ficelles, sur lesquelles des lampes de verre étaient fixées à des distances convenables aux objets que l’illumination devait représenter ((Les grandes mosquées s’illuminent de la même manière pendant le ramazan. Leurs minarets servent de poteaux pour attacher la corde principale à laquelle les rayons de lampes sont suspendus par des anneaux destinés à les faire glisser à mesure qu’on les allume par la galerie d’un des minarets, & que de la galerie du minaret opposé, on tire une petite corde qui les réunit & maintient les fils de cet espèce de haute-lisse à des distances convenables)); le chiffre du Grand-Seigneur, le dessin de son batteau, des mots tiré du Coran & applicables au sujet décorèrent cet édifice pendant les trois jours que dura la fête, tandis que des Danseurs de corde, une troupe de Comédiens Juifs & des Danseuses, ne cessèrent d’amuser le spectateur fort avant dans la nuit. C’est sur-tout à la lumière d’une vingtaine de réchauds de fer élevés sur des piquets, où l’on entretenaît une flamme rouge avec des chiffons goudronnés & du bois de pin, que ce tableau m’a paru le plus curieux.
Ces lugubres candelabres étaient plantés en cercle pour éclairer les baladins qui occupaient le centre, & des tentes dressées pour Murad Mollach & sa compagnie formaient avec la foule des assistans, une grande ligne de circonvallation dont les femmes du peuple occupaient une partie. L’illumination placée en dehors de cette derniere enceinte n’était que l’enseigne de la fête, dont l’article le plus précieux était la comédie.
Une espèce de cage de trois pieds quarrés sur six de haut, enveloppée d’un rideau représente une maison, & contient un des acteurs Juifs habillé en femme. Un autre Juif habillé en jeune Turc, & réputé amoureux de la dame du logis ; un valet, assez plaisamment balourd, une autre Juif vêtu en femme & jouant la complaisante, un mari que l’on trompe, enfin les personnages qu’on voit par-tout occupent les dehors & composent la pièce. Mais ce qu’on ne voit point ailleurs, c’est le dénouement ; tout est en scène, rien n’est abandonné à l’imagination des spectateurs, & si le cri du Muezzin ((Celui qui, du haut des minarets, appelle à la prière.)), se fait entendre sur ces entrefaites, les Musulmans se tournent du côté de la Mecque pendant que les acteurs continuent chacun leur rôle ; & j’en aurai assez dit sur ce bizare assemblage de dévotion momentanée & d’indécence continuelle, si l’on aperçoit que ce tableau, difficile à décrire, pourrait encore moins se dessiner.
Des danseurs de corde maladroits, des lutteurs assez gauches, quelques bouffons grossiers & des baladines remplissent les intervalles d’une comédie à l’autre. Parmi ces dernieres dont le mérite n’est sûrement ni dans l’élégance de leurs pas, ni dans l’agrément de leurs gestes, mais qui plaisent infiniment aux Turcs par le talent qui les caractérise, on distinguait une jeune fille de dix à douze ans dont l’agilité promettait, & lorsqu’après chaque danse, elle faisait, suivant l’usage, sa ronde avec le daïré ((Tambour de basque qui sert à marquer la mesure)), pour recueillir en argent la valeur des idées agréables qu’elle avait fournies à la compagnie, les Seigneurs Turcs de la société de Murad Mollach, la mettaient à l’enchere à l’envi l’un de l’autre, tandis qu’ils lui appliquaient des séquins sur le front ((Le sequin est une monnoie d’or si légère qu’en l’appuyant sur le front, elle y tient pendant quelque temps, & c’est la manière dont les Turcs récompensent l’agilité des danseurs.)), pour lui témoigner leur bienveillance. Le prix de cette esclave, dont la figure n’avait cependant rien de distingué, monta jusqu’à la somme de douze bourses ((La bourse turque est une valeur numérique de 500 piastres, & qui devrait répondre à celle de 1500 liv. si l’altération des monnaies du Grand-Seigneur n’était pas au degré de ne plus admettre de comparaison, & que le change du commerce réduit depuis long-tems à 25 ou 30 pour cent sans être encore au niveau de la valeur comparée des matières intrinseques.)), qu’un vieux Mollach donna au marchand pour acheter le stérile plaisir de perpétuer des idées qu’il avait perdu l’espérance de réaliser.
Excepté dans les fêtes publiques, où la licence est toujours extrême & toujours permise, ces acteurs ne développent leurs talens que dans l’intérieur des maisons, lorsqu’ils y sont appellées pour les nôces & les fêtes particulieres. Ces troupes de mauvais bâteleurs sont toujours composées d’hommes ou de femmes seulelment ; celles de femmes représentent dans l’intérieur de Harems avec autant de distinction & aussi peu de retenue que les comédiens dont on vient de parler ; mais la musique est l’amusement ordinaire & le plus familier des Turcs.
Leur musique martiale est du genre le plus barbare, des caisses énormes frappées avec des espèces de maillets, réunissent un bruit sourd au son vif & clair des petites timbales qu’accompagnent des clarinettes & des trompettes aiguës, dont on force les tons pour compléter le tintamarre le plus discordant qu’on puisse imaginer.
La musique de chambre est au contraire très-douce, & si l’on peut lui reprocher une monotonie de semi-tons à laquelle on répugne d’abord, on ne peut lui refuser une sorte d’expression mélancolique dont les Turcs sont puissament touchés. Un violon à trois cordes monté au ton de la guimbarde, la viole d’amour, qu’ils ont adopté, la flûte de derviche, plus douce que notre traversiere, le tambour, espèce de mandolin à long manche & à cordes de métal, les chalumeaux, ou la flûte de Pan, & le tambour de basque destiné à rendre la mesure plus sensible, composent cet orchestre. Il s’établit au fond d’un appartement où les musiciens acroupis sur leurs talons, jouent sans musique écrite, des airs mélodieux ou vifs mais toujours à l’unisson, tandis que la compagnie dans un grand silence, s’enivre d’un enthousiasme langoureux, de la fumée des pipes & de quelques pilules d’opium.
Loire
p. 156-158
Dervichs, Constantinople, Turquie
Durant le premier Verset de cét Hymne tous les Dervichs sont dans une posture fort devote, assis sur les talons, les bras croisez & la teste baissée. Le Superieur qui est dans le Queblé, orné d’une Estolle de poil de chameau, frappe des mains aussitoft que le second commance, & tous les Dervichs s’estant incontinant levez, le plus proche de luy passant devant le saluë, avec une profonde inclination de teste, & se met à tourner, pirouëtant petit à petit d’un mouvement si viste, qu’à peine peut-on s’en appercevoit ; Celuy qui suit en fait autant, & aussi tous les autres qui sont trente ou quarante. Cette danse circulaire ayant duré quelquefois plus d’un demy-quart d’heure, dans son plus rapide mouvement, cesse tout d’un coup au mesme signal qu’elle a commancé, & les Dervichs, comme s’ils n’avoient bougé de la place où ils se trouvent, se remettent assis en leur première posture, iusques à ce que leur Superieur les fasse encor recommencer. Ainsi cette danse continuë quelquefois une heure & plus, à quatre ou cinq reprises dont les dernieres durent tousiours plus longtemps, parce que les Dervichs sont plus en haleine, & plus en bransle pour tourner, estans vestus fort à propos pour ce suiet d’une espece de Iupon volant, taillé en rond comme les chemisettes des femmes en France.
La façon de vivre des Santons, est toute contraire à celle des Dervichs, ils semblent qu’ils fassent une Profession particulière d’estre d’autant plus sales & negligez que les autres sont polis. Ils laissent croistre leurs cheveux, & bien qu’ils soient souvent baignez de la sueur, que leur cause le violent exercice de leur Religion, ils ne les peignent iamais pour estre plus mal propres. Leur devotion fait autant d’horreur que celle des Dervichs donne à rire. Ils n’en font l’exercice que deux fois la sepmaine, & pour le rendre plus effroyable, ce n’est qu’à trois heures de nuit. Après avoir fait leurs Prières ils tournent quelque temps à la façon des Dervichs, & puis se prenant la main comme s’ils vouloient danser un bransle, ils fecoüent la teste qu’ils ont toute nuë en façon de demoniaques, & ils se demenent en criant, à qui plus horriblement Allahou, c’est à dire Dieu est grand, iusques à ce que l’haleine leur manquant, ils ne puissent pousser de leurs poulmons qu’ils ont epuisez qu’une voix heurlante & meuglante, comme d’une beste qui expireroit estant assommée.
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p.173-4
Danseuses publiques, Turquie
Pendant qu’ils mangent, ils ont des Musiciens à leur mode, qui criaillent & qui heurlent plutost qu’ils ne chantent avec de certains instruments montez de six cordes, qu’ils ne touchent qu’auec une plume, & qu’ils nomment Tambours. La figure de cet instrument est semblable à celle d’une Mandore, mais l’harmonie en est bien differente, & bien qu’ils se vantent de pratiquer aussi bien que nous les douze modes de la Musique, ils ne sçavent point faire d’autre accord que l’octave, si ce n’est qu’en touchant, ils en rencontrent quelques autres par hazard & jamais par recherche.
Après ce repas, la compagnie des femmes monte sur une galerie fermée de ialousies, qui est ordinairement la communication des deux appartements, d’où sans êstre veuës elles voyent des basteleurs & des ioüeurs de marionnettes, plus fubtils que les nostres. Ensuitte de ce divertissement, on finit l’assemblée par un autre plus plaisant, que donnent des filles appellées Tchingué du mot Tchenk qui veut dire Harpe, elles sont ordinairement adroites & gracieuses, l’une iouë d’une espèce de Viole qu’ils appellent Kementché, dont le corps est rond & le manche fort long, & l’autre touche la Harpe, pendant que quelque unes avec un Tambour de Biscaye, battent mignonnement la cadance des chansons que chantent les autres en dansant, avec une espèce de cliquettes. Cependant il y en a encore trois ou quattre des plus ieunes qui font avec leurs corps des tours de souplesse admirables, & pour varier le divertissement, & l’achever, deux des mieux faites de la compagnie se levent pour danser une sorte de Sarabande qui represente si bien les affections & les mouvemens d’amour par les oeillades, & par les actions qu’elles addressent tantoft à l’un & tantoft à l’autre des assistans, que certes il faut estre bien ferme, ou plutost insensible pour n’en estre pas esmeu : mais puis que l’imagination de l’homme n’a pas beaucoup de peine à se les figurer, passons je vous prie plus outre. Aussi bien n’en pourrois-ie pas escrire davantage honnestement, & licentiant la compagnie, mettons vitement au list ces nouveaux mariez, qui n’eftans pas les moins touchez de cette lascive representation, sont en impatience de soulager leur passion amoureuse.
Mont
4/5-6
Grecs de Smyrne, Turquie
Les Grecques aiment le plaisir, la dance, les habits magnifiques & s’entêtent volontiers d’un homme, quand même il ne songeroit pas en elles. Ce sont les chagrins à quoi s’exposent les Francs, qui veulent épouser des Grecques. Ils faut qu’ils les adorent, qu’ils leur donnent des habits très riches, quantité d’esclaves pour les servir, & si quelqu’une de ces choses leur manque gare le Cocüage, car les Francs ne sont point du tout considerans, & loin de là, ils se traitent entr’eux sur ce chapitre de Turc à More.
Les Dances des Grecs, sont tout à fait enjoüées. Il y en a en general de deux sortes. La première n’est qu’une espece de Courante de Village qui se dance deux à deux, & la seconde une maniere de Gavote, ou de Branle dans lequel tout le monde peut entrer hommes & femmes entremêlez comme en France au passepied. Il y a neanmoins cette difference entre cette Dance ici & le Passepied, c’est qu’au Passepied on se donne la main d’une manière naturelle, & que dans la dance dont je parle, les bras sont entrelassez de telle sorte que la main droite d’un homme tient la main gauche de la femme qui est à sa gauche, & que sa main gauche tient la main droite de celle qui est à sa droite, & ainsi tout de suite jusqu’au dernier. Pour celui qui meine le branle il ne touche de la main à personne, il tient seulement un mouchoir par l’un des coins, & il donne l’autre à sa Dame afin qu’il ait une espace assez grande pour prendre ses mesures, & pour faire tourner & figurer le branle à sa fantaisie. D’abord ils commencent fort serieusement en pas de Sarabande, en faisant deux pas en avant & trois en arriere, puis s’échaufant peu à peu, ils commencent à sauter & à courir, toutefois avec justesse, si bien que la Dance est fort guaye & fort amoureuse. Leurs airs contribuent aussi beaucoup à l’agrement de leurs dances, car ils sont fort guais, & fort agreables.
Si l’on veut voir dancer les Grecs à son aise, il faut se trouver à quelque Noce, car alors ils se donnent tous à la joye, beuvant, mangeant, se rejouïssant, & ne songeant à rien qu’à se bien divertir.
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3/276-278
Karaguez, Turquie
Pour ce qui est des dances, il y en a de differentes sortes. Celles qui sont pratiquées par des personnes de condition s’apprenent & il y a des maîtres & des maîtresses qui enseignent, les uns aux hommes & les autres aux femmes. Elles sont toutes fort graves, cependant les bras & les mains y agissent beaucoup, & même la plus belle partie de la dance consiste à les mouvoir de bonne grace. Pour la beauté & la subtilité des pas, elle ne se peut pas bien distinguer à cause du chacsir qui cache entierement les jambes. Comme il n’y a point de bal chez les Turcs, on n’y a point introduit la mode de dancer deux ensemble, cela seroit même indecent. Ainsi une seule personne, s’attire l’attention de toute la compagnie, & quand elle a fini, tous ceux ou toutes celles qui se trouvent là frapent des mains en signe d’applaudissement. Il y a cependant quelque restriction à faire là dessus, car il n’arrive jamais qu’on voye dancer des femmes, si ce n’est à quelque noce d’un parent où elles auront été conviées, ou bien dans quelque visite familière, qu’elles feroient à leurs amies, ce qui est extrémement rare.
Il y a toutefois des danceuses publiques, qui vont dans les maisons quand on les y apelle, mais on ne les regarde pas, comme des honnètes femmes, & en effet il n’y a rien de moins honnète, que leur maniere de dancer. Elles se donnent des mouvemens de reins, tournent les yeux, se pâment quelquefois, & font enfin mille postures, que les femmes les plus perduës ne voudroient pas faire en Europe.
Telles étoient impudiques Baladines que les Romains avoient accoutumé de faire venir dans les festins, & qui par leurs postures lubricques alloient ralumer dans le coeur des conviez le feu de la concupicence que l’excès de la debauche y avoit assoupi, ainsi que le rapportent Petrone & Juvenal.
Les Païsans sont parmi les Turcs ceux chez qui la dance est le plus en usage, & quoi qu’ils ne depencent pas un sol pour apprendre, ils font des tours & des postures qu’il seroit bien difficile d’imiter. Il est vrai que l’envie en viendra comme je croi à peu de personnes raisonnables, qui ne seront pas de la même Nation qu’eux, car ils semblent des vrais Demoniaques, & ils jettent de tems en tems des cris furieux, qui acheveroient de les faire prendre pour tels, si on ne sçavoit bien que le tout n’est que feinte & jeu. Ils tiennent ordinairement un gros bâton à la main, dont ils donnent des coups terribles à la muraille ou en terre, & continuent toüjours leurs mouvemens violens, des pieds, des mains, & de la tête, jusques à ce qu’enfin n’en pouvant plus, ils sont obligez de s’aller reposer ou tombent souvent tout étourdis. J’eus le plaisir de voir toutes ces sortes de Dances à Constantinople le jour qu’on y fit tant de rejouissances pour les avantages remportez en Hongrie. J’y vis aussi des Juifs qui firent joüer des Marionnettes, non pas réelles, car les Turcs se souffrent point de figures, mais seulement en ombre sur la muraille. Ces especes de Marionnettes, ou ces Ombres chanterent, je ne sçai combien de chansons sales, & joüerent pendant une heure le plus brutal & le plus infame jeu qui puisse tomber sous l’imagination. Il faut vous dire Monsieur, que les Turcs sont entachez de cette infamie qui fit perir Sodome & Gomorre, plus qu’aucune nation du monde, & que même la moitié des Grands ne sont parvenus que par là, aussi toutes leurs chansons en sont remplies, ce qui les rend doublement desagreables aux Francs, qui ne sont pas accoutumez à des saletez de cette nature.
Le jeu des Marionnettes fut suivi d’un autre à-peu-près du même genie. Quatre Juifs se lierent des bâtons de travers, au poignet des bras, & au cou des pieds, & les ayant habillez en guise d’hommes & de femmes, se mirent tous quatre sous une couverture; dont le premier tirant un bras, fit dancer & chanter cette demie figure. Après celle là il en vingt une autre, puis une troisième, & enfin les huit bras des quatre Juifs, qui firent le sabat sur cette couverture. Cela fait ils se mirent la tête en bas, & se soutenant sur les épaules firent paroitre avec leurs pieds huit autres figures plus grandes, & qui donnerent à ceux qui étoient presens, un spectacle tout semblable au premier.
Thevenot
p. 67
Karagheuz, 1655-1656
Ils ont encore certaines femmes qu’ils appellent Tchingueniennes, qui sont des danseuses publiques, & en dansant ioüent des cliquettes ou d’autres instrumens, & font pour quelques aspres mille tours de reins assez deshonnestes.
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p. 80
Karagheuz, Turquie, 1655-1656
Les Turcs font grande rejoüissance aussi bien que les Iuifs à la Circoncision de leurs enfans ; car quand un enfant a l’âge requis, on prend le iour pour cette ceremonie, lequel estant venu, on met l’enfant sur un cheval, & on le promene par la ville au son des tymbales & tambours de basque, puis il revient au logis, où on luy fait prononcer sa profession de foy susdite tenant un doigt élevé, puis on le circoncit, aprés quoy le pere fait un festin où il invite tous ses parens & amis, là on se réjoüit fort, on y danse, on y chante, & le iour suivant les invitez ne manquent pas de faire chacun un present à l’enfant selon la condition du donnant & du recevant.
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p.102-103
Dervishes, 1655-1656
Les Derviches vivent en communauté, & ont leurs Superieurs comme nos Religieux, ils vont fort simplement vestus, & portent sur leur teste un bonnet de feutre blanc environ comme nos bonets de nuit. Ces Religieux font tous les Mardis & les Vendredis une danse qui est assez agreable à voir. Aux jours qu’ils doivent danser ils s’assemblent en une grande salle, qui est leur Mosquée, dont le milieu est fermé en quarré d’un ballustre, qui laisse de l’espace tout à l’entour pour ceux de dehors ; dans cette enceinte qui est encor assez grande, est le Keblé, où il y a deux chaires à prescher iointes ensemble sur un marche-pied, dans l’une se met le Superieur, tournant le dos au midy, & dans l’autre, qui est à la main droite du Superieur, se met le Vicaire ; puis vis à vis d’eux à l’autre bout de la salle hors la balustrade est un petit échaffaut, sur lequel sont plusieurs Derviches ioüeurs de flustes & de tambours, les autres Derviches sont dans l’enceinte de la balustrade. Ie me mis sur l’eschaffaut des musiciens, estant avec un François qui les connoissoit. Après qu’ils ont tous ensemble chanté quelques prieres, le Superieur lit un peu d’Alcoran expliqué en Turc, puis le Vicaire lit quelques mots de l’Alcoran en Arabe, qui servent de thème au discours que le Superieur fait ensuite en langue Turquesque. Ayant fini son sermon, il descend de sa chaire, & avec le Vicaire & les autres Derviches fait deux tours dans la salle ; pendant qu’un des musiciens chante quelques versets de l’Alcoran d’un ton assez agréable, aprés il se fait un petit concert de tous leurs instrumens, durant lequel les Derviches commencent leur danse. Ils passent devant le Superieur l’un apres l’autre, le salüent fort humblement, puis ayant fait un saut comme un premier pas de balet, ils se mettent à tourner avec les pieds nuds, le pied gauche servant de pivot, car ils le levent point de terre, mais ils levent l’autre, dont ils se servent pour tourner si adroittement, qu’on se lasse plutost à les regarder qu’eux à tourner, & si ils sont la pluspart vieux & ont leurs grandes robbes. Ce tournement se fait au son des tambours & des flustes. Apres qu’ils se sont arretez, le Superieur qui durant cette danse est assis avec son Vicaire aux pieds de leurs grandes chaires, se leve, puis faisant deux pas s’incline vers le Midy, & les Derviches s’estans aussi inclinez, passent devant lui, le salüent humblement, & recommencent à tourner iusqu’à quatre fois, la derniere estant plus longue que les autres. Ils tournent viste comme des moulins qui ont plein vent, & tousiours en cadance, cependant ils ont les bras estendus, & quelques fois les yeux fermez, sans iamais se toucher l’un l’autre, quoy qu’ils se suivent d’assez près, & fassent tousiours la balustrade en tournant, & dès que la musique finit, ils s’arrestent tout court où ils se trouvent, sans faire aucun faux pas, non plus que s’ils ne s’estoient point remuez. L’autheur de cette danse fut un Hazren Mewlana Derviche, qui est tenu parmy eux pour Saint. Tous les Derviches & Santons generallement sont des grands hypocrites, car ils se font passer pour des gens addonnez entierement à la contemplation de Dieu, & cependant ils sont accomplis en tous vices sans exception.
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p. 189
Chios, Grèce, 1655-1656
L'Eglise de saint Iean est hors la ville de Chio à la portée du mousquet sur la marine, il y a la veille de la saint Iean grande assemblée en cette Eglise, toute l'Ile s'y trouve, & les femmes & filles taschent de se parer le mieux qu’elles peuvent, ce iour estant venu, elles vuiderent tous leurs coffres pour y chercher ce qu’elles avoient de plus beau & de plus precieux, & celles qui n’avoient point d’ornemens en alloient emprunter chez leurs amies : apres qu’elles furent bien parées, elles s’en allerent l’apres-diner à saint Iean ; or il y a prés la porte par où il faut sortir pour aller à cette Eglise une tour, au haut de laquelle estoit le Capitaine Bacha, qui les regardoit passer, ce qui augmentoit fort leur fierté, quand le Seruice fut finy, elles revinrent toutes, & s’arresterent à danser devant la tour où estoit le Bacha, qui tesmoigna y prendre grand plaisir ; le lendemain, ce Bacha demanda à Messieurs de la ville cent mil piastres, dont il disoit avoir affaire pour l’arrivée du G. Seigneur, ils voulurent s’excuser, disans qu’ils n’en avoient point, mais il leur ferma la bouche, en leur repliquant qu’ils en avoient bien trouvé pour charger d’or leurs femmes & leurs filles, & tout ce qu’ils purent faire fut d’accommoder avec le Capitaine Bacha & de luy payer cinquante mil piastres. Apres cela, tant les Grecs que les Latins, tous d’un commun accord, firent deffendre aux femmes par leurs Evesques sous peine d’excommunication de porter aucun ioyau, ny or, ny argent : mais ne pouvans se resoudre à se priver de ces bijoux, elles se mocquerent de l’excommunication iusqu’à ce qu’on en fist venir une du Pape ; depuis ce temps là elles n’en ont plus porté. Les Chiottes ayment fort la danse, aussi bien que les Chiots, & tous les Dimanches & festes on voit tout le monde, tant hommes que femmes pesle mesle, danser en rond le soir & toute la nuit, aussi bien à la ville qu’aux villages, & un estranger nouvellement venu, & qui ne connoist ny n’est connu de personne, s’y peut mettre librement comme les autres, & donner la main à la plus belle, sans aucun scandale, ne plus ne moins qu’en nos villages de France, & ie ne trouve que cette difference des Chiots d’avec les Genois, que les premiers ne sont point ialoux, car quoy qu'ils soient dans un païs où une femme n'oseroit se laisser voir à un homme, si elle ne veut pas passer pour une femme publique.
Sestini
Sestini, Dominique: Lettres de Monsieur l'Abbé Dominique Sestini écrites... Paris, Duchesne, 1789.
3/155-158
Derviches, Constantinople, Turquie
La prédication étant finie, un des Derviches de l’orchestre ou du choeur chanta une lamentation très lugubre, & qui différa peu des nôtres. Il descendit ensuite de l’orchestre pour aller se placer dans l’enceinte fermée par la balustrade.
Dans cet intervalle, huit Derviches qui étaient déjà dans cette même enceinte, commencèrent à ôter leurs manteaux qu’ils appellent Kirka, & restèrent avec un long jupon de toile de diverses couleurs lié au milieu du corps, & qu’ils appellent Fistàn, & avec un petit corset fort étroit & ouvert par devant, & ressemblant à un corselet ; ils le nomment Nimtem, c’est-à-dire à demi-taille.
On commença à jouer de différens instrumens, & lorsque l’on eut achevé cette espèce d’ouverture, le Chef des Derviches se leva pour lors & commença à tourner tout autour de la balustrade en marchant en cadence. Les autres Derviches le suivirent l’un après l’autre, mais à égales distances. Ils firent ce tour trois fois de suite, & à chaque fois une profonde révérence en passant devant le nom de Dieu, Allah.
Le Chef s’assit ensuite, & les Derviches commencèrent à tourner; mais avant cet exercice, ils frappent d’abord la terre avec leurs mains, & les lèvent ensuite. Le premier Derviche se présenta, ayant les mains croisées sur la poitrine devant le Supérieur ou Scieh, & lui faisant ensuite une profonde révérence d’une manière particulière, comme s’il eût voulu décrire un demi-cercle, tantôt avec le buste, tantôt avec les pieds. Par ce moyen les Derviches commèncent à développer leurs vêtements & à tourner sur eux-mêmes. Enfin continuant toujours cet exercice, ils parviennent à former avec leurs habits une espèce d’entonnoir. Je remarquai parmi eux deux très-jeunes garçons. Les Derviches tournaient tous avec une grande vitesse, & en tenant les bras étendus au son des differens instrumens dont j’ai déjà parlé. Les Musiciens qui étaient dans l’orchestre criaient alors dans differens tons Allah, Allah, & élèvaient la voix par degrés jusqu’à perdre halaine & à ne pouvoir plus crier.
Ces Derviches tournent long-tems en rond et autour de la balustrade; le prémier de tous est celui qui a le plus de peine, parce qu’il est obligé de tourner seul pendant quelques minutes avant que le dernier de ses confrères puisse entrer dans le cercle.
Quand à moi, je ne pouvais point concevoir comment ces Derviches pouvaient résister à un pareil exercice sans en ressentir la moindre incommodité ; mais réfléchissant ensuite sur ce qu’on les y accoutume dès l’enfance ; je présumai que la longue habitude les garantissait de tous les accidens qui arriveraient à tous ceux qui voudraient tourner comme eux pour la première fois.
La manière de tourner des Derviches consiste à tenir le pied gauche ferme à terre, & à l’avancer insensiblement en tournant avec l’autre pied, & à faire ce que les Français appellent la pirouette.
Lorsque les Derviches se présentent pour tourner, ils ne font aucune révérence à leur Scieh, mais seulement au nom de Dieu qui est écrit sur un cartel. Ils se tiennent alors de côté par rapport à leur Supérieur, & pour ne pas lui tourner les épaules, ils avancent le pied droit ; & tournant ensuite le visage du côté du Schieh ; ils commencent alors à tourner sans tenir toute-fois les bras en croix comme nous, dans la crainte d’imiter notre croix, mais ils tiennent un de leurs bras plus élevé que l’autre ; ils ont en même temps les mains tournées & les doigts ouverts d’une manière véritablement singulière.
Lorsque ces Derviches eurent tourné pendant le temps qui leur est prescrit, ils s’arrêtèrent tous dans le même temps, leur robe ou plutôt leur jupon tomba de lui-même sur leurs jambes, & ils retournèrent chacun à leur place. La musique commença pour lors avec le chant ; après que le choeur eut chanté, le chef des Derviches qui était couvert d’une pelisse qu’il portait d’une manière particulière, sortit de sa chaire, & vint au milieu du cercle avec beaucoup de gravité, & se mit à tourner. Il formait ses pas tantôt en avant, tantôt en arrière, comme s’il eût été le prémier à ouvrir la danse ; étant ensuite venu à sa première place, les autres Derviches commencèrent à tourner de plus belle, mais ce fut pour la dernière fois. Ils reprirent leur Feredgè, & ôtant après ce vêtement, ils allèrent tous saluer leur chef en lui disant Selam-heleikin, c’est-à-dire que la paix soit avec vous. Celui ci leur répond à son tour Heleikin-selam, que la paix règne pareillement avec vous. Les Derviches prirent alors leurs babouches, & allèrent ensuite vaquer à leurs affaires ou retournèrent peut-être fumer leur pipe.
Bussière
Bussierre, Le Baron Th. Renouard de: Lettres sur l'Orient écrites pendant les années 1827 et 1828. Paris, Levrault, 1829, 2 vol.
p. 1/78-81
Derviches, Constantinople, Turquie,1827-1828
Au bout d’une demi-heure le sultan de rembarqua, et chacun chercha à regagner son caïque. Je retrouvai le mien avec beaucoup de peine, et après avoir été long-temps serré et pressé par la foule; je me hâtai d’arriver à Péra, pour assister à une séance de derviches-merlévis ou tourneurs. Ils se réunissent tous les vendredis dans une salle près de laquelle est un petit cimetière qui en dépend. On voit dans ce cimetière le tombeau de comte de Bonneval, qui, après avoir quitté la France, sa patrie, ensuite l’Autriche, au service de laquelle il était entré, passa chez les Turcs à la suite d’un démêlé qu’il eut avec le fameux prince Eugène de Savoie, et y changea de religion. Il devint pacha à trois queues, sous le nom d’Achmet-pacha; mais quoiqu’il eût rendu à la Porte des services assez importans, il n’obtint jamais de considération à Constantinople.
A une heure et demie, je fus introduit avec les autres curieux dans la salle des derviches. Je vis une pièce octogone entourée d’une large galerie, séparée du centre de la pièce par une balustrade : de petites colonnes en bois soutiennent une tribune qui en fait le tour; le plafond est bariolé d’inscriptions et de peintures : de tous côtés sont des guirlandes de petites lampes de diverses couleurs. Une foule de peuple se précipita dans le lieu de séances en même temps que moi. Nous nous accroupîmes tous sur des nattes fort propres qui couvrent le plancher de la galerie. Bientôt les derviches arrivèrent; les uns entraient dans le centre de la salle, les autres montaient à la galerie : ils étaient pieds nus, portaient sur la tête des bonnets de castor gris, en forme de cônes arrondis par le haut; de longues couvertures, de diverses couleurs, leurs tombaient jusque sur les pieds. Le président de l’assemblée se distingue par un bourrelet vert qui entoure son bonnet ; il occupe la place vis-à-vis l’entrée, et s’accroupit sur une pelisse teinte en écarlate. Chaque arrivant fait une profonde inclination et va se placer contre une des colonnes de la salle. Lorsque les derviches sont au complet, leur chef récite, d’une voix monotone, de longues prières, pendant lesquelles les assistans restent immobiles comme autant de statues. Après la prière, une voix nasillarde, perçante et chevrotante chante dans la galerie une espèce d’hymne, en appuyant avec force sur les dernières notes du chant et en les soutenant pendant fort long-temps. A certains endroits de la litanie, les derviches frappent la terre de leur front. Bientôt ce chant plaintif et monotone fait place à une musique instumentale d’une espèce toute particulière. Elle n’est point désagréable ; il y règne de la douceur et de l’harmonie : elle semble provenir d’instumens à vent cassés et presque dépourvus de son. Un petit tambour en marque la mesure ; dès que ce concert commence, les derviches se lèvent tous et tournent autour de la salle à pas lents avec gravité, faisant deux salutations à la place où s’était assis leur chef et une seule à la porte. Cette marche dura pendant un grand quart d’heure : alors les derviches de la galerie unirent leurs voix au son des instumens; la musique devint rapide et forte, et forma un crescendo continuel. En même temps le derviches de la salle, le chef et deux autres exceptés, laissèrent tomber leurs manteaux et parurent dans un costume entièrement blanc, qui consistait en une robe excessivement large, à grands plis, liée au-dessus des hanches, et en un spencer à longues manches. Ils étendirent les bras et commencèrent à tourner sur eux-mêmes, d’abord lentement et peu à peu avec une incroyable rapidité; leurs robes se déployaient et formaient une espèce de roue autour d’eux; quoiqu’ils fussent fort nombreux dans un espace reserré, ils ne se rencontrèrent jamais pendant cet exercice, qu’ils firent avec une grâce toute particulière. Le corps reste pour ainsi dire immobile malgré ce double mouvement de progression et de rotation ; on dirait une machine soumise à une impulsion étrangère : ils tiennent la tête haute et même un peu rejetée en arrière. Le chef des derviches ne quitte point sa place et un autre d’entre eux, qui a conservé son manteau, fait le tour de la salle à pas lents : de temps en temps la musique fait un point d’orgue, alors les tourneurs s’arrêtent et font une grande génuflexion en croisant les mains sur la poitrine, puis ils se remettent en mouvement.
Cette scène singulière dura pendant près de deux heures, et se termina par des prières récitées à demi-voix. L’air de recueillement des derviches, leurs longues barbes et même la grâce de leurs mouvemens ôtaient à cette réunion l’aspect burlesque qu’elle présentait au premier abord.
Il règne diverses opinions sur ces derviches : suivant l’une, leur but est de se mettre dans un état d’extase qui les rapproche de la divinité et d’imiter le mouvement de rotation des astres; d’après l’autre, ils sont simplement des charlatans qui ne cherchent qu’à en imposer à la multitude. Je n’observai cependant parmi les assistans aucune démonstration de respect ; ils semblaient n’être là que comme à un spectacle curieux et divertissant.
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p. 1/85
Bain turc
Cette assemblée d’hommes presque entièrement nus et qui tous, en se faisant savonner et parfumer, causaient gravement ensemble, me parut la chose du monde la plus singulière. C’est ici surtout que j’ai pu apprécier les avantages du costume musulman. Je fus étonné en voyant que les hommes, dont l’air noble et majestueux m’avait frappé lors de leur entrée au bain, avaient des visages et des tailles fort ordinaires lorsqu’ils avaient quitté leurs vêtements. Les bains, dont on fait ici un usage fréquent, passent pour très-salutaires; mais ils détruisent fort vite la beauté des femmes: elles y passent des journées entières à danser, chanter converser et prendre des rafraîchissements. Vous savez qu’aucun regard indiscret ne peut pénétrer dans les lieux où se trouvent les dames turques; mais si vous êtes curieux de connaître à fond la manière dont elles emploient leur temps au bain, je vous engage à lire la charmante description qu’en a donnée lady Montague.
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p. 1/205-207
Procession de mariage à Tokmak, Molyvos, Lesbos, Grèce
Je fis halte au hameau de Tokmak, bâti près du rivage; il donne son nom à quelques îles incultes voisines. La chaleur était accablante: un vieillard à figure joviale vint nous engager à nous reposer chex lui. Il mariait sa fille, et nous pria d’assister à la cérémonie. La mariée, qui pouvait avoir treize ou quatorze ans, avait déjà été menée au bain par les femmes. On se préparait à la conduire à l’église. Je suivis le cortége à petite distance. Il était ouvert par deux danseurs et autant de chanteurs, qu’accompagnaient trois joueurs d’instruments. L’accordée, vètue de ses plus beaux habits et soutenue par deux matrones âgées, marchait avec une lenteur affectée; sa famille et ses amis la suivaient; son futur se trouvait déjà à la chapelle où devait se faire la cérémonie: il portait une couronne, ainsi que sa fiancée. Le vieux prêtre qui bénissait leur union changea à plusieurs reprises ces couronnes pendant la cérémonie, donnant celle de l’époux à l’épouse, et réciproquement: il leur présenta ensuite du vin dans une coupe, qui passa également au parrain et à la marraine des nouveaux mariés et à leurs témoins. Au sortir de l’église l’on se rendit à la maison de l’époux. Des guirlandes de feuillage en ornaient la porte; on étendit auprès du seuil un tapis sur un crible; la mariée marcha dessus, et le crible ayant crevé sous ses pieds, les assistans en conclurent que l’union serait heureuse. L’époux nous donna à chacun une poignée de dragées. On assure que cet usage remonte à celui des Grecs anciens, de distribuer des noix au moment de leur mariage, pour prouver qu’ils renonçaient aux amusements de l’enfance. Nous prîmes notre part d’une collation qui fut servie et dont nous avions grand besoin: nous profitâmes du moment où les danses commencèrent, pour prendre congé de notre vieil hôte.
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p. 1/267
La pyrrhique à Sfakia, Crète, Grèce, 1827-1828
Les Candiotes ont la réputation d’avoir beaucoup d’imagination, d’être menteurs et superstitieux. Leur costume est semblable à celui des Grecs de l’Archipel ; ils paient au gouvernement turc la septième partie de leur revenu. La danse mêlée de chant est encore très-usitée parmi ces insulaires, sous le nom de romeca ; elle a quelque chose de lent et de sérieux, et la musique monotone et nasillarde qui l’accompagne m’a paru extrèmement désagréable.
Au midi de Candie se trouvent les montagnes de la Spachie, habitées par un peuple qui n’a jamais été soumis et a conservé plusieurs des usages de ses ancêtres. Bons guerriers et habitués à manier les armes, les Spachiotes se livrent fréquemment au brigandage, et les cantons qu’ils habitent sont dangereux pour les voyageurs. Ils ne se sont jamais mêlés aux divers peuples qui ont eu des établissemens dans leur patrie. Leur langage est plus pur que celui de leurs voisins ; ils ont conservé la pyrrhique, danse dans laquelle les hommes seuls figurent : elle consiste en évolutions rapides, et s’exécute les armes à la main.
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p. 1/281-285
Racines anciennes des danses grecques, Grèce, 1827-1828
Les fêtes sont toujours accompagnées de danses; les jeunes gens des deux sexes s’y livrent avec une véritable passion. J’ai eu occasion de vous en parler dans mes lettres précédentes : cet exercice était très-estimé dans la Grèce ancienne ; il faisait partie de la gymnastique et accompagnait les fêtes ; on y représentait en pantomime des actions célèbres et des faits intéressans ; on dansait en l’honneur des dieux. La charmante description d’une danse qui se trouve dans Anacharsis, pendant le séjour du voyageur Scythe à l’île de Délos, est très-caractéristique à cet égard. Les danses auxquelles les Grecs se livrent en plein air à l’entour d’un arbre ou d’un paysan qui joue de la flûte, semblent copiées sur celles qui s’exécutaient autour des autels de Bacchus. La candiote que mène une jeune fille en tenant un cordon de soie ou un mouchoir à la main, est l’image de la danse dont parle Homère. "Vulcain, dit-il, représenta sur le bouclier d’Achille une danse pareille à celle que l’ingénieux Dédale inventa pour la belle Ariadne dans la ville de Cnosse ; de jeunes filles et de jeunes hommes dansent ensemble." Aujourd’hui, comme à l’époque dont parle Homère, la danse commence en rond ; mais bientôt "le cercle s’entr’ouvre, et toute la jeunesse, se tenant par la main, décrit par ses mouvemens une foule de tours et de détours." Le cordon de soie que tient la conductrice de la danse, est une imitation de celui que tenait la danseuse grecque pour figurer le peloton de fil, au moyen duquel Thésée sortit du fameux labyrinthe de Crète dont cette danse est l’image. Je termine ce que j’avais à vous dire des danses grecques, en vous faisant observer que la danse lente ancienne se retrouve dans la romeca ; que la danse belliqueuse, qui imitait les évolutions de la Phalange macédonienne, avait beaucoup de rapport avec l’arnaute moderne; que la danse des prairies au mois de Mai est une imitation de celles qui se faisaient en l’honneur de Flore, de même que celles usitées à l’époque de la moisson, sont un reste du culte qu’on rendait à Cérès; et qu’enfin, la danse armée subsiste encore dans une partie de l’île de Candie.
Casanova
p.198
Constantinople
Peu de jours après, je trouvai chez la bacha Osman mon Ismaïl-Effendi à dîner. Il me donna de grandes marques d’amitié, et j’y répondis, glissant sur les reproches qu’il me fit de n’être pas allé déjeuner avec lui depuis tant de temps. Je ne pus me dispenser d’aller dîner chez lui avec Bonneval, et il me fit jouir d’un spectacle charmant: des esclaves napolitains des deux sexes représentèrent une pantomime et dansèrent des calabraises. M. de Bonneval ayant parlé de la danse vénitienne appelée furlana, et Ismaïl m’ayant témoigné un vif désir de la connaître, je lui dis qu’il m’était impossible de le satisfaire sans une danseuse de mon pays et sans un violon qui en sût l’air. Sur cela, prenant un violon, j’exécutai l’air de la danse; mais, quand même la danseuse aurait été trouvée, je ne pouvais point jouer et danser tout à la fois.
Ismaïl, se levant, parla à l’écart à un de ses eunuques, qui sortit et revint peu de minutes après lui parler à l’oreille. Alors l’effendi me dit que la danseuse était trouvée; je lui répondis que le violon le serait aussi bientôt, s’il voulait envoyer un billet à l’hôtel de Venise, ce qui fut fait à l’instant. Le baile Dona m’envoya un de ses gens, très bon violon pour le genre. Dès que le musicien fut prêt, une porte s’ouvre, et voilà une belle femme qui en sort, la figure couverte d’un masque de velours noir, tels que ceux qu’à Venise on appelle moretta. L’apparition de ce beau masque surprit et enchanta l’assemblée, car il est impossible de se figurer un objet plus intéressant, tant pour la beauté de ce qu’on pouvait voir de sa figure que pour l’élégance des formes, l’agrément de sa taille, la suavité voluptueuse des contours et le goût exquis qui se voyait dans sa parure. La nymphe se place, je l’imite, et nous dansons ensemble six forlanes de suite.
J’étais brûlant et hors d’haleine; car il n’y a point de danse nationale plus violente; mais la belle se tenait debout, et, sans donner le moindre signe de lassitude, elle paraissait me défier. A la ronde du ballet, ce qui est le plus difficile, elle semblait planer. L’étonnement me tenait hors de moi; car je ne me souvenais pas d’avoir jamais vu si bien danser ce ballet, même à Venise.
Après quelques minutes de repos, un peu honteux de la lassitude que j’éprouvais, je m’approche d’elle et lui dis: Ancora sei, e poi basta, se non volete vedermi a morire (Encore six et puis ça suffit, si vous ne voulez pas me voir mourir). Elle m’aurait répondu, si elle l’eût pu; mais elle avait un de ces masques barbares qui empêchent de prononcer un seul mot. A défaut de la parole, un serrement de main, que personne ne pouvait voir, me fit tout deviner. Dès que les six secondes forlanes furent achevées, un eunuque ouvrit la porte et ma belle partenaire disparut.
Ismaïl s’évertua en remerciements, et c’est moi qui lui en devais; car ce fut là le seul vrai plaisir que j’eus à Constantinople. Je lui demandai si la dame était vénitienne, mais il ne me répondit que par un sourire significatif. Nous nous séparâmes vers le soir.
Fauriel
Chants cxvij-cxviij
Grèce
Je devrais entrer ici dans quelques détails sur l’accompagnement mimique, dans lequel j’ai dit que consistait la danse de quelques-unes de ces chansons. Ce serait un sujet curieux, mais sur lequel, comme sur le précédent, et par la même raison, je suis forcé de m’en tenir à des généralités peu satisfaisantes. Autant que je puis me le figurer d’après des récits qui ne m’ont pas toujours paru clairs, ou sur le peu que j’en ai pu voir moi-même, il y a dans la danse grecque, en général, une intention mimique plus ou moins expresse, plus ou moins déguisée. Chaque province a, comme on sait, sa danse particulière, laquelle est toujours une danse figurée, qui paraît n’être que la tradition d’une ancienne pantomime ou danse mimique, destinée dans l’origine à représenter une action quelconque, historique ou feinte. Chacune de ces danses a sa chanson, qui lui est exclusivement appropriée, et qui remonte comme elle à une époque immémoriale. A ces anciennes danses traditionnelles, provinciales ou locales, et aux ballades qui en sont inséparables, s’ajoutent indéfiniment de nouvelles ballades et de nouvelles danses, où se reconnaît, mieux encore que dans les premières, la subordination primitive de la pantomime et de la musique à la poésie. En effet toute danse nouvelle ne vient jamais qu’à la suite d’une nouvelle chanson, dont elle constitue la partie mimique; elle n’est jamais exécutée qu’avec celle-ci, et tombe avec elle en désuétude et en oubli.
Du reste, il ne faudrait pas chercher dans les figures, dans les pas, dans les gestes qui constituent les danses attachées aux ballades grecques, une intention bien expresse d’imitation, ni une analogie formelle avec le sens positif et détaillé des paroles. Mais il y a du moins entre le caractère de celles-ci, et celui des mouvements de la danse, une analogie vague et générale. Ainsi, les pas, les gestes d’une ballade héroique et guerrière auront quelque chose de brusque, de violent, de précipité, quelque chose qui puisse être un signe de l’audace et de la force. Ceux, au contraire, d’une ballade d’amour, seront réglés sur une mesure plus lente, et tiendront plus de la grace que de la vigueur.
Ce qui concerne les formes métriques des chansons grecques est lié de trop près à la musique et à la danse pour ne pas mettre ici ce que j’en ai à dire.
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Chants xcv
Grèce
Dès la veille d’un panéghyri, chacun des villages qui doivent y figurer s’y rend dans l’attirail le plus gai, précédé de ses musiciens; arrivé à l’endroit du rendez-vous, il se met à la hâte à se construire en plein air un petit camp à part de celui des autres villages. Ce camp consiste dans un mélange pittoresque de tentes de toile et de cabanes de feuillée.
Le lendemain, c’est-à-dire le matin même du jour de la fête, chacun se rend à l’église du saint en l’honneur duquel s’est fait le panéghyri. Au retour, chaque famille prépare son banquet de fête: ce ne sont de tous côtés que moutons à la broche, qu’agneaux sur le brasier, qu’apprêts de bonne chère rustique. Après le repas commencent les divertissements et les danses, qui durent jusqu’au goûter, à la suite duquel reprennent les réjouissanes, les visites, les promenades, etc. Chaque village danse et se réjouit séparément, de sorte qu’il semble y avoir au panéghyri autant de fêtes qu’il y est venu de villages différents. On entend partout rire, chanter, retentir les sons de la musette ou de la lyre. L’oeil est partout charmé du contraste de la joie modeste et retenue des jeunes filles, avec la joie pétulante des jeunes gens, et de celle-ci avec la gaieté calme de l’âge mur. Tous ont oublié un moment que les Turks sont là, et sont leurs maîtres.
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Chants xcv
Grèce
Ce que je viens de dire de l’intervention des chansons populaires dans les divertissements des Panéghyris exige quelques développements qui trouveront leur place ailleurs, mais dont je juis obligé d’indiquer dès à présent l’objet pour la suite de ce discours. Parmi les chansons dont il s’agit, les unes sont exclusivement et uniquement destinées à être chantées avec un accompagnement de lyre, plus ou moins grossier ; les autres sont faites expressément pour être chantées en dansant, et peuvent être convenablement nommées chansons de danse ou ballades, dans le sens précis que ce terme eut jadis dans l’ancienne poésie provencale, mais qu’il a depuis long-temps perdu. L’unique chose que je veuille noter ici relativement à ces ballades grecques, c’est qu’elles forment un genre poétique très-étendu, dans lequel la danse et la poésie sont inséparablement unies, et dans lequel la première doit être considérée comme une sorte d’accompagnement mimique de la seconde.
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p. 2/296-297; Repris dans le livre "Rhodes"
Rhodes, Grèce, 1817
Je me rappelle qu’après avoir dansé la Romeika toute une soirée à Rhodes, parmi les vers que l’on chanta en dansant en choeur se touvait ce distique.
Κοπέλλαις, πιάστ' εις τόν χορόν, 'πέτ' ένα τραγουδάκι
'Παινέσετε τον λυριστήν πού 'ναι παλληκαράκι.
Jeunes filles, entrez dans la danse, et chantez-nous une chanson ;
faites l'eloge du joueur de lyre, parce qu'il est un joli garçon.
Cousinéry
Cousinéry, E. M.: Voyage dans la Macédoine... Paris, Imprimerie Royale, 1831, 2 volumes.
p. 1/20
Gitans, Macédoine, Grèce
Je n’ai pas encore nommé tous les peuples qui habitent la Macédoine : il n’est peut-être pas une contrée dans le monde où soient rassemblées tant de nations différentes, et la plupart ennemies entre elles. On y voit des Tchinganis, ou Bohémiens, en grand nombre; ils campent pendant l’été sous des tentes ; ils sont errans, travaillent le fer, et cultivent la danse et la musique : ils sont tellement aptes à jouer des instrumens guerriers, qu’on ne voit point d’autres musiciens dans les armées de Sa Hautesse : on les retrouve dans les fêtes; ce sont eux qui dirigent les danses pendant ces réjouissances : dans tous les corps militaires, ils font entendre un air guerrier qui encourage le soldat, et qu’on nomme yuruch ou pas de charge. Toujours pauvres, toujours mendians, ils ne possèdent aucun immeuble, aucune espèce de biens : on ne peut s’approcher de leurs campemens sans être entouré de femmes dégoûtantes et d’enfans nus qui demandent l’aumône.
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p. 1/92
Pella, Macédoine, 1831?
Pendant mon séjour à Salonique, me trouvant si près de Pella, je me procurais chaque année, pendant les fêtes de la Pentecôte, le plaisir de cette promenade, et je n’en revenais jamais sans y avoir fait des achats de médailles et d’autres antiquités.
L’unité de religion n’empêche pas qu’on n’aperçoive, dans les jours de fête, des coutumes différentes entre les Bulgares et les Grecs. Les femmes bulgares ne dansent jamais avec des hommes, tandis que parmi les Grecs c’est toujours un jeune homme qui conduit les femmes. Du reste, dans la plupart de leurs danses, celles-ci, comme les femmes bulgares, se tiennent toutes par la main ou par la ceinture. Les Grecs dansent au son de divers instrumens; les femmes Bulgares ne dansent qu’en chantant.
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p. 1/94
Pella, Grèce, 1831?
Quant à l’origine des habitans du mont Orbélus, on est autorisé, par la connaissance des usages dont nous allons voir quelques détails, à croire qu’ils ne sont pas de francs Bulgares, mais d’une race indigène paeonienne, à qui la conquête a fait perdre sa langue primitive, sans pouvoir lui faire oublier d’anciennes coutumes, qu’elle n’a jamais pu communiquer à ses conquérans bulgares.
Quoi qu’il en soit, je reviens aux moissonneuses du mont Orbélus. Une fois le marché conclu avec les personnes que chaque compangnie a choisies pour chefs, ces filles partent au jour fixé, sous la conduite de deux ou trois jeunes hommes, et dans peu de jours de marche, suivant la distance des métairies, elles arrivent à leur destination.
Les bandes destinées pour les lieux les plus voisins de la ville de Salonique, dès leur arrivée, et avant de commencer la moisson, entrent par grandes troupes dans la ville; chaque fille soigne sa toilette, ainsi qu’aux jours de grandes fêtes; elles portent presque toutes des jupes ornées de bordures de diverses couleurs, et les cheveux nattés en très-petites tresses. Comme des bacchantes ou des compagnes de Cérès, elles se présentent dans toutes les maisons grecques, francques et turques, où elles désirent être introduites, et on les y reçoit : elles y exécutent, en chantant, et en se tenant toutes par la ceinture, une danse albanaise, qui consiste à sauter à chaque trois pas.
Rien ne les étonne plus et ne leur fait plus de plaisir, dans les maisons francques, que les grandes glaces où elles peuvent se mirer de la tête aux pieds; elles poussent, en s’en approchant, des cris d’admiration et de joie, et elles ont de la peine à s’en éloigner.
Après avoir fait leurs emplettes, comme elles ne peuvent sortir assez tôt d’une ville de guerre pour aller coucher, selon leur coutume, en pleine campagne, elles trouvent dans les Kervan-Saraïs des chambres où l’on répand de la paille, et elles y couchent, après avoir mis leurs conducteurs à la porte.
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1/215-216
Volisso, Chios, 1831?
Chacun ayant pris place à son gré sous les arbres des environs, la joie commença bientôt à s’établir. Elle se manifesta par des chants et par des décharges réitérées des armes. La danse ne tarda pas à se mêler à l’allégresse; mais on n’y voyait figurer que des hommes : les fêtes de ce genre sont censées religieuses, et, d’après ce principe, les femmes ne peuvent que les regarder.
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2/79
Guvendégis, Jenidgé près de Lago, 1831?
Chaque année invariablement, divers chefs rassemblent, au printemps, la jeunesse guerrière qui leur est dévouée. Le nombre de personnes qui composent chacune de ces bandes n’est pas déterminé; mais on sait qu’elles ne dépassent pas cinquante à soixante hommes. Elles se mettent en marche de plusieurs côtés; chaque homme porte ses armes ordinaires, qu’il ne dépose ni le jour ni la nuit, et ne prend qu’un seul capot pour se garantir du froid. Toujours prêts à se battre, toujours disposés à fuir, ces corps rôdent dans l’intérieur des forêts et sur les coteaux du mont Hémus, jusqu’à de grandes distances; ils s’avancent même jusqu’au mont Rhodope.
L’idée du vol et du brigandage n’est toutefois que secondaire dans ces courses; c’est le plaisir qui en est le principal motif. Ce sont les lieux les plus favorisés par la nature qui doivent être le théâtre d’une longue orgie contre laquelle l’autorité ne peut rien.
La campement ordinaire de ces troupes errantes est auprès des villages et des métairies. Ils n’y molestent personne, mais ils exigent des provisions, et surtout du vin, qu’ils vont souvent consommer dans l’intérieur des forêts. Les bergers sont mis aussi à contribution pour des moutons et des agneaux.
De jeunes bohémiennes, aussi sauvages que les hommes qui les conduisent, sont enlevées de force ou engagées volontairement, et deviennent les compagnes de ces guerriers. Chaque bande a de plus son Orphée dont la lyre fait résonner les bois, et anime une danse qui ne diffère pas de celles des Bayadères de l’Inde, de l’Egypte et de toute la Turquie.
"Les jeunes bohémiennes, dit un de nos voyageurs, dans son ouvrage sur la Bosnie que j’ai déjà cité, sont les courtisanes du pays; la plupart savent jouer de quelque instrument populaire, et exécutent des danses avec les gestes les plus lubriques. Les vieilles sont les entremetteuses des jeunes; elles se mêlent de magie, prédisent l’avenir, et donnent aux pauvres gens des médecines de cheval. [M. Chaumette des Fossés, Voyage en Bosnie, pag. 65.].
Parmi ces danseuses, la principale ou vraisemblablement la plus jolie est exclusivement le lot du chef de chaque réunion; les autres sont dévouées à la troupe; après l’avoir amusée par leurs danses, elles ont la liberté de s’égarer dans les bois, où les hommes vont séparément les rejoindre.
Après deux mois de courses, la réunion se dissout; chaque homme va retrouver son foyer, chaque bohémienne rentre dans la tente de sa famille ou s’identifie avec une autre, sans que personne soit inquiété à raison de ce long vagabondage.
J’avais déjà obtenu des détails semblables par des personnes du pays, et j’avais eu moi-même occasion, pendant mon séjour à Cavala, de considérer de près plusieurs individus de cette race antique; mais ce fut seulement à Jénidgé que je puis en voir un rassemblement considérable. Mon compagnon de voyage avait assisté à un de leurs repas, par la faveur spéciale d’un chef avec qui il avait contracté amitié, en lui faisant quelques politesses chez lui. Ce chef et sa troupe étaient campés, à deux lieues de Cavala, sur les hauteurs du Symbole; c’est là qu’il voulut fêter son ami. Il lui dépêcha un de ses gens, qui le pria de se rendre, le lendemain, à un lieu indiqué, pour y participer au plaisir des danses, et y partager un repas champêtre.
Arrivé sur les lieux, le négociant présenta au chef diverses provisions, et surtout des liqueurs qui furent bien reçues, et qui ne contribuèrent pas faiblement à la gaieté de la journée. Les cérémonies de la pipe et du café terminées, la première danseuse parut ; elle exécuta avec agilité les pantomimes lubriques auxquelles ces sortes de femmes sont exercées dès leur enfance. De temps en temps, la danseuse venait en cadence tomber aux pieds du négociant et lui présenter sa joue. Il prenait alors une liberté qu’il payait aussitôt par une pièce d’or, à la vérité fort légère, appliquée sur l’endroit même où s’étaient posées ses lèvres. Deux autres danseuses exécutèrent ensuite, en face l’une de l’autre, une danse tout aussi peu décente, où elles étaient dispensées de présenter la joue; mais elles n’en furent pas moins récompensées.
Tandis que ces danses s’exécutaient, on ne cessait de fumer et de boire de la liqueur. A quelques pas de là, un agneau, embroché à une branche d’arbre, tournaît sur deux piquets de bois, pour être servi tout entier avec quelques plats champêtres.
Quatre des principaux de la troupe furent admis au banquet; tout le monde s’assit en rond, les jambes croisées. On servit non sur une table, mais sur des fougères entassées; le repas fut gai, avec un aspect guerrier, et sans manquer de décence. Les danseuses n’y furent point admises.
Après le dîner, on s’exerça long-temps au tir; on recommença la danse, et la distribution des pièces d’or ne fut par oubliée. On se sépara de bonne heure, le chef très-satisfait de son hôte, et celui-ci fort content d’être à la fin d’une corvée assez bizarre, bien qu’elle fût curieuse.
Dans toute la Thrace et toute la Macédoine, on connaît le penchant de ce peuple pour le vagabondage, inconnu dans le reste de la Turquie; et pour caractériser ces montagnards, on leur a donné le nom de Guvendégis, mot formé de deux langues, de Guvendé, mot persan qui signifie danseuse, et de la finale dgi, désinence turque qui exprime une profession; comme dans le mot caffedgi, cafetier, tutindgi, vendeur de tabac.
Thévet
p. 54
Candie, Crète, Grèce
Plíne & Solin hommes de grand jugement & savoir, disent, que cette Isle fut apelee Creta du nom d’une Nymphe, qui s’apeloit Crete, fille de Hesperis, ou bien d’un fils de Iuppiter Roy des Candiens, qui se nommoit Curetes: lequel leur avoit montré & enseigné une maniere de sauter, & dancer, qu’ils apeloient Pyrrhique, pource que son Peuple tout armé sautoit pout cuiter les trets, & cuader les hayes, & clotures.
Marcellus
1/144-145
Brousse, Turquie
Notre dîner sa passa comme tous ces repas de cérémonie, où, pour faire honneur à leurs hôtes, les Turcs accumulent plus qu’ils ne choisissent les aliments.
Au bruit d’une flûte à bec et d’un tympanon en discordance, on servit sur une table ronde, à la hauteur des divans sur lesquels nous étions étendus, mille mets divers pêle-mêle avec le pilau, les sorbets, la crème aigre et les confitures.
J’appréciai par-dessus tout les truites du mont Olympe, et le moutin rôti (Kebab), pour lequel les cuisiniers turcs n’ont point de supérieurs aujourd’hui, et n’ont jamais eu de rivaux que les rôtissuers d’Homère. Ce Kebab, fort digne en effet d’être vanté, n’est, pour parler techniquement, autre chose que la réunion de tranches fort minces de la bête, percées de petites broches, et passées au premier feu. Les vers répétés dans l’Iliade et l’Odyssée (je les cite en note), que les commentateurs occidentaux du grand poëte ont essayé de tourner en ridicule, sont encore mis en pratique de point en point, et contiennent les plus précieux préceptes de l’art de dîner en Orient.
Au dessert, on fit danser devant nous quelques pantomimes fort médiocres ; mais il ne fut pas plus question de femmes ni d’enfants, que si la population de Brousse eût pu s'en passer.
…
1/167-169
Kandili, Bosphore, Turquie, 1840?-1820?
Et voilà qu’entraîné par mon enthousiasme, sans m’effrayer de ma pénurie de mots grecs et de mes solécismes, je continuai d’une voix inspirée :
- «Oui, filles d’Hélène, la déese des femmes (15), qui avez hérité de sa beauté, c’est sur ces riants coteaux de Tchéïtler que j’errais, par un jour de printemps, au milieu de nombreuses habitantes du faubourg étranger. Je les avais suivies, avec plusieurs de mes compatriotes, dans ces fortunés bocages. Le kiosque impérial s’ouvrit pour nous ; mais nous évitâmes ses pompeuses voûtes ; le gazon valait mieux ; et, après un repas pris en commun sous l’ombre des platanes, les chants commencèrent et les danses aussi. La Romaika nous entraînait dans ses molles évolutions, quand tout à coup deux dames musulmanes s’approchèrent, accompagnées d’une troisième, leur nourrice sans doute. Elles étaient belles, autant que j’en jugeais par leurs yeux; des voiles jaloux nous dérobaient le reste : elles nous regardèrent en silence; et quand ce fut mon tour de mener la ronde…
- Je vais achever pour vous, interrompit Zoïtsa; aussi bien votre langue s’embarrasse; les mots vous manquent; vous répétez, et vous resteriez court si je ne venais à votre aide.
Alors la maligne jeune fille se prit à contre-faire ma prononciation imparfaite, mes hésitations…Et quand vint mon tour de conduire la Romaika, répéta-t-elle, je m’échappai du cercle de la danse, et, me dirigeant vers les dames turques, je mis un genou en terre auprès d’elles, et, la main sur mon coeur, je leur adressai je ne sais quel hommage européen. Les vénérables kadines sourirent, et s’éloignèrent à pas lents comme des ombres heureuses.
...N’est-ce pas ainsi? me dit Zoïtsa; et elle venait de terminer la période en imitant la voix qui tombe d’un conteur public.
- Qu’avez-vous donc à me regarder ainsi avec ces yeux effarés ?
- Mais comment savez-vous m’écriai-je.
- Le beau miracle! reprit-elle; les dames turques m’ont tout dit.
Et oui, pauvre rêveur, ajouta-t-elle en éclatant de rire, ces dames musulmanes, c’étaient ma soeur et moi ; et l’autre, comme vous l’avez si judicieusement conjecturé, était bien réellement notre nourrice, puisque nous étions avec ma mère. Pourquoi le printemps ne nous donnerait-il pas, comme à vous, ces vifs désirs de voir la campagne et de respirer un air libre? Alors nous prenons le costume des femmes turques, pour n’être pas reconnues; et ces belles sultanes, à qui, au péril de votre tête et de la leur, vous avez cru, chevalier héroïque, offrir des voeux assez équivoques et tout à fait improvisés, n’étaient autre chose que de jeunes Grecques de Thérapia qui rient encore à ce souvenir…
..
2/439
Epigrammes satitiques de Palladas, Antiquité
Contre un danseur
Memphis le camus vient de danser les pantomimes de Daphné et de Niobé: de Daphné, comme s’il était de bois; de Niobé, comme s’il était de pierre.
Note (2/459-460)
Claudien, poëte du même siècle, fait aussi mention de ces pantomimes si spirituellement critiquées par Palladas : de jeunes histrions grecs les exécutaient sous des costumes féminins, dans cette même ville de Constantinople où j’ai vu des pantomimes plus expressives sans doute, mais moins mythologiques, représentées par des adolescents déguisés en femmes, sous les yeux du Grand-Seigneur.
………….. Fit plausus et ingens
Concilii clamor; qualis resonantibus olim
Exoritur caveis, quoties crinitus Ephebus
Aut rigidam Nioben, aut flentem Troada,
fingit. »
Claudien, contre Eutr., II, v. 404.
La même épigramme figure dans les oeuvres d’Ausone :
Daphnen et Nioben saltavit simius idem
Ligneus ut Daphne, saxeus ut Niobe.
Ausone et Palladas étaient contemporains. On pourrait disserter longtemps avant de savoir lequel des deux fut l’inventeur primitif de cette épigramme, si l’on récusait le témoignage de Daphné et de Niobé en faveur du poëte grec. Il serait plus aisé d’en conclure que les littérateurs du quatrième siècle correspondaient entre eux, et qu’un distique recommandé par un trait d’esprit passait rapidement d’Alexandrie ou d’Athènes à Bordeaux : mais, au bout de ces dissertations ou conclusions, on viendrait à découvrir sans doute que les deux vers latins, traduisant mot pour mot les deux vers grecs, ont glissé de quelque note marginale dans le texte des Epigrammes d’Ausone, d’après quelque manuscrit interpolé ; et, dès lors, tout l’édifice érudit croulant par sa base, j’aurais regret à l’avoir dressé de mes mains.
Stochove
p. 170
Constantinople, Turquie
Les fêtes publiques de ce mariage furent celebrées à la place que les Turcs apellent Hait-medan, là où se firent des tours admirables, qui nous firent avoüer que cette nation est la plus adroite du monde à l’art de bâtellerie. Les danseurs de corde avoient tendu leurs cordes à la hauteur de plus de trois piques, où ils dançoient sans bâton ny contrepoids, faisans des tours admirables : d’autres danseurs & luiteurs y montroient une souplesse, dexterité, & disposition extraordinaire : d’autres montroient leurs forces en étreignant de grandes pieces de bois, & levant de terre des pierres qui ne pesoient gueres moins de mille livres : un têtu fit mettre une grande pierre sur sa tête, la faisant rompre à coups de marteau : il y en eut un qui pour montrer la force de ses dents, prit un fer de cheval à sa bouche & le rompit en deux, dont la moitié luy demeura entre les dents.
…
p. 171-173
dervishes, Constantinople
La Predication étant finie, tous les Dervis vont baiser la main de leur Superieur, puis se mettans en rond autour de luy, ils se mettent tous à danser au son d’un tambour de biscaye, quelques flustes, & de deux ou trois voix qui composent une musique qui paroit fort rude à nos oreilles : ils demeurent piroüettans bien une demie heure avec vitesse admirable, & jusqu’à ce que leur Superieur frape entre ses mains: aprés cela chacun se remet à sa place, avec autant de froideur comme s’ils n’avoient bougé, & se mettent à chanter des Pseaumes deux ou trois heures de temps. Ils n’ont point de difference en leurs habillemens, sinon qu’en lieu de Turban ils ont un bonnet de feutre en forme de pain de sucre ; tout chacun les peut aller voir, & nous y avons été plusieurs fois pendant nôtre sejour à Constantinople ; ils étoient bien aises de nous voir, nous faisoient faire place, estimans que ceux qui voyent ces façons de faire s’y peuvent convertir.
Il y a d’autres Religieux parmy les Turcs qu’ils appellent Santons, qui sont dans leur Convent pendant une nuit de chaque semaine le plus horrible sabat qu’on se puiste imaginer, & qui en un mot sont aurant horribles dans leurs ceremonies, que les Dervis sont gentils & plaisans ; ils commencent ordinairement leur service à trois heures de nuit ; la curiosité nous y fit aller une fois, mais ce ne fut pas sans une effroyable peur que nous y demeurâmes tout le temps que ces diables firent leur service, tant il est horrible, car le sabat que l’on dit des sorciers ne le peu être davantage.
Il commencent à danser en rond assez modestement, & chantent la hié Alla hilla, qui veut dire il n’est qu’un seul Dieu: cela ayant duré environ une demie heure, il y en a un d’entr’eux qui commence à toucher un petit tambour, & aussi-tôt tous commencent à sauter & crier comme des enragez, & continuent jusqu’à ce que la voix leur manque, qu’ils ne peuvent proferer qu’un croassement : l’écume & le sang leur sort de la bouche par le grand effort qu’ils font, car ceux qui crient le plus haut, & continuent le plus long-temps, sont estimez les plus Saints : il y en a quelquefois qui par une trop grande violence tombent morts sur la place : Cette ceremonie dure environ quatre heures. Leurs habillemens & facon augmente la terreur de ce service diabolique, n’étans couverts que d’une longue robbe noire, les cheveux qu’ils ne coupent jamais, leur pendent sur le visage & sur le dos, entortillez comme des morceaux de cordes.
Tous ces Santons sont gens vagabons, de pauvre vie, adonnez à toutes sortes de vices abominables, & principalement à la Sodomie, laquelle ils commettent avec toutes sortes d’animaux ; ils sont aussi grands Sorciers, & ont tous quelque pact avec le Diable, neanmoins la plû-part des Turcs sont si aveuglez qu’ils les tiennent pour Saints.
Il y a aussi des ces Santons qui sont Janissaires, qui allans à la guerre, marchent devant les armées en chantant & hurlant comme des demoniaques.
Mariti
Mariti, Abbé: Voyages dans l'isle de Chypre, la Syrie et la Palestine... Traduit de l'italien. Paris, Belin, 1791, 2 vol.
p. 1/72-73
Larnic (Larnaca), Chypre
Un certain Mola Sonchiur passe pour leur fondateaur. Ils occupent divers couvens, & desservent plusieurs Mosquées. Ils y prêchent deux fois la semaine. Les hommes & les femmes assistent ensemble à leurs discours ; c’est ce qu’on ne voit point dans les autres temples. L’orateur ouvre l’instruction par un passage du Coran : il tonne contre des vices qu’il ne se met pas beaucoup en peine d’éviter : une balustrade sépare du reste des croyans la communauté des Derviches. Le sermon fini, ils entonnent un hymne, accompagné du son de divers chalumeaux. Le supérieur ouvre ensuite une danse que les autres exécutent de cette maniere : ils commencent par aller assez lentement à la suite l’un de l’autre autour de la Mosquée ; peu à peu leurs pas s’accélerent & se précipitent, & ils tournent enfin avec tant de rapidité que l’oeil a peine à les suivre. Le bal terminé, nos pieux baladins s’agenouillent, s’affeyent sur les talons, & demeurent ainsi avec toutes les apparences du plus grand recueillement. Le supérieur se releve : les Derviches en font autant : on renouvelle la ronde. Cette comédie dure une heure & demie.
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1/91-92
Nicosie, Chypre
J’eus occasion, pendant mon séjour dans cette capitale, de voir plusieurs cérémonies Turques ; & entr’autres la circoncision de quatre enfans, & le mariage d’un grand Seigneur.
La circoncision ne se fait aux enfans Turcs qu’à la septieme année de leur âge ; mais à la naissance, on leur met dans la bouche un peu de sel, en prononçant des paroles du Coran, dont le sens est : Puisse le présent de l’existence te rendre cher le nom du vrai Dieu, auquel tu ne cesseras de rendre gloire. Les huit jours qui précèdent la cérémonie sont pour la famille des jours de fêtes. Elle se livre à la joie, donne des festins, des bals, des parties de plaisir. Les parens, les amis y sont invités : tout annonce une seconde naissance plus précieuse que le premiere. Le jour arrive enfin ; l’enfant est revêtu des plus riches habits. On le conduit dans les rues de la ville, sur un cheval, orné d’un drap d’or, & pompeusement enharnaché. On porte devant lui l’étendard de Mahomet : les Singis le précedent en dansant ; un corps de musiciens & de joueurs d’instrumens ferme la marche. Tout le peuple le suit. Il arrive à la Mosquée, y fait sa priere, remonte à cheval, & revient à la maison paternelle, où un homme de l’art lui taille entiérement le prépuce. Il fait à haute voix & en levant la main cette profession de foi. Il n’est point d’autre Dieu que le vrai Dieu, & Mahomet son prophete. Cela fait, tous les assistans donnent leur présent au jeune Néophyte, & la fête se termine par un superbe festin.
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1/233
Larnic (Larnaca), Chypre, 01/1762
A la naissance d’un enfant du grand-seigneur, les consuls doivent se joindre aux démonstrations de la joie publique. Ils illuminent leur palais ainsi que les nationaux leur maison pendant trois jours. Une des salles du palais consulaire devient une espece de caffé public, où l’on sert de la liqueur à toute personne Catholique ou Mahométane. Je fus témoin d’une fête semblable en janvier 1762 ; la joie des consuls & de toutes les nations Européennes se manifesta par des feux d’artifice, des festins, des bals & des jeux de toutes especes. Tous les consuls arborerent leur pavillon & envoyerent les dragmans & les janissaires au gouverneur pour lui témoigner la part qu’ils prenoient à cet heureux événement.
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2/170
mariage grec, Nazareth, Syrie
Cette fonction achevée, les époux font le tour de l’autel, suivis de leurs peres, tandis que les prêtres entonnent des cantiques, & que les deux familles jettent en l’air du bled à pleines mains. Cela indique la prospérité & l’abondance qu’on desire aux conjoints & à leurs descendans.
Le papas vient ensuite présenter aux époux du pain trempé dans du vin. Ils le mangent ensemble, & vuident la coupe qu’ils jettent à terre pour la briser. C’est la derniere cérémonie qu’on pratique à l’église.
De retour du temple, la mariée danse une fois avec son conjoint, mais pour ne plus recommencer du jour : le ballet se continue entre les conviés, auxquels on sert des rafraîchissemens en café, vins de Chypre, liqueurs, & pâtisseries de diverses sortes. Vient l’heure de laisser les époux ensemble; aussi-tôt tout le monde se retire & se garde bien d’interrompre le tête-à-tête si bien employé.
Olivier
Olivier, G.A.: Voyage dans l'Empire Othoman, l'Egypte et la Perse. Paris, Agasse, 9.
2/81-82
Tenedos
Les Grecs n’ont point à Ténédos cette gaieté qu’on leur voit dans les autres îles : silencieux et mornes dans les rues, ils osent à peine se récréer chez eux : ils évitent les plaisirs bruyans, qui attireraient infailliblement sur eux l’attention des Turcs et réveilleraient toute leur cupidité ; mais lorsqu’ils le peuvent sans danger, ils se livrent à une sorte d’abandon et de délire. La côte de Troye est souvent le théâtre de leurs orgies ou le champ de leurs plaisirs : ils s’y rendent à l’occasion d’un mariage ou d’une fête, et là, sous le platane ou le chêne, ils passent la journée entière à danser, à chanter, à manger et à boire.
Le Grec chez qui nous étions logés, crut, en sa qualité d’agent de la République, pouvoir nous donner, avant notre départ, une fête chez lui, à laquelle il invita les principaux habitans de la ville. Un grand nombre de femmes de tout âge s’y rendirent aussi. Le vin ne fut point épargné : les musiciens furent nombreux : la danse, d’abord grave, lente et cadencée, fut ensuite si vive, si tumultueuse parmi les hommes, que le plancher s’écroula en partie ; mais comme personne ne prit mal, elle n’en continua pas moins dans une autre chambre, et se prolongea bien avant dans la nuit. Les chansons bachiques succédèrent aux chansons amoureuses, et le chant fit place aux cris lorsqu’on eut vidé un grand nombre de flacons.
Cependant les femmes, quoique gaies, ne sortirent pas de leur retenue ordinaire : il régna parmi elles la plus grande décence : leur danse fut toujours grave ; leurs chants continuèrent d’être doux et agréables : elles ne se mêlèrent point avec les hommes, et ne partagèrent jamais ni leur ivresse ni leur délire. Presque toutes les jeunes étaient jolies : quelques-unes d’entr’elles nous frappèrent par leur beauté ; elles pouvaient bien être comparées, par leurs traits et par leur taille, aux plus beaux modèles que l’antiquité nous a transmis.
Galibert & Allom
2/55
Constantinople
Les femmes du harem passent leur temps dans un cercle d’amusements compatibles avec leur vie sédentaire; ils consistent à changer d’habillements plusieurs fois dans le jour, à se visiter mutuellement, à prendre des leçons de danse ou de musique, à recevoir les hommages et les déférences de leurs compagnes d’un rang inférieur: elles ne peuvent tirer parti pour leurs récréations que des esclaves de leur sexe; elles passent des heures entières couchées sur un sopha, tandisque ces filles dansent et forment entre elles des espèces de pantomimes ou mélodrames, où les scènes d’amour entrent pour beaucoup. C’est dans les kiosques, que les femmes prennent leurs divertissements; elles y passent la plus grande partie du jour à faire de la musique et à broder.
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3/7
Constantinople
Les femmes s’appliquent sans cesse à s’attirer l’attention de leur commun époux: l’une lui brode un riche vêtement; une autre joue d’un instrument qui ressemble à une épinette; une troisième fait valoir, en dansant, l’élégance de sa taille. Leur maître ne jette pas le mouchoir à celle qu’il préfère, comme on le prétend dans une fable populaire; son sourire lui suffit. Dès qu’il est reconnu qu’une des beautés du harem l’emporte sur ses rivales, elle est entourée de plus de respect.
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1/5
Constantinople
Après le Ramadan vient le Beiram ou la Pâques. L’ouverture de cette fête est célébrée avec une grande pompe. De toutes parts, on voit les turcs danser en rond aux sons de la guittare et du tambourin, s’embrasser les uns les autres et parler avec délices de la nuit prochaine, de cette nuit si impatiemment attendue, où les premières clartés de la lune annoncent la fin du Ramadan; le moment désiré arrivé enfin, d’innombrables rangées de lampions illuminent les mosquées d’Achmet, de Suleimanieh, et de Sainte Sophie.
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1/17
marché d'esclaves, Constantinople
On y voit des enfants de l’Abyssinie au visage noir et luisant, des nègres de l’intérieur de l’Afrique, de jeunes Circassiennes au visage blanc, au regard triste et sauvage, à la chevelure longue et flottante, de jeunes garçons, et de jeunes filles de l’ancien pays de la Cholcide, de l’embouchure du fleuve Batoun, de la côte des Lazes et des frontières maritimes de la Mingrelie. Mais voici un digne enfant du prophète, il s’avance, promène longuement ses regards sur les personnes qui l’entourent avant de les fixer; il s’arrête enfin devant un groupe de jeunes filles, il choisit la plus belle, il lui prend la main; puis une matrone expérimentée vient à son aide, examine la jeune esclave et constate si elle a conservé ou perdu ses avantages naturels. Le prix d’une jeune esclave tient pour l’ordinaire à sa jeunesse, à sa beauté; chaque talent, chaque qualité qui se développe dans une jeune fille devient un trésor pour le vendeur; aussi, un grand nombre de marchands placent leurs esclaves dans des maisons d’éducation avant de les exposer en vente. Dans ces établissements, on apprend aux jeunes filles à broder, on leur enseigne le Coran et les maximes de la morale, la danse et la musique.
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25-26
Les Eaux Douces d'Asie, Constantinople
Les jours de fête, des tentes de toutes les formes, de toutes les dimensions, se dressent pour recevoir la foule qui augmente rapidement. Des baladins, des chanteurs, des marchands de kabob grillé et de sorbets ainsi que les cavedjis, s’installent autour du kiosque du Sultan. La gaîté, la variété, règnent partout. Ici un Turc fume; là un Grec chante; un Arménien s’assoupit d’un côté; un Israélite trafique de l’autre. Plus loin, des paysans bulgares executent des danses en s’accompagnant sur la cornemuse et vont ensuite de groupe en groupe demander un bakchich pour prix de leurs danses et de leurs refrains. On pourrait se croire dans un bal costumé, disposé à l’improviste pour une réunion de princes.
…
49
Les Eaux Douces d'Europe, Constantinople
Ce séjour est surtout un lieu de prédilection pour les jeunes Grecques; elles y abordent en foule dans les caïques qui, à chaque instant de la journée, montent et descendent le canal. Les unes s’asseyent sans voile sur l’herbe, au bord du ruisseau, et forment une chaine de femmes et de jeunes filles dans des costumes pleins de fraicheur et d’élégance. Il y en a d’une beauté ravissante. D’autres, couronnées de fleurs, se tiennent par la main comme les vierges du Pinde dans le temple d’Apollon et dansent aux sons de la lyre la Romaïka, la danse de Flore, et celle de Céres et de Pomone.
Cet amour de la danse est un plaisir auquel les Grecs modernes se livrent avex passion; il est aussi vif chez eux que chez les Grecs de l’antiquité, et rien ne saurait les en détourner. Il y a quelques années, ces fêtes étaient souvent troublées par la brusque apparition d’un Bostangis; souvent un soldat farouche portait la terreur au milieu de ces danses joyeuses, mais le danger passé, on oubliait aussitôt qu’il eut existé, ou qu’il put exister encore, et le lendemain Barbyse revoyait ses belles prétresses qui accouraient plus insouciantes et plus nombreuses pour reprendre leurs jeux.
Chateaubriand
p. 183-184
à bord d'un bateau grec, Chios
Notre felouque, très légère et très élégante, portait une grande et unique voile taillée comme l’aile d’un oiseau de mer. Ce petit bâtiment était la propriété d’une famille; cette famille était composée du père, de la mère, du frère et de six garçons. Le père était le capitaine, le frère le pilote, et les fils étaient les matelots; la mère préparait les repas. Je n’ai rien vu de plus gai, de plus propre et de plus leste que cet équipage de frères. La felouque était lavée, soignée et parée comme une maison chérie; elle avait un grand chapelet sur la poupe, avec une image de la Panagia, surmontée d’une branche d’olivier. C’est une chose assez commune dans l’Orient de voir une famille mettre ainsi toute sa fortune dans un vaisseau, changer de climats sans quitter ses foyers, et se soustraire à l’esclavage en menant sur la mer la vie des Scythes.
Nous vîmmes mouiller pendant la nuit au port de Chio, “fortunée patrie d’Homère”, dit Fénelon dans les Aventures d’Aristonoüs, chef-d’oeuvre d’harmonie, et de goût antique. Je m’étais profondément endormi, et Joseph ne me réveilla qu’à sept heures du matin. J’étais couché sur le pont : quand je vins à ouvrir les yeux, je me crus transporté dans le pays des Fées ; je me trouvais au milieu d’un port plein de vaisseaux, ayant devant moi une ville charmante, dominée par des monts dont les arêtes étaient couvertes d’oliviers, de palmiers, de lentisques et de térébinthes. Une foule de Grecs, de Francs et de Turcs étaient répandus sur les quais, et l’on entendait le son des cloches [Il n’y a que les paysans grecs de l’île de Chio qui aient, en Turquie, le privilège de sonner les cloches. Ils doivent ce privilège et plusieurs autres à la culture de l’arbre à mastic. Voyez le Mémoire de M. Galland, dans l’ouvrage de M. de Choiseul.]
Je descendis à terre, et je m’informai s’il n’y avait point de consul de notre nation dans cette île. On m’enseigna un chirurgien qui faisait les affaires des Français : il demeurait sur le port. J’allai lui rendre visite ; il me reçut très poliment. Son fils me servit de cicerone, pendant quelques heures, pour voir la ville, qui ressemble beaucoup à une ville vénitienne. Baudrand, Ferrari, Tournefort, Dapper, Chandler, M. de Choiseul, et mille autres géographes et voyageurs ont parlé de l’île de Chio: je renvoie donc le lecteur à leurs ouvrages.
Je retournai à dix heures à la felouque ; je déjeunai avec la famille : elle dansa et chanta sur le pont autour de moi, en buvant du vin de Chio qui n’était pas du temps d’Anacréon. Un instrument peu harmonieux animait les pas et la voix de mes hôtes; il n’a retenu de la lyre antique que le nom, et il est dégénéré comme ses maîtres : lady Craven en a fait la description.
Michaud
Michaud, Joseph François & Poujoulat, Jean Joseph François: Correspondance d'Orient. Paris, Ducollet, 1834, 7 volumes, p. 4/107-108.
p. 4/107-108
fêtes à Chypre, 01/1834
Dans la plus haute antiquité, les femmes de l’île de Chypre avaient coutume de se rendre en procession aux bords de la mer, et de célébrer par des hymnes et des danses la naissance de Vénus et la fête d’Adonis. On a conservé jusqu’à nos jours quelque chose de cet usage antique ; il n’est plus question d’Adonis ni de Vénus, mais on se rassemble encore aux bords de la mer pour se livrer au plaisir et à la joie, et c’est le second jour de la Pentecôte qu’on a choisi pour cette commémoration payenne. Plusieurs des personnes qui se trouvaient avec nous, avaient assisté à ces sortes de fêtes dans les cantons de Larnaca, de Limissol et de Baffa.
L’Orient a beaucoup de ces anniversaires dans lesquels on pourrait retrouver les souvenirs des âges primitifs. Un des papas de l’archevêché nous a parlé d’une cérémonie qu’il avait vue à Rhodes; on y célèbre, dans le temps de Pâques, la fête de Silène; un homme d’un certain âge, à qui on fait un très gros ventre, est conduit sur un char par une troupe de jeunes garçons couronnés de guirlandes de fleurs. Cette espèce de triomphe est célébré au milieu des joyeuses acclamations de la multitude. On n’a pas besoin de venir si loin pour savoir ce qu’il y a quelquefois de documens historiques dans les simples divertissements du peuple. Dans notre Occident, comme en Orient, souvent une fête de village, dont on rechercherait l’origine, pourrait nous faire connaître les moeurs et l’histoire des temps passés beaucoup mieux que ne le feraient des bas-reliefs, des inscriptions et des médailles.
Olivier
p. 155
marriage musulman
On tâche d’embellir la figure de la demoiselle, en la colorant de rouge, de blanc et de bleu, en peignant en noir les sourcils et les paupières. Dans certaines contrées on bariole ensuite de noir les bras et les mains, on jaunit ou noircit les ongles, on peint les pieds en jaune orangé : on place enfin avec art sur la coiffure et parmi les tresses qui pendent en arrière, des fleurs, des perles, des pierres précieuses et des monnaies d’or. En Égypte et en Syrie, ces tresses sont très-nombreuses, et terminées chacune par un ou plusieurs sequins.
Ainsi ajustée et placée sur un siége plus élevé que le sofa, elle doit composer son maintien, tenir les yeux baissés ou fermés, pendant qu’une troupe de femmes invitées à la fête se livrent à la joie, pendant qu’on exécute diverses danses, que l’on chante ou que l’on joue de divers instrumens.
A la nuit, les parentes du mari et les femmes invitées par elles viennent avec des flambeaux et une musique bruyante à la maison de la demoiselle, pour l'emmener à celle du mari. Elle sort accompagnée de ses parentes et amies : les hommes ne la suivent pas, et restent chez eux à se divertir.
...
p.163
grecs efféminés, Constantinople, Turquie
Par une inconséquence digne de remarque, la loi, qui rançonne toujours, qui punit quelquefois de mort l’homme qui cède à un penchant naturel, qui obéit à la voix impérieuse de la nature, tolère cependant et semble permettre un vice qui annonce la dépravation totale des moeurs. Les Musulmans, très-austères d’ailleurs, se livrent sans honte au goût qui les entraîne, et dont ils ont contracté l’habitude dans leur première adolescence. Bien loin de rougir de ce vice, ils en tirent vanité, et montrent avec orgueil l’object de leurs affections. Cette passion est devenue si forte chez eux, qu’ils cherchent à la satisfaire par tous les moyens possibles, et qu’ils emploient bien souvent la violence. On a vu entr’autres à Smyrne, un matelot européen, âgé de plus de soixante ans, tué et souillé par trois janissaires, sans qu’on ait pu obtenir leur juste punition.
Les filles de joie ne sont ni permises ni tolérées : le gouvernement sévit quelquefois contre celles qui sont Musulmanes avec une extrême rigneur. Il n’est pas rare qu’on en saisisse quelques-unes pendant la nuit, et qu’après les avoir enfermées dans un sac avec des pierres, on aille les jeter vivantes dans la mer, vers la pointe du sérail ; et cependant on rencontre souvent dans les rues de Constantinople, de jeunes Grecs, vêtues d’une manière efféminée, annonçant par leur maintien qu’ils sont prêts à se livrer à quiconque voudra les payer.
Malgré les usages du pays, ces jeunes gens conservent leur chevelure, en prennent le plus grand soin, la lavent tous les jours, la parfument avec le musc, l’ambre ou l’essence de roses, et la parent des fleurs de la saison. Un rouge artificiel colore leurs joues, un noir d’ébène est placé sur les sourcils et les paupières, pour animer leurs yeux et contraster avec la blancheur de leur teint. A tous les agrémens naturels du corps, ils joignent ordinairement ceux de l’esprit, et souvent ils empruntent les charmes de la musique et de la danse.
Voutier
Voutier, Olivier: Mémoires du Colonel Voutier sur la guerre actuelle des Grecs. Paris, 1823.
‘Memoires” 176
la veille de l'assaut à Anapli, Grèce
La flottile arriva ; les échelles furent bénites en grande cérémonie, et l’attaque fut arrêtée pour le 16 décembre avant le jour.
La soirée se passa en chants et en danses. Un neveu de Bouboulina se présenta chez le prince avec plusieurs musiciens, et nous fit entendre les chants du Tyrthée thessalien, bien propres à enflammer l’ardente imagination d’un peuple toujours avide de renommée. Sa musique a je ne sais quoi d’étrange qui plaît au milieu d’hommes armés. Je demandai à l’amphitryon la cause de ce concert ; il me dit, avec une sorte de naïveté : “Nous vivons aujourd’hui, savons-nous ce que nous deviendrons demain ; jouissons du dernier moment qui nous reste peut-être.”
Scrofani
"Voyage" 2/95-97
derviches, Athènes, Grèce, 1794-1795
Quinze religieux placés en rond, la tête couverte d'un long bonnet de drap blanc, un chapelet à la main droite, étaient à genoux appuyés sur leurs talons. D'abord immobiles comme des statues, ils demeuraient muets, insensibles, les yeux fixés en terre, et les mains étendues contre leurs cuisses. Peu-à-peu au son plaintif d'un instrument à vent, assez semblable à notre haut-bois, dont un de ces moines jouait dans un coin de la mosquée, ils commercèrent à sortir de leur léthargie. On vit la prière naître sur leurs lèvres, les animer tout bas, les agiter, enfin croissant par degrés avec les sons, devenir sensible et se confondre en un chant aigre et discordant. Après trois minutes, l'instrument se tut et les Derviches retombèrent en un clin d'oeil dans leur première attitude. A la reprise du haut-bois, le chant recommença de nouveau à se faire entendre et les religieux à se mouvoir. Se lever sur leur genoux, se coucher par terre, étendre les bras, les mettre en croix sur leur poitrine furent des attitudes qui se succédèrent avec la rapidité de l'éclair. Le son cessa et les Derviches reprirent leur immobilité. Enfin, à la troisième fois, l'instrument joue un air moins triste et plus animé ; dès-lors les Derviches ne s'arrètent plus, ils se mettent à tourner sur eux-mêmes, ensuite autour de la Mosquée; on les prendrait pour des inspirés et des maniaques ; leur voix et leur teint ne sont plus les mêmes ; leurs bonnets volent de tous côtés ; le roulement de leurs yeux et leurs contorsions annoncent le bouleversement de leur ame ; on craint à chaque instant de les voir tomber et se fracasser la tête contre les murailles, on se sent ému de compassion pour eux… Mais tout-à-coup après trois quarts-d'heure de prières et de pirouettes, le haut-bois se tait, les Derviches s'arrêtent, et sans dire un seul mot, chacun reprend son bonnet, retourne à son poste, se recompose, s'agenouille, et s'accroupit de nouveau sur ses talons.
Cette manière de prier en dansant au son d'un instrument, et qui semble au premier abord si extraordinaire, n'a rien qui doive nous surprendre. On sait que cet usage tient à l'antiquité la plus reculée ; les Bacchantes, les Hébreux et les Saliens s'en servaient dans leurs fêtes publiques. La Pheninde, l'Hyporchematique, la Cango, la Siculienne étaient des danses sacrées usitées chez les Grecs d'Europe et d'Asie. Eumèle faisait danser Jupiter avant que ce dieu s'occupât de la destinée des hommes. Socrate dansait la Memphis avant d'aller à l'académie ; David chantait en dansant devant l'arche du Seigneur, et Sophocle, après la victoire de Salamine, entonna des hymnes en l’honneur des Athéniens, et dansa tout nud autour du trophée qu’avaient érigé les vainqueurs.
Les prières des Turcs ne doivent donc point paraître étranges au philosophe. S’il rit, c’est de voir ces chants, ces danses et ces convulsions se renouveler dans Athènes parmi les sectateurs de Mahomet, chez une troupe de moines et surtout dans la tour des Vents, bâtie, il y a deux mille ans, par Andronique Cirreste, pour y recevoir les philosophes de la Grèce.
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"Voyage" 2/133
Athènes, Grèce, 1794-1795
Je devais partir justement aujourd'hui pour le Pyrée ; mais un fils qui vient de naitre à M. P.… me retient encore ce soir à Athènes. J'ai été envité au baptême des Grecs, où j'ai eu occasion d'observer que les cérémonies et les prières de cette église, et les exhortations aux parrains sont, à la vérité, un peu plus longues que les nôtres, mais ne laissent pas d'être graves et mystérieuses.
Après le baptême et les rafraîchissemens qui consistent en sorbets, confitures et café, les jeunes filles invitées voulurent danser. Le maître de la maison y consentit, et on se mit à danser au son d'une viole. Je puis assurer et protester que les Athéniennes modernes ne le cèdent en rien à celles d'autrefois. La forme ovale de leur figure, la ligne droite et régulière qui en dessine le profil, la pureté du contour, les yeux à fleur de tête, grands, noirs et vifs, le front petit, les lèvres vermeilles et l'inférieure un peu renflée, les sourcils fins et bien arqués, la gorge ronde, la taille légère, les mains petites ainsi que les pieds ; enfin je ne sais quoi dans l'ensemble qui plaît, intéresse et enchante. On retrouve encore aujourd'hui dans les Athéniennes tout ce qui dans celles d'autrefois servait de modèle. Ce n'est qu'ici où les Grecques n'ont point dégénéré ; tout l'indique, jusqu'à leurs moeurs, leurs habillemens et leur langue. L'idiôme y est plus doux que par-tout ailleurs ; il a quelque chose de plus animé dans les sons, de plus précis dans l'expression. Au parler on distingue encore les Athéniens du reste des Grecs, comme au tems de Théophraste. Leurs manières agréables, leurs habitudes civiles et obligeantes préviennent et engagent. Les Turcs même ont à Athènes moins de rudesse que par-tout ailleurs, et leurs femmes y ont moins à souffrir de leur tyrannie et de leur jalousie. Le costume des Athéniennes, dégagé de cette espèce de manteau appelé ferrazé, dont les Musulmans ne peuvent se dispenser, est presque le même que le costume antique : il est vrai qu'elles portent des cothurnes de peau jaune attachés à des culottes d'étoffe rouge ; mais la tunique blanche et transparente qui couvre leur taille, à partir de la gorge jusqu'en bas, le manteau de drap d'or ou de soie qui couvre leurs bras et tombe avec grace sur leurs épaules, un mouchoir fin dont elles environnent leur tête négligemment, et sur lequel s'entrelacent en petites tresses leurs beaux cheveux noirs, tout cela fait un effet charmant et admirable : tout ce qui déplait dans cet habillement, c'est une large ceinture attachée avec des anneaux d'or ou d'argent qu'elles portent gauchement sur le ventre, au lieu de la placer à leur sein. Plus de trente de ces Grecques s'étaient réunies pour le bal chez M. P…. : une d'elles se mit à la tête des autres et se chargea de guider le Romeica, qui est une danse latine ; les hommes y prirent part, et n'eurent aucune répugnance à lui céder le commandement. Comment s'en défendre ? elle était jeune, belle et nouvellement mariée. Quelle mollesse dans ses mouvemens ! quelle modestie, mais en même tems quelle expression dans les yeux ! et peut-être quelles émotions dans le coeur ! On m'apprit que son mari était aussi laid qu'elle était belle, mais que Sophie (ainsi s'appelait cette jeune Grecque) l'aimait éperdûment. Athènes continue toujours à être le pays des constrastes. La musique ne changeait jamais de ton ; mais la danse, conduite par l'habile directrice, changeait très-souvent de figure. Les femmes et les hommes se tenaient par la main, et se laissaient conduire par elle. La figure ordinaire était le rond. Tantôt ils passaient tous sous les bras du dernier couple, tantôt ils se pliaient et se repliaient en s'entrecoupant entr'eux. Enfin, après que cette danse eut continué pendant une demi-heure avec des mouvemens différens, tantôt graves et tantôt modérés, elle finit par s'animer au point de produire le plus grand intérêt : les figures se diversifièrent plus souvent et selon les divers mouvemens de Sophie ; tous les danseurs pliaient rapidement les genoux jusqu'à terre, se relevaient, tournaient sur eux-mêmes avec tant de grace et de décence, mais en même tems avec tant d'expression dans les yeux et dans la figure, qu'en comparaison nos danses sont, pour ainsi dire, inanimées. Celles que les anciens nous ont décrites, le Fandango des Arabes et des Espagnols, les pantomimes des Romains et des Balladères indiennes ne peuvent rien offrir de plus vif et de plus voluptueux. Pour comble de plaisir, se joignait à tout cela l'idée que cette danse avait lieu à Athènes. Quels charmes le nom et l'air de cette ville ne répandent-ils point sur tout ce qui les approche ! Le chagrin de devoir bientôt la quitter, la gaieté que cette danse m'avait inspirée, et peut-être encore la ravissante image de Sophie me troublèrent au point qu'il me fut impossible de fermer l'oeil de la nuit. J'étais déjà sur pied quand le postillon vint m'avertir que tout était prêt.
Battuta
in Charles-Dominique, p. 639-640
Ladhiq, Asie Mineure
Lorsque nous arrivâmes à Ladhîq, nous passâmes par un marché. Alors des hommes sortirent de leurs boutiques pour nous accueillir, prirent les brides de nos montures, mais d'autres hommes leur contestèrent ce droit : une longue dispute s'éleva entre eux et quelques-uns dégainèrent leurs sabres. Nous ne comprenions pas ce qu'ils disaient et nous prîmes peur car nous pensions que c'étaient les Jarmiyân, des bandits de grand chemin, et que nous étions dans leur ville. Nous crûmes qu'ils voulaient nous piller. Alors, grâce à Dieu, arriva un homme qui avait fait le pèlerinage et qui comprenait l'arabe. Je lui demandai donc ce que nous voulaient ces gens. Il me répondit que c'étaient des Fityân, que les premiers étaient les compagnons du Fatâ Akhî Sinân, les autres ceux du Fatâ Akhî Tumân et que chaque confrérie voulait que nous logions chez elle. Nous fûmes très étonnés de la générosité de ces gens. Ils firent la paix à condition qu'on tire au sort celui chez lequel nous logerions en premier. Ce fut Akhî Sinân qui fut designé ; celui-ci, apprenant la nouvelle, vint nous accueillir à la tête d'un groupe de ses compagnons qui nous saluèrent. Nous fûmes logés dans leur zâwiya. Le chef nous servit un repas varié, puis nous accompagna au bain où il entra avec nous. Il se mit à mon service et ses compagnons au service des miens, trois ou quatre prenant soin d'un seul. Puis nous sortîmes du bain et on nous servit un festin somptueux, des pâtisseries et beaucoup de fruits. Après le repas, les lecteurs récitèrent des versets du saint Coran. Puis ils se mirent à faire de la musique et à danser.
Ils informèrent le sultan de notre présence et, le lendemain soir, le souverain nous envoya chercher. Nous allâmes donc lui rendre visite ainsi qu'à son fils, comme nous le raconterons plus loin.
Nous revînmes à la zâwiya ou nous trouvâmes Akhî Tûmân et ses compagnons qui nous attendaient pour nous emmener dans leur zâwiya. Ils nous servirent un repas et nous conduirent au bain comme l'avaient fait les précédents, à cette différence qu'ils nous aspergèrent d'eau de rose à la sortie. Puis, ils nous reconduisirent à la zâwiya pour agir de la même façon que les autres ou peut-être mieux : repas avec sucreries et fruits, lecture du Coran après le festin, musique et danse. Nous restâmes plusieurs jours avec eux dans cette zâwiya.
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in Charles-Dominique, p. 656-657
Bursa, Asie Mineure
Nous logeâmes à Bursâ, dans la zâwiya du Fatâ Akhî Shams ad-dîn, un des Fityân éminents. Nous y passâmes le jour de Ashûrâ. Le fatâ akhî prépara un grand festin et invita, la nuit, les officiers supérieurs et les habitants de la ville qui prirent chez lui le repas du matin. Les lecteurs lurent de leurs belles voix des passages coraniques. Était présent le juriste prédicateur Majd ad-dîn al-Qûnawî qui prononça un sermon et invoqua Dieu d'une façon parfaite. Puis les fidèles firent de la musique et dansèrent. Ce fut une bien belle nuit !
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in Defremery & Sanguinetti, p. 139-142
Antalya, Asie Mineure 1332 (or 732 ??)
Des frères-jeunes-gens (“Alakhiyyet Alfitian”)
[Situées entre les confréries religieuses et les guildes professionnelles, les akhis constituent une des organisations typiques d’Asie Mineure dans cette période de conquête et de bouillonnement politique et religieux. Toutefois, le plus grand nombre de renseignements qu’on possède sur eux proviennent d’Ibn Battûta]
Le singulier d’akhiyyet est akhy, qui se prononce comme le mot akh, frère, lorsque celui qui parle le met en rapport d’annexion avec lui-même [ce qui fait akhy, mon frère].
Les Akhiyyet existent dans toute l’étendue du pays habité par des Turcomans en Asie Mineure, dans chaque province, dans chaque ville et dans chaque bourgade. On ne trouve pas, dans tout l’univers, d’hommes tels que ceux-ci, remplis de la plus vive sollicitude pour les étrangers, très prompts à leur servir des aliments, à satisfaire les besoins d’autrui, à réprimer les tyrans, à tuer les satellites de la tyrannie et les méchants qui se joignent à eux. Alakhy signifie, chez eux, un homme que des individus de la même profession, et d’autres jeunes gens célibataires et vivant seuls, s’accordent à mettre à leur tête. Cette communauté s’appelle aussi foutouwweh [Pour les futuwwas, associations professionnelles ou populaires urbaines du monde musulman, voir l’introduction. Les akhis constituent la forme anatolienne de la futuwwa arabe. A cette époque, aussi bien la futuwwa que les akhis sont liés avec les confréries soufis]. Son chef bâtit un ermitage et y place des tapis, des lampes et les meubles nécessaires. Ses compagnons travaillent pendant le jour à se procurer leur subsistance ; ils lui apportent après l’asr ce qu’ils ont gagné. Avec cela ils achètent des fruits, des mets et autres objets qui sont consommés dans l’ernitage. Si un voyageur arrive ce jour-là dans la place, ils le logent chez eux ; ces objets leur servent à lui donner le repas de l’hospitalité, et il ne cesse d’être leur hôte jusqu’à son départ. S’il n’arrive pas d’étrangers, ils se réunissent pour manger leurs provisions ; puis ils chantent et dansent. Le lendemain, ils retournent à leur métier, et après l’asr ils viennent trouver leur chef, avec ce qu’ils ont gagné. Ils sont appelés les jeunes-gens et l’on nomme leur chef, ainsi que nous l’avons dit, Alakhy. Je n’ai pas vu dans tout l’univers d’hommes plus bienfaisants qu’eux ; les habitants de Chîrâz et ceux d’Ispahân leur ressemblent sous ce rapport, si ce n’est que ces jeunes-gens aiment davantage les voyageurs, et leur témoignent plus de considération et d’intérêt.
Le second jour après notre arivée à Anthâlïah, un de ces fitiâns vint trouver le cheïkh Chihâb eddîn Alhamawy et lui parla en turc, langue que je ne comprenais pas alors ((Et qu’il n’a pas dû apprendre depuis)). Il portait des vêtements usés et avait sur sa tête un bonnet de feutre. Le cheïkh me dit : “Sais-tu ce que veut dire cet homme ?” Je répondis: “Je l’ignore. - Il vous invite, reprit-il, à un festin, toi et tes compagnions. ” Je fus étonné de cela et je lui dis : “C’est bien.” Mais, lorsqu’il s’en fut retourné, je dis au cheïkh : “C’est un homme pauvre ; il n’a pas le moyen de nous traiter et nous ne voulons pas l’incommoder.” Le cheïkh se mit à rire et répliqua : “Cet individu est un des chefs de jeunes-gens-frères, c’est un cordonnier et il est doué d’une âme généreuse ; ses compagnons, qui sont au nombre de deux cents artisans, l’ont mis à leur tête ; ils ont bâti un ermitage pour y recevoir des hôtes, et ce qu’ils gagnent pendant le jour ils le dépensent durant la nuit.” Lorsque j’eus fait la prière du coucher su soleil, cet homme revint nous trouver et nous nous rendîmes avec lui dans sa zâouïah.
Nous trouvâmes un bel ermitage, tendu de superbes tapis grecs, et où il y avait beaucoup de lustres en verres de l’Irâk. Dans la salle de réception se voyaient cinq baïçoûs : on appelle ainsi une espèce de colonne ou candélabtre de cuivre porté sur trois pieds ; à son extrémité supérieure il a une sorte de lampe, aussi de cuivre, au milieu de laquelle il y a un tuyau pour la mèche. Cette lampe est remplie de graisse fondue, et on place à son côté des vases de cuivre, pleins de graisse, et dans lesquels se trouvent des ciseaux pour arranger les mèches. Un des frères est préposé à ce soin et on lui donne le nom de tcherâghtchy ((Tchiraghdgi : lampiste ; du persan tchiragh, lampe))
Une troupe de jeunes-gens étaient rangés dans le salon ; leur costume était un kabâ [robe longue], et ils portaient aux pieds des bottines. Chacun d’eux avait une ceinture, à laquelle pendait un couteau de la longeur de deux coudées. Leur tête était couverte d’une kalançoueh (Un pan de tissu attaché aux bonnets. Ce couvre-chef deviendra plus tard celui des janissaires de l’armée ottomane) blanche, en laine, au sommet de laquelle était cousue une pièce d’étoffe, longue d’une coudée et large de deux doigts. Lorsqu’ils tiennent leurs séances, chacun d’eux ôte sa kalançoueh et la place devant lui ; une autre kalançoueh, d’un bel aspect, en zerdkhâny [Du persan zard, jaune ; probablement étoffe de soie fine ressemblant au taffetas] ou toute autre étoffe, reste sur sa tête. Au milieu de leur salle de réunion se trouve une espèce d’estrade, placée pour les étrangers. Lorsque nous eûmes pris place près d’eux, on apporta des mets nombreux, des fruits et des pâtisseries; ensuite ils commencèrent à chanter et à danser.
Leurs actes nous frappèrent d’admiration ; notre étonnement de leur générosité et de la noblesse de leur âme fut très grand. Nous les quittâmes à la fin de la nuit, et les laissâmes dans leur zâouïah.
Voutier
Voutier, (Olivier) Colonel: Lettres sur la Grèce. Paris, Didot, 1826.
"Lettres", p. 104
Le gouvernement fête le mariage du capitaine Hadji Christo, Nauplie, Grèce, 1824
A Mr. B***.
Naupli, 26 juillet 1824.
Mon bon ami.
Le capitaine Hadji Christo, devenu le bras droit du gouvernement, s'est marié hier avec sa jeune captive après l'avoir fait baptiser. Cet événement a donné lieu à de grandes réjouissances. La variété des costumes et le luxe des capitaines donnaient à cette cérémonie un air de pompe orientale que je ne m'attendais pas à rencontrer, et qui contrastait tristement avec la misère publique.
L'archimandrite Papa-Flescha, dont nous avons souvent remarqué ensemble la phyisonomie pleine d'impudence, d'astuce et de luxure, était étendu dans une stalle, vêtu comme un seigneur turc, la tête ornée d'un fez vert richement brodé et d'un énorme schall de couleur.
A l'occasion de cette fête, le gouvernement remettant toute affaire au lendemain, a passé la journée entière et une partie de la nuit en danses et en festins.
Galland
p.164
Chios, Grèce
Le sexe est généralement beau à Chio ; la liberté & la galanterie des femmes y a quelque chose de frappant & d’engageant, sur-tout pour les Levantins, & pour ceux qui ont vécu long-tems dans leur pays, où les femmes sont fort gênées & ne paroissent jamais à découvert : cependant l’avantage de la beauté du sang des Chiotes est bien diminué par la laideur de leurs longues dents déchaussées, de leurs jambes, de leurs mains, & de leurs bras, sans compter qu’elles sont dans l’usage de se beaucoup farder : ce qui gâte leur tein de bonne heure. Elles sont en général libres, engageantes, & cependant fort sages. Elles aiment extrêmement la danse, les chansons, la promenade & les divertissemens, pour lesquells elles ne quittent pourtant point leur travail : on ne les voit se donner à leurs plaisirs que les jours de Dimanche & de Fête.
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p. 194
Constantinople, serail du sultan
Marche du marriage de la sultane Esma, fille du Sultan Ahmed, le 27/02/1743
J’observerai ici qu’il n’est pas vrai que les femmes qui couchent avec le Sultan entrent dans son lit par le pied du lit, ni que les Pachas mariés à des Sultanes fassent la même chose à leur égard : ce sont des opinions populaires qui n’ont aucun fondement.
On fit pendant toute la nuit des réjousissances dans le palais de la Sultane : elles consistoient en farces & danses exécutées par deux troupes de baladins, & une troupe de baladines. Ces dernieres habillées en hommes jouoient dans l’appartement des femmes. Une troupe de baladins jouoit devant le nouveau marié & sa compagnie, & l’autre dans une place publique vis-à-vis le Seraï, pour le peuple & les domestiques du Pacha & de la Sultane : les baladins étoient habillés en femmes.
Hasselquist
p. 36
Les Francs commencent leur carnaval avec l’année, & le célèbrent par des bals & des soupers somptueux. J’assistai le 3 de Janvier à celui que M. Hochpied, Consul de Hollande, donna à tous les Européens. Tout s’y passa dans les regles ; mais nous nous fussions aisément passés de la musique, tant elle étoit mauvaise. Elle consistoit en deux mauvais violons & deux luths ; qui n’étoient sûrement pas touchés par des mains de maîtres. Ce bel art qui avoit été porté jadis à la derniere perfection par les Grecs, est ajourd’hui ignoré dans le pays ; & ce seroit en vain qu’on chercheroit parmi eux des Orphées & des Linus. Je fus en revanche fort content d’une danse qu’exécuterent les femmes grecques. Elles étoient au nombre de quinze, & celle qui les conduisoit, dirigeoit leurs pas à l’aide d’une pièce d’étoffe qu’elle tenoit dans sa main. Elle consistoit à former un demi-cercle, malgré les différens tours & retours qu’elles faisoient. Elles formoient aussi quelquefois un labyrinthe, après quoi elles reprenoient leur premiere station. Cette danse me parut fort ancienne, & je fus confirmé dans ma conjecture par M. Peyssonel, Consul de France, qui étoit extrêmement, versé dans les antiquités grecques. Il m’assura avoir trouvé quelques monumens de marbre, sur lesquels elle étoit représentée telle que je venois de la voir. Elle est si agréable lorsqu’on la voit danser par des Grecques habillées suivant l’ancienne mode du pays, qu’elle l’emporte sur toutes les danses modernes. Il ne me parut pas que la musique y répondît, & je fus infiniment plus satisfait des chansons dont elles l’accompagnoient.
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p. 60-61
On me reçut avec beaucoup de politesse, de même que dans tous les endroits où j’eus envie d’aller. Je ne pus voir ni la célébration du mariage, ni ceux que l’on marioit. Il n’est permis à aucun Turc, ni encore moins à un Chrétien, d’assister à cette cérémonie ; mais on me laissa la liberté de voir les convives, lesquels étoient assemblés dans une grande antichambre. La fête consistoit en un concert, & en des danses tout-à-fait étrangeres à nos moeurs. Leurs instrumens de musique étoient deux petites timbales de cuivre, & un timpanon extrêmement aigre. Les Musiciens faisoient tant de bruit, que quoique l’appartement fût fort grand & ouvert de tous côtés, on ne s’entendoit point parler l’un l’autre. Une personne seule dansoit pour toutes les autres. C’étoit un soldat Turc, vêtu d’un pourpoint fort court & sans chaussure, qui s’acquittoit de cet emploi. Il avoit dans chaque main deux cuilliers de bois. Dans cet étalage il se plaça au milieu de la chambre, & se démena de son mieux, remuant la tête, les bras & les pieds, se courbant en avant & en arriere, au son des cuilliers qu’il tenoit dans ses mains, ce qui, joint à la musique dont j’ai parlé, ne flatta pas beaucoup nos oreilles. Autant que j’ai pu le comprendre, le plaisir des convines se réduit à voir un homme s’agiter pendant trois quarts d’heure, au point de perdre haleine.
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p. 76-78
Les Arméniens & les Grecs célébrerent la fête de Pâques le 15 d’Avril, mais d’une maniere que je ne puis passer sous silence, vu qu’elle prouve le penchant que ces peuples ont conservé pour les fêtes & les divertissemens les plus dissolus. Ceux qui ont quelque connoissance des bacchanales de leurs ancêtres, peuvent en voir encore des restes chez eux. Ils achetent des Turcs, auxquels ils sont soumis, la liberté de se livrer sans réserve à leurs plaisirs. Ils payent pour cet effet au Muselem de Smirne une bourse qui vaut 500 piastres, mais il leur en coûte cinq à six à Constantinople ; moyennant quoi, on leur permet de s’enivrer, de danser, de chanter, de se battre, en un mot de faire tout ce qui leur plaît. Il ne se passe point de fête de Pâques à Constantinople, qu’il n’y ait plusieurs personnes tuées. On célébra la veille de Pâques une grande Messe dans les deux Eglises, laquelle finit vers minuit. A peine le Prêtre eut-il quitté l’Autel, que tout le peuple se mit à crier χρισός ανέση, le Christ est ressuscité, à cause de la joie qu’il eut de voir finir un jeûne qui l’ennuyoit. Dans l’instant même ils commencerent à manger dans l’Eglise ce qu’ils avoient apporté ; après quoi ils sortirent en foule pour retourner à leur nourriture ordinaire, mais avec tant de cohue, que je suis assuré que plusieurs payerent cherement la fête. L’Evêque de la Sainte Trinité dit le jour de Pâques à midi une grande Messe en l’honneur de la Résurrection de Notre Sauveur, laquelle fut suivie d’une procession. On ne négligea rien dans cette occasion de tout ce qui pouvoit attirer l’attention du peuple.
Le 16 & le 17, toutes les rues furent remplies de Grecs, qui saisoient mille folies, & disputoient à l’envi à qui mangeroit & boiroit le plus. Ils traverserent la rue des Francs, dansant au son de quelques instrumens du pays, qui ne me flaterent point assez pour captiver mon attention. Un entr’autres étoit fait avec le péritoine d’un boeuf, tendu sur un cerceau, sur lequel ils frappoient avec leurs doigts. Ils ont mille tours d’adresse pour attraper l’argent des spectateurs, & ils l’employent à acheter des liqueurs. J’en vis un qui tenoit sa tête en équilibre, au point de porter dessus une bouteille pleine de vin, sur laquelle étoit un verre rempli d’eau, dans lequel il y avoit un bouquet de roses, sans que cela l’empêchât de danser & de gambader dans les rues. Leurs chansons sont interrompues de temps à autre par des χρισός ανέση. On ne commit cependant aucun meurtre pendant la fête parce que l’Evêque avoit eu la précaution la veille de menacer d’excommunication quiconque porteroit un couteau ou un pistolet sur lui. Les Arméniens sont plus sages & plus rassis, & célébrent leurs fêtes d’une maniere plus décente. Je ne les ai jamais vu danser, boire, ni faire du tapage dans les rues. Lorsqu’ils veulent se divertir, ils s’assemblent dans une maison ou dans un Chan, où les domestiques Arméniens de livrent à de petits jeux innocens ; ou bien ils font des courses à cheval, & s’en acquittent avec une dextérité qui prouve qu’ils n’ont pas dégénéré à cet égard de leurs ancêtres.
Raybaud
1/411
siège dirigé par Kolokotroni, Grèce
Après la chaleur et les travaux du jour, nos soldats, pour charmer les longues heures de la soirée, dansaient au son d’une espèce de hautbois et d’un tambourin ; ou bien, groupés autour d’un chanteur qui s’accompagnait d’une mandoline asiatique, ils écoutaient quelque production du Thessalien Rhigas, et plus souvent encore un chant patriotique sur la guerre actuelle.
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2/130
Tinos, Grèce
Les Tiniotes (je ne parle point ici des Latins) sont extrêmement portés au plaisir. La famille nombreuse des Paximadi, la plus influente de l’île par ses richesses, ses clients, son crédit et ses alliances, ne contribue pas peu à donner cette direction à l’humeur de ces insulaires. Les femmes de Tinos jouissent d’une plus grande liberté que dans aucune autre partie de la Grèce. On est frappé de la beauté, des grâces, et particulièrement de l’air de propreté qu’on rencontre chez elles ; cette dernière remarque est surtout sensible quand on sort du Péloponèse. Leur passion pour la danse est extrême : nous approchions du carnaval ; elles consacraient à cet amusement des nuits entières et une partie des jours. On dansait à Tinos, on égorgeait ailleurs ; et ces heureux insulaires que la prudence chassait vers leurs montagnes à chaque apparition de la flotte ottomane, retombaient dans leur incurie dès que le pavillon du croissant avait quitté l’horizon.
Nerval
2/165
harem du sultan, Constantinople, 1843
Mon compagnon m'apprit aussi le nombre actuel des femmes du sérail. Il s'éloigne beaucoup de ce qu'on suppose en Europe. Le harem du sultan renferme seulement trente-trois cadines ou dames, parmi lesquelles trois seulement sont considérées comme favorites. Le reste des femmes du sérail sont des odaleuk ou femmes de chambre. L'Europe donne donc un sens impropre au terme d'odalisque. Il y a aussi des danseuses et des chanteuses qui ne s'élèveraient au rang de sultanes que par un caprice du maître et une dérogation aux usages. De telle sorte que le sultan, réduit à n'avoir pour femmes que des esclaves, est lui-même fils d'une esclave, - observation que ne lui ménagent pas les Turcs dans les époques de mécontentement populaire.
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p. 2/229-230
derviches en Constantinople, Turquie, 1843
Un des assistants nous raconta qu'il avait vu les exercices des derviches du téké de Péra, lesquels sont spécialement tourneurs. Comme à Scutari, on entre dans une immense salle de bois, dominée par des galeries et des tribunes où le public est admis sans conditions; mais il est convenable de déposer une légère aumône. Au téké de Péra, tous les derviches ont des robes blanches plissées comme des fustanelles grecques. Leur travail est, dans les séances publiques, de tourner sur eux-mêmes pendant le plus longtemps possible. Ils sont tous vêtus de blanc ; leur chef seul est vêtu de bleu. Tous les mardis et tous les vendredis, la séance commence par un sermon, après lequel tous les derviches s'inclinent devant le supérieur, puis se divisent dans toute la salle de manière à pouvoir tourner séparément sans se toucher jamais. Les jupes blanches volent, la tête tourne avec sa coiffe de feutre, et chacun de ces religieux a l'air d'un volant. Cependant, certains d'entre eux exécutent des airs mélancoliques sur une flûte de roseau. Il arrive pour les tourneurs comme pour les hurleurs un certain moment d'exaltation pour ainsi dire magnétique qui leur procure une extase toute particulière.
Il n'y a nulle raison pour des hommes instruits de s'étonner de ces pratiques bizarres. Ces derviches représentent la tradition non interrompue des cabires, des dactyles et des corybantes, qui ont dansé et hurlé durant tant de siècles antiques sur ce même rivage. Ces mouvements convulsifs, aidés par les boissons et les pâtes excitantes, font arriver l'homme à un état bizarre où Dieu, touché de son amour, consent à se révéler par des rêves sublimes, avant-goût du paradis.
…
p. 274-275
légende raccontée dans un café, Constantinople, Turquie
Pendant la pause qui suivi cette partie du récit, un incident assez singulier occupa l’attention de l’assemblée. Un jeune homme, qu'à la teinte de sa peau, de la couleur d'un sou neuf, on pouvait reconnaître pour Abyssinien (Habesch), se précipita au milieu du cercle et se mit à danser une sorte de bamboula, en s'accompagnant d'une chanson en mauvais arabe dont je n'ai retenu que le refrain. Ce chant partait en fusée avec les mots : "Yaman ! Yamanî !" accentués de ces répétitions de syllabes traînantes particulières aux Arabes du midi. "Yaman! Yaman ! Yamanî!... Sélam-Aleik Belkiss-Makéda ! Makéda'... Yamanî! Yamanî...» Cela voulait dire: "Yémen! ô pays de l'Yémen!... Salut à toi, Balkis la grande! 0 pays d'Yémen!"
Cette crise de nostalgie ne pouvait s'expliquer que par le rapport qui a existé autrefois entre les peuples de Saba et les Abyssiniens, placés sur le bord occidental de la mer Rouge, et qui faisaient aussi partie de l'empire des Hémiarites. Sans doute, l'admiration de cet auditeur, jusque-là silencieux, tenait au récit précédent, qui faisait partie des traditions de son pays. Peut-être aussi était-il heureux de voir que la grande reine avait pu échapper au piège tendu par le sage roi Salomon.
Comme son chant monotone durait assez longtemps pour importuner les habitués, quelques-uns d'entre eux s'écrièrent qu'il était melbous (fanatisé), et on l'entraîna doucement vers la porte. Le cafetier, inquiet des cinq ou six paras (trois centimes) que lui devait ce consommateur, se hâta de le suivre au-dehors. Tout se termina bien sans doute, car le conteur reprit bientôt sa narration au milieu du plus religieux silence.
Tancoigne
145-148
Crète, Grèce
Pendant le carnaval, les filles non-fiancées jouissent d’un peu plus de liberté ; et cet jeureux temps, trop court pour les amans, leur fournit plus d’une occasion de se répéter et de mettre à exécution ce qu’ils n’ont pu jusque-là se faire entendre que par symbole. Le tumulte d’un bal aide merveilleusement à toutes ces petites intrigues. Au milieu d’un nuage épais de fumée de tabac, aux sons aigres et discors d’une lyre (La lyre des Grecs modernes n’a aucune ressemblance avec l’instrument du même nom en usage chez les anciens : elle n’a que trois cordes, et sa forme est celle d’une mandoline de la plus petite dimension. Les Grecs jouent de cet instrument avec un archet) grossière, commence le chôros (Χωρος), espèce de danse qui conserve encore, dans sa monotonie, de la ressemblance avec celle des anciens Grecs.
Les danseurs forment une longue chaîne, dirigée par le plus habile de la compagnie. Tous partent du même pied, en cadence, le dos rentré, le ventre tendu et la tête penchée sur l’épaule, sans perdre de vue les mouvemens du chef de la bande. Celui-ci présente alternativement à sa danseuse les deux bouts d’un mouchoir brodé, et accompagne quelquefois ce geste de contorsions ridicules et de passes à l’allemande. Ces figures sont toujours les mêmes, et ne varient que par le plus ou le moins d’agitation que se donnent les danseurs, soit en avant, soit en arrière, souvent à la même place et par des pauses qu’annonce la musique. Le jeune galant, ivre de vin et d’amour, serre enfin dans sa main celle de sa jeune maîtresse, dont les langoureux regards semblent provoquer maintes petites libertés, que favorise encore l’effroyable tintamare de cent voix qui chantent toutes sur le même ton. Le carême vient-il ? adieu les ris ! adieu les amours ! le plaisir fuit pour une année : il faut de nouveau recourir au language hiéroglyphique.
Fresne-Canaye
p. 113
Constantinople, Turquie
Et maintenant je ne parlerai plus de colonnes ou de mosquées, mais de quelque sujet plus gai, pour nous remettre un peu de notre lassitude d’hier. Je raconterai donc les noces d’un très riche marchand pérote, nommé Scudi, qui prit pour femme une riche et belle jeune fille de sa cité. Comme je désirais voir les coutumes des Pérotes dans ces alliances, et que toujours la compagnie des dames m’a paru agréable, j’allai voir ces noces. A la porte de la maison se tenaient pour la garder quelques janissaires. Toutes les dames étaient réunies en une salle où il y avait des bancs pour les hommes comme pour les dames. Elles étaient toutes rassemblées en une troupe, et des hommes occupaient une autre partie de la pièce. Ces Pérotes, habillées toutes comme si elles étaient issues des Royaux de France [Du Fresne fait ici allusion aux Reali di Francia. Ce célèbre livre populaire italien eut de nombreuses éditions de son temps. D’après Rio Rajna (Ricerde intorno ai Reali di Francia, 1872, collection des Testi di lingua), la première édition imprimée connue de la compilation d’Andrea de’ Mangabotti da Barberino est celle de Modène 1491; puis viennent Florence, 1496; Venise, 1511, 1532, 1537, 1546], étaient assises autour du trône de la nouvelle épousée, sans se parler, ni rire, ni tourner les yeux à droite et à gauche comme font les autres femmes, mais avec une grande majesté écoutaient les chants et les sons d’une harpe grecque, qui me paraissaient pourtant plutôt funèbres qu’en accord avec le joyeux hyménée. La jeune mariée, à la façon des reines du Catay, était assise sous un baldaquin d’or avec une couronne en tête: elle semblait une Diane au milieu de ses plus gracieuses et chastes nymphes [Postel, p. 14: “l’habit brave des Perottes... Je ne veus point ici réciter la braveté des Perottes, car il me faudroit une Royne ancienne pour comparaison...” Voy. Nicolay, p. 80 et 81, Femme et Fille d’estat grecque de Péra.] L’éclat de ses perles, rubis et joyaux m’éblouissait si bien qu’à peine pouvais-je compter ou juger ses charmes. En outre, ses cheveux d’or pur retombant sur ses blanches et délicates épaules avaient je ne sais quoi des plus brillants rayons du soleil vers l’heure de midi, ces rayons que l’oeil mortel ne peut guère regarder. Seulemet je me rappelle qu’elle tenait les mains cachées sous un mouchoir qu’elle avait attaché sous sa poitrine, et que son vêtement était de velours cramoisi, plissé à la ragusine.
Avant qu’on commençât le passemezzo [“Passemezzo, aria di un’antica danza”, dit le Dictionnaire de Tomaseo e Bellinni - Comparez avec le mariage de Théodose Zygomalas (2 nov. 1578), relaté dans une lettre que cite Em. Legrand, op. cit., p. 61-65)], on apporta des confitures, des vins excellents et beaucoup de sucreries, et après qu’on eût fait amplement collation, le mari passa au milieu du bataillon des dames, arriva à l’estrade de l’épousée et s’assit à côté d’elle. Tout d’un coup tous deux furent couverts d’un voile d’écarlate; et cachés sous ce voile il est à croire qu’ils se donnèrent les plus savoureux baisers du monde, réservant pourtant la consommation de la fête à un temps plus opportun; car soudain le mari se leva, comme si en peu de temps la femme lui était venue à charge, et retourna s’asseoir avec les hommes. La mère ou tante de l’épousée reçut dans un bassin d’argent les présents que lui faisaient ses parents ou amis.
Alors un veillard commença à jouer sur la harpe une ronde presque sur un air de passemezzo; le père du marié prenant la mariée par la main ouvrit la danse, et ainsi firent beaucoup d’autres parents prenant leurs cousines et connaissances.
Sauger
p. 385-386
Isles grecques
Tous les Grecs des Isles, & sur tout les femmes, ont une passion furieuse pour les danses publiques. Dés la veille des fêtes un peu solennelles, particuliérement si c’est du Patron de quelque Eglise de l’Isle, on les voit tous arriver par bandes des lieux les plus éloignez, & danser tant que la nuit est longue dans la grande place de l’Eglise. Les Dames de qualité qui peuvent sortir ces jours-là, y viennent à cheval partagées en plusieurs brigades, & précedées de musettes & de tambours, qui annoncent de loin leur arrivée. Les Missionnaires font ce qu’ils peuvent pour empêcher ces assemblées : mais le penchant y est si grand & si général, qu’ils n’ont pû encore gagner que fort peu de chose.
Bauffremont
p. 76
Smurne, Asie Mineure, 1766
Le 2 [Octobre], Mr. et Madame de Peyssonel donnèrent à l’escadre un bal magnifique et somptueux. Il y avait 60 femmes parées et mises superbement à la grecque, avec beaucoup de goût et d’art. Il y eut une quantité immense de rafraîchissements, un ambigu à l’avenant. Dans aucune ville du royaume, on ne pourrait donner une fête plus magnifique et mieux entendue. Nous étions 500. Toute la nuit on dansa, et on se retira qu’à sept heures du matin. Nous eûmes tous lieu d’être satisfaits de cette fête, dont les honneurs furent parfaitemnet bien faits par Mr. le Consul et Madame la Consulesse. Il ne pouvait se faire que dans le nombre des dames qui étaient au bal il n’y en eût de très jolies, et de bonnes danseuses. Les femmes de Smirne sont intrépides à cet égard ; elles danseraient et sauteraient 24 heures sans se fatiguer : il y avait bien des jeunes gens dans l’escadre en état de leur faire tête.
Ch. Pertusier
Pertusier, Ch.: Promenades pittoresques dans Constantinople et sur les rives ... 3 volumes. Paris, H. Nicolle, 1815.
Pertusier 1/150-157
Danses grecques et musique turque
Si vous choisissez, pour visiter Belgrade, un des jours consacrés au repos et au plaisir, vous y serez à coup sûr témoin de cette danse nationale conservée, à quelques altérations près dans sa pureté primitive ; connue sous le nom de romeka (la grecque), par ceux qui en font leurs délices, et dont le chantre de l’Illiade a composé le plus bel ornement du bouclier d’Achille. Les figures et la pantomime qui la caractérisent s’appliquent encore à présent, comme jadis, à tracer tous les détours sinueux de ce labyrinthe, dont Thésée seul parvint à trouver le secret ; et à expliquer la marche embarrassée de ce héros pour accomplir la tâche difficile qu’il s’etait imposée. Les femmes, se tenant toutes par cette ceinture qui leur dessine la taille, suivent la jeune fille qui les guide, agitant un mouchoir comme Ariadne, lorsqu’inquiète, tremblante, elle voyait son amant chercher le sentier qui devait le ramener à elle. La coryphée se porte en avant ; l’instant après elle revient sur ses pas, reployant sur elle-même toute cette guirlande dont elle est la première fleur. Sa tête penchée et mobile, son regard animé, et dans lequel on lit la sollicitude, achèvent de donner à cette scène imitée, des traits de ressemblance avec l’original. La romeka s’exécute d’un pas cadencé, que règle la simple voix, ou le son d’un instrument composé de deux cordes.
Chez les anciens, la danse était le récit d’une action et, par conséquent, portait toujours un caractère ; elle remonte aux siècles héroïques, et faisait les délices de ces mêmes hommes que les autres, émerveillés de leurs vertus, ont nommés des demi-dieux. Pyrrhus, le vaillant Pyrrhus, est, selon l’opinion la plus généralement reçue, l’inventeur de la pyrrhique, et l’un des plus célèbres danseurs que la Grèce ait eu. Les Lacédémoniens, qui s’étaient réservé cette danse militaire à raison des rapports marqués qu’elle avait avec leurs inclinations, attribuaient, comme de droit, le mérite de son invention à Castor et à Pollux. Les lois légitimaient la danse, étendant sur elle leur inspection ; et, rangée au nombre de leurs institutions, de savans législateurs l’avaient rattachée par des liens invisibles aux codes des moeurs et de la politique ; elle entrait dans toutes les cérémonies religieuses, et se réglait sur le culte rendu à la divinité qu’il s’agissait d’honorer, ainsi que sur les fonctions dévolues à celle-ci pour le caractère qu’elle empruntait et les attitudes qui devaient la distinguer. Par exemple, les danses des bacchantes, dans les orgies, se composaient de pas chancelans et incertains, de ce désordre que Bacchus porte avec lui ; celles en l’honneur des deux frères Spartiates se célébraient avec le bouclier et l’épée ; les danses de Flore, de Cérès, de Pomone, se reconnaissaient à des traits de physionomie empruntés de la divinité elle-même, et puisés dans la page la plus saillante de son histoire ; enfin, la pantomime devant donner l’intelligence du sujet, et s’étudiant à remplacer le discours de manière à ne pas laisser de regrets relativement à celui-ci, il résulta que cet art atteignit chez les anciens le dégré de perfection le plus élevé auquel il puisse arriver.
Les danses usitées aujourd’hui chez les Grecs, outre la roméka, sont la candiote, l’arnaoute, la pyrrhique, et la valaque. Les deux premières ont une si grande analogie et se distinguent l’une de l’autre par de si faibles nuances que nous nous dispenserons de faire une description particulière de la candiote. L’invention de l’autre est attribuée à Dédale, et servait de délassement à Ariadne. Thésée, après avoir vaincu le minotaure, l’exécuta à Dèlos, où il s’arrèta pour sacrifier sur les autels de Vénus.
La pyrrhique se danse encore avec le bouclier, sur lequel les acteurs portent des coups en marquant la mesure. L’arnaoute tient aussi de la danse militaire et, par conséquent, est réservée aux hommes. Celui qui la conduit frappe du pied en cadence, et tous l’imitent, se suivant les bras entrelacés. Elle vient de l’ancienne Macédoine ou plutôt de l’Epire, comme son nom l’indique, et aura sûrement une origine noble qui se rapporte peut-être aux héros de ces contrées.
La valaque est aussi grossière et barbare que la nation qui l’a imaginée ; le seul caractère qu’elle porte est le burlesque sans aucune intention ni motif. Le danseur, les genoux crochus, frappe la terre du talon, et met en jeu ses bras avec aussi peu de grâce qu’il en mêle dans le mouvement de ses jambes. Si ce sont des femmes qui la dansent, de burlesque qu’elle était elle devient monotone, et renferme en elle-même si peu de ressource qu’à ce changement, elle se trouve n’avoir rien gagné.
Jamais le Musulman ne prend part à ces divertissemens que le sévère islamisme interdit d’une manière formelle ; mais il ne défend pas de les voir goûter aux autres, aussi les Turcs usent-ils de cette modification de la loi sans, du reste, éprouver de regrets de ne pouvoir être acteur dans ces amusemens qui sortent pour eux des inclinations nationales. Chez cette nation, des baladins et des danseuses de profession exécutent des danses lascives. Les dernières ont accès dans le harem, et comptent au nombre des consolations offertes, à titre de dédommagement, à celles qui y gémissent sur la perte de leur liberté.
La musique jouit chez les Mahométans d’un dégré de faveur plus élevé que la danse, sans pour cela qu’il lui soit accordé davantage de considération ; c’est-à-dire, qu’ils l’écoutent avec volupté, au point même de ne pouvoir s’en rassasier; mais, par égard pour le Koran, ils n’osent point s’y adonner, du moins cette classe qui chez nous fournit les amateurs. Ils ont donc aussi des musiciens de profession qui les récréent, el le Grand-Seigneur, ainsi que les pacha, entretiennent des musiques militaires destinées à jouer dans les grands jours, tels que ceux du bayram.
Les instrumens, dont l’orchestre militaire se compose, sont des petites tymbales et des hautbois criards, nommés, les premiers kios, les autres zurna ; des boru ou trompettes de laiton ; des daul ou grosses caisses ; des cahazurna, qui donnent des tons plus graves que les hautbois cités en premier lieu. Quant aux instrumens de la musique d’académie ou de salon, ce sont des nëez ou flûtes de derwisch, plus longues que les nôtres, et qui produisent les sons les plus agréables de l’orchestre turc, pouvant parcourir une échelle diatonique plus étendue que celle dans laquelle la flûte chez nous est renfermée ; des timbour, une espèce de mandolines garnies de huit cordes, dont sept d’acier, l’autre de laiton, et qu’à l’exemple des anciens, on fait vibrer au moyen d’une petite lame d’écaille ; des meschal ou flûtes de pan composées de vingt-trois tuyaux ; des psalterions ; le rébab, autre mandoline avec un manche très-long, et montée seulement avec deux cordes dont on tire des sons à l’aide d’un archet ; la viole d’amour ; le keman ou violon ; enfin, plusieurs autres instrumens à vent ou à cordes qui se rapprochent de ceux que nous venons de nommer.
Quoique la passion de la musique soit un trait caractéristique de la nation turque, cet art est cependant dans l’enfance chez elle, et n’annonce pas devoir en sortir plus que les autres. Si l’on en croit Cantemir, d’Ohsson et Toderini, il existe des livres théoriques écrits en langue persane, qui traitent de la composition et offrent différens systèmes d’annotation. Aujourd’hui, ces lois de conventions sont perdues ; les compositeurs rendent leur mémoire dépositaire des productions qu’ils enfantent ; et l’orchestre étudie les morceaux, les apprenant également avec le seul secours de la mémoire, d’où l’on peut conclure que cette musique est réduite à sa plus grande simplicité, et ne peut être chargée de ces traits si necéssaires cependant pour faire ressortir le chant. Les intervalles, qui séparent un ton d’un autre, étant décomposés en fractions plus multipliées que dans notre système musical, de même que celle des Grecs anciens, elle a beaucoup de semi-tons, de quarts de tons que l’artiste se complaît à parcourir sans jamais user des transitions d’une octave à l’autre, donnant au contraire la préférence au chant perlé. Quant à l’accord des instrumens, ils jouent à l’unison ou, tout au plus, se permettent de faire l’octave au-dessus. Cela, joint à ce qui a été dit sur la grande subdivision de l’échelle diatonique, fait voir, d’une part, que les Turcs n’ont aucune notion de l’harmonie et, de l’autre, que toute leur attention se porte sur la mélodie à quoi se prête très-bien cette grande ténuité des sons.
Ferté-Meun
Ferté-Meun, Mme de la: Lettres sur le Bosphore, ou relation d'un voyage en différentes parties de l'Orient pendant les années 1816 à 1819. Paris, Domère, 1821.
p. 164-165
Constantinople, derviches
Aujourd'hui j'ai assisté, dans une mosquée, à un spectacle assez curieux. Placée dans la tribune destinée aux femmes, j'ai vu les derviches tourner au son d'une musique plus harmonieuse que tout ce que j'ai entendu jusqu'à présent. La lecture de quelques versets du koran marque le commencement de la prière, pendant laquelle les derviches se promènent en rond autour de la mosquée, et saluent l'iman toutes les fois qu'ils passent devant lui. Bientôt cette procession, d'abord grave et paisible, prend un caractère plus animé ; alors l'air qui s'introduit dans le long jupon dont chacun de ces moines est enveloppé, le gonfle, l'arrondit, et donne à cette singulière cérémonie beaucoup de ressemblance avec le jeu que nos petites filles, en France, appellent le Fromage.
Rien n'est plus singulier que le coup-d'oeil que présentent ces derviches pirouettant avec une rapidité inconcevable. Ils commencement d'abord leur danse les mains croisées sur la poitrine, les lèvent ensuite l'une après l'autre, et tournent enfin les deux bras en l'air pendant un espace de temps assez considérable. Cet exercice divertissant, dont Tournefort a donné une description très-exacte, recommence trois ou quatre fois.
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p. 213-214
La romeca par les femmes grecques, Principo, Asie Mineure, Turquie
Ferté-Meun, Mme de la: Lettres sur le Bosphore, ou relation d'un voyage en différentes parties de l'Orient pendant les années 1816 à 1819. Paris, Domère, 1821.
Vous avez sûrement entendu parler des fêtes de Cérès et de Flore ? Il ne manque ici qu'un temple consacré à ces deux divinités, pour se croire dans les temps reculés où l'on célébrait avec pompe le retour du printemps. On vint nous réveiller à sept heures du matin, en nous disant que le bal commençait ; nous nous hâtâmes de nous rendre à cette invitation. Après avoir gravi une montagne qui n'est point aride, nous trouvâmes, devant une maison et un kiosque bâtis à mi-côte, une réunion qu'on eût dite composée des prêtresses de Flore ; toutes les femmes étaient couronnées de fleurs des champs : le coquelicot, le bleuet, l'aubépine et le bouton-d'or, ornaient d'une manière très-agréable de jolis cheveux d'un blond argenté.
Au moment de notre arrivée le bal s'ouvrait par une romeka, que ces belles Grecques dansèrent avec beaucoup de grâce. La danse dura jusqu'à dix heures du matin, et on se sépara ensuite.
Didot
p. 348
Rhodes, Grèce, 1817
Les Grecs se réunissaient chaque soir dans la maison de l’un d’entre eux, où, pendant une partie de la nuit, les chants et la danse se succédaient presque continuellement. Quoique leur musique, exécutée avec des instruments grossiers, soit pitoyable, elle paraît produire cependant sur leur organisation une grande partie des effets qu’on lui attribuait anciennement. Dès que quelques Grecs commençaient à chanter et à danser, on voyait successivement les hommes et les femmes, quel que fût leur âge, se réunir à eux, et les sons de la lyre attiraient tous ceux qui les entendaient du dehors. Comme au lutrin de nos villages, c’est toujours celui qui crie le plus fort qu’on regarde comme le meilleur chanteur.
Je vis exécuter à Rhodes une danse qui est particulière à cette île; on la nomme σπόρτο, ou σπείρο: dans cette danse, ou plutôt dans cette marche cadencée, on entrelace les bras de manière qu’en se tenant la main, un bras passe devant le corps du danseur voisin; les femmes se rangent ensemble d’un côté et les homme de l’autre. Les sons de la lyre ou mandoline marquent la mesure; et dans un chant alternatif, les hommes et les femmes se répondent par des chansons et des antistrophes qui ont souvent de l’originalité, comme on en peut juger par quelques-unes de celles que j’ai recuiellies et que j’ai jointes au recueil si intéressant des chants populaires de la Grèce, publié par M. Fauriel.
Une danse qui n’existe plus, je crois, nulle part dans la Grèce, s’est conservée dans l’île de Rhodes, et semble être un débris d’un antique dithyrambe: les femmes et les hommes entrent dans cette danse par une porte et sortent par une autre, en chantant: Διονύμουπάσαπάσα, etc.
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p. 366
Carnaval, Léros, 1817
En revenant dans la petite ville de Léros, je me trouvai au milieu des fêtes d’un carnaval grec. Les masques, plus bizarres les uns que les autres, parcouraient les rues par bandes; et ces troupes bruyantes, précédées par les joueurs de lyre (λυρισταί), entraient dans chaque maison pour y danser la roméka. On recevait à la place d’honneur le roi des masques, vêtu d’habits magnifiques; il faisait appeler du haut de son tribunal ceux qui refuisaient de payer un léger tribut aux joueurs de lyre, et, pour les y contraindre, il les poursuivait le sabre à la main, ce qui produisait des scènes comiques. Dans l’une de ces mascarades grotesques, des Grecs, dont la figure était cachée par des habillements grotesques, portaient au haut d’un bâton les ossements desséchés de têtes d’ânes et de sangliers, dont les mâchoires, au moyen d’une corde, s’ouvraient et se fermaient avec bruit, afin d’effrayer les femmes et les enfants.
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Didot (dans Fauriel 296)
distiques, Rhodes, Grèce
Je me rappelle qu'après avoir dansé la Romeika toute une soirée à Rhodes, parmi les vers que l'on chanta en dansant en choeur se trouvait ce distiqueé
Jeunes filles, entrez dans la danse, et chantez-nous une chanson,
faites l'éloge du joueur de lyre, parce qu'il est un joli garçon.
Gasparin
p. 301
bal de la cour, Otto and Amalia, Athènes, Grèce
Leurs Majestés sont entrées; elles ont adressé quelques mots aux principaux invités. On a présenté une jeune fille à la reine. L’étiquette, dans ce cas, et ici l’étiquette a bien de la poésie, veut que la jeune fille présentée baise la main de la reine pendant que la reine la baise au front. Il y a là quelque chose de simple à la fois et de royal.
Le bal s’est ouvert comme toujours, par la polonaise, sorte de marche solennelle à laquelle ne prennent part que leurs Majestés, les membres du corps diplomatique et quelques sommités gouvernementales. On fait trois fois le tour du salon, et chaque fois avec une personne différente. Ainsi, Mme Piscatory fait le premier tour avec le roi, le second avec le ministre d’Autriche, et le troisième avec un dignitaire grec. La reine, pour le troisième, donnait la main au président du sénat, vieillard à la longue robe de cachemire blanc bordée de fourrure.
La soirée s’est écoulée promptement; l’accueil plein de bonté du roi, a promptement dissipé les derniers vestiges de mes terreurs à l’endroit des majestés. On ne peut causer quelques instants avec lui sans deviner la droîture et l’élévation de son caractère. Et puis cette précieuse bienveillance allemande, cette grâce du coeur, comme elles mettent à l’aise !
La reine danse avec une élégance parfaite, jointe à une parfaite dignité; elle danse avec cette vivacité de plaisir qu’elle apporte à tous les exercices du corps. Je l’ai vue hier au soir de bien près, elle a eu la bonté de m’adresser quelquefois la parole; je l’ai entendue causer avec plusieurs dames, et toujours j’ai retrouvé cette simplicité exquise, ce charme d’ingénuité, et pourquoi ne le dirais-je pas, cette bonne et belle nature qui m’ont séduite au premier abord.
Je ne danse pas. - “Quel dommage! toute la marine française était là!”- Reflexion d’un jeune officier. - Assise par conséquent durant trois ou quatre heures, libre de porter mes pensées sur les sujets les plus sérieux, je me suis sentie pressée de demander à Dieu ses bénédictions pour ce couple royal.
Pouqueville
"Grèce" 420-422
Antiquité, Grèce
Danse
[Voy pl. 88. No 1, deux funambules (peintures antiques); no 2, asekie, on danse sur l’outre; no 3, jeu d’osselets (peinture antique); no 4, femme sautant entre deux épées (vase grec du musée de Naples; no 5, femme grecque puisant avec les pieds dans un vase (vase grec de la collection d’Hamilton]
Lucien dit que la danse est contemporaine de l’Amour, qui était le plus ancien des dieux. Elle puise son origine dans la nature, car il n’y a pas de mouvements suivis dans l’homme qui ne soient réglés par une cadence. Le paysan remue sa houe à des intervalles à peu près égaux; le voyageur porte un pied devant l’autre avec une certaine régularité; le forgeron frappe l’enclume de son marteau avec une mesure naturelle qu’on pourrait appeler rhythme.
Danseurs anciens. - Les mythologues attribuent les règles de la danse à Erato et à Terpsichore. Homère parle du Crétois Mérion, célèbre danseur. Les Lacédémoniens se vantaient d’avoir appris la danse de Castor et de Pollux; ils alliaient son étude à celle des armes; un musicien assis au milieu d’eux jouait de la flûte et marquait la mesure qu'ils devaient suivre en frappant du pied. Théophraste, cité par Athénée, prétend qu'Andros, natif de Catane, en Sicile, accompagna le premier, du son de la flûte, les divers mouvements du corps. Après Andros, le même auteur nomme Cléophante de Thèbes et le poète Eschyle, qui enrichit la danse de diverses figures et l'introduisit dans les choeurs de ses tragédies.
Apologie de la danse. - Lucien a composé un dialogue qui justifie la passion des Grecs pour la danse. On dit que les Thessaliens donnaient à leurs magistrats le titre de directeurs des danses. Orphée et Musée furent les plus fameux danseurs de leur temps ; ils voulurent que les initiations aux mystères, qu'ils inventèrent, fussent melées de danses. Pindare met l'art chorégique au nombre des attributs d'Apollon ; Anacréon dansait dans sa vieillesse ; Cornelius Nepos vante ce talent dans la personne d'Epaminondas. Les philosophes, déposant leur gravité, dansaient avec les courtisanes. "Voyez, dit Socrate, témoin d'une danse, voyez cet enfant charmant ! combien ces mouvements lui donnent plus de graces que lorsqu'il est en repos ! - Il me semble, dit Charmide, que tu loues le maître qui enseigne ces sauts ? - Oui, sans doute, repartit Socrate, car remarquez quand quelque enfant danse, toutes les parties de son corps sont en action... Vraiment, Syracusain, ajouta-t-il, en s'adressant au maître de danse, j'apprendrais volontiers de toi l'art que tu professes. - Et à quoi cela te servirait-il ? - A sauter ! Ici tout le monde se mit à rire. Alors Socrate, d'un air sérieux : Ririez-vous, par hasard, si je me livrais à cet exercice pour me rendre plus dispos, pour me donner plus d'appétit et me procurer un sommeil plus doux ? Je serais ridicule si je sautais pour avoir les jambes grosses et les épaules minces, comme les athletes qui courent dans la stade... Peut-être riez-vous de ce qu'ayant le ventre gros, je cherche à le diminuer par ce moyen." Platon fait l'éloge de la danse ; et les femmes qui remportaient le prix dans ces brillants exercices obtenaient des statues et des monuments publics.
Ces danses devaient avoir un grand caractère, lorsqu'on voit le docte Scaliger, après avoir écrit une dissertation sur la Pyrrhique, porter la passion pour l'antiquité, jusqu'à vouloir exécuter cette danse en public. Que Therpsichore Taglioni, qui a l'art de tout embellir, eût conçu une pareille idée, son talent peut tout ennoblir ; mais qu'attendre d'un vieillard qui parut sur la scène, le casque en tête, le glaive à la main, pour danser devant l'empereur Maximilien, entouré de sa cour ? Il fut cependant couvert d'applaudissements et demandé plusieurs fois.
Qualités des danseurs. - Polyclète avait exécuté une statue si parfaîte du danseur, qu'elle était appelée le type ou modèle par excellence. Il ne faut pas, suivant Lucien, que "le danseur soit trop grand, ni qu'il ait la stature d'un nain ; son corps doit avoir de justes proportions, n'être ni trop gros, parce qu'il choquerait la vue, ni trop maigre, pour n'avoir pas l'air d'un squelette." Il ajoute que le danseur doit être doué d'une extrême souplesse, et tout à la fois robuste et delicat, de manière à se plier à son gré et à retomber d'aplomb.
Danses sacrées. - Les danses ne furent jamais séparées de la musique ; elles s'exécutaient dans les sacrifices, autour des autels, devant les images des dieux, et constituaient une partie essentielle des fêtes ; elles avaient lieu en formant des choeurs qui se balançaient circulairement ou par groupes.
Dédalienne. - Le bouclier d'Achille représente "des adolescents des deux sexes, qui dansent en se tenant par la main. Les filles sont vêtues d'une étoffe de lin douce et légère ; les hommes portent des tuniques d'un tissu plus fort, dont la couleur dorée ressemble à celle de l'huile. Pliant leurs pieds dociles, tantôt ils voltigent en rond, aussi rapides que la roue mise en mouvement par la main du potier ; tantôt ils se mêlent, en tantôt ils courent former divers labyrinthes : deux sauteurs se distinguent au milieu du cercle, ils entonnent le chant sacré, et s'élèvent d'un saut rapide.
Délienne. - La Grèce entière accourait aux fêtes de Délos. Les jeunes filles des plus brillantes théories formaient des danses accompagnées des sons de la lyre et de la flûte. Dans un acte particulier de cette panégyrie, les vierges de la Hellade allaient, en valsant légèrement, tandis qu'on chantait l'hymne de Diane, suspendre des guirlandes à la statue de Vénus qu'Ariane avait apportée de Crète ; celles qui s'étaient distinguées par leur agilité, leur légèreté et la modestie de leur maintien, recevaient pour prix des couronnes d'olivier, de fleurs, et des trepieds precieux. Cette danse était ordinairement terminée par une espèce de tir à la cible, ou les jeunes gens s'exerçaient à percer de leurs flèches une timide colombe attachée au haut d'un mât. Le Dominiquin a représenté une de ces scènes dans son tableau de la chasse de Diane.
Gymnopédique et Bachilique. - La première était consacrée à Apollon ; elle se composait de deux choeurs, l'un de jeunes gens et l'autre de personnes d'un âge mûr : elle formait toujours le prélude de la pyrrhique. La bachilique s'exécutait au bruit des sistres, des cymbales et des tambours ; on y chantait des dithyrambes, ainsi que des chansons libres et quelquefois obscènes.
Danses de théâtre. - Tragique. - On la surnommait Emélienne, pour signifier que la bienséance et la dignité formaient son véritable caractère. Les danseurs accompagnaient de gestes et de mouvements analogues les sentiments que le choeur devait exprimer en adressant des prières aux dieux, en manifestant des passions douces, terribles et menaçantes. On exécutait des marches militaires et ce qu'on appelait le choeur cyclique.
Comique. - Son genre était calqué sur les mouvements indécents et le caractère licencieux des poètes comiques, et il n'y avait guère que des personnes abjectes qui consentissent à remplir ces choeurs. C'est pourquoi Théophraste met la danse comique au nombre des actions qui font connaître un homme déhonté.
Satyrique. - Elle avait lieu sur la scène après la tragédie. C'était une espèce de pastorale propre à récréer les spectateurs et à les distraire des sentiments pénibles qu'ils venaient d'éprouver. Cette danse était ordinairement exécutée par des acteurs déguisés en satyres, en faunes, en silènes, en pans, en égypans et en ménades. La pantomime était mise au nombre des danses, avant que les Romains l'eussent élevée au rang du drame théâtral.
Danses des Graces. - L'Amour agitant des castagnettes y figurait avec les Graces vêtues de robes légères. Ce costume indiquait qu'elles ne pouvaient se cacher, et que partout où elles étaient présentes on les avait bientôt reconnues : leurs ceintures étaient lâches et flottantes.
Sauteurs. - Les tours de force et de souplesse qu'ils faisaient, servaient de prélude à quelques spectacles pareils à ceux de nos boulevards. Les Grecs avaient leurs acrobates ou danseurs de corde, leurs bateleurs qui amusaient le public en marchant sur les mains, leurs prestigitateurs qui s'élançaient sur la pointe des épées, ainsi que les grotesques dont les bondissements faisaient l'admiration des oisifs du Cynosarge, quartier fréquenté par les cyniques d'Athènes.
Danses privées, danse champêtre. - Le roman de Daphnis et Chloé retrace ainsi cette danse. "On prêtait l'oreille à l'air que jouait Philotas, lorsque Dryns se dressa en pied. Puis s'étant agité de tous ses membres, il fit une cabriole, se mit à sauter et à représenter une scène des vendangeurs. Ses pas marquaient jusqu'au moindre son de l'instrument, et ses gestes exprimaient tour à tour les différents travaux de la vendange. Il finit par imiter un buveur qui chancelle et tombe ; ce qu'il fit aux applaudissements des spectateurs.
Danse des noces. - C'était une espèce de pantomime suivant le récit de Xénophon. "Dès qu'on eut levé les tables, on vit paraître un Syracusain (maître de danse), suivi d'une femme accompagnée d'un enfant ; c'était une danseuse qui jouait de la flûte. On lui apporta douze cercles ; les ayant pris, elle se mit à danser, en les jetant en l'air pour voir à quelle hauteur elle devait les lancer, afin de pouvoir les ressaisir adroitement. On lui apporta ensuite un cercle garni d'épées droites qu'elle franchit de dehors en dedans et de dedans en dehors par un saut périlleux ; après cela l'enfant se mit à danser comme pour faire un intermède." On introduisit ensuite dans les festins, des ballets de nymphes et de néréides, et des scènes bouffonnes tellement lubriques, que la danse était devenue plus que scandaleuse dès le siècle de Plutarque. Elle fût alors abandonnée à des personnes abjectes qui s'en servirent sur le théâtre pour exciter et pour fomenter les passions les plus dangereuses.
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"Grèce" 2/483-485
klephtes, Thessalie, Grèce
Nous étions attendus dans cette hôtellerie solitaire par Euthyme Blachavas, chef des bandes armées de la Thessalie, qui était accompagné de Zongos, commandant des Palicares d’Agrapha et de Achéloüs [Euthyme Blachavas, Thessalien d’origine, après avoir fait pendant long-temps la guerre aux Turcs, avait dans ce moment profité d’une espèce d’amnistie pour reparaître dans le Pinde, dont Ali pacha lui avait confié la police.V. Hist. de la régénérat. de la Grèce]. Ces deux capitaines me comblèrent d’amitiés, et voulurent à toute force me régaler d’un agneau rôti à la façon des héros d’Homère, dont il fallut manger ma part. Le repas qu’ils me donnèrent fut une de ces fêtes décrites par l’auteur de Gil Blas, c’est-à-dire un véritable festin de flibustiers de montagne. Après avoir dépécé le rôti, on porta les santés d’usage qui commencent toujours par celles de quelques saints; et je dus décliner le nom de nom patron, qui eut les honneurs d’une rasade, quoique étranger à la légende orthodoxe. Les capitaines voulurent ensuite une faire donner un concert par leurs soldats, qui prenaient modestement le titre de klephtes ou voleurs, et ils s’en acquittèrent en chantant à tue-tête la chanson de Moré Boucovalas, qu’ils accompagnèrent du son de leurs lyres discordantes [Cette chanson de Boucovalas, qui fut un des chefs de bande les plus fameux de la Thessalie, se chante jusqu’à Constantinople. Quant au nom de Moré, il est appellatif dans les conversations et fort ancien dans la Grèce. Aristophane l’avait employé dans sa comédie intitulée Νήσοι. Ω Μωρέ. STROB., Tit. de pace, ed. Grot., p. 213.]. Après ce vacarme, on exécuta la danse des voleurs, qu’on trouve décrite dans Athénée [Athen., Deipnosophist, lib. I, c. 13. Callimaque l’appelle Pyrrhique. Hymn, ad Jov.]. Le sage Xénophone ne présidait point à la fête, telle qu’elle se passa devant le Thrace Seüthès; mais elle avait pour lieu de la scène le Pinde des Perrhèbes, pour acteurs des Oenianes, et sans doute quelques descendants des Magnésiens, qui en furent les inventeurs. On ne chanta pas le Paeana; on n’offrit point de libations aux dieux; mais après avoir donné quelques accolades à l’outre qui renfermait le vin, les lyres annoncèrent le commencement du bal, qui consisite à chercher un voleur, à le combattre après l’avoir découvert, et à porter ses dépouilles en triomphe. Cette parodie, à peine comparable, à nos jeux de barre, et qui probablement autrefois n’avait pas plus de poésie, étant finie, je demandai aux rois du banquet la permission de continuer ma route.
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Pouqueville "Grèce" 3/384-385
derviches, Thessalie, Grèce
Bientôt après on parcourt des vallons plantés de mûriers ; et au bout d’une lieue et un quart de chemin, on laisse à gauche le bourg turc d’Alicouli, dont le Téké, qui est le plus riche de la Thessalie, est un chef-lieu de l’ordre des Bektadgis, secte que sa croyance religieuse rapproche de la doctrine des Spinosistes.
Le supérieur ou Baba de cette communauté, Cheik Achmet, que je connaissais, tout en appréciant à leur juste valeur les jongleries auxquelles il se prêtait, trouvait fort bon l’opulence qu’elles lui procuraient. Il disait que, dans ce monde, l’homme sage doit se garder de détromper la crédulité, quand elle lui est profitable ; et raisonnant comme un saint homme d’hermite, il comparait ses derviches à un hôpital de fous, auxquels d’autres insensés fournissaient les moyens de passer leur vie dans l’oisiveté et la bonne chère. Au reste, sévère envers les siens, il présidait avec une gravité admirable à leurs convulsions et aux tours de gibecière de ces saltimbanques, qui retracent les mystères de la déesse de Syrie dans leurs orgies et leurs pratiques superstitieuses ((Lucien dit que ces fanatiques se mutilaient dans leurs transports, après s’être exaltés au moyen de danses, des vociférations et par les sons de la musique. De dea Syria, t. II, 383.)) Les meilleurs danseurs, ceux des faquirs qui s’appliquaient les plus vigoureux coups de pavés sur la poitrine, ou qui mordaient avec ténacité un fer rouge, étaient l’objet de ses caresses ; et lorsque nous étions seuls, il les immolait au ridicule. Alicouli, qui est le séjour de ces moines, indépendamment de cent maisons turques bien bâties qu’il possède, est environné d’un grand nombre de sérails, où les riches mahométans de Larisse viennent en été reposer leur indolence au milieu des ombrages et des eaux fraîches de cette contrée, dont l’air est regardé comme le meilleur de la Thessalie.
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"Morée" 1/272-278
Kleftikos, Romeika, Epirus, Grèce
Ces jeux, parmi les Grecs, à l’exception de celui du disque, n’ont généralement lieu qu’à certaines époques, et à l’occasion de quelques fêtes. C’est alors que le peuple, oubliant pour un instant son malheur, et rendu à son caractère enjoué, mérite d’être étudié. Quels éclats bruyans! Quels rires prolongés!... De toutes parts on n’entend que des chants, tandis que des danses, tour à tour graves et légères, terribles et voluptueuses, animent la scène par leurs effets variés.
Ici le chef du choros [Ce mot vient de χορεύω, je danse], c’est-à-dire de la danse, celui qui mène le branle, entonne des strophes que répète la voix des choeurs en se confondant avec le son des lyres, le bruit des tambours de basque, et le murmure des musettes qui règlent les pas des danseurs.
Ces strophes réunies forment un hymne très-célèbre chez les Grecs modernes. Pour ce peuple sensible, il est ce que fut autrefois pour les Suisses le ranz des vaches. Chez les plus sauvages habitans des montagnes, il provoque la gaîté, et est le signal du plaisir ; nul pâtre qui ne le redise à ses vallons, nul matelot qui ne le répète sur les mers, pour charmer ses ennuis ; cet hymne, enfin, rappelle au Grec exilé dans des climats éloignés, et les toits paternels et sa patrie, dulces reminiscitur Argos. Je crois, malgré sa simplicité, qu’il pourra faire plaisir au lecteur, et je le place ici.
RONDE GRECQUE
Κόρη Μαλαματενια μου
Και Μαργαριταρενια μου.
Κάμνεις τούς νέους καί χαίρουνται
Τούς γέρους και τρελενουνται.
Κάμνεις και μέ τόν ορφανό
Πιάνω μαχαίρι νά σφαγώ.
Σώπ' ορφανέ μή σφάζεσαι
Κι απ' ομορφιαίς μή νοιάζεσαι.
Κ' εμείς να σού τήν φέρομεν
Τήν κόρην απού ξεύρομεν.
TRADUCTION DE LA RONDE GRECQUE.
Ma fille d’or et de perles.
Vous qui inspirez la joie aux jeunes gens, et le délire aux vieillards.
Vous me poussez aussi (malheureux que je suis!) à prendre un couteau pour me couper la gorge.
Taisez-vous, infortuné, ne vous coupez point la gorge, et ne vous mettez pas en peine de la beauté (qui vous tourmente.)
Nous vous amènerons une beauté que nous connaissons.
Parmi les danses que j’ai vues, il en est une appelée la candiote, que les jeunes filles exécutent de préférence. On imaginerait voir Ariane indiquer les détours du Labyrinthe, et en dessiner les routes au perfide Thésée. Au moins la marche embarrassée de cette danse, sa confusion, son intrigue, si on peut se servir de cette expression, expriment assez ce caractère, qui pourrait indiquer tout autre chose, si on ne pensait aux temps anciens. Celles qui l’exécutent ignorent jusqu’au nom de la malheureuse princesse dont elle retrace peut-être l’aventure, et elle n’est, pour ces femmes, qu’une danse ordinaire, mais dont la tradition, suivant toutes les apparences, pourrait remonter à la plus haute antiquité.
Après la candiote, il est une autre danse appelée la valaque, qui fait généralement les délices de la jeunesse, à cause de sa légéreté et de la vivacité qu’elle exige.
A celle-ci succède la pyrrhique (Cette danse se retrouve chez les Arabes-Ababdés, telle que M. Guys l’a décrite. Voyez la Notice sur les Arabes-Ababdés). Deux hommes armés de poignards s’avancent à pas mesurés, en agitant leurs armes, qu’ils dirigent contre eux-mêmes, puis chacun d’eux contre son compagnon. Des sauts et des mouvemens violens caractérisent cet exercice martial, dont le nom rappelle le célèbre roi d’Epire, qui peut-être lui donna naissance, ou le mit en vogue par suite de son inclination guerrière. En voyant cette danse, je me suis cru transporté dans l’ancienne Sparte, dont elle retrace les plaisirs: j’avouerai que j’en fus presque effrayé quand je vis à l’impétuosité, succéder une sorte de délire et de fureur, et je craignis de voir la scène ensanglantée.
Outre ces danses de caractère, il en est d’autres usitées en Grèce, dont une m’a paru infiniment agréable; c’est celle connue sous le nom de romeika ou romaine. Hésiode semble l’avoir peinte, quand il dit: Elles doublaient, elles ramenaient le doux choeur, le choeur chéri. Au milieu d’un vaste salon de l’Orient, ou sur un plateau émaillé de fleurs, que son début est imposant! quel charme dans le développement de cette ligne de femmes enchanteresses, qui toutes se tenant par la main, se replient sur elles-mêmes et s’enlacent en passant tour à tour sous les bras l’une de l’autre! Elle commence dans une mesure lente et grave, dont le mouvement s’accélère progressivement, au point d’étonner les yeux par sa vitesse. Des chants répétés par les danseurs règlent la mesure, de concert avec les instruments. Il est à remarquer que cet usage, ordinaire en Orient, de mêler le chant à la danse, se retrouve encore dans les parties de la France qu’occupèrent les Romains, et sur-tout à Marseille, fondée par une colonie grecque de Phocéens.
Je passe sous silence les danses exécutées par les Tchinguis, dans les lieux de débauche ; leur description ne pourrait qu’offenser la pudeur ; il suffira de dire que ce sont les scènes de l’Arétin.
Pour terminer ce que j’ai à dire sur les danses les plus connues et les plus vantées chez les Grecs modernes, il me reste à parler d’une que les Albanais désignent sous le nom de danse des voleurs (Xénophon parle d’une danse des voleurs, à peu près semblable, que les Grecs célébrèrent à leur retour de l’expédition de Perse, lorsqu’ils furent arrivés sur les bords de Pont-Euxin, Xénoph., Retraite des Dix Mille). Elle était souvent exécutée chez le pacha par ses soldats : comme elle est caractéristique, j’expose le lieu de la scène.
Qu’on se représente une salle vaste, éclairée par quelques bougies de cire jaune, dont la lueur sépulcrale jetait sur les spectateurs des reflets pâles et douteux. Là, dans l’angle d’un sopha, était assis gravement le pacha, la ceinture chargée d’un poignard et de deux pistolets, ayant une carabine à ses côtés. Sa cour, composée de soldats vêtus de capotes grossières, restait debout dans une attitude sombre; le bourreau (par un privilège qui n’appartient qu’à lui) était assis en face du vezir, l’oeil fixé sur son oeil farouche, prêt à faire tomber la tête de celui qu’un geste du pacha lui désignerait, et à l’apporter humblement à ses pieds. Tel était le lieu du bal, tels étaient les spectateurs d’une danse faite pour plaire, par sa seule dénomination, à des hommes tels que des Albanais.
Les coryphées, le bras passé autour du col l’un de l’autre, une main dans la ceinture de leurs camarades, unis en rond de cette manière, s’ébranlent en formant dans un cercle des pas mesurés qui vont toujours en s’accélérant jusqu’au mouvement le plus rapide. Au plus fort de cette rotation fatigante, se font entendre des cris sauvages, mêlés au fracas de la musique la plus barbare. Il arrive quelquefois que pour augmenter l’intérêt de cette danse, les acteurs introduisent la pyrrhique, dont j’ai parlé plus haut, et qui, par son caractère, rentre parfaitement dans celui de la danse des voleurs; on feint ensuite de chercher des voleurs; on leur donne la chasse, et on les ramène en triomphe lorsqu’on les a arrêtés.
Je terminerai cet article sur la danse, en disant que les Grecs se réunissent guères sans danser. Cet exercice est l’amusement de tous les âges chez ce peuple aussi vif que joyeux, il est l’ame des réunions particulières; il se mêle à toutes les fêtes publiques, et dans les jours de repos consacrés par la religion, il vient encore dissiper le bruit des fers que porte le Grec avili et malheureux.
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"Morée" 2/135-137
garçons, Constantinople, Turquie
Ainsi, les Turcs n’ont ni spectacle, ni fêtes ; les places seules sont couvertes de jongleurs qui font danser des serpens au son du tambour ; de joueurs de gobelets, ou de meneurs d'ours : on trouve des bandes de Bohémiens, ou Tchinguenets, qui, au son d'une musique douce, exécutent les danses les plus lascives et les plus révoltantes. Ces misérables, quoique professant l’Islamisme, sont réprouvés et excommuniés par les Turcs, qui leur font payer le caratch comme aux autres vassaux de l’empire, dédaignant, à juste titre, de les regarder comme Musulmans.
On trouve dans les tavernes, qui sont au nombre de plusieurs mille dans la capitale des croyans, une espèce de danseurs appelés yamakis, qui sont des Grecs des îles de l'Archipel : élégamment vêtus, parés de schalls précieux, portant des bracelets, des colliers, et la chevelure longue, ils se parfument d'essences, se mettent du rouge, et affectent les manières lubriques des prostituées. Le Turc indolent, le Galiondgi, les comblent de cadeaux, en leur appliquant des pièces de monnoie sur le front ; ils les encouragent, ils prennent parti pour eux, et finissent souvent par se battre en l’honneur de tel ou tel yamaki. La garde, qui accourt alors au secours des combattans, les sépare en faisant rouler entr'eux les barriques vides ou pleines qui se trouvent dans la tabagie (car, dans ces lieux, les tonneaux et les buveurs sont pêle-mêle.) Le cabaret est ensuite fermé ; et le maître n'en obtient l’ouverture qu'en payant quelques piastres. Le vezir suprême, pour remplir son coffre, aux fêtes du Baïram, et dans les grandes calamités, ordonne aussi la clôture des tavernes, (qui sont allouées comme les maisons de jeu en Europe) et bientôt après, il reçoit un placet des Grecs, accompagné d’un présent qui lève les difficultés, et procure aux réclamans la liberté de leur trafic.
La nouvelle de 1’ouverture des tabagies amène ordinairement la joie parmi les buveurs, qui forment une classe nombreuse : ce n'est pas qu’ils ne soient parfois châtiés, et que la morale publique n’ait ses droits sur les ivrognes.
Guilletière
"Lacedemone" 191-192
Exercices des enfants en danse dans l'Antiquité, Sparte, Grèce,
Quelle admirable Discipline : chaque Enfant de Lacedemone estoit proprement un Eleve de la vertu ; Et il ne faut pas s’estonner s’ils sont devenus de si excellens Hommes. On les chastioit dans le bas âge quand on les avoit surpris dans l’oisiveté, qui estoit un crime pour les jeunes gens, & une marque d’honneur pour les Hommes : car elle servoit à discerner les Lacedemoniens de leurs Esclaves. Avant que de gouster les douceurs de l’oisiveté, il falloit s’estre continuellement exercé à la Lutte, à la Course, au Saut, aux Combats à outrance, aux Evolutions militaires, à la Chaffe, à la Danse, & quelquefois au petit Brigandage.
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Lacédémone 162-168
Femmes mahometanes à Mystra, Peloponnèse, Grèce, 1699?
[Il n'est jamais allé en Grèce (Sim.)?]
Tout le divertissement des femmes Mahometanes, quand elles sont ensemble, consite à faire des ouvrages à l'aiguille, ou bien à prendre un de leurs livres de Devotion, qu'elles nomment Mehemet Dia, c'est-à-dire les paroles de Mahomet. Elles choisissent dans la compagnie celle qui a la plus belle voix. Elle en lit quelque Chapitre en chantant ; Les autres l'écoutent avec une respectueuse attention, et de temps en temps elles luy répondent en dansant aussi.
Pour les jeunes filles, elles ont le divertisement du Hoinar. Voicy ce que c’est. Elles s’assemblent vingt ou trente pour danser. Elles ont une espece de grand bassin de cuivre en forme d’un Tambour, appellé Tepsi, qu’elles battent de doigts, & il y a de l’adresse à le bien battre. Celle qui a la voix la plus belle chante & s’accorde au son du Tepsi. Les autres sont assises sur des carreaux partagées en deux rangs. Tour à tour il y en a deux qui dansent au milieu de ces deux rangs, face à face, comme à nôtre Bourée d’Auvergne, s’esloignant & s’approchant l’une de l’autre en cadence ; & quand elles sont prestes à se rencontrer, elles se glissent à côté, & tâchent de s’éviter en affectant de se joindre. Souvent il y en a qui essayent de surprendre un baiser à leur compagne. Après cinq ou six passades, elles se tournent vers celles qui sont assises, & il leur est libre d’en choisir deux autres, pour venir dancer à leur place. Cette preference est une grande preuve d’amitié. Elles parlent en chantant à celles qu’elles vont choisir. Voicy leurs paroles; Guel hoine, allons dancer. Mais ce signal ne suffit point; il y en a un plus agreable. Elles prennent un mouchoir, & dansant toûjours, elles le presentent à celles qu’elles cherissent, & leur font signe de se venir jetter à leur col, leur tendant les Bras. Elles changent les paroles de la chanson, & disent Guel ubenem, venez me baiser; C’est la marque du choix. Il y a de jeunes Folastres qui brûlent de danser, & qui ayant peur de n’être pas choisies, previennent le signal; Elles se jettent en badinant sur celles qui dansent pour attraper le mouchoir, Ben sana bir chek tali vererem. En verite je vay vous baiser, disent-elles. Le plaisir est de les voir quelquefois qui sautent avec tant d’action qu’elles font tomber leur Tchember, c’est un linge blanc & delié qui enferme leurs cheveux comme une espece de coëffe, & qui en tombant les laisse flotter agreablement sur les épaules. Alors les éclats de rire se meslent au son du Tambour, & quelquefois celle qui a laissé choir son Tchember est condamnée pour sa punition à battre le Tepsi.
Les Mouchoirs servent à toutes les Danses de Misitra. Quand les jeunes filles Chrestiennes dansent aux Nopces de quelques Parents, elles ne donnent jamais la main aux garçons; Elles la donneroient nuë: car les Grecs ne portent jamais de gands. La fille & le garçon se tiennent donc par un mouchoir que la fille luy presente modestement. Si le garçon prenoit la liberté de glissser la main, il n’y a pas une fille qui ne luy appliquast la sienne sur le visage. Il s’est veut des Nopces troublées, & des Mariages rompus pour cela. Ils dansent toûjours par figures, & comme ils ont l’oreille bonne, il les font avec beaucoup de justesse. Tantost ils forment un cercle, & dansent en rond ; tantost ils font deux longues files opposées qui vont à la rencontre l’une de l’autre. Quelquefois les garçons dansent d’un pas grave, & d’un air imperieux. Quelquefois ils jettent les jambes en arriere & en avant; mais les filles les suivent toûjours d’un pas modeste, les yeux baissez, & le mouchoir pendant à la main pour se rejoindre aux garçons, selon que les airs le demandent. Ils dansent souvent aux chansons. Quelque jour je vous en diray des plus agreables. Quelquefois c’est au son de la Flûte. On y joüe fort bien de cet instrument, quoy qu’il n’y soit pas dans la mesme vogue que quand Lycurgue ordonna que chacun en sçeut joüer.
Vous voila satisfait maintenant, & me voila dégagé de ma parole. Vous avez voulu sçavoir avec empressement, si les filles dansent à present dans un pays où la danse a été plus en reputation qu’en aucun lieu de l’Univers. Pollux & Athenée vous definiront quinze ou vingt espèces de danses qui étoient particulieres aux Lacedemoniens. Ce qui n’empeschoit pas qu’ils ne se servissent encore de celles de leurs voisins, Les plus fameuses de Sparte étoient celles qu’il appelloient Gymnopaedia, Bibasis, & sur tout la Pyrrique.
Leur sage Legislateur voulant rendre les corps plus vigoureux, plus sains, & plus propres à la Guerre, les obligeoit aux exercices de la Chasse & de la Danse. Ils avoient apris l’une & l’autre de Castor & de Pollux, & l’on tenoit que la Guerriere Pallas avoit montré la Danse Pyrrique à ces deux Gemeaux. Athenée l’asseuré. Du moins il est certain que les enfans de Sparte étoient obligez d’aprendre la Pyrrique dès l’âge de cinq ans. On la dançoit en habillement de Guerre, chacun frappant de l’épée sur le bouclier de son Compagnon, & meslant dans la gravité de leurs pas toutes les postures Martiales qui pouvoient representer un Combat. La Danse n’étoit pas seulement entre eux l’image de la Guerre, elle en étoit un Mouvement effectif. Ils alloient à la charge, & attaquoient l’Ennemy avec des démarches compassées, mais fieres & belliqueuses, quoy que mesurées au son de la Flûte qui étoit leur seul instrument de Guerre. Diriez-vous donc que c’est en dansant qu’ils ont gagné tant de celebres Batailles? Eclaircissons la chose. C’éstoit un secret pour faire tenir les rangs & les files droites; ce qui est l’essentiel de l’Exercice Militaire: car il n’étoit pas possible que leurs Soldats ne gardassent bien leurs distances, & ne gagnassent leur terrain en méme temps, apres s’etre concertez pour cela dés l’âge de cinq ans.
Mais enfin, ils nous ont inventé le spectacle des Balets, & les leurs étoient sans comparaison bien plus ingenieux que les nostres. Avec des pas reglez ils enseignoient l’histoire; Les pieds, & les mains y parloient, & il y avoit un si grand Art, & une si vive expression dans leurs postures, que les Spectateurs déchifroient intelligiblement les circonstances les plus mysterieuses des actions de leurs divinitez. Ayez le plaisir de voir ce que Lucien en a dit.
A l’égard de la Danse, qu’ils appelloient Bibasis, on comptoit le nombre des sauts qu’on y faisoit, & pour y exceller il falloit lever les pieds bien haut, & donner du talon beaucoup au dessus de jarret. Elle étoit si peu grave en comparaison des autres, que le sçavant Cragius coniecture qu’on la laissoit pour les Heilotes, & pour les autres Esclaves. Mais je ne sçay si ce qu’Aristophane en a dit dans la Comedie de Lysistrate, s’accorde bien à cette conjecture. Pour la Gymnopaedie qui leur étoit particuliere, elle étoit composée de deux Choeurs. Les hommes dansoient tous nuds dans l’un & les enfans de méme dans l’autre. Ils chantoient tous des Hymnes à la loüange d’Apollon, & celuy qui étoit à la téte de sa Quadrille avoit une couronne de Palmier.
Je ne vous parle point de cette Danse remarquable des Lacedemoniens, ou les enfans, les hommes faits, & les Vieillards paroissoient distinguez en trois Choeurs differens, & venoient chanter les loüanges de ces trois âges. Plutarque, Libanius, & plusieurs autres en parlent amplement.
Mais le beau sexe de Lacedemone s’attachoit aussi à la Danse. Plutarque dit que Thesée y devint amoureux d’Helene, la voyant danser avec les autres Filles de Sparte devant l’Autel de Diane, surnommée Orchia, & que ce fut apres cette Danse qu’elle fut enlevée pour la premiere fois.
Si en faveur de Lacedemoniennes, il faut rendre une raison de leur application à la Danse, elle ne servoit pas seulement à leur donner de la grace, & le bon air. Il y entroit de la Morale. Les corps qui demeurent ensevelis dans un lâche repos, & qui faute d’excercice se chargent de beaucoup de graisse, ont naturellement plus de disposition aux voluptez, & aux déreglemens de la vie, que ceux qui sont souvent en action.
Mais voicy la grande question. Les Filles de Sparte dansoient toutes nuës en public, & peu de gens sont persuadez qu’il y eut de la modestie à ce Spectacle. Je m’imagine que les Lacedemoniens avoient pourtant leur raison, & que la chose étant toute commune parmy eux, elle ne faisoit pas dans leur ame une impression dangereuse & criminelle. Il se fait une habitude de l’oeil & de l’objet, qui dispose à l’insensibilité, & qui bannit les sales desirs de l’imagination. L’emotion ne vient que de la nouveaute du Spectacle. Une coûtume perpetuelle rebute plus les yeux qu’elle ne les tente; & si vous vous mettez une fois dans l’esprit l’integrité des moeurs de la Nation, vous demeurerez persuadé de ce bon mot. Les Filles de Sparte n’étojent point nües l’honnesteté publique les couvroit.
Generalement parlant, je ne vous diray pas que leur excuse fut une excuse pour nous; Mais enfin il y a encore aujourd’huy quantité de lieux dans l’Amerique Septentrionale, où les femmes paroissent toûjours dans l’état de celles qui dansoient à Sparte, & cependant tous nos Voyageurs asseurent que le crime en est entierement banny.
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"Lacedemone" 439
Place des danses, Sparte, Grèce, Antiquité
Une partie de l'Agora s'appelloit Choros, à cause du Spectacle de la Danse Gymnopoedia, & des jeux publics des enfans qui se faisoient là. Le mesme terrain y est encore, le nom est évanoüy.
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"Lacedemone" 523-524
Danse sur un cachet, Sparte, Grèce, Antiquité, (-1668?)
Outre ces usages de Soldat, les Magistrats de Lacedemone scelloient leurs Actes publics, avec un Cachet qui portoit la figure du Roy Polidore. Leur Roy Areus, à ce que dit Iosephe, avoit à l’emprainte du sien un Aigle qui de ses Serres tenoit un Lion. Le Lacedemonien Clearque qui combattit à la Bataille de jeune Cyrus, contre le Roy Artaxerxe, avoit fait graver sur le sien une Danse de Filles Caryatides.
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"Lacedemone" 530-531
Dessin de danse de Satyres, Mystra, Grèce, -1668?
Je n’y ay trouvé qu’un habile homme, encore ne travailloit-il pas de sa profession, & mesme il n’estoit pas du pays. C’estoit un Peintre Sicilien, qui s’estoit fait Renegat. Il avoit esté pris sur mer, & conduit à Misitra, où la peur d’un rude esclavage, & les belles esperances qu’on luy donna, l’engagerent aux abominations de l’Alcoran. Il marchanda quelque temps son apostasie, non pas tant par le juste remords qui le devoit toucher, que pour faire valoir ce changement aux Turcs. Un jour en presence d’un Dervis, qui conferoit souvent avec luy, pour le seduire, & luy donner les principes de la Religion Mahometane ; il se mit à dessiner avec du charbon contre une muraille une danse de Satyres, qui faisoient des postures crotesques, comme s’il eust voulu se moquer de la danse que font les Dervis dans leurs Mosquées : Mais le Dervis ne prit point la chose par là. Les Turcs en general ont une haine de Religion pour les Images qui representent quelque chose d’animé : de sorte qu’ils n’en souffrent jamais la veüe qu’avec horreur. Aussi le superstitieux Dervis n’eut pas si-tost veu les figures du Peintre, qu’il fremit, & se mit à cracher, comme par execration. Malheureux que tu es, dit-il au Peintre, le Prophete te demandera quelque jour de la part de Dieu, les ames des gens que tu viens de dessiner.
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"Athènes" 431-433
Candie, Crète, Grèce
Il se divertit quelque fois à la chasse, aime le jeu des Eschecs, & se plaist extrêmement à voir danser. Il avoit en Candie sept ou huit danseurs, qu’ils appellent Hoingi. Ils dansent au son de deux ou trois Basses de Viole, ou du moins de quelques instrumens qui leur ressemblent; quelque fois seul à seul, quelquefois deux à deux, ou trois à trois. Ils se servent assez agreablement d’une espece de castaignettes. Ces gens-là ont un petit jupon étroit, qui leur vient jusqu’à la ceinture. De la ceinture en bas, ils ont des juppes comme celles de nos femmes, qui viennent à fleur de terre, & qui sont extraordinairement amples. Comme leur addresse consiste à tourner brusquemét sur un pied, le vent s’engouffre sous ces juppes, & les enfle. Alors le Hoingi se baisse tout à coup, s’y plonge, s’y redresse, paroist & disparoist avec une promptitude & une justesse qui surprennent. Le Vizir prend ce divertissement de deux jours l’un.
Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il y avoit depuis peu en Turquie des Religieux Mahometans appellez Dervis, de qui je vous ay parlé, & dont la devotion consistoit à danser dans leur Mosquée avec une vîtesse infatigable. Le Vizir les ayant chassez de la Romelie tout recemment, ceux d’entre eux qui n’ont pas voulu se sauver à Cogna en Asie, où est leur principal Convent, se sont reduits à estre Hoingi, & dansent pour de l’argent aprés avoir dansé pour l’amour de Dieu.
Andreossy
p. 100-103
Derviches, Constantinople, Turquie
Celui qui postule pour être mèvlèvi doit renoncer aux vanités de ce monde, et faire dans la cuisine, en travaillant aux ouvrages les plus abjects, un noviciat de mille et un jours, sans pouvoir sortir du couvent. Lorsque ce temps est expiré, le Cheïkh reçoit le candidat, et lui assigne une chambre auprès de ses confrères ; il est dès lors admis à toutes les pratiques religieuses de cet ordre.
Les Derviches mèvlèvi se livrent, deux jours de la semaine, à des exercices publics qui ont lieu le mardi et le vendredi, après la prière du midi, dans leur oratoire ou Téké (Régulièrement Tékiè; il exprime tout le couvent, et non pas seulement l’oratoire du couvent). Cet oratoire est une salle octogone entourée de deux rangs de galeries, l’un supérieur et l’autre au niveau du sol. L’espace circonscrit par la galerie inférieure est parqueté en planches fixées par des clous à grosse tête arrondie, placés à peu de distance les uns des autres; ce qui aide les Derviches à tourner. On ne voit d’ailleurs dans cette salle d’autre ornement que le chiffre du fondateur, écrit en grandes lettres d’or, et placé dans la galerie supérieure sur la partie du mur qui regarde la Mèkke. La place du Cheïkh indiquée par une peau de mouton, sur laquelle il s’agenouille, est dans la salle au-dessous de ce chiffre. L’orchestre est établi en face du chiffre. A côté, et dans une position un peu plus élevée, on aperçoit une loge grillée, qui est celle que le Grand Seigneur occupe lorsqu’il assiste aux exercices des Derviches.
A midi on ouvre les portes de l’oratoire; les curieux entrent en foule et se répandent dans les galeries. Peu de temps après, quelques Derviches arrivent, saluent le chiffre du fondateur, et vont s’agenouiller autour de la salle; ils se prosternent le front contre terre, se relèvent et s’asseyent sur leurs talons. Le Cheïkh entre à son tour; il s’incline profondément devant le chiffre du fondateur, va s’asseoir à sa place, et commence à réciter la prière, dite Fat’-ha [Le Fat’-ha est le premier chapitre du Koran. Ce mot vient de fet’-h, ouvrir]. Après la prière, les Derviches placés dans la tribune de l’orchestre, chantent une ode en persan, que les instrumens accompagnent.
Dans cet intervalle, les autres Derviches arrivent et vont s’asseoir à leurs places, après avoir fait leur salutation et s’être prosternés. Quand ils sont tous réunis, l’orchestre, composé de petites timbales et de flûtes à bec appelées neï, faites de cannes d’Inde, exécute un morceau de musique dont le mouvement est tempéré. Tout à coup il devient brusque; alors tous les Derviches se lèvent, et font trois fois le tour de la salle, à pas lents, ayant le Cheïkh à leur tête.
Le troisième tour étant terminé, le Cheïkh s’arrête, et se tient debout; chaque Derviche passe, en lui faisant un profond salut, lui prend la main, la porte à ses lèvres et à son front, et ce met à tourner.
L’habit de Derviche consiste en un gilet ouvert, dont un des coins est arrêté par un long jupon de laine fort ample, retenu autour du corps par une ceinture; les jupons ne sont pas tous de la même couleur.
Le Derviche, en préparant son mouvement pour tourner, développe ce jupon jusqu’à ce qu’il forme la cloche, alors il pirouette sur lui-même en décrivant un très-petit cercle; et les instrumens de l’orchestre jouent un air qui règle les mouvemens de la danse. Cet air [Cet air est rapporté avec des notes européennes dans le bel ouvrage de M. de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, qui renferme un recueil de cent estampes, publié à Paris en 1714. On trouve aussi dans le même ouvrage une gravure représentant l’intérieur d’un téké, et la danse en tourbillon] accompagne en même temps le chant d’une ode, presque toujours morale, sur les Derviches, et qui retrace leurs devoirs. Le nombre des tourneurs est fixé à 9, 11 et 13. Ils commencent d’abord en tenant les bras croisés sur la poitrine, et finissent par les étendre et les élever, pour s’en servir comme de balancier.
Les Derviches tournent pendant l’espace de cinq à sept minutes, et recommencent quatre fois cet exercice, pendant lequel un vieux Derviche, Simazen-Bachi (maître de danse), veille à ce qu’en tournant chacun garde sa place.
Lorsque la danse est finie, le Cheïkh, avant de se retirer, fait des voeux pour la prospérité de l’Empire, pour le salut du souverain, ainsi que pour tous les Musulmans présens et absens. Les Derviches y répondent en choeur par Hou en arabe, lui, par excellence, Dieu [C’est le Ego sum qui sum de l’Ecriture], après quoi ils sortent sans observer aucun ordre; le Cheïkh sort le dernier.
Djèlalèddin est le premier qui ait employé cette pratique de tourner. Lui-même, dans ses ouvrages, en donne plusieurs explications, dont voici les deux principales: En décrivant un cercle, on se tourne vers tous les points pour y chercher Dieu, qu’on trouve de tous côtés, parce que Dieu est partout; en outre, l’action continuelle d’un changement de position indique le détachement des biens de ce monde, vers aucun desquels on ne s’arrête.
Potocki
(in Berchet 57-59)
Constantinople, Turquie
Revenant hier assez tard par le chemin qui conduit de Kiaght-hane à l’Ok-Maidan, je passai près d’un jardin qui semblait être illuminé pour une fête; un jeune homme bien mis se tenait près de la porte, et s’adressant aux passants leur répétait cette phrase: “Hommes de toutes les nations et de toutes les croyances, le Seigneur Ali vous invite à prendre part à sa joie, il vient de faire circoncire son fils.” J’entrai, et, m’étant fait présenter au Seigneur Ali, nous n’eûmes pas de peine à nous reconnaître pour nous être vus à Koczim, où il avait alors la charge de teffterdar. Cette reconnaissance parut lui faire autant de plaisir qu’à moi. Il m’entretint quelque temps fort affectueusement, puis, un de ses tchiohadars étant venu lui parler à l’oreille, il me dit: “Je suis obligé de vous quitter pour aller recevoir le frère du vizir et plusieurs autres personnages considérables qui me font l’honneur d’assister aux fêtes que je donne aujourd’hui; mais voici quelqu’un qui vous placera de manière à vous faire voir commodément tous les spectacles qui en font partie.” Je le remerciai et suivis son tchiohadar dans une partie du jardin où l’on avait tendu un riche pavillon. Le fond en était occupé par une estrade où était placé le nouveau circoncis avec soixante autres enfants qu’Ali Efendi avait fait circoncire et habiller à ses frais.
Vis-à-vis était un orchestre nombreux; des jeunes garçons déguisés en filles exécutèrent une danse qui représentait les différentes nuances des plaisirs. Leurs mouvements d’abord doux er modérés devenaient successivement plus vifs et finissaient par des vibrations que l’oeil avait peine à suivre. L’intention en était rendue de manière à ne pouvoir s’y méprendre, seulement ils y mettaient une souplesse qui n’est pas dans la nature et ne peut être que le fruit d’un long exercice. Des bouffons se tenaient à côté des danseurs, les imitant gauchement et désignant avec précision l’impuissance de les imiter mieux.
Tels sont les tableaux que l’on offre ici aux regards de l’enfance. Il ne faut donc pas s’étonner si, blasés dès l’âge le plus tendre sur ce que la volupté a de plus incitant, les Orientaux cherchent quelquefois hors de la nature des plaisirs criminels et de nouveaux dégoûts. Mais tout cela n’est rien encore auprès de ce qui se passe tous les jours dans les mayhané. On appelle ainsi les maisons où se vend la liqueur à laquelle la défense du prophète semble ajouter un nouveau charme. Elles sont dans des lieus retirés où l’on n’entre que par des défilés obscurs et des espèces de chatières; enfin l’on est introduit dans des cours intérieures ornées de parterres, de volières et de jets d’eau, mais ce qui surtout y attire un grand nombre de Musulmans, ce sont les puschts, jeunes et beaux garçons dont le maintien et le métier ne sont point équivoques. Ils arrivent, richement habillés, suivis, de joueurs d’instruments et font le tour des tables jusqu’à ce qui’ils trouvent quelqu’un qui veuille les employer; cet emploi consiste à verser à boire, à présenter des fleurs, à chanter et danser: souvent, lorsqu’ils s’en acquittent bien, les convives leur couvrent le visage d’une petite monnaie d’or que la sueur y tient attachée, mais ce métier, n’est pas exempt de dangers et demande beaucoup de conduite, car souvent les puschts deviennent les victimes de la jalousie et de la passion qu’ils inspirent. Voilà des goûts qui doivent sans doute faire horreur, surtout aux femmes, à mois qu’elles n’aiment mieux regarder comme un hommage qu’on leur rend celui que l’on adresse à des êtres qui leur ressemblent assez pour m’avoir trompé plusieurs fois lorsqu’ils étaient déguisés pour la danse.
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(in Berchet 69),
Constantinople, Turquie, 1784
Lettre IX
Je reviens dans ce moment chez moi, fort content d’une visite que j’ai faite au principal teket des dervis mévlevi. Leur supérieur m’a reçu dans une chambre qui n’était séparée que par une simple toile de celle de ses femmes; il m’a quitté un instant pour passer chez elles et leur ordonner de chanter. “Les voix des femmes, m’a-t-il dit en rentrant, réjouissent le coeur, et ce monde est un monde de fumée où il ne faut songer qu’à se réjouir. “L’heure de la prière étant venue, les dervis se rassemblèrent chez lui. Il se mit à leur tête et prit le chemin de la mosquée. L’un des plus jeunes se détacha de la troupe er me conduisit à une fenêtre d’où je pus voir leurs dévotions, qui sont aussi gaies que leur morale: elles commencent par une musique douce, toute en semi-tons, dont la mesure lente et l’harmonie mélancolique semblent plonger les dervis dans de saintes méditations. Ensuite la musique devient plus vive. Les dervis se lèvent tous à la fois, se prosternent devant le supérieur, et puis tournent sur la pointe du pied droit avec une rapidité extrême, et leur jupon, plissé, qui s’étend en cercle autour d’eux, leur donne beaucoup de ressemblance avec des toupies.
Quinet
129 (aussi in Berchet 147)
près de Sparte, Peloponnèse, Grèce, 1829
La Grèce moderne, ch. 7
Au moment où nous traversons l'Eurotas sur un pont d'une seule arche, les sons criards d'un pipeau retentissent sur l'autre rive. Une troupe d'hommes étaient étendus sur des peaux de mouton, les fusils couchés à côté d'eux, les besaces et les outres réunies en monceaux. Vis-à-vis, quelques femmes en turban s'appuyaient sur les rochers. Un groupe de jeunes filles dansaient sur une pelouse en se tenant par la main ; elles formaient une ronde brisée dont les deux extrémités se poursuivent et se balancent sans se réunir jamais. C'était la danse des femmes de Calavryta, lorsqu'elles se précipitaient une à une du haut des rochers. <Allusion à un épisode héroïque de la guerre d'Indépendance. En mai 1827 Ibrahim, regagnant, depuis Patras, Tripolitza, capitale de la Morée turque, détruisit la ville de Calavryta et en poursuivit les habitants, qui s'étaient enfuis avec femmes et enfants, jusque dans la montagne enneigée.> Ici, le lieu retiré, de hauts pitons qui bornent la vue, des chèvres à demi cachées dans les niches de ces pitons, la rivière qui encadrait ce petit tableau dans une bordure de roseaux et d'ombres, lui prêtaient une grâce indéfinissable.
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p. 226-227
Egine, Grèce
Les femmes (et elles sont à Égine deux fois plus nombreuses que les hommes, car une grande partie sont veuves) avaient ménagé en secret pour ce jour quelque ancienne parure. Les Albanaises de Livadie laissaient tomber, en entrant à l'église, leurs longues tresses de cheveux noir de jais sur les draperies blanches et plates en forme de patènes de diacres. Les Psariotes avaient deux bandeaux de soie flottant jusqu'à terre; elles attachaient leur voile un peu au-dessus de leur bouche; mais leurs fronts, leurs yeux, restaient à découvert, et l'on pouvait y voir la fierté et l'énergie qui ont signalé, dans la guerre de l'indépendance, les habitants de Psara. Les Moréotes aussi avaient changé leurs turbans. Dans cette variété de costume et d'origine, soit communauté de misères, soit même degré de culture, dominait entre toutes un même caractère, beauté sans passion et sans vie, rude et morne, toute semblable à ces groupes uniformes des statuaires de l'antiquité et du moyen âge, au début de leur art.
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226-228 (aussi in Berchet 155)
Pâques à l'île d'Égine, Grèce, 1829
Quand le soir arrivait, les femmes se réunissaient en rondes autour de la maison du président. Sous un ciel où aucune étoile n'était voilée, elles continuaient leurs danses au bruit du tambour de basque pendant une partie de la nuit. Elles y joignaient des chants de leur pays, mais prononcés si bas, qu'ils ne servaient qu'à réveiller dans ceux qui les écoutaient un dernier et vague écho de la poésie populaire. Psariotes au voile blanc, Moréotes et Livadiotes, vous venez de trop loin à la fête de Pâques. Dans vos cabanes, je n'ai trouvé ni pain, ni vin quand j'avais soif, ni natte pour dormir. Les serpents se roulent au foyer, comme des colliers de paras tombés du col des fiancées. Les joncs, plus diligents que vous, filent en votre place les quenouilles de coton que vous deviez suspendre au toit avant le mois d'avril. C'est l'heure où les pirates amarrent leurs caïques, où les klephtes reviennent pour demander leur pain d'orge. Klephtes et pirates, qu'ils frappent à vos portes où j'ai souvent frappé, un hibou leur dira que vous dansez dans les îles au tambour de basque, sveltes, avec vos longs cheveux, le soir jusqu'à minuit.
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p. 283
Je terminerais volontiers mon récit à cet endroit, puisque ce qui me reste à dire n'intéresse que moi. La famine et la fièvre de la Morée m'avaient réduit à un épuisement qui allait toujours croissant; je résolus d'aller me remettre sur pied à Malte, d'où je comptais repasser ensuite facilement en Sicile et à Zante. L'occasion d'un brick psariote, qui me promit de me jeter en passant sur les côtes, acheva de me décider. Je m'embarquai sur le Nelson. Deux Candiotes, qui nous accompagnaient, se mirent à danser sur le pont aux cris de Vive la France! Pendant que le bâtiment dérivait, un vieux pilote, couvert de sa chasuble de laine, faisait grincer les trois cordes d'une espèce de lyre qu'il avait faite lui-même. Un enfant brûlait une coupe d'encens devant l'image de la Panagia, il allait présenter la coupe fumante à chaque matelot, qui s'inclinait et faisait le signe de la croix.”
Gandar
(in Berchet 179)
Athens, Grèce, 1848
Aujourd'hui, c'était dimanche. Un dimanche d'Athènes. C'est une chose bien simple et bien uniforme. Au soleil couchant, les promeneurs se réunissent sur une grande place rustique, sans un pavé, sans une grille, sans un arbre, en pleine poussière, en pleine campagne. C'est un mélange assez curieux de types et de costumes. La musique militaire joue une valse et une polka. Le roi et la reine viennent à cheval, suivis d'un cortège ; ils traversent deux fois la foule ; on les salue ; la cour et la musique disparaissent, et la foule se disperse. Voilà tout. Fasse Dieu qu'on trouve en France quelque moyen d'amuser ainsi le peuple au grand air, et à peu de frais !
Grenier
p. 40-42
Bal de la cour, Athènes, 04/1847
La vie intérieure des dames athéniennes consiste à jouer sur le piano la Marche des Druides de la Norma ; leur vie extérieure à faire un tour sur la route de Patissia, à se montrer à la musique le dimanche, à aller au bal en hiver. Tous le bals se ressemblent. En décrire un, c’est les avoir tous décrits. Je choisis de préférence un bal de la dernière cour que je trouve photographié dans mes notes de voyage.
Avril 1847. – Le bal de la cour a eu lieu dimanche dernier : on s’y rend à 7 heures 3/4. Le roi et la reine paraissent; le cercle diplomatique se forme autour de Leurs Majestés, qui causent avec les personnes qu’elles désirent distinguer et honorer ; après une heure de conversation, le bal commence par la polonaise, qui est une sorte de promenade ; cavaliers et dames se quittent à chaque tour ; les chefs de légation, le président du conseil, celui du sénat et de la chambre des députés sont seuls admis à cette introduction; en femmes, les dames diplomatiques et les demoiselles d’honneur. De là, on passe aux quadrilles, polkas, mazurkas, etc.; c’est le menu d’un bal bourgeois. On m’a fait observer que l’on ne danse pas ici la polka comme à Paris ; mais, à dire vrai, les différences ne m’ont pas paru sensibles.
Il y a des sièges autour de la salle, et, presque au centre, deux fauteuils pour le roi et la reine. Leurs Majestés dansent avec beaucoup de feu : pendant les repos, elles se répandent dans la salle, cherchant et consolant les honteux. On se retourne sans dessein, et tout à coup on se voit devant le roi Othon ; bien des monsieur vous échappent à la place de sire de rigueur; mais le bon roi se sait peu imposant et ne s’offusque point de vos incongruités. Le prince royal de *** était au bal : c’est une fluette et rouge altesse, qui comprend la philosophie allemande et parle six langues.
Peu de belles femmes ; et les jolies se comptent ici comme ailleurs ; pour trouver le vrai sang grec, il faut aller dans les provinces : la capitale, surtout la grande société, n’a que métis. Aussi, je ne ferai point de portrait ; mais comme cependant il pourrait y avoir de l’ingratitude à se taire tout à fait sur les personnes de la maison, je dirai qu’il y a quatre demoiselles d’honneur : Mademoiselle Mavromichali, presque célèbre en Europe, fille de Pétro-Bey, grande, élancée, profil grec, oeil ardent, narines hautaines, brune avec des yeux bleus (une vieille légende grecque insinue que le diable y est pour quelque chose), un prénom bien trouvé, bien en convenance avec son genre de beauté flamboyante : on l’apelle Photini, la lumineuse. Mademoiselle Botzaris, la fille du Léonidas moderne, fraîche et blanche, souriante, gracieuse, ingénue, quoique spirituelle, l’air bonne et humaine personne, autant que mademoiselle Mavromichali a l’air déesse : même contraste dans les noms l’une est la lumineuse, l’autre la rose. Mademoiselle Chryésis, presque française de tournure et de mise ; enfin une Allemande blanchâtre, dont je sais trop mal l’horrible nom pour essayer de l’écrire : les traits à peine débrouillés; ni lignes, ni couleurs; un fromage frais nageant dans une faisselle. Ses compagnes grecques l’écrasent; heureusement, pour l’honneur de l’Allemagne, la reine Amélie est là et peut soutenir tout voisinage.
Chateaubriand
2/78
Grèce
C’est véritablement une chose surprenante que de voir naviguer des Grecs. Le pilote est assis, les jambes croisées, la pipe à la bouche: il tient la barre du gouvernail, laquelle, pour être de niveau avec la main qui la dirige, rase le plancher de la poupe. Devant ce pilote à demi couché, et qui n’a par conséquent aucune force, est une boussole qu’il ne connoît point et qu’il ne regarde pas. A la moindre apparence de danger, on déploie sur le pont des cartes françoises ou italiennes; tout l’équipage se couche à plat ventre, le capitaine à la tête; on examine la carte, on en suit les dessins avec le doigt, on tâche de reconnoître l’endroit où l’on est; chacun donne son avis: on finit par ne rien entendre à tout ce grimoire des Francs; on remploie la carte; on amène les voiles, ou l’on fait vent arrière: alors on reprend la pipe et le chapelet; on se recommande à la Providence, et l’on attend l’événement.
Il y a tel bâtiment qui parcourt ainsi deux ou trois cents lieues hors de sa route, et qui aborde en Afrique au lieu d’arriver en Syrie; mais tout cela n’empèche pas l’equipage de danser au premier rayon du soleil. Les anciens Grecs n’étoient, sous plusieurs rapports, que des enfants aimables et crédules, qui passoient de la tristesse à la joie avec une extrême mobilité; les Grecs modernes ont conservé une partie de ce caractère: heureux du moins de trouver dans leur légèreté une ressource contre leurs misères!
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394-395 (2/95)
Stampalie-Astypalée, Grèce
Le 12, à six heures du soir, le vent se tournant au midi, j’engageai le capitaine à passer en dedans de l’île de Crète. Il y consentit avec peine. A neuf heures il dit selon sa coutume : Ho paura ! et il alla se coucher. M. Dinelli prit sur lui de franchir le canal formé par l’île de Scarpanto et celle de Coxo. Nous y entrâmes avec un vent violent du sud-ouest. Au lever du jour, nous nous trouvâmes au milieu d’un archipel d’îlots et d’écueil qui blanchissaient de toutes parts. Nous prîmes le parti de nous jeter dans le port de l’île de Stampalie, qui était devant nous.
Ce triste port n’avait ni vaisseaux dans ses eaux, ni maisons sur ses rivages. On apercevait seulement un village suspendu comme de coutume au sommet d’un rocher. Nous mouillâmes sous la côte ; je descendis à terre avec le capitaine. Tandis qu’il montait au village, j’examinai l’intérieur de l’île. Je ne vis partout que des bruyères, des eaux errantes qui coulaient sur la mousse, et la mer qui se brisait sur une ceinture de rochers. Les anciens appelèrent pourtant cette île la Table des Dieux, Èåþí ÔñÜðåæá, à cause des fleurs dont elle était semée. Elle est plus connue sous le nom d’Astypalée ; on y trouvait un temple d’Achille. Il y a peut-être des gens fort heureux dans le misérable hameau de Stampalie, des gens qui ne sont peut-être jamais sortis de leur île, et qui n’ont jamais entendu parler de nos révolutions. Je me demandais si j’aurais voulu de ce bonheur ; mais je n’étais déjà plus qu’un vieux pilote incapable de répondre affirmativement à cette question, et dont les songes sont enfants des vents et des tempêtes.
Nos matelots embarquèrent de l’eau ; le capitaine revint avec des poulets et un cochon vivant. Une felouque candiote entra dans le port ; à peine eut-elle jeté l’ancre auprès de nous, que l’équipage se mit à danser autour du gouvernail : O Graecia vana!
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208-209 (in Berchet 289-292)
Sur un bateau grec pour Jérusalem, 1806
Nous étions sur le vaisseau à peu près deux cents passagers, hommes, femmes, enfants et vieillards. On voyait autant de nattes rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont. Une bande de papier, collée contre le bord du vaisseau, indiquait le nom du propriétaire de la natte. Chaque pèlerin avait suspendu à son chevet son bourdon, son chapelet et une petite croix. La chambre du capitaine était occupée par les papas conducteurs de la troupe. A l'entrée de cette chambre, on avait ménagé deux antichambres : j'avais l'honneur de loger dans un de ces trous noirs, d'environ six pieds carrés, avec mes deux domestiques ; une famille occupait vis-à-vis de moi l'autre appartement. Dans cette espèce de république, chacun faisait son ménage à volonté : les femmes soignaient leurs enfants, les hommes fumaient ou préparaient leur dîner, les papas causaient ensemble. On entendait de tous côtés le son des mandolines, des violons et des lyres. On chantait, on dansait, on riait, on priait. Tout le monde était dans la joie. On me disait : Jérusalem ! en me montrant le midi ; et je répondais : Jérusalem ! Enfin, sans la peur, nous eussions été les plus heureuses gens du monde ; mais au moindre vent les matelots pliaient les voiles, les pèlerins criaient: Christos ! Kyrie eleison ! L'orage passé, nous reprenions notre audace.
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p. 212
Grecs sur un bateau, 1806
Tandis que je m'occupais des douleurs d'Hécube, les descendants des Grecs avaient encore l'air, sur notre vaisseau, de se réjouir de la mort de Priam. Deux matelots se mirent à danser sur le pont, au son d'une lyre et d'un tambourin : ils exécutaient une espèce de pantomime. Tantôt ils levaient les bras au ciel, tantôt ils appuyaient une de leurs mains sur le côté, étendant l'autre main comme un orateur qui prononce une harangue. Ils portaient ensuite cette même main au cœur, au front et aux yeux. Tout cela était entremêlé d'attitudes plus ou moins bizarres, sans caractère décidé, et assez semblables aux contorsions des Sauvages. On peut voir, au sujet des danses des Grecs modernes, les lettres de M. Guys et de madame Chénier. A cette pantomime succéda une ronde, où la chaîne, passant et repassant par différents points, rappelait assez bien les sujets de ces bas-reliefs ou l'on voit des danses antiques. Heureusement l'ombre des voiles du vaisseau me dérobait un peu la figure et le vêtement des acteurs, et je pouvais transformer mes sales matelots en bergers de Sicile et d'Arcadie.
Marcellus
(in Berchet 294, 299)
Chios (Scio), Grèce, 1820
Scio s'est offert à moi sous l'aspect le plus riant. J'y arrivais le jour de saint Grégoire, grande fête grecque. La rive était couverte de jeunes filles parées de robes blanches et de fleurs ; elles se promenaient le long de la plage, lançaient des cailloux dans la mer, se poursuivaient quelquefois, et terminaient ces jeux par des danses ou des éclats de rire, dont le son bruyant venait jusqu'au vaisseau. J'étais habitué au silence des Grecs, à leur contenance contrainte, à leur terreur. Je ne les avais encore vus qu'à l'ombre des tours du sérail.
…….....
La promenade publique de Scio s'étend le long de la mer depuis les remparts de la citadelle jusqu'aux murs du chemin qui conduit à l'école d'Homère. Chaque soir je venais respirer la fraîcheur sur ce rivage, et j'y étais entouré aussitôt des jeunes filles de la ville ; elles se promènent par troupes bruyantes, au milieu des jeunes gens qui souvent les accompagnent seuls : elles sont rarement suivies de leurs parents ; elles chantent, dansent, ou causent en riant ; quelquefois elles s'asseyent sur le gazon et racontent des histoires d'amour. Rien ne gêne leur humeur libre et gaie; pas même la présence des janissaires qui passent gravement auprès d'elles, et rient à Scio des mêmes folies qu'ils puniraient à Constantinople. La promenade est le rendez-vous des amants.
…
(in Berchet 302-303 & Duchêne 508)
Milo, Grèce, 1820
Maritza revint s'asseoir à côté de moi, et après ses questions naives et multipliées sur le vaisseau qui m'avait apporté, sur Constantinople qu'elle avait tant envie de voir, sur les pays que j'avais déjà parcourus, ce fut mon tour d'interroger.
- Comment passez-vous vos journées, Maritza, car votre blancheur dit assez que vous ne cultivez pas les champs ?
- Les soins du ménage m'occupent d'abord, me répondit-elle, depuis que je suis assez forte pour aider ma mère ; puis nous raccommodons les filets, nous faisons sécher les poissons et les olives, nous préparons les vêtements de nos frères, et la quenouille ne nous quitte jamais dans nos loisirs.
- Et quand vient le jour du Seigneur (Κυριακή), quels sont vos délassements ?- Oh! ce jour-là, nous sommes bien contentes ; tantôt nous nous réunissons quinze ou vingt jeunes filles pour nous baigner aux sources chaudes, au bas de la montagne, près de Protothalassa. Tantôt nous allons danser la Romaikà sous les arbres du monastère de Saint-Élie qui domine nos campagnes, nos coteaux couverts de blé, d'oliviers et de vignes, et d'où l'on voit si bien l'île de Cimoli.
Cottu
(in Berchet 335)
Sur la plage, Rhodes, Grèce, 1842
C'est dans le quartier habité par les Grecs dans les villes d'Orient que se trouvent les tavernes, dont les salles sont souvent ensanglantées par des meurtres, suites des rixes et de l'ivresse. C'est là seulement aussi que veille la police turque, représentée par un gros cadi qui fume, assis dans un coin et entouré de quelques Albanais déguenillés. Près de la mer se promènent le soir les belles Grecques d'Ionie et des îles voluptueuses qui envoyaient à Athènes ces courtisanes pour lesquelles Périclès pleurait devant l'aréopage. De nombreux canots, d'où s'élèvent des chants et des accords de guitare, dérivent sur les flots endormis ; des danses se forment sur la plage, tout est tumulte, amour, agitation, pendant que les chiens hurlent dans le quartier turc, enseveli jusqu'au jour dans le plus profond silence.
Valon
(in Berchet 359-361)
Bournova, Smyrne, Turquie, 1842
J'écoutai avec attention, et cette fois, dans les accords affaiblis qui arrivaient jusqu'à moi, je crus reconnaître les sons d'une guitare. Ayant marché lentement dans la direction que m'indiquait mon oreille, j'arrivai, après quelques centaines de pas, à une petite case presque entièrement cachée dans un pli du terrain, et de laquelle partaient en effet les sons d'une sorte de mandoline accompagnés d'un chant nasillard que je reconnus pour l'avoir entendu souvent dans l'Attique. Deux jeunes Grecques étaient assises devant la porte de cette hutte. J'attachai mon cheval à un piquet, et, m'avançant vers elles avec toute la politesse dont je fus capable, je leur demandai en mon meilleur italien la permission de me reposer un instant sous leur toit. Elles se levèrent en souriant, et, sans me répondre, me montrèrent du geste la porte de la cabane, où elles me précédèrent. Autour d'une chambre assez grande, quoique très basse, pauvre, mais proprement blanchie à la chaux, étaient assises une vingtaine de jeunes femmes, fort jolies la plupart, costumées selon la mode de l'Archipel, coiffées de leurs longs cheveux nattés en tresses et disposés autour de leur tête en manière de turban. A mon arrivée, elles se levèrent ; je répondis à leurs révérences par un salut collectif et m'assis sur une chaise que m'offrit la maîtresse de la maison. Aussitôt la danse recommença, car c'était à un bal diurne que j'allais assister. La chanteuse reprit d'un ton dolent un éternel récitatif, en s'accompagnant d'un instrument nouveau pour moi. C'était tout simplement un bâton long de deux pieds autour duquel trois cordes étaient tendues. On comprend quelle devait être l'harmonie de cet objet ; toutefois, me rappelant que j'étais entre Troie et la Grèce, dans la molle Ionie, dans le pays des muses dont la lyre n'avait non plus que trois cordes, je pensai que ce bâton pouvait bien être l'instrument de Calliope, et ce ton nasillard, le mode sur lequel Pindare disait jadis ses poèmes. Après les premiers accords, un Grec, le seul homme qui fût dans la maison, s'avança au milieu de la chambre, fit lentement le tour du cercle, et, son choix étant fait, il jeta d'un air de sultan le coin d'un mouchoir à la plus jolie des jeunes filles, qui le saisit et se leva. Tous les deux ils marchèrent en rond jusqu'à ce que le danseur, s'arrêtant de nouveau, et lancé de la main gauche un autre mouchoir à une seconde femme qui se leva également. Se tenant alors tous les trois par les mouchoirs, ils commencèrent aux sons du récitatif traînant une ronde qui, d'abord très lente, s'anima peu à peu avec la voix de la chanteuse et devint bientôt d'une extrême vivacité. Dès que ce tournoiement eut acquis la plus grande rapidité possible, la danseuse, la seconde choisie, quitta modestement la partie et alla se rasseoir en emportant les mouchoirs. Le mouvement de la musique se ralentit aussitôt, et les deux danseurs placés vis-à-vis l'un de l'autre se regardèrent un instant sans bouger. Puis le jeune homme s'avança galamment vers la jeune fille, qui recula avec embarras pour s'avancer de nouveau, les yeux baissés, vers le danseur, qui s'éloignait avec respect. Le chant s'anima peu à peu, et les figures de cette danse, qui ressemblait un peu à la cachucha et beaucoup à la tarentelle, devinrent de plus en plus rapides. Le jeune homme s'enhardissait, la jeune fille s'animait ; tantôt provoquante et tantôt effrayée, elle attirait son danseur par une attitude qui était voluptueuse sans cesser d'être décente, et le fuyait en tournant brusquement autour de lui. A la fin, comme de raison, la victoire restait au jeune homme, qui mettait un terme aux vicissitudes de cet amoureux combat en passant autour de la taille de la danseuse un bras respectueux, quoique vainqueur. Après un instant de repos, il recommençait la ronde avec une danseuse nouvelle. En observant ces jeunes filles dont les regards curieux, mais non pas hardis comme ceux des Smyrniotes, s'attachaient sur moi à la dérobée, j'eus lieu de faire une remarque qui m'avait frappé souvent en Grèce : c'est que même les plus pauvres paysannes de ce beau pays ont reçu du ciel une distinction pleine de charme. Leur taille, que rien ne comprime, a beaucoup de souplesse, et leur maintien est parfaitement gracieux, parce qu'il est exempt de toute affectation. Vêtues à peu près comme nos villageoises, ces jeunes filles semblaient être d'élégantes dames déguisées. Elles ne rappelaient en aucune façon ces poupées serrées entre deux planches et si gauchement maniérées, qui, le dimanche, forment de prétentieux quadrilles sur les places de nos villages.
………………………
Quand je me levai pour partir, les jeunes filles me saluèrent ; la maîtresse de la maison et deux de ses compagnes sortirent avec moi, et comme j'allais remonter à cheval, elle détacha, suivant l'usage d'Orient, une fleur du bouquet qu'elle portait à la ceinture, et me l'offrit en prononçant des paroles que, par malheur, je ne pus comprendre. C'était un adieu sans doute, ou peut-être s'excusait-elle de n'avoir rien de mieux à m'offrir. Je la remerciai en portant galamment la fleur à mes lèvres, et je me consolai d'avoir oublié mon grec de collège en répétant tout bas ces vers charmants des Orientales, qui semblaient faits pour la circonstance :
Adieu, voyageur blanc... si tu reviens...
..........
Pour trouver ma hutte fidèle,
Songe à son toit aigu comme une ruche à miel,
Qu'elle n'a qu'une porte et qu'elle s'ouvre au ciel
Du côté d'où vient l'hirondelle.
Si tu ne reviens pas, songe un peu quelquefois
Aux filles du désert, sœurs à la douce voix,
Qui dansent le soir sur la dune !
Potocki
(Berchet 430/431)
Constantinople, Turquie, 06/06/1794
Revenant hier assez tard par le chemin qui conduit de Kiaght-hane à l'Ok-Maidan, je passai près d'un jardin qui semblait être illuminé pour une fête ; un jeune homme bien mis se tenait près de la porte, et s'adressant aux passants leur répétait cette phrase : “Hommes de toutes les nations et de toutes les croyances, le Seigneur Ali vous invite à prendre part à sa joie, il vient de faire circoncire son fils.” J'entrai, et, m'étant fait présenter au Seigneur Ali, nous n'eûmes pas de peine à nous reconnaître pour nous être vus à Koczim, où il avait alors la charge de teffterdar. Cette reconnaissance parut lui faire autant plaisir qu'à moi. Il m'entretint quelque temps fort affectueusement, puis, un ses tchiohadars étant venu lui parler à l'oreille, il me dit : “Je suis obligé de vous quitter pour aller recevoir le frère du vizir et plusieurs autres personnages considérables qui me font l'honneur d'assister aux fêtes que je donne aujourd'hui ; mais voici quelqu'un qui vous placera de manière à vous faire voir commodément tous les spectacles qui en font partie.” Je le remerciai et suivis son tchiohadar dans une partie du jardin où l'on avait tendu un riche pavillon. Le fond en était occupé par une estrade où était placé le nouveau circoncis avec soixante autres enfants qu'Ali Efendi avait fait circoncire et habiller à ses frais. Vis-à-vis était un orchestre nombreux ; des jeunes garçons déguisés en filles exécutèrent une danse qui représentait les différentes nuances des plaisirs. Leurs mouvements d'abord doux et modérés devenaient successivement plus vifs et finissaient par des vibrations que l'œil avait peine à suivre. L'intention en était rendue de manière à ne pouvoir s'y méprendre, seulement ils y mettaient une souplesse qui n'est pas dans la nature et ne peut être que le fruit d'un long exercice. Des bouffons se tenaient à côté des danseurs, les imitant gauchement et désignant avec précision l'impuissance de les imiter mieux. Tels sont les tableaux que l'on offre ici aux regards de l'enfance. Il ne faut donc pas s'étonner si, blasés dès l'âge le plus tendre sur ce que la volupté a de plus incitant, les Orientaux cherchent quelquefois hors de la nature des plaisirs criminels et de nouveaux dégoûts. Mais tout cela n'est rien encore auprès de ce qui se passe tous les jours dans les mayhané. On appelle ainsi les maisons où se vend la liqueur à laquelle la défense du prophète semble ajouter un nouveau charme. Elles sont dans des lieux retirés où l'on n'entre que par des défilés obscurs et des espèces de chatières ; enfin l'on est introduit dans des cours intérieures ornées de parterres, de volières et de jets d'eau, mais ce qui surtout y attire un grand nombre de Musulmans, ce sont les puschts, jeunes et beaux garçons dont le maintien et le métier ne sont point équivoques. Ils arrivent. richement habillés, suivis de joueurs d'instruments et font le tour des tables jusqu'à ce qu'ils trouvent quelqu'un qui veuille les employer ; cet emploi consiste à verser à boire, à présenter des fleurs, à chanter et danser : souvent, lorsqu'ils s'en acquittent bien, les convives leur couvrent le visage d'une petite monnaie d'or que la sueur y tient attachée, mais ce métier n'est pas exempt de dangers et demande beaucoup de conduite, car souvent les puschts deviennent les victimes de la jalousie et de la passion qu'ils inspirent. Voilà des goûts qui doivent sans doute faire horreur, surtout aux femmes, à moins qu'elles n'aiment mieux regarder comme un hommage qu'on leur rend celui que l'on adresse à des êtres qui leur ressemblent assez pour m'avoir trompé plusieurs fois lorsqu'ils étaient déguisés pour la danse.
…
(in Berchet 433)
dervishes, Constantinople, Turquie, 1794
Je reviens dans ce moment chez moi, fort content d'une visite que j'ai faite au principal teket des dervis mévlevi. Leur supérieur m'a reçu dans une chambre qui n'était séparée que par une simple toile de celle de ses femmes ; il m'a quitté un instant pour passer chez elles et leur ordonner de chanter. "Les voix des femmes, m'a-t-il dit en rentrant, réjouissent le cœur, et ce monde est de fumée où il ne faut songer qu'à se réjouir." L'heure de la prière étant venue, les dervis se rassemblèrent chez lui. Il se mit à leur tête et prit le chemin de la mosquée. L'un des plus jeunes se détacha de la troupe et me conduisit à une fenêtre d'où je pus voir leurs dévotions, qui sont aussi gaies que leur morale : elles commencent par une musique douce, toute en semi-tons, dont la mesure lente et l'harmonie mélancolique semblent plonger les dervis dans de saintes méditations. Ensuite la musique devient plus vive. Les dervis se lèvent tous à la fois, se prosternent devant le supérieur, et puis tournent sur la pointe du pied droit avec une rapidité extrême, et leur jupon plissé, qui s'étend en cercle autour d'eux, leur donne beaucoup de ressemblance avec des toupies.
Camp
(in Berchet 481-482)
Constantinople, Turquie, 1850
Ça et là des tentes élèvent leurs pyramides de toile ; des cabaretiers y vendent le café, les glaces, les sorbets et même la bière mousseuse de Trieste. Aux eaux douces d’Asie c’est le calme et la rêverie, ici c’est la pétulance, l’ardeur et le buit: là-bas on est assis, on se promène à pas lents; ici on ne marche pas, on court; on ne se repose pas, on danse; seules, les femmes juives, coiffées de leurs affreux bourrelets, vêtues de chasubles de soie miroitante, sont assises et fument en causant avec des voix glapissantes qui feraient taire des trompettes de cuivre. Les Arméniennes, réunies en groupes, marchent sous les arbres, montrant leurs jolis visages où reluisent de grands yeux noirs et qu’encadrent des cheveux fins et bouclés.
Les filles grecques sautent et chantent à perdre haleine. Un troupeau de jeunes femmes s'assemble : elles se tiennent les unes les autres par leur robe ; en tête s'avance un Grec, le cou nu, les cheveux longs, la moustache en l'air ; une veste brodée dessine son corps ; une ceinture de mille couleurs serre sa taille élégante ; de larges jupons blancs tombent sur ses genoux ; des guêtres passementées revêtent ses jambes ; à la main il tient un mouchoir, il l'agite, et chacune s'apprête à faire de son mieux. II entonne une sorte de chanson en notes barbares, et la danse commence : il bondit en cadence, il marche à petits pas, il court, il s'arrête tout à coup, et chacun de ses mouvements est fidèlement imité par les jeunes filles qui le suivent. Quelquefois le murmure monotone d'un tambourin soutient la voix du chanteur. Cette gymnastique dure pendant des heures entières et ressemble à ce jeu que nos enfants appellent la queue du loup.
………………
Je me remets en marche, je passe par des villages grecs et arméniens, dont j’ai oublié le nom. Les cafés sont remplis de chants et de fumée, à mes côtés des hommes à longues moustaches et des femmes portant des enfants, se hâtent vers le lieu de la fête. Je parviens enfin à Arnaut-Ceüi, et, au milieu d'une multitude compacte et bariolée, je monte l'unique rue du village. Les maisons ont pris leur plus belle parure ; des fleurs à toutes les fenêtres, des femmes à tous les balcons ; et quelles femmes ! rieuses et engageantes, parlant avec une voix sonore et épanouissant des visages aux dents blanches, aux yeux bruns, aux cheveux noirs. Pétulantes et moqueuses, aimant le mot qui fait rougir, ces belles filles grecques sont toujours prêtes au plaisir, à la danse et à l'amour ; elles savent que sous leur ciel les rides viendront vite, qu'à trente ans elles seront vieilles ; aussi elles se dépêchent de jouir et font bien !
Un sentier qui borde les dernières maisons du village conduit à une vaste prairie moitié vallon moitié colline ; c'est là que la fête s'est établie ; il n'y a pas là de mâts de cocagne, de faiseurs de tours, de saltimbanques comme en nos pays ; chacun se fait sa petite fête particulière comme il l'entend ; de grandes tentes de toile abritent les buveurs de raki (sorte de liqueur fort aimée de Grecs); des musiciens ambulants chantent des complaintes, des bohémiens disent la bonne aventure et prédisent des amoureux aux jeunes filles ; les Arméniennes s'en vont par bandes cueillir des fleurs dans les hautes herbes et s'asseoir paisiblement à l'ombre de quelques arbres ; les filles grecques chantent et dansent sur toutes les mesures ; leur visage ruisselle, leurs cheveux se déroulent, rien n'arrête leur ardeur, ni la chaleur, ni la fatigue ; demain la courbature les brisera ; mais qu'importe ? c'est aujourd'hui jour de fête, il faut s'amuser et sauter à perdre haleine.
Valon
(in Berchet 485)
Dervishes et garçons, Constantinople, 1842
Je fus réveillé vers dix heures par mes compagnons, qui m'engagèrent à venir voir avec eux des derviches tourneurs. Le cicerone de l'hôtel nous conduisit à un bâtiment circulaire entouré d'un petit jardin où se pressait une foule nombreuse de Grecs, de Turcs et d'Arméniens. Arrivés dans le vestibule, il nous engagea à chausser des pantoufles et à confier nos bottes à un industriel qui tenait en ce lieu un dépôt de chaussures, à l'instar des dépôts de cannes et de parapluies établis à l'entrée de nos monuments publics. Cet usage est général en Turquie. Non seulement on ne peut entrer dans une mosquée avec des souliers qui ont foulé la poussière de la rue, mais il serait tout à fait inconvenant de se présenter avec ses bottes dans une maison turque, où l'on arrive toujours sans ôter son chapeau. Cet usage, dont on s'étonne dans le premier moment, est peut-être, tout bien réfléchi, plus raisonnable que le nôtre.
Après nous être conformés à ce cérémonial, nous pénétrâmes dans une salle ronde d'assez grande dimension et éclairée par le haut. Au centre de cette pièce était un cirque parqueté, ciré avec le plus grand soin, et entouré d'une balustrade assez semblable à celle sur laquelle s'accoudent, à Paris, les agioteurs de la Bourse. Autour de cette arène réservée aux acteurs étaient assis en grande quantité des spectateurs de tous les âges, de tous les pays, de tous les costumes, exhalant les uns et les autres une forte odeur d'ail. La cérémonie était commencée. Aux sons d'un orchestre barbare composé de petites timbales, de flûtes à bec, avec accompagnement de voix nasillardes, une vingtaine de grands garçons barbus, vêtus de longues robes blanches, valsaient fort gravement autour d'un petit vieillard couvert d'une pelisse bleue.
....................[texte manque ??]
Les derviches passent, à Constantinople, pour de fort mauvais sujets, et leurs exercices sont seulement tolérés par le Coran, qui prohibe toutes les danses, ce qui n'empêche pas les Turcs d'aller voir en secret les ballerini, enfants grecs élevés dans l'infamie, qui, vêtus d'un élégant costume et fardés comme des courtisanes, exécutent, moyennant une légère rétribution, une sorte de cachucha lascive et hideuse dans des cafés malfamés.
Nerval
(in Berchet 497)
Constantinople, Turquie, 1843
[texte manque ??]
Nous nous retournâmes vers la salle ; la danse avait commencé.
Un grand vide s'était formé au centre de la salle ; nous vîmes entrer, par le fond, une quinzaine de danseurs coiffés de rouge, avec des vestes brodées et des ceintures éclatantes. II n'y avait que des hommes.
Le premier semblait conduire les autres, qui se tenaient par la main, en balançant les bras, tandis que lui-même liait sa danse compassée à celle de son voisin, au moyen d'un mouchoir, dont ils avaient chacun un bout. Il semblait la tête au col flexible d'un serpent, dont ses compagnons auraient formé les anneaux.
C'était là, évidemment, une danse grecque, - avec les balancements de hanche, les entrelacements et les pas en guirlande que dessine cette chorégraphie. Quand ils eurent fini, je commençais à manifester mon ennui des danses d'homme, que j'avais trop vues en Égypte, lorsque nous vîmes paraître un égal nombre de femmes qui reproduisirent la même figure. Elles étaient la plupart jolies et fort gracieuses, sous le costume levantin ; leurs calottes rouges festonnées d'or, les fleurs et les gazillons lamés de leurs coiffures, les longues tresses ornées de sequins qui descendaient jusqu'à leurs pieds leur faisaient de nombreux partisans dans l'assemblée. - Toutefois, c'étaient simplement des jeunes filles ioniennes venues avec leurs amis ou leurs frères, et toute tentative de séduction à leur égard eût amené des coups de couteau.
Valle
1/15-16
Scio (Chios) Grèce, 1559
Au reste, quoique ce Païs soit sous la domination des Infidèles, on y vit avec autant de tranquilité, & de liberté, qu’en lieu du monde: on n’y fait presque point d’autre exercice, que de chanter, de danser, & de passer le tems dans de gentilles conversations avec les Dames; & non-seulement durant le jour, mais jusqu’à quatre & cinq heures de nuit, dans les ruës; ensorte qu’il ne me souvient point d’avoir mené une vie aussi joyeuse depuis ma naissance; & je croi que si j’y eusse davantage demeuré, j’y serois devenu fou, par trop de plaisirs.
L’Historien Belon a raison de dire, que les habitans de Scio sont courtois & officieux ; parce qu’en verité on ne sauroit en dire tant de bien, qu’il ne s’y en rencontre encor davantage. Par le moyen de mes amis, & de la langue, dont je me démêlois passablement, j’aquis en bref de grandes familiaritez ; & je trouvois autant de Maîtresses, & avois autant de doux entretiens que je voulois avec les Dames, qui véritablement sont belles & de bonne grace ; mais leur habit ne me plaît guéres. Elles portent sur la tête, pour toute coéfure, une simple coéfe, laquelle, quoique fort joliment travaillée, & entrelassée de soye verre, bleùë & rouge, couvre quasi tous leurs cheveux, & une grande partie de leur front, d’une manière désagréable, qui ôte, sans doute, au visage toute la grace; & leurs corps de jupe sont si courts, qu’ils font l’endroit de la ceinture, non pas où la nature l’a marqué, mais bien plus haut, & presque jusqu’à la gorge & aux épaules, ce qui dérobe beaucoup de la beauté de leur taille, fort bien faite d’ailleurs, & d’un port raisonnable. Elles font bien aussi paroître qu’elles sont agiles & gaillardes, non-seulement quand elles marchent, mais bien plus avantageusement dans les danses, où sous leurs habits, un peu courts, on voit leurs pieds faire des démarches bien compassées, avec des escarpins fort galants, qui sont de velours, façonnez mignonnement à leur mode, & dont j’ai fait faire une paire, tout exprès, pour envoyer à Rome, parce qu’ils m’ont plû.
…
p.84
dervishes, Constantinople, Turquie, 1559
Enfin j’allai chez eux, dans un lieu qu’ils possédent, entre les jardins de Péra ; je trouvai que l’on y avoit déja commencé la Prédication ; & non-seulemnet leur Mosquée étoit toute remplie de gens, mais il en restoit encor beaucoup au-dehors dans la cour, lesquels étoient debout, & regardoient par la porte & par les fenêtres, qui sont assez bâsses. Le Prédicateur faisoit des raisonnemens fort longs, & souvent avec beaucoup de ferveur, dans une chaire assez élevée; mais je ne pus pas bien entendre ce qu’il disoit, par le peu d’instruction que j’ai encor de leur langue. La Prédication étant finie, les Dervis s’assemblérent en rond au milieu de leur Mosquée, où ils commencérent de danser au son de quatre ou cinq flûtes faites de roseaux, lesquelles, avec une raisonnable distinction de toutes les parties, de la basse, de la taille, de la haute-conte, & du dessus, faisoient une harmonie assez-agréable ; en joiiant quelquefois, sans danser, ensuite flûtant & dansant tour-à-tour, tantôt ensemble, tantôt quelques-uns, puis un seul d’entr’eux. Dans ces sortes de danses, le mouvement de leurs pieds est à peu près de même que celui des Espagnols dans leurs Ciaccones, que l’on doit croire qu’ils ont apris des Mores, lorsqu’ils étoient les Maîtres en Espagne ; mais ces Dervis, quand ils dansent, tournent toujours sur un pied ; & celui qui tourne le plus agilement, & demeure dans cét éxercice plus long-tems que ses compagnons, est estimé le plus habile homme. Au commancement ils y marchent d’un pas assez doux, assez modéré, & comme tout à l’aise; mais ensuite, à mesure qu’ils s’échaufent, peu-à-peu leur démarche se redouble à proportion, jusqu’à la fin, que leur chaleur s’augmentant toûjours, & presque à l’excès ; ils se hâtent de telle sorte, & font leurs tours si legerement, qu’à peine les yeux de ceux qui les regardent savent en faire le discernement.
Ils ne laissent pas de parler & de crier pendant tous ces tours, invoquant souvent le nom de Dieu, répétant de fois à autre, d’un ton ferme, cette parole, Hû, qui signifie, lui-même, ou bien Est, & s’entend de Dieu, qui seul posséde l’être véritable. C’est une merveille étonnante comme leur cervelle peut demeurer ferme après, tant de tours, & souvent recommencez, avec tant de précipitation, que quelques-uns feront l’espace d’une demi-heure, & d’autre plus d’une heure. Quand ils sont réduits à n’en pouvoir plus, quelques-uns se retirent & se reposent, jusqu’à ce qu’aïant repris nouvelle vigueur, ils retournent encor à cette même danse ; & d’autres, plus zèlez & plus échaufez, ne cessent point jusqu’à ce qu’ils tombent à terre comme pâmez ; & il y en a qui pour avoir trop tourné & trop crié, Hû, avec un éfort d’haleine & de poitrine, écument comme les épileptiques. Ils prétendent, si ce que l’on m’en a dit est véritable, d’imiter par leurs mouvemens celui des Anges, sans que j’aïe pû savoir surquoi ils se fondent, ou plûtôt celui des Cieux, suivant l’opinion de quelques Philosophes de leur secte, qui assurent, à ce que j’ai pû entendre, que le mouvement des corps célestes se fait en rond comme un bal, lequel par l’entremise du saint éclair de l’illumination divine, doit à Dieu son commencement ; que le commencement de l’illumination de chacun de ces corps celestes, est l’intelligence qui lui préside, qui en a la direction, aïant reçû de Dieu sa première illumination ; que ces mêmes orbes, par le moïen de chaque illumination, aquiérent l’habitude pour se mouvoir, & que chaque mouvement les rend susceptibles d’une autre illumination.
De-là vient qu’ils s’imaginent que nôtre esprit est semblable au Ciel, & qu’en ce point il peut l’imiter, étant capable de mouvement & d’illumination divine comme lui, par le grand raport qu’ils établissent entre les mouvemens & l’illumination ; & c’est pourquoi, afin d’élever le coeur vers Dieu, & que la plus haute partie en reçoive l’illumination, ils croïent se la procurer par ce violent mouvement du corps, confondant mal à propos sur ce sujet, les opérations de l’ame avec celles des membres. Plus ils s’échaufent dans cette contemplation, plus leur mouvement est dispos, comme si à mesure que cette agitation s’augmente, l’illumination recevoit de nouveaux acroissemens ; & tout de même de l’illumination au mouvement, comme ils disent qu’il se fait aux Cieux, par une espéce de flux & reflux réciproque.
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p.91
Turquie?, 1559
Ils portent aussi la nuit, tour-à-tour, par les ruës une grande statuë faite de cercles les uns sur les autres, couverts par-dessus d’une piéce d’étofe, qui est, comme sa robe, en façon de jupe à l’Espagnole, qui s’apelle à Naples une vertugade : sous cette machine de cercles, ainsi vétuë, il passe un homme au-dedans, qui la porte, qui lui fait danser une espéce de sarabande, aprochante de la Ciaccone d’Espagne: la tête de cette statuë a deux faces, dont l'une paroît d’un homme mal fait, & l’autre en façon de tête de bélier à cornes ; & ils disent, sans que j’en sache la raison, voilà le chameau qui passe; & quoique ce soit, à mon jugement, un spectacle fort grossier, néamoins il atire à sa suite une grande multitude de personnes encor plus grossières. Passons de ces petites remarques à des choses plus importantes.
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1/146-147
marriage
La table pour les Dames fut préparée sur le Soffa, d’un bout à l’autre, & remplie de tous les côtez ; pour les hommes, l’on dressa celle-là même où ils avoient collationné quelques heures auparavent, laquelle étoit aussi toute pleine. De deux grands flambeaux dorez qu’on allume pour les épousailles, par forme de luminaires, nuptiaux ; l’un fut mis au milieu de la table des Dames, devant l’épousée, & l’autre au bout de la table des hommes. La mariée est assise à table, sans oser manger, parce que le cérémonial l’ordonne ainsi ; mais elle a mangé auparavant dans la chambre. Les autres font tout leur possible pour s’en aquiter des mieux ; & si nôtre Docteur y eut été, je ne crois pas qu'il n'auroit pas manqué d’y bien tenir sa partie. On ne leve jamais les plats de dessus la table durant le repas ; mais à mesure que l’on aporte de nouveaux services, on les met sur les premiers plats, de sorte qu’avec le tems, la table paroît garnie de sept ou huit étages de plats les uns sur les autres, & jusqu’à tel point, que ceux qui sont assis d’un côté ne voïent presque plus ceux qui sont vis-à-vis. Ce soupé du matin, ne finit qu’à cinq heures ; & ensuite, à cause qu’ils croïent que c’est pécher contre la bienséance de faire coucher avant le jour pour la premiere fois une mariée, si elle est noble d’extraction, ils s’entretienent le reste de la nuit à regarder les tours & les postures de certains bateleurs Juifs, qui representérent en éfet quelques jeux de bonne grace ; mais ils ne me divertissoient guéres, parce que j’étois acablé de sommeil. Si j’eusse été à la place de l’époux en cette ocation, je n’aurois pû faire autre chose que dormir. Je m’en abstins pourtant ; mail il y en eut plus de quatre qui tombérent ça & là assoupis sur les bancs, & quelques Dames sur le Soffa. Enfin, quand on vit le jour s’aprocher, on commença une certaine danse, à leur mode, laquelle finie, un des parens qui tenoit la mariée par la main ; c’est-à-dire, un mouchoir entre deux, parce qu’on ne se touche point les mains en dansant, la mena dans la chambre où elle devoit coucher ; si-tôt qu’on l’eut mise dans le lit, nous nous retirâmes, & la fête fut achevée.
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p. 166-167
Le repas achevé, Mrs. les Bailes se retirérent dans une chambre, avec M. l’Ambassadeur, jusqu’à ce que les tables fussent levées, & la salle nétoïée ; ensuite ils sortirent hors du Palais, avec toute la troupe qui leur avoit déja tenu compagnie, pour se divertir l’espace d’une ou deux heures à voir joüer des farceurs Juifs avec des instrumens, des chansons, des danses à la Turque, & faisant de sauts périlleux, avec des épées nuës contre la poitrine, & d’autres souplesses, semblables à celles de nos bâteleurs, qui joient à Naples devant le Château.
Poullet
22-23
Dalmatie, 1657
En verité l’humeur de ces Contadins a quelque chose de si bestial: leur maniere de viure au milieu des bois & des rochets, où la necessité a donné l’empire au larcin, au crime, & à la trahison: Leurs ceremonies dans la Religion; où sans savoir ce qu’ils croyent ils se contentent de chanter à pleine teste certaines prieres, moitié en latin, moitié en leur langue dans leurs Eglises; deuant la porte desquelles chacun apporte autant d’eau dans vne cuue qu’il en veut porter de beniste; & où la Messe qui se dit toute presque en Esclauon acheuée, on élit un Roy couronné d’un rameau de quelque sauuageon chargé de son fruit; deuant lequel on met vn bassin pour receuoir les offrandes qu’on luy veut presenter. Leurs recreations dans leurs dances, où s’enlassans les bras de telle forte qu’ils se soustiennent plus de l’épaule que du coude, & joints aussi prés qu’il leur est possible, ils commencent vn bransle de quatre ou cinq heures sans se reposer, au chant d’vn texte qui contient tout l’Ancien Testament, ou l’histoire des Turcs, plein de loüanges à l’vn, & d’imprecations contre les autres. Cette dance est assez moderée d’abord, mais l’agitation s’en accroist à mesure que la chaleur augmente, & finit par vne precipitation de coeur, un écumement de bouche, & un desordre sans pareil: & tout le reste de leur contenance barbare m’auoit tellement surpris d’étonnement, que ce que i’en auois veu, ce que i’en craignois de voir, & ce qui m’estoit déja arriué m’auoit idubitablement déuoyé de mon chemin; si la reflexion que les irruptions continuelles des Turcs pouuoient auoir porté cette corruption dans ce canton, la politesse de Raguse, & l’accortise de beaucoup de Mahometans, qui y sont continuellement, ne m’y eussent remis.
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p. 170-171
Sophie, Bulgarie, 1657
La seconde m’arresta à la façon de vivre des gens de ce pays, qui sont tous Grecs de rit & d’origine, & ne laissent pas d’auoir leurs dances, leurs jeux, leurs diuertissemens aussi bien que les Turcs effectifs. Le Grand Seigneur tiroit autrefois du nombre de leurs enfans les principaux soldats, & les plus aguerris de sa milice. Cet ordre a esté changé : il reçoit d’eux vn double tribut, qu’ils appellent second Carache, au lieu de leurs premiers nez, & des Adgemoglans, dits encore aujourd’huy enfans de tribut, sont vn certain petit nombre de personnes indifferemment, Mahometans naturels, ou Chrestiens Renegats; que le credit, le merite, ou la grace du prince destine aux charges, & qu’on esleve dans l’étude de l’exercice qu’on leur veut donner.
Choiseuil-Gouffier
"Empire" 1/86-91
Délos, Antiquité
Nous y trouvâmes le choeur des jeunes Déliens, que nous prîmes pour les enfants de l’Aurore; ils en avaient la fraîcheur et l’éclat. Pendant qu’ils chantaient un hymne en l’honneur de Diane, les filles de Délos, parées de tous les attraits de la jeunesse et de la beauté, exécutèrent des danses vives et légères (Callim. in Del., v. 304). Les sons qui réglaient leurs pas remplissaient leur âme d’une douce ivresse; elles tenaient des guirlandes de fleurs qu’elles venaient de cueillir; elles les attachaient d’une main tremblante, à une ancienne statue de Vénus, qu’Ariadne avait apportée de Crête, et que Thésée consacra dans ce temple (Callim,. ibid. Pausan., lib. IX, p. 793. Plut. in Thes., p.9).
D’autres concerts vinrent frapper nos oreilles. C’étaient les Théories des îles de Rhenée et de Mycone. Elles attendaient sous le portique, le moment où l’on pourrait les introduire dans le lieu saint. Nous les vîmes, et nous crûmes voir les heures et les saisons à la porte du palais du soleil. Nous vîmes descendre sur le rivage les Théories de Céos et d’Andros. On eût dit à leur aspect, que les grâces et les amours venaient établir leur empire dans une des îles fortunées.
De tous côtés arrivaient des pompes solennelles; de tous côtés elles faisaient retentir les airs de cantiques sacrés (Plut. in Nic., p. 525). Elles réglaient sur le rivage même l’ordre de leur marche, et s’avançaient lentement vers le temple, aux acclamations du peuple, qui bouillonnait autour d’elles. Avec leurs hommages, elles présentaient au dieu les prémices des fruits de la terre (Callim. Hymn, in Del., v. 278). Ces cérémonies, comme toutes celles qui se pratiquent à Délos, étaient accompagnées de danses, de chants et de symphonie (Lucian de Salt. t. II, p. 277). Au sortir du temple elles étainet conduites dans des maisons entretenues aux dépens des villes dont elles apportaient les offrandes (Herod. Lib. IV., cap. 35).
Les poètes les plus distingués de notre temps avaient composé des hymnes pour la fête; mais leurs succès n’effaçaient pas la gloire des grands-hommes qui l’avaient célébrée avant eux. On croyait être en présence de leurs génies. Ici on entendait les mugissements des victimes qui tombaient sous les couteaux des prêtres (Hom. Hym. in Apoll. v.57. Tayl. in Marm. Sand. p. 35. Corsin. Dissert. in Marm. Sand. p. 123). Ce sacrifice fut suivi d’un ballet où les jeunes Athéniens représentèrent les courses et les mouvements de l’île de Délos, pendant qu’elle roulait au gré des vents sur les plaines de la mer (Lucian. de Salt. tom. II, p. 291). A peine fut-il fini, que les jeunes Déliens se mêlèrent avec eux pour figurer les sinuosités du labyrinthe de Crête, à l’exemple de Thésée qui, après sa victoire sur le Minotaure, avait exécuté cette danse auprès de l’autel (Call. in Del. v.312. Plut. in Thes. p.9. Poll. Lib. IV, cap.14).
Ceux qui s’étaient le plus distingués reçurent pour récompense des trépieds qu’ils consacrèrent au dieu (Taylor, in, Marm. Sand. p. 68), et leurs noms furent proclamés par deux hérauts venus à la suite de la Théorie (Pol. Lib. IX, cap. 6., 61).
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On célébra, le jour suivant, la naissance d’Apollon (Laert. Lib. III, cap.2). Parmi les ballets qui furent exécutés, nous vîmes des nautonniers danser autour de l’autel, et le frapper à grands coups de fouet (Callim. in Del. v. 321. Schol. ibid. Hesych. in Del. Spanh. in Call, tom. II, p. 520). Après cette cérémonie bizarre, dont nous ne pûmes pénétrer le sens mystérieux, ils voulurent figurer les jeux innocents qui amusaient le dieu dans sa plus tendre enfance. Il fallait, en dansant les mains liées derrière le dos, mordre l’écorce d’un olivier que la religion a consacré. Leurs chutes fréquentes, et leurs pas irréguliers, excitaient parmi les spectateurs, les transports éclatants d’une joie qui paraissait indécente, mais dont ils disaient que la majesté des lieux saints n’était point blessée ;
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"Grèce" 1/111
Paros, Grèce, 1776
Planche 33, p. 1/68/69
Danse grecque à Paros
Les Grecs ont plusieurs sortes de danses; la plus commune est la Roméca ; elle a une conformité surprenante avec la danse de leurs ancêtres, et l’on suit avec plaisir M. Guys, lorsqu’il croit retrouver l’image du labyrinthe de Crète dans les différents contours que décrivent les danseurs. Le goût de la danse a toujours été le même chez les Grecs; le malheur et la servitude n’ont pu leur faire perdre l’amour naturel qu’ils ont pour le plaisir: un moment de fête leur fait oublier leur misère. Un peuple aussi léger et plus aimable ne se croit-il pas quelquefois vengé d’un impôt par une chanson?
Je n’entrerai ici dans aucun détail sur les danses des Grecs; on en trouvera les dessins à l’article de Smyrne. J’emprunterai alors de M. Guys quelques-unes des recherches intéressantes qu’il a faites sur cet objet, et je serai sûr d’être lu avec plaisir.
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"Grèce" 1/136
Fête Turque, 1776
Après avoir travaillé toute la journée à mesurer les ruines, dont je parlerai dans les articles suivans, j'allai voir l'Aga, petit-fils d'Hassan Tchaousch Oglou. C'étoit un jeune homme fort laid, parfaitement stupide, & qui vraisemblablement ne tardera pas à être étranglé après la mort de son grand-père ; il me reçut d'abord avec beaucoup de hauteur ; mais lorsque j'eus essayé de lui faire comprendre le motif de mon voyage, il en conclut, qu'il n'y avoit qu'un fou qui pût s'exiler ainsi de son pays, & déposant dès ce moment toute sa dignité, il me traita avec la plus grande considération. Après m'avoir assuré que j'aurois la liberté d'examiner le pays ; il me dit que j'arrivois très-à-propos, pour prendre part à une fête qu'il alloit se donner, & dont assurément je serois satisfait. Je me rendis à l'heure indiquée, & quoique je n'eusse pas une haute idée des spectacles Turcs, j'étois cependant loin de soupçonner le genre de celui qui m'attendoit. L'Aga, maître bienfaisant, vouloit en partager le plaisir avec ses vassaux, qui, rangés autour de la place, donnoient les marques de l'impatience la plus vive ; c'etoit en vain qu'on cherchoit à la calmer par la musique la plus aigre & la plus discordante.
A peine me fus-je placé près de l'Aga, qu'on vit entrer un Turc richement vêtu, la tête couverte d'un bonnet chargé de perles ; après quelques gambades & beaucoup de grimaces, il s'accroupit au milieu de la place, & d'un air presque frénétique, se mit à chanter une longue suite de vers : il s'accompagnoit du son bruyant & répété d'une espece de guitarre, qu'il ne cessoit de frapper de tous ses doigts réunis. Il célébra d'abord le courage & les victoires du brave Hassan comme dans Homère Télémaque entend chanter les louanges de son père à la table de Ménélas. Ces chants belliqueux furemt bientôt suivis de chants plus analogues au spectacle qui se préparoit ; il célébra l'objet de son amour, en peignit tous les charmes ; mais trop fidele aux exemples des Anciens, il ne fit qu'attester la corruption de ces climats, & rappeler les égaremens d'Anacréon.
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"Grèce" 2/49
1776
Des sommes considérables en d'autres monnoies, des lingots et des vases d'or et d'argent, les meubles les plus précieux; enfin, tout ce qui pouvoit éblouir la multitude, étoit exposé dans ces solennités, et lorsque les généraux offroient à l'état de tels produits des contributions, on peut bien supposer que les peuples vaincus en avoient payé davantage. Aussi, Tite-Live rapporte-t-il à la première expédition d'Asie l'origine du luxe et de la corruption, qui firent dans Rome de si rapides progrès. "Ce fut, dit-il, cette armée qui apporta dans la capitale un faste et des excès étrangers : on vit pour la première fois des lits ornés de bronze ; et nous reçûmes de l'Orient ces vêtemens recherchés, ces tapis précieux, tant de riches étoffes, et ces tables, ces buffets qui parurent d'abord des meubles magnifiques.
C'est alors que des musiciennes, des danseuses et tous les jeux des histrions furent introduits dans les festins : alors un repas devint une affaire importante et ruineuse : un cuisinier, chez nos pères le dernier des esclaves, fut porté à un prix immodéré, et vit mettre ses services au rang des arts : et cependant ajoute l'historien, à peine étoit-ce là le germe du luxe monstrueux qui déprava les âges suivans." (Tit. Liv. Lib. XXXIX, cap. 6).
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" Grèce" 2/60-61
Archipel grec, Grèce, 1776
A la vue d’un bateau entrant dans le port de Naxos, de Chios, de Myconi, etc., les chefs de la petite nation viennent s’informer quel est l’étranger que la curiosité amène sur leurs bords ; et celui qui s’est assuré le premier le bonheur de l’attirer chez lui, s’efforce de justifier cette distinction dont il s’honore. Sa famille, qu’il s’est hâté de faire avertir, est déjà prête à recevoir le voyageur : on s’empresse de lui apporter du café, des fruits, ou des conserves de roses : la fille de la maison, parée de toutes les grâces de son age, les lui présente, et s’étonne de l’embarras qu’il témoigne en se voyant servi par elle. Après un premier moment de repos, on lui propose de prendre un bain, ou de dormir quelques heures : ce temps est employé à préparer une agréable soirée. Les voisins sont invités au repas et à un bal, où les jeunes et belles insulaires exécutent des danses dont l’origine remonte aux premiers siècles de la Grèce ; elles se font un amusement des questions que hasarde l’étranger, de l’ingnorance où il est de leurs usages ; elles se plaisent à les lui expliquer.
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2/173-174
Adrianople, Turquie
Dans les environs d'Adrianople, après avoir admiré cette fertilité qui lutte contre tous les abus du gouvernement, le voyageur surpris découvre tout à coup des champs d’une espèce nouvelle : ses regards enchantés s’étendent à perte de vue sur des moissons de roses.
Déjà les beaux jours du printemps ont muri ces récoltes embaumées ; il est temps d’enlever les fleurs épanouies, et de faire place aux nouvelles générations de roses qui se succéderont tout l’été. De jeunes filles, se tenant par la main, arrivent en dansant ; elles répètent des chants dont quelques-uns ont été conservés à travers les siècles, dont les autres célèbrent des amours plus récents, mais qui nous rapellent, par des accents harmonieux, la langue d’Homère et d’Anacréon. Les grâces décentes de ces moissonneuses, leurs vêtements, les longues tresses de leurs chevelures, et ces voiles qu’elles se plaisent à livrer au vent qui les soutient en voûte sur leurs têtes, tout retrace les scènes décrites par Théocrite et Virgile : il n’est pas une de ces beautés dont vous ne croyiez avoir déjà vu l’image sur quelques bas-reliefs ou sur une pierre antique. Un vieux berger, semblable à Silène, prend sa musette ; il s’anime lui-même des sons sortis de l’outre qu’il enfle et presse tour à tour ; il croit aussi danser, et ses pieds appesantis par l’âge répètent sur une même place tous les mouvements de la jeunesse folâtre qui bondit sur la prairie.
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1/136-137
Eski-Hissar, sur la route de Makri à Méandre, Turquie, 1776
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Quatre jeunes gens entrèrent alors en dansant, et jouèrent ensuite une espèce de farce d’une obscénité trop révoltante pour qu’on puisse se permettre même de l’indiquer. L’enthousiasme de l’aga, les applaudissements et l’ivresse générale du peuple, m’apprirent à quel excès les Turcs poussent un vice qui semble héréditaire chez les habitants de ces climats.
Sonnini
1/399-401
La Canée, Crète, Grèce, 1779?
Mais détournons les regards de ces objets qui inspirent la pitié et l’horreur, et portons-les sur les images moins révoltantes. Je vis, pour la première fois, dans une campagne près de La Cannée, la Romeca, danse mêlée de chants, que les Grecs actuels ont reçue de leurs ancêtres, et qu’ils ont conservée à-peu-près dans tous ses détails. Moins constans dans nos goûts, comme dans nos plaisirs, de quelle multitude de changemens n’ont-ils pas variés ? et qui pourroit donner l’énumération de toutes les espèces de danses qui se sont succédées parmi nous, seulement depuis deux siècles ?
La danse des Grecs de Candie a de la simplicité et de la noblesse. C’est, suivant l’opinion d’un littérateur estimable [Guys, Lettres sur la Grèce, lettre XIIIme], la plus ancienne de toutes; Homère l’a décrite [Iliade, livre XVIII] et elle est l’image du labyrinthe de Crète, dont elle imite les tours et les détours. L’antiquité de cette danse a quelque chose d’imposant, à la vérité ; mais, si on la considère sans prévention, on y trouve une tournure sérieuse et grave, trop éloignée de la gaieté que l’on s’attend à rencontrer dans les branles champêtres. Les chants n’ont plus de vivacité ; ils sont lents et langoureux ; et l’habitute que les Grecs ont de chanter du nez rend encore leurs chansons plus traînantes et moins gaies.
Je vis conduire la danse, ou branle candiot, par un Grec, qui, après avoir fait quelques études à Padoue, s’étoit établi comme apothicaire à La Cannée. Cet homme âgé, fort grand, maigre et sec, mettoit dans ses pas et dans ses chants un sérieux qui avoit quelque chose de risible, et son ton nasillard étoit fort déplaisant, en même temps que sa physionomie sévère faisoit un contraste très sensible avec les belles figures, le teint de roses, le doux sourire et les grands yeux noirs animés des jeunes filles qui formoient la danse. Cet apothicaire, homme instruit et estimable, vivoit sous la protection de la France, et il étoit fort attaché à notre nation. Il portoit la robe longue à la grecque ; mais, au lieu du bonnet ou de la calotte de ses compatriotes, sa tête étoit coiffée d’un grand chapeau à trois cornes, signe de la liberté dont il joissoit.
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1/451
Sfakia, Crete, 1779?
L'on dit que les Sphactiotes sont les seuls d’entre les Grecs qui aient conservé la Pyrrhique, danse guerrière que l'on n'exécute que les armes à la main, et en faisant diverses évolutions [note ??: Comme à propos de la Romeca, cette interprétation semble dériver tout droit de Guys]. Il n’est pas étonnant que des peuples pour lesquels la terrible représentation de la guerre est un jeu et un délassement aient des moeurs sauvages et soient enclins à réaliser, par des actions violentes, des scènes qu’ils ont l’habitude de figurer dans leurs amusemens.
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2/134
habitants de l'Archipel, Grèce, 1779?
Lorsque la dot est réglée entre les familles, et que leur consentement qui est presque toujours d’accord avec le voeu des amans, a tout disposé pour les noces, l’on conduit la jeune mariée au bain. Le lendemain, un nombreux cortége accompagne les époux à l’église; des chants et des danses animent une marche lente et grave ; et pour l’ordinaire, des flambeaux, emblèmes de celui de l’amour et de l’hymenée, la précèdent.
Saint Leger
p. 121-123
Paros, Grèce
Dans un vallon délicieux, à peu de distance de Parichia [Chef-lieu de l’île, et bâtie sur les débris de l’antique Paros], les jeunes gens, couronnés de roses, dansaient la romeka [Je vais rapporter ici la description que j’ai tracée de cette danse, dans une tournée que je fis dans les Cyclades. “Je distinguai une longue file de jeunes gens qui s’avançaient dans la prairie; ils se tenaient par des mouchoirs blancs, en dansant la romeka, au son d’un violon à trois cordes, et d’un mandoline. La musique de cette danse est d’abord grave et mélancolique, elle s’anime par degré, er devient vive er gaie. Le premier de la file compose les figures, agite son mouchoir autour de sa tête; le reste des danseurs exécute les pas sans imiter les gestes de celui qui se trouve à leur tête. Un costume léger et favorable à la taille, une petite calotte rouge placée de côté er ornéee d’un bouquet de fleurs, des physionomies marquantes par leur expression animée et la régularité des traits, me firent retrouver dans les Grecs modernes, cet idéal du beau, ce gracieux, qu’ils conservent encore, comme leur beau ciel; seuls biens que la tyrannie ne peut leur enlever], chantaient, se livraient à mille yeux, et célébraient le retour du printemps, avec cette gaieté, cette innocence, qu’ils conservent encore à travers les siècles, et sur les ruines de leur patrie. Je m’enivrais aussi de cette joie trompeuse, de la présence de mon amante, du doux parfum des fleurs, lorsque tout à coup le bruit du canon retentit dans les airs, la musique cesse, les danses sont suspendues, on écoute, on regarde et on aperçoit une partie de la flotte turque entrer dans le port [Tous les printemps, le capitan-pacha, grand-amiral, va lever le tribut dans les îles sous sa dépendance]: aussitôt la crainte s’empare de tous les coeurs, l’effroi se peint sur ces figures, animées un instant auparavant par l’expression du plaisir. Tout fuit, tout se disperse, les épouses, les jeunes filles se hâtent de gagner leurs demeures, où à peine seront-elles à l’abri de l’insulte et de la violence; les chefs de famille sont appelés chez l’aga, pour recevoir les ordres nécessaires au paiement du tribut
Poujoulat
1/58
Asie Mineur
J’arrive aux ruines de Pambou-Kaleh. Ces ruines s’offrent tout à coup à la vue, et produisent un surprenant spectacle.
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Il n’y a pas dans tout l’Orient un théâtre en meilleur état que celui d’Hiérapolis. Cet édifice nous donne une idée de la forme des théâtres grecs du monde antique.
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Parmi ces magnifiques vestiges, confusément entassés, on distingue un fronton de quinze pieds de long sur quatre de large où sont sculptées des nymphes exécutant des danses voluptueuses. Les têtes manquent à ces nymphes, mais le reste du corps, les draperies, sont en parfaite conservation.
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1/113-114
un grec originaire de Chios racconte, Chios, Grèce
A neuf milles au nord de la capitale de Chio, non loin d’un lieu élevé d’où le regard embrasse la vaste étendue de la mer, est une grotte où se trouvent au autel et des gradins taillés au ciseau autour du roc. Cette grotte est appelée Ecole d’Homère. Mon grand-père disait que, dans les temps antiques, on se rassemblait tous les jours dans cette grotte pour réciter les ouvrages d’un poëte nommé Homère. Chio se glorifie d’avoir donné naissance à ce grand homme, qui fut dieu de son vivant; car, ajoutait mon aïeul, l’autel de la grotte avait été élevé en son honneur.
En face de l’Ecole d’Homère se déployaient autrefois d’immenses jardins plantés d’oliviers, de vignes, de mûriers, de figuiers, d’orangers, et surtout de lantiscus, arbrisseaux d’où l’on tirait une résine parfumée qui embaumait la bouche des femmes. La maison de mon père était située dans un de ces charmants jardins. Là, notre vie s’écoulait heureuse; là, chaque dimanche, de jeunes hommes et de jeunes filles se réunissaient pour danser la Romaïka, gracieuse danse dont l’origine remonte, dit-on, aux anciens âges de la Grèce.
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1/175
Gemlik, ancienne Civitot ou Cius, près de Moudania, Asie Mineure
Une rivière, qui n’est autre chose qu’un écoulement du lac Ascanius, arrose ce vallon et se jette dans la mer auprès de Gemlik. Cette rivière est célèbre dans la mythologie grecque : lorsque les Argonautes, ces premiers navigateurs, abordèrent le rivage du golfe Cyanus, le bel Hylas, favori d’Hercule, étant descendu à terre pour renouveler sa provision d’eau dans la rivière de Cius, fut enlevé par des nymphes. Depuis cette époque, les habitants de ces contrées, à chaque anniversaire de l’enlèvement d’Hylas, parcouraient les riantes forêts d’Arganthon, en formant des danses joyeuses et en faisant retentir les échos du nom d’Hylas. Cette fête existait encore du temps de Strabon.
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1/294
Pacha-Keui, Asie Mineure
Huit heures de marche, dans la direction du nord au sud, conduisent de Yousgath au bourg de Pacha-Keui. Dans le café de ce village, où nous nous reposâmes, étaient une vingtaine d’Osmanlis accroupis sur leurs talons, et fumant silencieusement leur schibouk. Au milieu du cercle, on remarquait deux almées, de celles que le vice-roi a chassées des bords du Nil. Ces filles de joie se sont dispersées dans toutes les parties de l’Asie: on en rencontre à Bagdad, en Perse, dans la Mésopotamie; j’en avais déjà vu quelques unes dans les diverses contrées de l’Anatolie que j’ai visitées.
Les deux almées de Pacha-Keui étaient jeunes, grandes, bien faites; mais leur visage, tout barbouillé de jaune, de bleu, de noir, n’avait rien de gracieux : il serait d’ailleurs difficile de pouvoir trouver du charme sur des figures où respirent l’impureté et la débauche. Les deux almées mettaient en jeu toutes leurs séductions auprès des Osmanlis rassemblés qui paraissaient loin de les repousser ; puis elles se mirent à exécuter, comme des bacchantes, des danses obscènes. Quand on voit les Turcs spectateurs de ces danses aux mouvements burlesques et licencieux, on ne dirait pas que ce sont là leurs amusements de prédilection : aucune parole ne s’échappe de leur bouche, ils ne perdent jamais leur imperturbable gravité ; aucun signe de joie, aucun sentiment de plaisir ne se montre sur leur impassible figure. Mais il n’en est pas ainsi des femmes musulmanes. Pendant que les almées dansaient avec leurs castagnettes, plusieurs charmantes têtes de femmes mariées, de jeunes filles, paraissaient à travers les grillages en bois des fenêtres du café. Ces femmes, ces jeunes filles, riaient aux éclats ; elles battaient des mains et encourageaient les danseuses, en leur criant : “Péki! Péki ! (c’est bien! c’est bien!) dansez, dansez encore ! ”
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1/337-338
village Ieni-Malattia, Asie Mineure. Hafiz-pacha a quatre femmes, deux Géorgiennes et deux Circasiennes, toutes remarquablement jolies
Voici maintenant comment s’écoule la vie des dames du harem. Pour elles toutes les journées se ressemblent : ces dames de lèvent à dix heures du matin. La première moitié de la journée est consacrée à la toilette. Des négresses s’occupent à nouer leurs cheveux en mille tresses, à leur teindre les sourcils de noir, à donner une couleur orange à leurs doigts et à la paume de leurs mains avec la poudre du héné. L’autre moitié du jour se passe entre la pipe, le narguillé et des conversations qui feraient rougir les femmes les moins prudes de l’Europe.
Une de leurs plus grandes jouissances, c’est la danse ; il n’est pas de la dignité des épouses légitimes de se livrer elles-mêmes à cet amusement : ce sont ordinairement les esclaves qui dansent devant leurs maîtresses. Cependant les dames du harem dansent quelquefois elles-mêmes ; ces danses lascives sont accompagnées de paroles obscènes et désordonnées.
Les terrestres voluptés sont les seuls rêves, les seules occupations de ces femmes: les joies intellectuelles leur sont inconnues. Il est rare, très-rare, de voir une femme turque sachant lire et écrire. Une chose plus déplorable encore, c’est l’absence presque totale du sentiment religieux chez les femmes du harem. Les principes de religion, si profondément enracinés dans l’esprit et le coeur des Turcs, sont à peine connus de leurs femmes.
Barres
p.106-108
Chios, Grèce
Comme nous donnâmes le bal en cette ville, & que nous avions trois laquais qui joüoient du violon, je puis aussi parler de leur maniere de danser. Elles ont l’oreille juste, & dansent un branle fort joly, dans lequel l’homme & la femme font mille postures, comme par dépit & par caprice. Elles ont aussi des Courantes à pas reglez, où l’homme fait faire divers tours à la femme, & la fait souvent passer sous son bras, qu’il éleve un peu pour cet effet. Mais cette maniere est un peu trop serieuse, & les danses gayes leur conviennent mieux, parce qu’elles sont fort vives, & qu’elles font beaucoup de controrsions de corps. Les hommes vont toûjours les pieds traînans, sans sauter, ny s’élever & toutes leurs danses sont presque composées de trois pas, d’un coupé en avant, d’un pas, & d’une piroüette en tournant. Ils aiment tous fort à danser : & comme je n’ay pas d’aversion pour cet exercice, je me divertis assez bien pendant que nous fûmes en cette ville, où nous vîmes plusieurs bals de cette maniere.
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1/138
Naxos
Les occupations ordinaires qui nous divertirent-là étoient la promenade, la chasse & la danse.
Dupré
Dupré, Louis: "Voyage à Athènes et à Constantinople"
Pendant toute la route, [de Constantinople jusqu' à quelque distance de Bucharest] j'avais en sous les yeux des tableaux pleins d'intérêt.
La Cour et la suite du prince [Michel Soutzo] formaient un ensemble de quinze cents personnes environ. Le mélange de ces costumes grecs, turcs et polonais, dans une halte au milieu des bois, à la descente d'une montagne, en traversant un village, une ville, une rivière, me procurait, comme peintre, des jouissances d'une variété infinie. La vignette qui termine le texte donne une idée de cet ensemble. On y voit la grande tente du prince, devant laquelle, et au milieu d'autres étendards, sont plantées les trois queues (tough), marque de sa dignité, qui l'assimilait aux Visirs. Sous une autre tente, pour le repos du milieu de la journée, le prince et son epouse sont entourés de leur suite.
Deux prêtres d'un village voisin viennent les saluer, et pour leur faire bonheur, des femmes leur adressent des voeux en chantant des scolies et en dansant la Romaïka, danse calme et monchalante, dans le genre de notre menuet. Les autres personnages, sont des Delis, des Arnaouts, de Moldaves, un Tartare qui allume sa pipe, un groupe Albanais et de Derviches, au milieu des quels je me suis placé comme un contraste de plus.
Ohsson
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Turcs and Grecs
Mais dans aucun temps, la musique ne se fait entendre ni dans les Mosquées, ni pendant l’exercice public de la religion. On ne doit pas confondre ici les cérémonies particulières de certains ordres de Derwischs qui admettent la musique pour soutenir leurs danses religieuses : ces pratiques n’ont rien de commun avec le culte national. Nous parlerons plus bas de l’origine et de l’esprit de ces institutions particulières, et l’on verra que différens ordres voués à la vie contemplative sont reprouvés par la religion et la loi, précisément à cause de leur musique et de leurs danses, et qu’ils ne substistent encore aujourd’hui que par la tolérance du Gouvernement.
Si l'on voit des Othomans violer la loi de leur Prophète sur l'article de la musique, il n'en est pas un qui l'enfreigne relativement à la danse, sur-tout en société. La gravité de la nation, et les idées qu'elle attache à cet exercice, ajoutent encore au précepte de la loi qui, en proscrivant la musique, est censée comprendre la danse dans ses dispositions. Chez eux il n'y a que des baladins, Tschennguy : ils sont réunis à différentes troupes de musiciens, tous également dévoués au service du public. On voit même rarement parmi eux des danseurs Mahométans : se sont presque toujours de jeunes Grecs qui, ayant la liberté de se vêtir à leur gré, prennent des costumes riches, élégans, analogues à leur profession, et dansent ordinairement ou seuls ou deux à-la-fois. Voyez les planches 89 et 90. Ils font consister leur talent, non à varier et à perfectionner leur pas, mais à prendre differentes attitudes des plus obscènes. Plus ils y excellent, plus ils sont distingués dans la troupe et recherchés par la multitude. Ceux des Othomans qui ne se font pas scrupule de se livrer chez eux au plaisir de la musique, y font venir aussi de temps à autre ces baladins dont les jeux ajoutent beaucoup à la gaité de l'assemblée.
Les profits de ces danseurs sont plus considérables que ceux des musiciens, parce qu'indépendamment de ce que leur donne le maître de la maison, ils reçoivent encore de tous les spectateurs quelques libéralités. A la suite de chaque danse, ils font une tournée dans la salle avec un daïré ou tambour de basque à la main, et chacun leur donne ce qu'il juge à propos : il y en a même qui vont jusqu'à leur prodiguer des ducats : ils les appliquent au front de ceux qui se distinguent le plus par leur talent et par les agrémens de la nature. Ces bénéfices n'approchent cependant pas des ressources que leur offrent les cabarets et les tavernes. Chaque jour, mais sur-tout les fêtes et les dimanches, la danse, la musique et les excès les plus condamnables contribuent autant que le vin à y attirer tous les hommes vicieux, soit dans les dernières classes du peuple, soit parmi les soldats et les marins de toutes les nations.
Les danseuses, qui pour la plupart sont des filles esclaves, ou les femmes mêmes des musiciens Mahométans, ne paroissent presque jamais dans ces lieux publics : elles se rendent dans les maisons particulières où elles dansent, comme les hommes, seules ou deux à deux. Vêtues assez lestement, la tête toujours à demi couverte d'un voile, des castagnettes à la main, et les yeux tantôt languissans, tantôt étincelans, elles se livrent avec plus d'expression encore que les jeunes baladins aux attitudes les plus libres et les plus obscènes. Quelques-unes exécutent differens pas de deux assez agréables par la variété des mouvemens. Voyez les planches 91 et 92.
Dans les Harems des Grands, comme dans celui du Sérail, il y a toujours un certain nombre de jeunes esclaves exercées à la danse ; et ce sont elles qui amusent les dames, ainsi que leurs maîtres, toutes les fois qu'ils veulent se récréer dans l'intérieur de la famille. On remarquera que ces divertissemens n'ont jamais rien de bruyant ni de tumultueux. Indépendament de ce que l'on doit aux préceptes de la religion et à la décence publique, on est encore retenu par les lois de la police, toujours vigilante et sévère sur cet article. Aussi personne n'oseroît donner chez lui une fête avec de la musique et des baladins, sans la permission expresse des Magistrats. Cette permission s'achète toujours, et ceux qui ne la sollicitent pas paient quelquefois bien cher cette négligence. Ces droits, autorisés par l'usage, et toujours proportionnés au nombre des musiciens et des baladins que l'on veut avoir, font un revenu assez considérable pour l'Agha des Janissaires, et plus encore pour le Bostandjy Baschy, dont la jurisdiction s'étend le long du Bosphore jusqu'à l'embouchure de la mer Noire.
Sur ces objets les Chretiens du pays, quoique soumis à des exactions beaucoup plus onéreuses et plus arbitraires, sont cependant infiniment moins gênés que les Mahométans. Tous, mais particulièrement les Grecs, naturellement plus gais et plus enjoués que les autres, se livrent avec assez de liberté à leur goût pour les jeux, la danse et les divertissemens. Chez ceux-ci, presque toutes les femmes chantent et s'exercent à toutes sortes de danses dès leur plus tendre jeunesse. Elles en ont de particulières à leur nation : la plus célèbre est la Roméca : c'est une peinture du fameux labyrinthe de Dédale. Quinze, vingt ou trente femmes forment une chaîne, en se tenant par les mains ou par la ceinture: celle qui est à la tête tient un mouchoir brodé de la main droite, et donne le premier jeu à divers mouvemens assez gais et assez agréables. Elles dansent non-seulement chez elles, mais encore en plaine campagne, au milieu des prés, des champs et des jardins. Voyez la planche 93. Souvent même les hommes se mettent de la partie. Dans beaucoup de maisons grecques on danse aussi des menuets, des contre-danses françaises, anglaises et allemandes ; mais ce sont toujours de petites fêtes de famille qui ne peuvent entrer en comparaison, ni avec ces bals brillans, ni avec ces assemblées pompeuses des grandes villes de l'Europe : on n'en voit à peu près de semblables que dans les hôtels des Ministres étrangers, et dans les maisons des riches commerçans établis dans le pays.
A Constantinople, comme dans les autres Echelles du Levant, les Européens ayant pour principe de demeurer tous dans un même quartier, autant pour leur sureté commune que pour les agrémens de la société, ils ont par là tous les moyens de vivre au milieu des Mahométans, comme s'ils étoient dans la ville la plus libre de l'Europe. Ceux qui résident dans la Capitale, au quartier de Pera, jouissent de plus de liberté et d'agrémens encore que les Européens établis dans les provinces. Ce faubourg, l'un des plus beaux et des plus élevés de Constantinople, puisqu'il domine, pour ainsi dire, sur le Bosphore, sur le Sérail, sur l'entrée du port et sur une bonne partie de cette ville immense, réunit dans son enceinte les étrangers des diverses nations et les naturels du pays, soit Mahométans, soit Chrétiens. Par là il offre à l'oeil de l'observateur philosophe une diversité frappante de costumes et d'idiômes, et des nuances infinies dans les moeurs et les usages. Cette diversité se fait remarquer sur-tout dans les fêtes que donnent les Européens, et auxquelles assistent ordinairement plusieurs familles grecques. Mais on n'y voit jamais aucun Mahométan ni de l'un ni de l'autre sexe. Si quelque jeune Seigneur de la cour se permet d'y paroître, ce qui arrive rarement, il prend d'avance toutes les précautions que la prudence exige pour en dérober la connoissance, même à ses plus intimes amis. Immobile sur un fauteuil ou dans l’angle d’un sopha, il ne cesse d’exprimer l’étonnement qu'il éprouve en voyant les deux sexes se confondre dans la même société, et des personnes distinguées par leur rang se livrer à la danse et s'assimiler ainsi à des baladins. Comme le Mahométan juge toujours les choses d'après ses lois et ses moeurs, il est moins frappé des danses et des jeux qu'il voit dans les rues, les carrefours et les places publiques, parce que l'état des personnes qui les exécutent diminue à ses yeux la honte qu'il y attache.
Il est étonnant, sans doute, que les Grecs, accablés depuis tant de siècles sous le joug de la servitude, conservent encore cet esprit de gaité et ce goût pour les plaisirs qui distinguoient leurs ancêtres de tous les autres peuples de l'antiquité : mais ce qui ne l’est pas moins, c’est la tolélance du peuple vainqueur envers ces sujets tributaires sur des objets si contraires à ses préjugés et à ses maximes religieuses. Dans les villes, dans les campagnes, dans les maisons, dans les cabarets, en particulier, en public, les Grecs se livrent à toutes sortes de jeux et de divertissemens : ils célèbrent leurs Pâques par des fêtes bruyantes, et chaque année, la Porte délivre pour cet objet un fermann de grace et de liberté. C'est le Patriarche Grec qui le demande, en faisant présenter un mémoire au Gouvernement. Suivant un ancien usage, il y comprend tous les Chrétiens des différens rits établis dans l'Empire. Anciennement rien n'égaloit la gaité à laquelle se livroient les Grecs, sur-tout à Constantinople : habits somptueux, couleurs privilégiées, beaux chevaux, harnois superbes, tout leur étoit permis pendant ces fêtes. Des troupes de quatre à cinq cents bourgeois, richement vétus, exécutoient toutes sortes de danses dans les rues, dans les places, dans les promenades publiques : ils étoient toujours escortés des officiers et des soldats de la garde. Moustapha III, à son avénement au trône, [1754] trouva cette indulgence excessive pour des sujets tributaires. Il supprima donc une partie de ces anciennes prérogatives accordées par ses prédécesseurs ; et depuis cette époque, les Chrétiens du pays mettent beaucoup plus de circonspection et de réserve dans la célébration de leurs fêtes.
Si les Mahométans s'interdisent la danse dans leurs sociétés particulières, on conçoit avec quel scrupule ils évitent de se confondre dans les cercles des non-Musulmans et de participer à leurs plaisirs. La loi sur ce point est rigoureuse, mais sur-tout lorsque la gaité des Chrétiens a pour objet leurs fêtes religieuses. "Tout Mahométan, dit le Mouphty Abd'ullah-Efendy, qui prend part aux divertissemens, et sur-tout aux danses des Chrétiens, dans leurs fêtes de Pâques, commet un acte d'infidélité dont l'expiation exige qu'il renouvelle sa profession de foi et la cérémonie de son mariage".
Le premier de mai les Grecs sont encore dans l'usage de garnir leurs portes et quelques-unes de leurs croisées de bouquets de fleurs, en faisant éclater leur enjouement naturel dans les campagnes voisines. Enfin, pendant les vendanges, on ne voit de toutes parts que des troupes de danseurs et de danseuses retracer l'image des anciennes saturnales.
Mais parmi les personnes d'un certain rang cette gaieté se concentre toujours dans l'intérieur de la maison. Plusieurs de ces familles vivent absolument à la manière Européenne : leurs lits, leurs tables, la société commune entre les deux sexes, les parties de jeu, enfin tout dans l'état civil, offre un contraste frappant avec les moeurs de la nation dominante. Ceux qui ont des liaisons étroites avec de jeunes Seigneurs de la Cour n'ont pas de peine à les attirer chez eux, mais toujours la nuit et incognito ; et c’est dans ces occasions, qui ne sont cependant pas fréquentes, que le Mahométan, dépouillé de préjugés et sûr de la discrétion de ses hôtes, se livre sans réserve aux attraits du plaisir et aux douceurs de la société. Alors il ne se fait aucun scrupule de boire du vin, de porter des santés, de chanter à table, d'oublier enfin l'extrême sévérité des moeurs Musulmanes pour ce rapprocher de celles des Chrétiens. Dans cet agréable abandon, ils vont quelquefois jusqu'à se permettre la danse, dont la plus ordinaire dans ces orgies est celle même qui en porte le nom, sous le mot corrompu de georgina. C'est une danse grotesque, dans laquelle une ou plusieurs personnes jouent la pantomine en accompagnant la musique de gestes, de grimaces, d'attitudes les plus risibles, où la langue, les yeux, la tête, les pieds et les mains on chacun leur différent rôle.
Le Roy
P1 XIII
1758
J'ai cru qu'on ne seroit pas fâhé qu'en représentant la Lanterne de Démosthène, je représentasse aussi une danse des Grecs assez curieuse que je vis dans le temps du carnaval, quand je dessinois cet édifice. Voici comme ils exécutent cette danse: ils ont les bras entrelacés; le coryphée (c'est celui qui mene la danse ) tient un mouchoir: ils font tous ensemble différents tours & retours au son d'un fifre & au bruit d'un tambour, qu'un de leurs musiciens bat dessus & dessous. Je me rappellai, en voyant cette danse, fort en usage dans toute la Grece, celle qui, au rapport de Plutarque, s'exécutoit dans l'isle de Délos autour de l'autel appellé Ceraton; danse que les Déliens nommoient la Grue, dans laquelle Thésée qui l'imagina, & ses compagnons, exprimoient par différents mouvements les détours du labyrinthe. L'analogie frappante qui se remarque entre cette danse ancienne & celle que je viens de rapporter, me persuade fortement que les Grecs modernes imitent encore la danse inventée par Thésée: le mouchoir que le coryphée tient, représente peut-être le fil qu'Ariance donna à ce Héros. Qui sait si les Athéniens, quand leur République étoit florissante, ne dansoient pas ordinairement devant la Lanterne de Démosthène. Il faut plus de temps qu'on ne se l'imagine pour détruire des usages qui se perpétuent d'année en année.
L'habillement de cérémonie des Albanois, les plus pauvres des Grecs, me parut aussi il fort ancien; il ressemble à celui des Héros de la Grece, duquel nous avons l'idée par les médailles & par les statues. La maniere de se parer de leurs femmes est singuliere: on voit qu'elle tient des premiers temps, où l'on ne connoissoit pas encore l'usage des bijoux. Les femmes riches n'imaginèrent rien de mieux alors, pour faire voir leur opulence, que de mettre à leur col des pieces de monnaie d'or ou d'argent; & j'ai vu à Athenes des Albanoises qui avoient sur l'estomac une si grande quantité de piastres, que nos femmes regarderoient comme une corvée de porter un pareil ornement. Les Albanoises laissent pendre leurs cheveux en tresses par derriere: elles couvrent la partie de la tresse qui est prís de la tête de pieces fort larges, & le reste, de pieces toujours plus petites, jusqu'à la pointe des cheveux. Elles ne doivent pas être fort lestes, comme on l'imagine bien, avec une semblable parure: aussi observai-je que les hommes se donnent beaucoup de mouvement quand ils dansent seuls; mais que les danses qu'ils font avec les femmes s'exécutent avec bien plus de gravité. Dans celles-ci, les hommes rangés en lignes se tiennent par la main, & les femmes toutes ensemble sont au milieu de la bande: ils dansent en chantant des airs dont la mesure est fort lente; & ce ne peut être que des parents qui tiennent les mains des femmes.
Chénier in Guys 1
Lettres, p. 1/160
Treizième lettre, Les danses: la Candiote, la Grecque, l'Arnaoute, la Pyrrhique, la Valaque; danses Ioniennes, champêtres, nuptiales, bacchiques, &c.
Si, après le sérieux de ma derniere Lettre, le sujet dont je vais vous entretenir dans celle-ci, ne vous amuse pas, M. ce sera ma faute: car je n'ai rien vu de plus agréable, ni de plus intéressant que les danses Grecques. Chaque pays a les siennes, & la Grèce, de ce côté-là, a toujours été bien partagée. Il y a des danses nationales, qui ne peuvent être que fort anciennes, & qui sont héréditaires; il ne faut pas de maîtres pour les apprendre, l'imitation suffit. Il n'y a point de paysanne en Provence, qui ne sache le rigaudon, ni de Bayonnoise qui ne danse la Panperruque. [La Panperruque est une danse propre aux Bayonnoises, qui s'exécute de cette maniere, au son du tambour. On commence à battre doucement, & par dégrés le son s'anime. Les danseurs & les danseuses, qui sont en nombre égal se tiennent avec des rubans; celui qui a le plus d'oreille, est à la tête, & c'est le Roi de la danse. Il tient de la main droite une baguette toujours levée, & ouvre la danse qui se fait en rond. De tems en tems l'homme & la femme qui figurent ensemble, font un saut en se regardant. Quand la danse est finie, le Roi & celle qu'il conduit, levent le ruban dont ils tiennent chacun un bout: les autres danseurs, se prenant alors par le bras, passent par-dessous, & marchent sur quatre ou huit de front, toujours au son du tambour]. On oublie les danses composées qui demandent de l'étude & de la précision: les danses du pays, plus simples, plus gaies, plus faciles, ne se perdent point, parce qu'on les répète souvent, & que chaque fête les ramène. La Jeunesse s'applaudit de les exécuter, les vieillards s'amusent du spectacle; & jusques dans l'âge le plus tendre, les enfans, trop foibles pour imiter les danseurs, piétinent en les regardant.
Quand je voyois à la campagne une troupe de Grecs, se tenant tous par la main, jeunes & vieux chanter en dansant, de maniere que les plus âgés répondent aux enfans qui les provoquent par leurs chansons, je me rappelois ces choeurs de Lacédémone, où, suivant la traduction d'Amiot, dont vous aimez tant la naïveté, les vieillards chantoient [Plut. in Lycur. Poll. l. 4.]:
Nous avons été jadis
Jeunes, vaillans, & hardis.
A quoi les jeunes répondoient:
Nous le sommes maintenant
A l'épreuve à tout venant.
Et les enfans, pour n'être pas en reste, ajoûtoient:
Et nous un jour le serons
Qui tous vous surpasserons.
Lorsque j'entends une jeune Grecque se plaindre de ce qu'elle ne peut pas aller danser avec ses compagnes, je crois entendre la jeune Héro, que le Poëte Musée fait parler ainsi de sa condition à Léandre. "Hélas! je n'ai point la compagnie des jeunes filles de mon âge, & je ne puis me trouver comme elles à ces danses que la Jeunesse aime tant" [Mus. L. & Héro, v. 151].
L'amour de la danse fut toujours, dans la Grèce, une passion commune aux jeunes gens des deux sexes, qui s'y livroient, comme ceux d'aujourd'hui, jusqu'au point de s'oublier eux-mêmes. On en trouve dans Hérodote un trait qui peut servir de leçon [Herod. l. 6].
Clysthène, Prince de Sicyone, avoit déclaré qu'il marieroit sa fille au plus vaillant des Grecs &, pour cet effet, il fit inviter tous ceux qui pouvoient y prétendre. Il vouloit les garder chez lui quelque tems, les examiner, & choisir ensuite parmi eux un gendre à son goût. Deux Athéniens lui plaisoient plus que les autres, & principalement Hypoclide, fils de Tysandre, qu'il estimoit pour son courage. Le jour où il devoit nommer son gendre étant venu, il donna un grand festin aux amans de sa fille. Après le repas, on se mit à chanter, on but encore, on s'échauffa: Hypoclide ordonna aux instrumens de lui jouer une danse sérieuse, dont l'exécution parut le rendre fort content de lui-même. Clysthène voyoit tout, & ne disoit rien. Hypoclide, s'étant un peu reposé, fit apporter une seconde table, où il dansa d'abord à la Spartiate, & puis des danses Athéniennes. Enfin, s'étant mis sur la table la tête en bas, il dansa en ne s'appuyant que des mains. Clysthène, qui avoit déja pris de l'aversion pour le danseur, ne put se contenir alors, & lui dit: fils de Tysandre, tu as dansé ton mariage, & il choisit Mégaclès, fils d'Alcméon. Un jeune Grec échauffé par la danse, & par le vin, seroit encore aujourd'hui capable d'un pareil excès, & pourroit bien danser son mariage.
Cet exercice est sans contredit de tous les pays & de tous les tems; mais il est certain que les Grecs ont plus dansé que les autres peuples. La danse, parmi eux, faisoit une partie de la Gymnastique. Elle étoit elle-même en plusieurs cas ordonnée par les Médecins; elle entroit dans les exercices militaires; elle étoit affectée à toutes les conditions. Elle venoit toujours à la suite des festins; elle animoit toutes les fêtes [Hier. Mercur. de Saltat.]; les Poètes mêmes récitoient & chantoient leurs vers en dansant. Platon, Aristote, Athénée, Xénophon, Plutarque, Lucien, tout ce que nous avons d'Auteurs Grecs font quelque éloge de la danse. Anacréon, le pere du plaisir, est dans sa vieillesse toujours prêt à danser [Od. 27.42.]. Aspasie, qui n'avoit qu'à paroître pour animer tout de ses regards, fait danser jusqu'au vieux Socrate ["Vous riez, disoit Socrate à ses amis, parce que je prétends danser comme ces jeunes gens. Vous me trouvez donc ridicule de vouloir faire un exercice aussi nécessaire pour la santé, que pour dégager le corps? Ai-je tort de vouloir diminuer un peu, en dansant, la grosseur de ce corps? Vous ne savez donc pas que Charmides, qui m'écoute, m'a surpris depuis peu dansant le matin chez moi? Cela est vrai, dit Charmides, & j'en fus si étonné, que je craignis d'abord pour vous un accès de folie; mais quand j'eus entendu ce que vous venez de dire sur la danse, je n'eus rien de plus pressé, étant de retour au logis, que d'essayer de vous imiter". Xénoph. in Simpos]. Aristide, malgré Platon, danse à une fête chez Denys le Tyran [Vie de Platon par Dacier. Diss. de l'Abbé Couture, dans les Mém. de l'Acad. des Inscrip.]. Scipion l'Africain, à leur exemple, se fait montrer chez lui une danse pleine de force & de mouvement; enfin l'Historien d'Epaminondas [Corn. Nepos in Epamin.], en représentant toutes ses grandes qualités, n'oublie pas son talent pour la musique, & pour la danse.
Si les hommes se piquoient d'exceller dans cet art, il devenoit pour les femmes un mérite essentiel. Quand Hélene fut enlevée par Thésée & Pirithoüs, elle dansoit à une fête de Diane [Plut. Vie de Thés.]. "La belle Polymele, dit Homere, faisoit tout l'ornement d'une danse. L'enjoué Mercure, l'ayant vu danser à une fête de Diane, en devint éperduement amoureux".
Le Poète Géographe, Denys, [Dionys. orbis descrip.v. 840] fait mention des danses que les femmes Grecques de l'Asie Mineure faisoient sur les bords du Caystre. "Vous y verrez, dit-il, les femmes, portant une ceinture d'or, danser en rond avec un ordre admirable, lorsqu'elles célèbrent la fête de Bacchus & qu'elles exécutent ses danses. Les jeunes filles les dansent aussi légérement, & leurs robes flottent avec grâce, enflées par les vents qui se jouent & murmurent autour d'elles". Voilà tout le portrait de nos Grecques modernes.
La danse étoit anciennement chez les Grecs une imitation figurée des actions & des moeurs. Voilà pourquoi Lucien veut qu'un danseur, qui doit être en même tems un bon pantomime, sache bien la Fable & l'Histoire des Dieux.
Dans toutes les fêtes, on chantoit les louanges de la Divinité qui en étoit l'objet, & les danses qui suivoient le chant, peignoient les principaux traits de sa vie. On dansoit le triomphe de Bacchus, les noces de Vulcain & celles de Palès. Les jeunes filles brilloient sur-tout aux fêtes d'Adonis; elles dansoient les amours de Diane & d'Endymion, le jugement de Pâris, l'enlevement d'Europe portée par l'Amour sur les flots, &c. Ces danses étoient autant de tableaux mouvants, où les gestes & les pas, les mouvemens des bras & des jambes, toutes les inflexions du corps exprimoient des situations & des faits intéressans.
Des familles à Athènes obtenoient, suivant Plutarque [Prop. de Table, L. 1. quest. 10.], des danses qui portoient leur nom, comme la danse Oeantide, & qui retraçoient le souvenir d'une action mémorable.
Un Lacédémonien, dit le même Auteur [Id. l. 7 quest. 7.], étonné de l'appareil somptueux des danses ou des balets qu' on exécutoit sur le théâtre d'Athènes, se récrioit sur la folie de ceux qui employoient pour ces objets d'amusement tant de travail & de dépense.
Les danses particulieres aux pays où ces fêtes se célébroient, & celles qui retraçoient les événemens célèbres, ont été conservées plus longtems que les autres.
Tous les danseurs qu'on voit aujourd'hui, dans la Grece, se tenir par la main, & courir, en dansant, les rues ou les campagnes, représentent ces anciennes danses qui faisoient une partie du culte public. [Dans l'excès de la joie, ou par un mouvement subit, on se prend par la main en chantant, & on danse. Les anciens Grecs appeloient cette danse, la danse inspirée, Enthea. Mélampus prenant avec lui des jeunes gens robustes, poussant des cris de joie, & imitant une de ces danses inspirées, suit dans les montagnes & jusqu'à Sicyone les filles de Proétus, que leur pere vouloit guérir de leur folie, μετ' αλαλαγμώ καί τινθ ενθεώ χορείας, Apoll. l. 2.]
Admète, dans Euripide [Iphig. in Aulide], ordonnant une fête, recommande qu'il y ait des danses publiques. Lorsqu'Agamemnon prévient sa fille sur le sacrifice qu'il prépare: Mon Pere, lui dit Iphigénie, ne danserons-nous pas, en chantant, autour de l'Autel? Aujourd'hui point de fêtes, ni de solemnités pour les Grecs, s'ils ne dansent presqu'autour de l'Autel ou au moins du Temple, suivant la coutume de leurs peres [Solebant aras Liberi patris caetorumque Deorum circumgyrare saltantes, Servius ad Georg. Les Romains ne pensoient pas sur la danse comme les Grecs: ils étoient un peu Turcs sur ce point. Car les Turcs ne permettent point la danse aux femmes honnêtes. C'est pourquoi Salluste, dans le Portrait de Sempronia, fameuse complice de Catilina, dit qu'elle excelloit dans la musique & dans la danse plus qu'il ne convient à une honnête femme: Psallere & saltare elegantiùs quàm necesse est probae]. Ils y sont tellement adonnés que rien n'est capable de leur en faire perdre le goût. Un jeune Grec, pris de vin peut-être, passant le jour de Pâques devant la Garde Turque [Ces fêtes sont des Orgies & des Saturnales pour les Grecs. On peut citer ici le passage suivant de Suétone. Alexandrini Cybiosacton eum (Vespasianum) vocare perseveraverunt cognomine unius e regibus suis turpissimarum sordium, Sed & in funere Favor Archimimus personam ejus ferens, imitansque, ut est mos, facta ac dicta viri, interrogatis palam procuratoribus, quanti funus & pompa constaret, ut audiit sestertium centies, exclamavit: centum sibi sestertios darent, ac se vel in Tiberim projicerent. Suet. Vesp.
Les habitans d'Alexandrie continuerent de l'appeler (Vespasien) Cybiosacte, c'étoit le surnom d'un de leurs Rois qui s'étoit rendu célèbre par l'avarice la plus sordide. Aux funérailles de Vespasien, Favor son premier pantomime, qui selon la coutume faisoit le personnage de l'Empereur, & le copioit dans ses actions et ses paroles, demanda publiquement à ses officiers à quelle somme s'élevoient les frais de sa pompe funebre. Sur ce qu'on lui dit dix mille sesterces, il répondit: qu'on m'en donne cent & qu'on me jette dans le Tibre.], à la tête d'un branle qu'il conduisoit, fut arrété. Il reçut sur le champ cinquante coups de bâton sur la plante des pieds & fut renvoyé dans cet état. On le vit avec étonnement tout de suit aller, en clopinant & se soutenant à peine, rejoindre sa troupe qui continuoit de danser, pour reprendre sa place.
Anciennement, dans les assemblées particulieres ou dans les fêtes, c'étoit toujours la principale personne qui menoit la danse.
Electre, reprochant à sa mere d'avoir épousé l'assassin d'Agamemnon, dit au choeur qui l'écoute: "Elle se rit des Dieux: ce jour témoin de son attentat est à peine revenu chaque année, qu'elle ose mener des danses solemnelles, & c.".
Il y avoit différens choeurs de chants & de danses [Apud Plutarch. & Demosth. soepiùs occurrit ÷ïñüò ðáßäùí, ÷ïñüò áíäñþí, Thucyd. autem vocat Äçëéáêüí ÷ïñüí ôùí ãõíáéêþí. Petr. Castellanus de festis Graecor. p. 634. Thes. Graeciae antiq. à Gronovio. Venet.]. Le choeur [åãêýêëéïò ÷ïñüò], orbiculaire, qui chantoit le Dythyrambe, & qui dansoit au chant de cette espece d'hymne faite à l'honneur de Bacchus, tantôt les mains libres, tantôt les mains entrelacées, dansoit d'abord autour des Autels; il fut ensuite introduit sur le théâtre, où, en conservant le chant & la danse, il joua lui-même un rôle intéressant. [Les Grecs modernes semblent avoir adopté en partie cet usage dans des circonstances où il leur est permis de se livrer à la joie, & même, dans leurs jeux publics, à cette malignité qui se produisit sous la masque de la Comédie.
O succès fortunés du spectacle tragique!
Dans Athènes naquit la Comédie antique.
Là, le Grec né mocqueur, par mille jeux plaisans,
Distilla le venin de ses traits méprisans.
Boil. Art. Poét.
je veux parler des fêtes Turques, nommées Donnalma, qui ont lieu à la naissance d'un enfant du G. Seigneur. Cet événement est annoncé par plusieurs décharges d'artillerie. Les étendarts flottent sur les murs du Sérail, toutes les rues sont illuminées pendant plusieurs jours, le vestibule de chaque maison est décoré. Le maître y est assis sur son Sopha pour offrir des rafraîchissemens à tous ceux qui se présentent. Les Grands se distinguent à l'envi par leur magnificence & leur profusion. Je ne crois pas qu'il soit possible de voir une révolution plus prompte & plus entiere que celle qui s'opere à cette occasion dans les moeurs Turques. Un peuple triste, grave, peu liant, se déride, devient tout-à-coup prévenant, officieux, aimable. Le Despote, caché ou présent, sourit à tous. Les Grecs ont secoué leurs chaînes, la licence est impunie, & ils se vengent de leurs oppresseurs. Ils osent les jouer publiquement. On rencontre dans les rues de Constantinople des Grecs magnifiquement habillés qui représentent le G. Visir & les principaux Officiers de l'Empire, suivis de leur cortege, contrefaits avec l'exactitude la plus recherchée. On y met dans la plus grande évidence les abus du despotisme, & la maniere dont la Justice est administrée. On la représente prompte à condamner, pour sauver le coupable opulent, l'innocent misérable & accusé. Les Turcs s'amusent de ces scènes humiliantes pour eux. Dans tout autre tems le moindre propos équivoque coûteroit la vie à un Grec. Je reviens au passage de Suétone. A Rome sous les Empereurs on laissoit à la Satyre le soin d'instruire le procès des Princes après leur mort. Il falloit à leurs successeurs une leçon plus imposante pour les contenir. Nous la trouvons en Egypte. On y faisoit au Roi défunt son procès sur son cercueil avant de le porter au tombeau. Là on entendoit à charge & à décharge les plaintes & les éloges; le Jugement décidoit de ce qu'on devoit à leur mémoire, il assignoit leur place parmi les bons Rois, ou les Tyrans.
Cette note a été faite à Constantinople par un de mes fils, Auteur des lettres sur les Turcs, T.2.].
Depuis la chûte du théâtre Grec, ces choeurs isolés ne furent plus que des danses en rond, que les Grecs modernes ont fidelement conservées. Ils dansent dont encore tantôt en chantant, & tantôt au son de la lyre, tantôt les mains libres & tantôt les mains entrelacées. Mais ce n'est plus autour de l'Autel de Bacchus, ni des autres Divinités de leurs peres: c'est autour d'un vieux chène à l'ombre duquel, aux fêtes les plus solemnelles, la tête couronnêe de fleurs, ils renouvellent les anciennes Orgies, & se livrent presqu'aux mêmes excës que les anciens Grecs.
On voit encore à présent chez eux une exacte image de ces choeurs de Nymphes Grecques, qui, se tenant par la main, dansent sur la prairie ou dans les bois; telle les Poëtes ont représenté Diane [Qualis in Eurotae ripis.... Exercet Diana choros. Virg. Aeneïd. I. Jam Cytherea choros ducit Venus imminente lunâ, Junctaeque Nymphis Gratiae decentes
Alterno terram quatiunt pede. Hor. Od. 4 l.I.] sur les monts de Délos ou sur les bords de l'Eurotas, au milieu des Nymphes de sa suite.
Il y avoit chez les Eleusiniens un puits nommé le Callichore, autour duquel les femmes d'Eleusis avoient institué des danses & des choeurs de musique en l'honneur de la Déesse.
J'ai vu dans l'Isle des Princes, où les Grecs ont un puits commun hors du village, les jeunes filles se rassembler le soir pour puiser de l'eau, & former autour du puits des danses en chantant. Aristote, cité par M. Vinckelman (Descript. des pierres gravées du Cabinet de Sthoc, pag. 248), dit que les puits communs entretiennent l'amitié parmi les Citoyens & dans le voisinage. Il ajoûte que les Anciens avoient des chansons qui se chantoient pendant qu'on tiroit de l'eau & qu'on appeloit Chanson de la corde du puits.
Le branle qu'on trouve établi par-tout se rencontre assez souvent dans les anciens Auteurs.
"Les Thyades, dit Pausanias, sont des femmes de l'Attique, qui, jointes à des femmes de Delphes, vont tous les ans au Mont-Parnasse, & dansent, soit en chemin, soit à Panopée, toutes ensemble, une espece de branle [Voyez dans le Musoeum Florent, tom, 2. tab 7. n.1 La figure antique qui mene le branle: elle vous paroîtra dessinée d'après quelque danseuse moderne]. Aussi Homere, en parlant de Panopée, dit que cette ville étoit célebre par ses danses.
Les principales danses usitées aujourd'hui dans la Grèce, sont la Candiote, la danse Grecque, l'Arnaoute, les danses de la Campagne, la Valaque, & la Pyrrhique.
Les deux premieres se ressemblent beaucoup, & paroissent copiées l'une sur l'autre; mais les airs en sont différens: c'est toujours une fille qui mene la danse, en tenant un mouchoir à la main, ou un cordon de soie.
Cette danse, la plus ancienne de toutes, n'a pas été oubliée par Homere [Iliad. l. 18.] dans la description du fameux Bouclier d'Achille.
"Après plusieurs autres sujets, Vulcain, dit-il, y représente, avec une variété admirable, une danse semblable à celle que l'ingénieux Dédale inventa dans la ville de Cnosse pour la charmante Ariadne. De jeunes filles & de jeunes hommes, se tenant par la main, dansent ensemble. Les jeunes filles sont habillées d'étoffes légeres, & ont sur leur tête des couronnes d'or; les jeunes hommes sont vétus de belles robes d'une couleur très-brillante. Tantôt cette troupe danse en rond avec tant de justesse & de rapidité, que le mouvement d'une roue n'est pas plus égal & plus rapide; tantôt le cercle dansant s'entr'ouvre, & toute cette jeunesse se tenant par la main, décrit par ses mouvements une infinité de tours & de détours".
Telle est à-peu-près la Candiote, qu'on danse aujourd'hui. L'air en est tendre, & débute lentement; ensuite il devient plus vif & plus animé. Celle qui mene la danse dessine quantité de figures & de contours, dont la variété forme un spectacle aussi agréable qu'intéressant.
De la Candiote est venue la danse Grecque, que les Insulaires ont conservée. Pour vérifier la comparaison, il reste à voir comment cette danse de Dédale en a produit anciennement une autre qui n'étoit qu'une imitation plus composée du même dessin.
Dans la danse Grecque, les filles & les garçons faisant les mêmes pas & les mêmes figures, dansent séparément, & ensuite les deux troupes se réunissent & se mêlent, pour former un branle général. C'est alors une fille qui mene la danse, en tenant un homme par la main; elle prend un mouchoir ou un ruban, dont ils tiennent chacun un bout; les autres (& la file ordinairement est longue) passent & repassent l'un après l'autre, & comme en fuyant, sous ce ruban. On va d'abord lentement, & en rond; puis la conductrice, après avoir fait plusieurs tours & détours, roule le cercle autour d'elle. L'art de la danseuse consiste à se démêler de la file, & à reparoître tout-à-coup à la tête du branle, qui est fort nombreux, montrant à la main, d'un air triomphant, son ruban de soie, comme quand elle a commencé.
Vous devinez bien le sujet qu'on a voulu représenter par cette danse, image du labyrinthe de Crète?
Thésée, de retour de l'expédition qu'il fit dans cette isle, après avoir délivré les Athéniens du joug que les Crétois leur avoient imposé, vainqueur du Minotaure, & possesseur d'Ariadne s'arrëta à Délos. Là, après avoir fait un sacrifice à Vénus, & lui avoir dédié une statue que lui avoit donné sa maitresse, il dansa avec les jeunes filles Athéniennes une danse qui, du temps de Plutarque, étoit encore en usage chez les Déliens, & dans laquelle on imitoit les tours & détours du labyrinthe. Cette danse, au rapport de Dicéarque, étoit appellée dans le pays la Grue. Thésée la dansa autour de l'autel appellé Ceraton, parce qu'il étoit construit de cornes d'animaux.
Callimaque, dans son Hymne sur Délos [V. 307], fait mention de la même danse, & dit que Thésée, en l'instituant, mena lui-même le branle.
Me Dacier croit qu'on l'appelloit la Grue à cause de sa figure, parce que celui qui la menoit étant à la tête, plioit & déplioit le cercle, pour imiter les tours & les détours du labyrinthe. C'est ainsi que, quand les grues volent en troupe, on en voit toujours une à la tête, que les autres suivent en formant un cercle.
On a pu confondre la Grue avec la danse de Thésée. Les grues partent de la Grèce vers le Printems. VOYEZ, dit Anacréon, comme les grues s'en retournent [Od. 37]. Les Grecs d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, s'empressoient donc d'aller danser dans les prairies, dès qu'elles avoient repris leur verdure. Or, la danse étant toujours chez eux une imitation, ils célébroient le retour du Printems par des danses imitatives de l'objet dont ils étoient frappés, & c'étoit le départ des grues qui leur annonçoit les beaux jours.
Méziriac, dans les remarques qu'il a faites sur la danse en question, l'appelle aussi la grue. Sélon Hésichius, celui qui danse cette danse des Déliens, menoit le branle, s'appelloit Géranuléus. Eustathe, sur le 18e Livre de l'Iliade, dit qu'anciennement les hommes & les femmes dansoient séparément les uns des autres, & que Thésée fut le premier qui fit danser ensemble les filles & les garçons qu'il avoit sauvés du labyrinthe, en la maniere que Dédale leur avoit enseignée.
On voit dans les Monumenti Antichi, Edit. de M. Winckelman, pl. 99. un vase antique où Thésée est représenté devant Ariadne. Ce Héros tient le fameux peloton de fil qui le tira du labyrinthe de Crète; Ariadne, habillée comme une danseuse avec le caftan ou l'habit grec qui serre le corps & qui descend jusqu'aux talons, tient un cordon de ses deux mains, précisément comme la danseuse moderne qui mene & commence la danse Grecque.
Homere, dit Pausanias, compare les danses gravées par Vulcain sur le bouclier d'Achille, à celles que Dédale avoit inventées pour Ariadne, parce qu'il ne connoissoit rien de plus parfait en ce genre. A Gnosse, dit-il dans un autre endroit, on conserve l'espece de danse dont il est parlé dans l'Iliade d'Homere, & que Dédale inventa pour Ariadne.
On voit donc encore aujourd'hui, dans le branle Grec, la tendre Ariadne qui mène son Thésée, pour lui montrer les détours qu'il doit parcourir; & la plus habile danseuse est celle qui complique le mieux, ou fait durer le plus les circonstances du labyrinthe dansant.
Quelquefois les garçons & les filles entrelacés se séparent pour former à la fois deux branles [Cette maniere de danser se nomme oxomessa]; je veux dire que, de tems en tems les danseurs haussent les bras sans rompre la chaîne. Les filles alors se tenant toutes par la main, passent par-dessous, dansent devant eux, & rentrent ensuite pour ne faire plus qu'un cordon. Ne voit-on pas ici la troupe de Thésée, qui, en dansant, se divise & se réunit? Voilà donc l'origine de cette danse Grecque. Dédale la composa d'abord pour Ariadne, à l'imitation de son fameux Ouvrage, & Ariadne ensuite la dansa avec Thésée, en mémoire de son heureux retour du labyrinthe de Crète. Le labyrinthe n'existe plus; mais la danse qui le représentoit s'est exactement conservée [Tu inter eas restim ductans saltabis, dit dans les Adelphes, act. 4. Démée à Micion, pour se moquer de ce qu'en mariant son fils, il veut prendre chez lui des danseuses. Si Donat & Mad. Dacier avoient vu danser les Grecs modernes, ils n'auroient pas été si embarrassés pour expliquer le restim ductans, car il est évident que mener le branle & tenir le cordon, sont la même chose.
C'est à Naxie que cette danse est parfaitement exécutée. A Misitra (l'anciène Sparte) les filles par modestie, ne se tiennent pas avec les danseurs par la main, mais par un mouchoir, & souvent elles dansent en chantant, ou au son de la flûte. Lacéd. anc. & nou. t. 1. p. 223.]
A la campagne, un Berger se met au milieu des danseurs pour jouer de la flûte ou de la musette, & l'on danse en rond autour de lui. Cette danse est plus vive & plus animée que les autres; c'est pourquoi chez les Spartiates elle terminoit, selon Lucien, tous les exercices. Alors, dit-il, un joueur de flûte, se mettant au milieu des jeunes gens, commençoit le branle, jouoit & dansoit; & ceux-ci le suivoient, en faisant différentes postures guerrieres & galantes. La chanson même qu'ils chantoient empruntoit son nom de Vénus & de l'Amour, que l'on mettoit de la partie.
Athénée parle de la danse Hyporchématique, danse sérieuse & lente que les Grecs, & sur-tout les Lacédémoniens, exécutoient en chantant des vers, les hommes & les femmes se tenant tous par la main. Les Grecs modernes ont aussi des airs & des couplets faits pour ces sortes de branles.
Les Grecs ont encore une danse qu'ils appellent l'Arnaoute; c'est une ancienne danse Militaire. On sait qu'anciennement ils en avoient plusieurs de cette espece, & qu'ils alloient même à la guerre en dansant, comme les Lucitaniens dont parle Diodore de Sicile.
L'Arnaoute est menée par un homme & par une danseuse. Celui qui mène tient un fouet & un bâton à la main; il s'agite, il anime les autres, il court rapidement de l'un à l'autre bout, frappant du pied & faisant claquer son fouet, tandis que les autres, les mains entrelacées, le suivent d'un pas égal & plus modéré.
Les Lacédémoniens, dit encore Lucien, avoient une danse appellée Hormus. C'étoit un branle composé de filles & de garçons, où le jeune homme menoit la danse avec des postures belliqueuses, & la fille le suivoit avec des pas plus doux & plus modestes, comme pour représenter l'harmonie & l'accord de la force & de la tempérance.
Quelquefois, dans cette danse, un joueur de lyre conduit la troupe, & les danseurs le suivent en reglant leurs pas sur le son de l'instrument. Athénée ne peint pas autrement la danse que les Grecs appelloient Oplopoeia, sorte de Pyrrhique ou de danse Militaire. Un danseur jouoit de la lyre, & les autres formoient autour de lui une de ces danses mâles & animées qui entroient dans les exercices de ceux qui se destinoient à la guerre.
La véritable danse Militaire est la Pyrrhique, dont le Roi d'Epire, qui fit si long-tems la guerre aux Romains, Pyrrhus, passoit pour l'inventeur [Si l'on en croit Mad. Dacier, elle étoit bien plus ancienne que lui; puisque, dans le combat du seizieme livre de l'Iliade, sur ce qu'Enée ayant manqué Mérion, lui dit "Si je t'avois atteint, Mérion, mon javelot alloit bien vite mettre fin à ta danse, quelqu'habile danseur que tu sois"; elle observe qu'il fait cette raillerie à Mérion, parce qu'il étoit de Crète, & que les Crétois, à ce qu'elle ajoûte, avoient une Danse nommée Pyrrhique, qu'ils dansoient tout armés]. Il y avoit plusieurs danses du même nom. Xénophon parlant des Thraces qui danserent au festin de leur Prince Seuthès, dit que des hommes armés y dansoient, en sautant légérement au son de la flûte; qu'ils paroient avec leurs boucliers, & portoient des coups avec beaucoup d'adresse.
Ce ne sont plus les véritables Grecs maintenant assujettis & accoutumés au joug, mais les Conquérans de la Grèce, qui ont pris pour eux les danses Militaires. La Pyrrhique est aujourd'hui dansée par les Turcs & par des Thraces qui, armés de boucliers & d'epées fort courtes, sautent légérement au son des flûtes, & se portent ou parent des coups avec une vîtesse & une agileté surprenantes. Ainsi ce sont les Turcs seuls qui s'exercent non-seulement à la Pyrrhique, mais encore à la lutte, à la course, &c. en sorte qu'en asservissant les Grecs, ils semblent les avoir encore contraints à leur céder tout ce qui servoit autrefois à former & à entretenir parmi eux les dispositions aux exercices militaires.
Vous ne serez pas fâché, M. d'avoir l'air noté de la Pyrrhique qui se danse à Constantinople: il sera du moins nouveau pour vous, car je ne l'ai vu nulle part. J'y joins les airs de toutes les danses dont je vous ai parlé, pour ne vous laisser rien à désirer sur cet article.
On retrouve pourtant encore des vestiges des danses Pyrrhiques dans le pays nommé la Magne & à Misitra, pays que les Spartiates ont autrefois rendu si fameux [Il ne faut pas confondre la Magne, ou plutôt la Maïne avec Misistra. Cette ville, habitée par des Grecs, parmi lesquels il y en a de riches, est très-soumise à la Porte. Les Maïnotes, au contraire, sont féroces, indomptables & voleurs. Ce sont les descendans des Lacédémoniens affranchis par Auguste & appellés Eleutherolacons. Ils tirent leur nom de Maïnotes d'un Château appelé Maïna, situé du côté du couchant sur la pente du mont Taygete]. Ce pays est encore habité par des Grecs barbares, qui sont gouvernés par leurs propres loix, & qui, ne pouvant attaquer un Empire dont la puissance les accableroit, contens de conserver leur indépendance, sont les plus dangereux pirates de l'Archipel.
M. de Peyssonel a trouvé les mêmes danses Pyrrhiques chez les Sfacchiotes, qui sont les anciens Crétois, peuples belliqueux & distingués des autres Grecs de Candie. C'est ce qu'on verra dans son Histoire de Crète, qui n'est pas encore imprimée.
Les meilleurs Matelots & les meilleurs Soldats de la Marine qu'aient les Turcs sont fournis par les Grecs; & dans les tavernes où ces gens-là boivent toujours avec excès, ils ne sauroient boire sans danser au son de quelque instrument. On les voit trébucher comme dans ces danses bacchiques ou militaires dont les anciens auteurs font mention.
On peut compter parmi ces danses la Danse Ionienne, qu'on dansoit selon Athénée, [L. 14, T. 6] quand on étoit échauffé par le vin; cependant elle étoit plus légere & plus réglée que les autres. C'est une espece de Pas-de-deux que l'on voit danser encore aujourd'hui à Smyrne & dans l'Asie Mineure, où le goût des danses lascives subsiste toujours [Motus doceri gaudet Ionicos Matura virgo, & singitur artibus Jam nunc, & c. Horat. od. 3. l. 9. Ajoutons, sans décrire ici ce qu'on ne peut pas mettre honnètement sous les jeux, que les Turcs se sont réservé, pour leur amusement & pour celui des femmes qu'ils renferment, ces danses lascives & voluptueuses qui expriment tout ce qui peut irriter les sens.
Mais vous me dispenserez, M. de vous parler de ces sortes de danses que la corruption des moeurs n'a que trop fidelement conservées, & que les Turcs prennent plaisir à faire exécuter devant eux.
Les Grecs dansent aussi la Valaque, danse fort ancienne dans le pays d'où elle prend son nom. Cette danse, dont le pays est toujours le même, & ne ressemble à aucun de ceux des autres danses Grecques, n'est pas désagréable, quand elle est bien conduite, & avec la justesse qu'elle exige. Elle pourroit bien venir des Daces, qui habitoient anciennement la Valachie.
Telles sont les danses Grecques qui restent aujourd'hui de toutes celles que les Anciens avoient inventées, & qui étoient en grand nombre. La seule comparaison avec les danses antiques, peut leur donner quelque prix ou les rendre intéressantes pour ceux qui, les ayant vues dans le pays même, ont été plus frappés de l'espèce de mérite attaché à cette ressemblance, que de celui de l'exécution.
M. le Roi, qui a vu, comme moi, la danse Grecque, na pu s'empêcher de la comparer à l'ancienne, & il n'a pas manqué de la dessiner devant la lanterne de Démosthène [Monumens de la Grece, PL. 13. p.23.]
Je suis, &c.
…
Chénier in Guys 2
Lettre de Madame Chénier à l'Auteur, sur les danses Grecques
Je relis toujours avec un nouveau plaisir, M. ce que vous avez écrit sur les Grecs. Le parallele que vous faites de cette nation parvenue à la célébrité, avec les Grecs modernes asservis & subjugués par un peuple barbare, est de la plus grande justesse. La Grece ancienne, peuplée de cette foule de héros que la fable a divinisés, arrosée par les eaux fécondes de l'Hippocrène, illustrée par la naissance des Muses, ressembloit à un jardin toujours paré des seules mains de la nature. La Grece moderne, ayant perdu sa liberté, n'a plus les mêmes ornemens; mais la Nature, qui n'est point marâtre, lui a conservé son génie, & l'on ne peut disconvenir, d'après vous, que les Grecs, tout défigurés qu'ils sont, ne soient encore reconnoissables. Quoique Athènes & Lacédémone n'aient plus de legislateurs, de philosophes, ni de guerriers; quoique la Grece n'ait plus d'Homere, elle ne laisse pas, comme vous l'observez très-judicieusement, de conserver son caractere & son génie qui, aidés de la liberté, feroient encore renaître de ses cendres les mêmes hommes & les mêmes vertus.
Telles sont, M. les réflexions que j'ai faites à la lecture de votre livre, dont je voudrois pouvoir vous dire tout le bien qu'il mérite, & tout celui que j'en pense; mais comme mon suffrage pourroit paroître intéressé, je me borne à vous faire, au nom de la Grece moderne, le plus juste hommage de notre reconnoissance, puisqu'en remuant les cendres de nos peres, vous tirez les Grecs de l'oubli où le tems, les préjugés, & la barbarie de leurs conquérants les avoient ensevelis.
Encouragée par votre exemple, M. autant que par vos conseils, je me suis hasardée à ajoûter quelques observations à celles que vous avez vous-mêmes faites sur les danses Grecques, dans votre treizième lettre. Les remarques scçavantes dont vous avez embelli cette partie des amusemens de la Grece, rendent vos recherches d'autant plus intéressantes qu'elles ne permettent pas même de douter que les Grecs n'ont rien fait au hazard, & qu'ils ont voulu apprendre à la postérité que, jusqu'aux amusements les plus simples, tout doit concourir au bien de la société & à son avantage. Ce n'est pas seulement sur des monuments périssables, exposés à la rigeur des tems & à la barbarie des hommes, que les Grecs ont voulu nous conserver le souvenir de leurs goûts, de leurs usages, & du rapport qu'ils avoient avec les événements: des tableaux vivants qui se reproduisent sans cesse; les danses dont les meres, dans le sein de leurs familles, ont soin de donner la leçon & l'exemple à leurs enfants, retracent encore aujourd'hui aux yeux clairvoyants ce que la Grece a eu de remarquable dans les siècles les plus reculés.
La danse appellée la Candiote, moins intéressante par elle-même, que par son origine & par les grâces dont vous la peignez, s'est conservée telle qu'elle a dû être dans les siècles fabuleux, & j'y trouve avec vous une partie de l'histoire de Dédale, de Thésée, & d'Ariadne. "De la Candiote, dites-vous, [Voyage littéraire, f. 82. édition de 1771.] est venue la danse Grecque que les insulaires ont conservée. Pour vérifier la comparaison, il reste à voir comment cette danse de Dédale en a produit une autre qui n'étoit que l'imitation plus composée du même dessin".
Voici, M. quelle seroit mon opinion sur les variations de cette danse qui, quoique toujours la même quant au fond, ne differe que par les circonstances. Dédale composa sa danse pour conserver la mémoire de son ingénieux édifice, & pour que la belle Ariadne pût en connoître tous les détours; alors la Candiote se danse sans rien tenir à la main, parce qu'il ne s'agit que de désigner les détours du labyrinthe.
Quand on danse la Candiote avec un cordon, je croirois assez que c'est en mémoire du peloton de fil qu'Ariadne avoit donné à Thésée, & par le secours duquel ce héros, après avoir vaincu le Minotaure, sortit triomphant du labyrinthe.
Si l'on danse plus souvent encore la Candiote avec un mouchoir à la main (& alors elle exige plus de vivacité), il est vraisemblable que c'est pour rappeler & peindre la douleur d'Ariadne, quand elle fut abandonnée par Thésée dans l'isle de Naxos (Naxie); on croit voir cette princesse désolée, entourée de ses femmes, les cheveux épars, sa robe négligemment traînante, son voile déchiré dont elle tient une partie dans sa main, tantôt pour essuyer ses larmes, tantôt pour faire un signal à Thésée qui est emporté par son vaisseau. Agitée entre la crainte, l'espérance & l'amour, elle aime encore trop Thésée pour vouloir l'accuser, elle accuse les éléments: "Non, doit-elle dire, Thésée n'est point infidele; un héros aussi grand que lui ne sçauroit ternir par une trahison l'éclat de ses actions. Non, Thésée n'est point assez ingrat pour oublier une princesse qui l'a tant aimé, que, pour le suivre, elle a abandonné son pere & son pays. C'est toi, onde fugitive, qui par ta nature n'es jamais stable, qui seule emportes mon cher Thésée". Cette apostrophe m'a paru nécessaire pour donner à cette circonstance de la danse la liaison historique qu'elle doit avoir; puisque Ariadne, s'adressant ensuite au vaisseau même de Thésée, lui dit:
Êáñáâßí ü ðïõ åìßóåðóåò, êáé Ýðßñåò ôïí êáëüíìïõ ôá ìáôïêßá ê ôï öïóìïõ, äéá óôñÝðóïõ öåñåìÝôïíá ãéá Ýëá Ýðáñå ê´ Ýìåíá.
"Navire qui êtes parti & qui m'enlevez mon bien-aimé, la lumiere de mes yeux, revenez pour me le rendre ou pour m'emmener aussi".
Vous vous rappellerez peut-être, M. d'avoir entendu cette chanson [On appelle cette chanson, & l'air même, le Karavino, mot composé des deux premiers mots grecs de la chanson.] quand on danse la Candiote, que l'on appelle plus communément aujourd'hui la danse Grecque: le choeur répond sur le même air:
ÊÜñáâï êßñé áöôåíôßìïõ, ê' íÜöêëåñå ðóé÷iìïõ, ôé ôéí èÝëï ôéí îïßìïõ, äéá óôñÝðóïõ öåñåìÝôïíá ãéá Ýëá Ýðáñå êáé Ýìåíá.
"Maître du navire, mon seigneur; & vous, nocher, mon ame, que ferai-je de ma vie: ou revenez pour me le rendre, ou pour m'emmener aussi"?
C'est donc dans la différence des positions de Dédale, de Thésée & d'Ariadne que je crois avoir trouvé les différences que vous observez dans la façon de danser la Candiotte, d'autant plus que le mouvement même de ces danses doit exprimer la diversité des circonstances; & je serois infiniment flattée, si je me rencontrois, à cet égard, de même opinion avec vous.
Je vais vous parler de l'Arnaoute. C'est avec raison, M. que vous mettez cette danse au nombre des danses militaires: elle en a tous les caractères, & je ne l'ai jamais vu danser, telle que les Grecs la dansent publiquement à leurs fêtes de Pâques [Autant que le grand Visir leur en donne la permission, que l'on demande en vertu de la capitulation par laquelle Mahomet II accorda aux Grecs la conservation de leurs usages & de leur culte, dont la danse, dans cette occasion, semble faire une partie. Car, parmi les Grecs, aussi fidèles observateurs du carème qu'avides de danses, le commun ne croit pas participer au mérite de la résurrection, quand il ne danse point à Paques.], que je ne me sois représenté la marche & les mouvements de la phalange Macédonienne, ayant à sa tête Alexandre-le-grand.
Cette danse a reçu son nom des Arnaouts, peuples qui habitent l'ancienne Macédoine, & qui paroissent conserver dans leur figure ainsi que dans leurs habits ce caractère militaire qui a toujours distingué les Macédoniens, & qui, dans les différentes confédérations de la Grece, les a mis au dessus du reste des Grecs.
L'Arnaoute, que vous auriez décrite bien mieux que moi, M. se danse à Péra, & plus communément encore à la place de l'Hippodrome à Constantinople par deux ou trois-cents Kassab-oglan [On apple Kassab-oglan ou corps des bouchers les Grecs employés aux boucheries. Ils sont Macédoniens, bien faits & hardis; ils jouissent de bien des privilèges que les autres Grecs n'ont pas, comme de porter de grands couteaux & de pouvoir en voyage porter le turban & l'habit vert, comme les Turcs.], & quelquefois davantage; ils sont rangés l'un à côté de l'autre & se tiennent par la ceinture pour être serrés de plus près: ils font le même pas; & semblent ne former qu'un corps. Ils ont à leur tête deux danseurs détachés qui ont un long couteau à la main: l'un des deux est distingué par la richesse de ses habits, & par une houpe sur son bonnet qui représente un panache. Quinze autres danseurs détachés aussi de cette file & figurant avec elle, sont également armés, les uns avec des couteaux, les autres avec des bâtons ou des Camchik [Sorte de foüet avec un manche un peu long. C'étoit anciennement une marque de commandement que les Turcs eux-mêmes ont conservée. Les Janissaires ne connoissent de police que celle de leur corps: ils seroient déshonorés, s'ils étoient châtiés par d'autres officiers que les leurs, qui, dans ce cas, ne peuvent se servir que du Camchik.]. Ne reconnoissez-vous pas dans les deux premiers Alexandre avec Ephestion, & ne croyez-vous pas voir dans les autres Parménion, Séleucus, Antigone, Ptolémée, Cassandre, & autres capitaines d'Alexandre? Ces capitaines, dans la mesure & le mouvement de la danse, viennent successivement faire une génuflexion devant leur Général, qui de son arme ou de sa main leur fait un signe pour porter ses ordres dans tous les rangs. Ces capitaines, après ce signal, parcourent cette file en diligence. En se partageant dans le centre & les extrémités, ils frappent vivement du pied & du Camchik contre terre, & cette milice dansante fait alors un mouvement en arriere; ensuite on la remet au pas ferme, &, pendant qu'elle semble s'ébranler, ou qu'elle danse sans bouger de sa place, le Général & son second, suivis de quinze capitaines, parcourent encore en cadence, & font le tour de la file. Le Général alors a les mains derriere le dos; il regarde fièrement, & avec un air de confiance, chacun des danseurs, qui font des génuflexions, à mesure qu'il passe devant eux. Lorsque le chef revient à son poste, après avoir fait la revue de sa troupe, on voit approcher une autre danse qui représente sans doute l'armée de Darius. Alors le Général avec les quinze capitaines font un instant une danse en rond qui semble figurer un conseil de guerre; après cela, les instruments jouent plus vîte; les capitaines partent en diligence pour hâter la marche de l'armée, & la danse, qui en est l'image, s'avance elle-même à grands pas. L'air des instruments change ensuite tout-á-coup [On appelle ce changement d'air Kata-Koptos, tout coupé; ce qui paroît signifier le signal de division.]; les danseurs se divisent en pelotons qui ont chacun á leur tête un Coryphée, & ils s'avancent en sautillant. Je ne sçais, M. si l'on ne seroit pas fondé à croire que cette position représente le passage du Granique [La danse divisée en pelotons représente autant de détachements, parce qu'il n'étoit pas pratiquable que la Phalange pût passer le Granique sur sa longueur.]; les danseurs, qui sont ici les soldats d'Alexandre, vont en sautillant; pour marquer, ou la vivacité d'une action, ou plus vraisemblablement les obstacles que le terrein ou l'impétuosité des eaux opposent à leur passage [Cette danse n'ayant d'autre objet que de peindre quelques actions d'Alexandre, on ne la cite pas comme un monument qui doive être assujetti à toute l'exactitude de l'histoire. Cependant, quoiqu'au passage du Granique, Alexandre ait attaqué les Perses avec sa cavalerie, on voit dans le supplément de J. Freinshémius à l'histoire de Quint-curce, liv. 2. que la cavalerie des Perses ne prit la fuire qu'à la vue de la phalange Macédonienne, qui, ayant aussi passé le fleuve, attaqua le corps de l'armée & le défit.] Après que la premiere danse a peint ces difficultés, le premier air recommence; la danse reprend sa premiere figure & ne forme qu'une ligne qui se trouve en face de la troupe qui vient lui disputer le terrein. Les deux danses opposées l'une à l'autre, dans une sorte d'agitation, représentent le choc de deux armées; & l'image d'une attaque qui n'est que de pure convention, dégénère ordinairement en un combat réel entre ces jeunes gens, parce qu'échauffés par la danse & par le vin, ils s'emportent insensiblement, & [A la suite de la danse, il y a quelques jeunes gens qui, comme les vivandiers, portent des cruches pleines de vin pour donner à leurs camarades; indépendamment de celui que les Dames leur font distribuer, pour retenir long-tems la danse sous leurs fenêtres.] représentent au naturel l'acharnement d'une mélée, dont la danse ne devoit être qu'une légère imitation [Dans ces combats qui ressemblent à celui des Lapithes, il est resté quelquefois quinze & vingt hommes sur la place. C'est à ces excès qu'il faut attribuer l'interdiction des danses publiques défendues depuis quelque tems à Constantinople. Les Janissaires marquoient aussi quelque jalousie de voir les Infidèles armés, quand eux, vrais croyans, n'ont pas la liberté de l'être.
Les danses publiques, aux fêtes de Pâques, étoient chez les Grecs une marque éclatante de réjouissance; il peut se faire que la dispense appartînt au Patriarche, qui n'ayant plus aujourd'hui la même autorité, va, au nom de la nation, demander par un placet au grand Visir la liberté des danses: mais il a soin de se faire prévenir par un autre placet, pour qu'elle ne soit point accordée. Il concilie en apparence, par ce moyen, ce qu'il doit au voeu du peuple, ainsi qu'au maintien des privilèges nationaux, & il prévient le mauvais effet qui résulte toujours de cette tolérance.
Il est à craindre que la conduite que les Grecs ont tenue dans la guerre de Turquie ne soit pour eux une derniere révolution, & n'opere la consommation de leur esclavage. Cette ombre d'autorité qui du trône des Constantins avoit été transportée en Valachie & en Moldavie, paroît être à son terme, & l'on ne verra peut-être plus, dans la capitale, ces danses publiques qui en conservant l'image de la gaité & du génie de la nation nous rapprochoient des tems fabuleux de la Grece. Cette révolution, si elle a lieu, ajoutera un nouveau prix à vos recherches, puisq'elles nous retraceront toujours le souvenir des Grecs & les vestiges de leurs usages.]
Il semble donc, M. que nous pouvons avancer avec quelque fondement que l'Arnaoute est non-seulement une danse militaire, mais encore que, semblable aux fameux tableaux de le Brun, elle sert à retracer aux yeux observateurs une partie des exploits d'Alexandre. Indépendamment des preuves que la description de la danse peut m'en avoir fournies, il s'en trouve une qui paroît convaincante dans la chanson que les joueurs de lyre chantent pendant l'Arnaoute.
Elle commence par ces mots.
ðïý éí ï ÁëÝîáíäñïò ï ÌáêÝäïíéò, ðïõ ïñßóåí ôéí åêïõìÝíéí éëßí.
"Où est Alexandre la Macédonien qui a commandé à tout l'univers"? Si l'Arnaoute nous rappelle le souvenir des actions d'Alexandre, comme je le crois, elle a le mérite de ces médailles antiques qu'on a quelque peine à déchiffrer; elle a même sur elles l'avantage de nous amuser, en nous nstruisant.
Je crois, M. pouvoir mettre comme vous la danse Valaque au nombre des danses bacchiques: elle est peu intéressante, & son mouvement assez lent exige beaucoup de précision. Dans cette danse, les danseurs ne sont jamais en grand nombre; ils se tiennent par la main, éloignés les uns des autres; enfin tout consiste à battre des pieds en dansant, à tourner bien juste à droite quand on bat du pied gauche, & de même à gauche quand on bat du pied droit. On bat une fois, puis deux; on se quitte, & on bat des mains, le mouvement alors est plus vif: on bat en cadence des mains, & trois fois de chaque pied. Cette danse paroît être la figure des vendangeurs qui foulent le raisin chacun dans son cuvier, comme cela se pratique dans la Grece. Il peut se faire que les Valaques aient reçu cette danse des Daces, comme vous l'observer; mais, par le rapport que je lui trouve avec les vendanges des Grecs, je suis portée à croire qu'elle leur appartient, & qu'on ne l'appelle Valaque que parce que les Grecs, libres dans la Valachie, auront pu y conserver, plus facilement qu'ailleurs, une danse purement bacchique. Mahomet & Bacchus ne se concilient guère, & ce n'est que par contravention qu'on les trouve ensemble.
"La danse, comme vous l'observez vous-même, M. "étoit chez les Grecs une imitation figurée des actions & des moeurs.
Par conséquent chaque divinité, chaque saison avoit des danses qui lui étoient consacrées. Outre la danse bacchique que je viens de vous décrire sur ce que j'en ai vu moi-même; c'est encore un usage commun à tous les villages Grecs que les familles entieres vont, au mois de Septembre, passer les dimanches & les fêtes dans leurs vignes à boire & à manger, & reviennent le soir chez elles en dansant avec cette même gaieté qui rappelle l'idée des Bacchanales. Car dans ces moments de liberté, ou de tolérance, un peuple esclave se livre à la joie, avec moins de réserve qu'une nation indépendante.
Vous connoissez, M. les danses champêtres en l'honneur de Flore; vous aurez souvent vu le premier de Mai, à Belgrade, à l'Isle des Princes, & ailleurs, les femmes & les filles de village aller danser dans la prairie, cueillir & répandre des fleurs, & s'en orner de la tête aux pieds. Celle qui conduit la danse, toujours mieux parée que les autres, représente Flore & le Printems, dont l'hymne qu'on chante annonce le retour [Quoique dans les capitales on connoisse moins les plaisirs consacrés aux saisons, les dames ne laissent pas d'en rappeller le souvenir dans leurs ornements; elles on en pierreries & en émail des fleurs de toutes les saisons, comme aussi de petits raisins & des épis d'or dont elles ornent leur tête.] Une des danseuses chante:
Κάλοςίλθενινίμφίμαςιμάιαιμάια.
"Soyez la bien venue, nymphe, Déesse du mois de Mai"; & le choeur à chaque couplet répète, Déesse du mois de Mai, Déesse du mois de Mai. L'air de l'hymne est tendre, plein d'expression & de sentiment: tout dans cette danse peint les charmes de Flore & les douceurs du Printems [Les Marseillois, descendants des Grecs, ont eux-mêmes conservé l'idée de cette fête. Dans les quartiers de la vieille ville où l'on voit ces anciens monuments consacrés aux divinités payennes la Major & les Accoulles, & qu'un culte plus pur rend aujourd'hui plus respectables, on trouve, le premier de Mai, de jeunes filles bien parées sur des autels garnis de fleurs, & leurs compagnes appellent les passants pour offrir des fleurs à la Mayo, qui représente Flore & le retour du Printems.]
Dans les villages Grecs, ainsi que chez les Bulgares, on observe encore les fêtes de Cérès. Quand la moisson approche de sa maturité, on va en dansant au son de la lyre visiter les champs; on en revient de même avec la tête ornée de quelques épis entrelacés dans les cheveux, & le plus ou le moins de gaieté est un présage d'une abondante récolte. Le jour marqué pour la moisson, on va aux champs en dansant avec la faulx pendue à l'épaule; le joueur de lyre chante un air auquel on répond en choeur, & jusqu'au bruit que fait la faulx en sciant le bled, tout concourt à l'harmonie de cette musique champêtre. Le chant chez les gens de la campagne, ainsi que chez les ouvriers, est par-tout un aiguillon & un délassement du travail.
La danse Ionienne & le Pas-de-deux dont vous parlez, M. est, sans contredit, une danse nuptiale; j'oserois presque mettre dans le même rang toutes les danses à deux usitées par-tout, qui ont conservé plus ou moins de liberté, suivant le goût, les moeurs ou même les progrès de l'éducation chez les nations qui ont retenu l'usage des danses. L'Ionienne ne seroit-elle pas ce qu'on appelle dans l'Archipel le Balaristo? On le danse beaucoup à Smyrne: mais, tel qu'on l'exécute, il ne fait qu'une partie de la danse nuptiale qu'on danse encore aujourd'hui chez les Grecs. Cette danse, comme toutes les danses Grecques, se forme par un Choro ou une file qui est conduite par le marié. Tous les parents & les convives en sont; ils se tiennent sous le bras, & l'on observe avec soin qu'il y ait alternativement une femme à côté d'un homme. Le marié présente son bras gauche à la mariée qui lui donne son bras droit en tenant un mouchoir à sa main; elle est soutenue du bras gauche par la Paranymphe [Quoique ce mot soit masculin en françois, j'ai ôsé hazarder de l'employer pour les deux genres; les Grecs appellent ç ðáñáíýìöç celle qui conduit la mariée, & ï ðáñáíýìöéïò celui qui accompagne le marié; la paranymphe & le paranymphe offrent la même idée. Du reste c'est toujours une parente ou une personne mariée qui fait l'office de paranymphe, & qui est chargée des détails de la fête. Cette agréable cérémonie semble exiger plus d'apprêts dans les pays où les filles se marient jeunes & sans avoir participé à la société, que dans ceux où l'on ne suit pas les mêmes usages. En général, chez les Nations Orientales, la noce se faisoit & se fait encore dans la maison dela mariée. Les Juifs, qui, malgré leur dispersion, ont conservé religieusement leurs usages, & qui par leur ancienneté doivent servir de modèle, pratiquent la même chose: ils se marient fort jeunes, & leurs Paranymphes sont des femmes. Il en est de même chez les Arabes Orientaux & Occidentaux. Il est surprenant que chez les Romains ce fussent toujours trois garçons qui conduisoient la mariée chez son époux. (Voyez le dictionnaire de l'Académie au mot Paranymphe).
Quoique les Grecs n'aient point conservé l'usage du voile rouge, (Lettres sur les mariages, folio 228.) ils ont encore leur Flammeum; il n'y a point de jeune mariée chez les Grecs qui n'ait un habit ou un Férégé couleur de feu.], & de la même main elle s'appuie sur sa ceinture; les convives viennent en file dans l'ordre de la parenté. Cette marche nuptiale fait très-gravement quelques tours dans la salle, puis elle s'arrête; le marié, & la mariée soutenue de la Paranymphe, continuent la danse à laquelle le marié met beaucoup plus de gaité; mais la Nimphi, (la mariée), les yeux toujours baissés, fait en dansant de très-petits pas sans ôser regarder le cavalier à qui elle présente le mouchoir à mesure que celui-ci s'empresse de lui prendre la main. Le marié, toujours en cadence, mêle quelques génuflexions à toutes les expressions de son empressement. Enfin la Paranymphe se retire. Alors la danse réduite au pas-de-deux, sous l'expression d'une vivacité réciproque, représente un nouvel intérêt. Il est naturel que cette danse ait été ou soit encore susceptible de plus ou de moins de liberté, suivant les tems, le goût & toutes les nuances qu'il y a dans les façons de penser.
Sans en donner précisément la raison, M. je mets au nombre des danses nuptiales le Menuet, l'aimable Vainqueur, le Rigodon, la Bourrée, l'Allemande, le Fandango, & tant d'autres danses à deux que je ne connois pas; car chaque pays & chaque province a les siennes, & le plus ou le moins de liberté peut tenir au climat, ou dépendre, comme je viens de dire, du goût & de l'éducation. L'aimable Vainqueur & le Menuet, par leur décence & leur majesté, semblent avoir été consacrés à peindre le mariage des héros; les autres danses à deux n'ont pas la même noblesse; mais, en général, tous les pas-de-deux semblent avoir eu le même esprit & la même origine. La Polonoise me paroît être une imitation naturelle de la promenade.
Vous l'avez dit, & cela est vrai, M. les danses ont été chez les Grecs une image vivante des actions & des moeurs; elles le sont encore. Le labyrinthe de Crète n'existe plus; mais Dédale, Thésée & Ariadne, qui dansent encore chez les Grecs semblent, par les charmes de la danse, le reproduire à nos yeux. Nous voyons, par le même secours, les marches d'Alexandre, & la tactique de Pyrrhus. Le peuple, qui agit en tout machinalement, & qui ne voit dans ce qu'il fait que ce qui flatte son goût, se livre aveuglément á ses usages; il n'appartient qu'à l'oeil observateur d'en pénétrer les raisons.
Il peut se faire que toutes les nations aient célébré, par des danses historiques, les événements qui les intéressoient? mais ces danses ne sont point conservées comme celles des Grecs. Je n'en chercherai pas la raison: cette recherche est au-dessus de moi, & n'est pas d'ailleurs de mon sujet. Je croirois cependant que la danse perfectionnée & devenue un art, comme elle l'est en Europe, peut avoir fait négliger ces danses simples, qui, faites pour tout le monde, pouvoient bien plus aisément perpétuer le souvenir des faits mémorables.
Il n'y a point de maîtres à danser chez les Grecs; une disposition, plus particulière peut-être, y rend les maîtres de danse moins nécessaires. Une mere, au sein de sa famille, apprend à ses enfans la même danse que sa mere lui a apprise: elle la danse avec eux, & leur chante, tout en dansant, l'histoire dont la danse exprime le sujet. En Europe, au contraire, les maîtres de danse, à l'envi les uns des autres, étudient sans cesse de nouvelles variations; comme c'est le goût de la nouveauté qui décide la préférence, les danses n'y ont rien conservé de leur origine, elles n'y ont plus le même esprit. Peut-être ai-je trop consulté mon inclination dans les remarques que je viens de faire sur les danses: permettez-moi d'y ajouter encore quelques réflexions.
Il me paroît que les François, qui ont adopté tout ce que l'Antiquité leur a présenté de grand & de solide, qui ont perfectionné tout ce qu'il y avoit d'agréable, ont une grande conformité avec les Athéniens. Ils conservent dans l'Europe cette supériorité que cette célèbre République avoit acquise sur les Etats de la Grece. Avec l'esprit, les connoissances, les talens, la bravoure, & la politesse des Athéniens, ils en ont la gaieté & le même goût pour les modes, pour la galanterie, & pour les spectacles. Mais, bien loin de leur ressembler par le goût pour la danse, ils ont répandu du ridicule sur les personnes qui, passé trente ans, ôseroient encore danser. Il est surprenant que le beau sexe, qui a tant de pouvoir sur cette nation aimable & sensible, n'ait pas réclamé contre une décision si rigoureuse. Les Dames ont-elles oublié que la danse fait une partie des agréments de leur sexe? Pourquoi donc y renoncer? pourquoi en faire le seul attribut de la Jeunesse? La danse est inséparable des Graces: or les Graces sont de tous les âges; ainsi l'a voulu le maître des dieux. On dit que, lorsque Jupiter assignoit à chaque Divinité ses attributs & sa puissance, les Graces arriverent trop tard; &, comme elles ne purent obtenir aucun culte particulier, Jupiter, pour les en dédommager, leur donna le pouvoir de se trouver partout. Depuis ce tems, on trouve les Graces dans tous les pays; elles sont de tout âge & de tout sexe. Si, d'après cette disposition, les Graces font le partage de tous les âges de l'homme, la danse & le chant, qui servent à les faire briller, pourroient être aussi de tous les âges.
Que nos usages, M. sont différents de ceux du reste de l'Europe. On multiplie chez nous les visites, pour multiplier les occasions de se voir; chaque visite est une petite fête dont la danse fait tous les frais. On défère poliment à la personne la plus apparente, sans aucune distinction d'âge, l'honneur de commencer la danse, si elle veut; & nous avons vu quelquefois, vous & moi, la grand-mere danser avec sa petite-fille. A Paris, au contraire, on ne danse plus à trente ans. S'il est un âge pour renoncer aux agréments de la société, je voudrois savoir qui a eu le droit d'en fixer le terme? Car enfin les graces, la santé, une constitution heureuse sont des dons de la nature contre lesquels personne, ce me semble, n'a droit de réclamer. Est-ce une convention? Qui l'a établie? Seroit-ce la Jeunesse? elle y perd assurément la premiere, puisque chaque instant la rapproche elle-même du terme si court qu'elle avoit mis à ses amusements; car on l'a deja dit, & l'expérience ne le confirme que trop: on a peu de tems à être jeune, & long-tems à ne l'être pas. Sont-ce les personnes de l'âge mûr qui ont établi cette convention? elles y perdent encore davantage. S'il y en a dans le nombre qui n'aient aucun goût pour la danse, ne craignent-elles pas qu'on leur fasse l'application du Renard de la Fontaine, qui propose à ses confreres de se couper la queue, parce que lui-même n'en avoit pas. Au reste, je ne prétends pas, à beaucoup près, que tout le monde doive danser; mais je voudrois que chacun fût libre de danser, sans être obligé de produire son extrait baptistaire. La comparaison des usages des deux pays auxquels je tiens par les mêmes sentiments, m'a fait naître ces réflexions. D'ailleurs, en parlant en faveur de la danse, je ne fais que revendiquer, au nom de la société, le droit qu'elle a sur les talens agréables, sans exclusion d'âge, parce que, tout bien pesé, l'automne a ses agréments comme le printems a les siens.
M. Balegser, de Genève, auteur estimé, a prouvé, dans son Education Physique, que la gaieté contribue beaucoup à la santé. Les sages, parmi les Anciens, pensoient la même chose de la danse. Socrate, que vous citez, disoit qu'elle empêche l'esprit de s'appesantir. Ces philosophes, qui trouvent dans la danse un moyen de conserver la santé, n'ont fait aucune exception, parce que la santé est nécessaire à tous les âges. Socrate lui-même, qui fut reconnu pour le plus sage des hommes, dansoit à soixante ans, & conseilloit à ses disciples d'en faire de même. Voilà bien des autorités en faveur de la danse, qui, considérée dans les rapports qu'elle peut avoir avec la santé, devroit être, ce semble, d'un usage plus général, dans les pays où l'on fait peu d'exercice. Je vous avoue que, si j'avois l'honneur d'être de la Faculté, j'ordonnerois de préférence l'usage de la danse; mais vous me direz peut-être que je ressemblerois à ce Médecin qui, parce qu'il aimoit le caffé, l'ordonnoit à tous ses malades.
Vous me trouverez bien téméraire, M. d'avoir hazardé mes observations sur les danses Grecques, dans une langue qui m'est étrangere. Pour m'y encourager, il ne falloit pas moins que vos sollicitations & la confiance particuliere que j'ai dans votre indulgence & votre amitié.
J'ai l'honneur d´être, &c.
Tournefort
1/137
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des Italiens, des Castagnettes &c. Mais pour ces beaux Instrumens que nous avons dans la Chrêtienté, ils n’en ont pas seulement la connoissance, & la Musique n’est pas encore allée chez eux jusqu’à ce point là.
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Tournefort 1/138-139
Grèce
Les Fêtes de campagne sont fort celebres parmi eux, la veille de ces jours se passe en danses, chants, & festins: la mousqueterie fait grand bruit dans les Isles de l’Archipel; celui qui fait le plus de fracas, passe pour le plus brave: le jour de la Fête est destiné pour les mêmes divertissemens, pourveu que l’on paye quelque chose aux Officiers Turcs pour avoir la liberté de se rejouir; ils s’en mêlent eux-mêmes, sur tout pendant la nuit, de peur d’être censurez: les plus jolies femmes des Isles ne manquent pas de s’y trouver, & l’on ne pense à rien moins qu’au Saint que l’on doit fêter: au lieu de l’invoquer, on mange des crespes & des beignets à l’huile; quelque fois au lieu de féve, on y mêle un parat ((petite moneye d'argent)), & celui à qui il tombe en partage est le roy de la fête: Dieu sçait si l’on y boit, & si l’on y dit de bons mots: leur maniere de danser est assez singuliere & ne varie guéres : ceux qui dansent se tiennent ordinairement par le bout d’un mouchoir: le garçon fait mille bonds, tandis que la fille ne se remue presque pas : les plus celebres de ces fêtes sont celles de saint Michel, de saint André, de saint Nicolas, de saint George, des quarante Martyrs.
Montagu
p. 150-151
Constantinople, Turquie, 1717
On danse ici de la même manière que Diane aux bords de l'Eurotas. La principale dame mène encore la danse: elle est suivie par une troupe de jeunes filles qui imitent ses pas et, si elle chante, reprennent en choeur. Les airs sont extrèmement vifs et gais, avec pourtant quelque chose de merveilleusement tendre. Les pas sont variés au gré de celle qui conduit la danse, mais toujours en mesure et infiniment plus agréables qu'aucune de nos danses, au moins à mon avis. Je me joins parfois à leur suite, mais je ne suis pas assez entraînée pour me mettre à leur tête. Ce sont des danses grecques, les turques sont très différentes.
Porter
Porter, James: Observations sur la religion, les loix, le gouvernement et les moeurs des Turcs. Neuchatel, Société Typographique, 1770 (1763).
p. 111-117
Danseurs grecs, Turquie
Il est difficile de rendre un compte exact de la manière dont les Turcs, hommes & femmes, passent leur temps dans l'intérieur de leurs maisons. Quoique la plupart des hommes soient sans cesse occupés de leurs affaires, de leur intérêt & des moyens de gagner de l'argent, il en est cependant quelques-uns parmi eux qui se livrent à l'étude. Lorsqu’ils veulent s’amuser entr’eux, leurs divertissemens sont des contes gais, des histoires, des plaisanteries, le jeu des échecs ou des dames, & assez souvent on fait venir des danseurs & des musiciens. Il y a certains endroits dans la ville, où il s’en tient toujours, en attendant qu’on les employe.
Si dans le cercle il ne se trouve personne assez facétieux pour faire les fraix de la conversation, & régaler la compagnie de ces plaisanteries basses & sales dont ils font leur délices, on prend un domestique Grec, Arménien ou Juif pour faire ce personnage. Le bouffon se place au milieu de la chambre à genoux, & débite son histoire ou répéte ses facéties, tandis que le Turc fume gravement sa pipe sur le coin d’un sopha, & daigne de tems en tems laisser échapper un sourire, ou un signe d’approbation.
Les Turcs détestent souverainement le jeu, un Coomerbas, ou joueur, qui joue pour gagner de l’argent est pire à leurs yeux qu’un voleur public, il n’y a pas d’être qui leur soit plus odieux : aussi n’est-ce que par pur amusement qu’ils se mettent à un jeu de dames ou d’échecs [Ce mépris si marqué pour un joueur de profession est-il si déraisonnable ? Y en a-t-il beaucoup de ceux qui en font métiers, qui après avoir commencé par être dupes, ne finissent pas par devenir fripons ?].
Leurs danseurs sont des Grecs. Ce qui paroit inconcevablé, à moins qu’on ne veuille l’attribuer au mépris souverain qu’ils ont pour cette nation, c’est comment il peut se faire, qu’étant nés dans le même climat & vivant pële-mêle avec eux depuis plusieurs siècles, ils n’ayent rien pris de leur gaieté ni de leur enjouement, & comment ils peuvent les voir & les entendre sans cesse danser & chanter, sans faire eux-mêmes un seul pas & sans chanter avec eux à l’unisson. Ceux d’entr’eux qui fréquentent la mer, sont obligés de vivre au milieu de quelques centaines de matelots Grecs, qui à terre, & même sur leur bord, ne sont jamais sans danse ou sans musique ; & jamais on ne voit un Turc prendre part à leurs divertissemens.
Les hommes de haut rang, même d’un rang mitoyen, regardent la danse, par rapport à eux-mêmes, comme un talent qui dégrade la dignité de l’homme, & qui ne convient qu’à ce qu’il y a de plus abject & de plus abandonné dans leur espèce. Ils pensent avec les anciens Romains, que pour danser, il faut étre yvre ou fou : Nemo fere saltat sobrius, nisi forte insanit. Aussi ne les voit-on jamais donner dans ces excès, à moins qu’ils ne soyent tout-à-fait hors d’eux-mêmes, ou yvres morts. A la vérité ils ne le sont jamais à demi, & alors ils ne manquent guères de faire venir tout au moins les danseurs publics, dont les gestes obscènes seroient révoltans pour des yeux chastes.
Ils font grand cas de leur propre musique vocale & instrumentale ; la vocale a un ton aigre & perçant ; l’on diroit qu’il part du nez de la personne qui chante ; la voix ne laisse pas pour cela d’être assez agréable ; & malgré toute la discordance des instrumens, il y a dans les sons combinés du tout ensemble quelque chose de grand & de martial.
Cependant il n’y a pas un Turc qui, pour peu qu’il se respecte, daigne toucher un instrument ; ils prennent des ménétriers à gages, ou bien ils ont des femmes ou des esclaves élevées pour ces usage [Un Vaivode Grec, ou Prince de Moldavie bien connu, parvint à cette dignité en jouant de la guittare devant un certain Ephraim ou Ibrahim-Effendi, favori du Grand-Seigneur.]
Mais ce qui est bien extraordinaire c'est que, ni la musique Italienne ni la Françoise, soit vocale, soit instrumentale, ne font la moindre impression sur eux; leurs organes ne sont point faits à de pareils sons, c'est pour eux la même chose que s'ils entendoient parler une langue inconnue.
Le grand mérite des femmes consiste à savoir danser & chanter: les Turcs regardent ces talens comme particulièrement analogues à leur sexe, mais elles n'en font point usage que dans le particulier, simplement comme un amusement domestique, propre à remplir une heure de loisir. On m'a dit, que dans plusieurs Harems on s'occupoit à broder & à filer.
…
p. 162-163
Grèce, Antiquité
Si les arts, les sciences & les vertus des anciens Grecs sont devenus tout à fait étrangers aux Grecs modernes, on peut dire qu’ils en ont parfaitement conservé la frivolité. Sans savoir ce que c’est qu’Homère, Anacréon ou Théocrite, ils sont inondés de poesies, c’est à dire, de chansons amoureuses, de ballades, de pastorales; on les trouve perpétuellement chantans ou dansans. Ils ont soigneusement retenu la lyre de Crète, & le chalumeau de Pan composé de sept tuyaux inégaux, aussi bien que la flute des bergers d’Arcadie.
Ils ont aussi conservé l’usage de la longue danse, dans laquelle une seule personne conduit tous les autres danseurs & danseuses qui sont entremêlés. Cette danse se nomme par excellence Romeika, ou la danse Grecque.
Ils ont encore la danse noble & martiale appellée Pyrrhique; aussi bien que les danses obscènes & lascives accompagnées de mouvemens indécens que l’on appelloit autrefois Ionici motus, tout à fait propres à choquer la modestie.
Loire
p. 156-158
Dervishes
Durant le premier Verset de cét Hymne tous les Dervichs sont dans une posture fort devote, assis sur les talons, les bras croisez & la teste baissée. Le Superieur qui est dans le Queblé, orné d’une Estoffe de poil de chameau, frappe des mains aussi-tost que le second commance, & tous les Dervichs s’estant incontinant levez, le plus proche de luy passant devant le saluë, avec une profonde inclination de teste, & se met à tourner, pirouëtant petit à petit d’un mouvement si viste, qu’à peine peut-on s’en appercevoir; Celuy qui suit en fait autant, & aussi tous les autres qui sont trente ou quarante. Cette danse circulaire ayant duré quelquefois plus d’un demy-quart d’heure, dans son plus rapide mouvement cesse tout d’un coup au mesme signal qu’elle a commancé, & les Dervichs, comme s’ils n’avoient bougé de la place où ils se trouvent, se remettent assis en leur premiere posture, iusques à ce que leur Superieur les fasse encor recommencer. Ainsi cette danse continuë quelquefois une heure & plus, à quatre ou cinq reprises dont les dernieres durent tousiours plus longtemps, parce que les Dervichs sont plus en haleine, & plus en bransle pour tourner, estans vestus fort à propos pour ce suiet d’une espece de Iupon volant, taillé en rond comme les chemisettes des femmes en France.
La façon de vivre des Santons, est toute contraire à celle des Dervichs, ils semblent qu’ils fassent une Profession particuliere d’estre d’autant plus sales & negligez que les autres sont polis. Ils laissent croistre leurs cheveux, & bien qu’ils soient souvent baignez de la sueur, que leur cause le violent exercice de leur Religion, ils ne les peignent jamais pour estre plus malpropres. Leur devotion fait autant d’horreur que celle des Dervichs donne à rire. Ils n’en font l’exercice que deux fois la sepmaine, & pour le redre plus effroyable, ce n’est qu’à trois heures de nuit. Apres avoir fait leurs Prieres ils tournent quelque temps à la façon des Dervichs, & puis se prenant la main comme s’ils vouloient danser un bransle, ils secoüent la teste qu’ils ont toute nuë en façon de demoniaques, & ils se demenent en criant, à qui plus horriblement Allahou, c’est à dire Dieu est grand, iusques à ce que l’haleine leur manquant, ils ne puissent pousser de leurs poulmons qu’ils ont epuisez qu’une voix heurlante & meuglante, comme d’une beste qui expireroit estant assommée.
…
p. 173-174
femmes, Turquie
Pendant qu’ils mangent, ils ont des Musiciens à leur mode, qui criaillent & qui heurlent plutost qu’ils ne chantent avec de certains instruments montez de six cordes, qu’ils ne touchent qu’avec une plume, & qu’ils nomment Tambours. La figure de cét instrument est semblable à celle d’une Mandore, mais l’harmonie en est bien differente, & bien qu’ils se vantent de pratiquer aussi bien que tous les douze modes de la Musique, ils ne sçavent point faire d’autre accord que l’octave, si ce n’est qu’en touchant, ils en rencontrent quelques autres par hazard & jamais par recherche.
Aprez ce repas, la compagnie des femmes monte sur une galerie fermée de ialousies, qui est ordinairement la communication des deux appartements, d’où sans être veuës elles voyent des basteleurs & des ioüeurs de marionnettes, plus subtils que les nostres. Ensuitte de ce divertissement, on finit l’assemblée par un autre plus plaisant, que donnent des filles appellées Tchingué du mot Tchenk qui veut dire Harpe, elles sont ordinairement adroites & gracieuses, l’une iouë d’une espece de Viole qu’ils appellent Kementché, dont le corps est rond & le manche fort long, & l’autre touche la Harpe, pendant que quelque unes avec un Tambour de Biscaye, battent mignonnement la cadance des chansons que chantent les autres en dansant, avec une espece de cliquettes. Cependant il y en a encor trois ou quatre des plus jeunes qui font avec leurs corps des tours de souplesse admirables, & pour varier le divertissement, & l’achever, deux des mieux faites de la compagnie se levent pour danser une sorte de Sarabande qui represente si bien les affections & les mouvemens d’amour par les oeillades, & par les actions qu’elles addressent tantoft à l’un & tantost à l’autre des assistans, que certes il faut être bien ferme, ou plutoft insensible pour n’en estre pas efmeu: mais puis que l’imagination de l’homme n’a pas beaucoup de peine à se les figurer, passons je vous prie plus outre.
Savary
p. 164
Antiquité, Grèce
…à-peu leur animosité. Bientôt cédant à l’amour de la paix dont il peignoit les avantages, ils oublioient leurs haines intestines, & se rangeoient sous l’étendard de la concorde. On dit que ce Sage inventa les airs propres aux danses militaires, & à la pyrrhyque crétoise. [Le Scholiaste de Pindare, Pyth. ode second, dit que ces danses furent instituées par les Curètes. Strabon, l. 10, est du même sentiment; cependant il ajoute que Thalès inventa le rythme crétois. Nicolas Damascène & Marius Plotius de Metris attribuent l’invention de la Pyrrhique armée à Pyrrhicus de Cydon. Ne pourroit-on pas concilier ces Auteurs, en disant que les Curètes furent les premiers Instituteurs des danses militaires; que Pyrrhicus inventa particulièrement celle à laquelle il donna son nom, que Thalès en fit les airs, ou leur adapta une nouvelle musique?]
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p. 115-117
Kassos, Grèce, 1797
Lorsque j'eus satisfait ma curiosité, je revins à mon hôtel. On m'attendait pour dîner. Une poule au riz, des oeufs frais, des pigeons excellents, du fromage et de bon vin, me dédommagèrent des mauvais repas que j'avais faits à bord. Les hommes dînerent ensembe, assis en rond sur le tapis. Les femmes étoient dans un appartement séparé. C’est l’usage, & quoiqu’il ne fût pas du goût François, il falloit s’y soumettre. Vers la fin du repas, on fit passer la coupe de main en main. On but à mon bon voyage, & je bus à la prospérité des Casiotes. La gaieté s’emparoit des convives, lorsqu’un bruit d’instrumens nous fit lever de table.
Une vingtaine de jeunes filles, toutes vêtues en blanc, la robe flotante, les cheveux tressés, entrerent dans l’appartement. Elles conduisoient un jeune homme qui jouoit de la lyre, & s’accompagnoit de la voix. Plusieurs avoient des graces, toutes de la fraîcheur, & quelques-unes le disputoient aux deux belles dont je vous ai entretenu. Je vous avouerai, Madame, que ce coup-d’oeil me parut charmant. La parure uniforme de ces Nymphes, la modestie qui relevoit leurs charmes, la pudeur qui brilloit sur leur front, leur enjouement modéré par la décence, tout cela me fit croire que j’étois transporté dans l’Isle de Calipso. Elles commencerent à se ranger en rond, & m’inviterent à danser. Je ne me fis point prier. La cercle que nous formâmes, est singulier par la manière dont il est entrelacé. Le danseur ne donne point la main aux deux personnes qui sont les plus près de lui, mais aux deux suivantes, de forte que l’on a les bras croisés devant, & derrière ses voisines qui se trouvent enlacées dans les anneaux d’une double chaîne. Cet entrelacement n’est pas sans plaisir, & l’on doit sentir pourquoi. Au milieu du rond, se tenoit le Musicien. Il jouoit & chantoit en même-tems. Tout le monde suivoit exactement la mesure, soit en avançant, soit en reculant, ou en tournant autour de lui. Pour moi, je me laissois conduire, & mon esprit étoit moins occupé de la danse que des personnes qui la composoient.
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p. 128-129
Kassos, 1797
L’après-diner de ce jour mémorable fut consacré au plaisir. Le Capitaine casiote donna un petit bal. Je m’y rendis à son invitation. La salle étoit entourée de danseuses; les cheveux étoient parfumés, on avoit mis les plus jolis corsets, les ceintures les mieux brodées, les robes les plus blanches. On forma diverses rondes, les bras enlacés à la manière accoutumée. Deux lyres, & des chanteurs placés sur une estrade animoient les mouvemens; la gaieté brilloit dans tous les yeux; les jeunes gens qui venoient d’arriver s’étoient placés près de leurs compagnes ou de leurs amantes; ils les entouroient de leurs bras en dansant; ils sentoient les battemens de leur coeur; aussi la joie paroissoit briller sur tous les visages, les jeunes grecques le regard baissé, la laissoient moins éclater; mais leur rougeur, la palpitation de leur sein, annonçoient qu’elles se trouvoient auprès d’objets chéris ; que ce simple divertissement causoit de plaisir ! chaque mouvement étoit une jouissance ; nos danses recherchées ont infiniment plus de grace, d’élégance, de majesté ; mais qu’elles sont froides auprès de cette simple ronde ! Dans les unes la vanité seule jouit, dans l’autre le coeur y parle au coeur, par un regard, un sourire, et sur-tout par le toucher. La sage Nature a mis le bonheur en nous-mêmes. Le riche croit l’arrêter au sein des compagnies brillantes qu’il rassemble, en étalant le faste & la magnificence, il veut l’acheter avec de l’or; ignore-t-il donc que le bonheur fuit la pompe importune, que ce Dieu volontaire se communique de lui-même, & qu’il ne se vend pas?
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p. 323-324
Sfakia, Crete 1797
Seuls d’entre les Crétois, les Sphachiotes ont conservé la pyrrhique. Ils l’exécutent revêtus de l’ancien costume. Une robe courte serrée d’une ceinture, une culotte et des bottines composent leur vêtement. Un carquois rempli de flèches est attaché sur leur épaule; un arc tendu pend à leur bras, et une longue épée orne leur côté. Ainsi parés, ils commencent la danse, qui a trois mesures. La première marque le pas; ils sautent d’un pied sur l’autre, à-peu-près comme les Allemands. Les mouvemens de la seconde sont plus grands, et ont du rapport avec les danses des bas-Bretons. Pendant la troisième mesure, ils sautent en avant, en arrière, sur un pied, puis sur l’autre, avec beaucoup de légèreté. Les Danseurs qui leur répondent, imitent les mêmes pas. Ils chantent et dansent en même temps. Pendant que la pyrrhique dure, ils développent diverses évolutions. Tantôt ils se forment en rond, d’autrefois ils s’alongent sur deux lignes, et semblent se menacer de leurs armes; puis ils se partagent deux à deux, comme s’ils se défioient au combat; mais, dans tous leurs mouvemens, leur oreille est fidèle à la musique, et ils ne s’écartent jamais de la mesure.
Castellan
(Berchet 441)
Constantinople, Turquie, 1797
Les vieillards étaient assis sur le gazon, à l'ombre des arbres touffus qui bordent le canal : de là ils jouissaient de la fraîcheur de l'ombrage et des eaux, et surtout du coup d'œil que présentait la plaine couverte de gens, dont les vêtements variés, et presque tous de couleurs très vives, semblaient parsemer le gazon d'une moisson de fleurs ; ou bien, appelant des baladins et des lutteurs, ils se plaisaient à voir les mouvements efféminés et lascifs des premiers, qui, très jeunes, d'une jolie figure, vêtus d'habillements de soie brodés, portant des pendants d'oreilles, des chaînes d'or ou d'autres bijoux, et faisant voltiger autour d'eux des schalls légers, ressemblaient moins à des hommes qu'à des courtisanes avec lesquelles on ose à peine soupçonner qu'ils aient des rapports encore plus frappants.
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"Mœurs" 3/65-66
harem, Constantinople, Turquie
Les femmes du harem passent leur temps dans un cercle d’amusements compatibles avec leur vie sédentaire; ils consistent à changer d’habillement plusieurs fois dans le jour, à se visiter mutuellement, à prendre des leçons de danse ou de musique, soit sur le piano-forte, soit sur la guitare, à recevoir les hommages et les déférences de leurs compagnes d’un rang inférieur: elles ne peuvent tirer parti, pour leurs récréations, que des esclaves de leur sexe; elles passent des heures entières couchées sur un sopha, tandis que ces filles dansent et forment entr’elles des espèces de pantomimes ou mélodrames, où les scènes d’amour entrent pour beaucoup. C’est dans les kiosques, pavillons situés au mileu des jardins, que les femmes prennent leurs divertissements ; elles y passent la plus grande partie du jour à faire de la musique et à broder. Elles reçoivent aussi des visites des femmes des Francs ou des Grecs, qui sont ou marchands ou interprètes, sous le prétexte de voir et d’acheter des marchandises et des bijoux d’Europe.
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"Mœurs" 3/197-198
le sultan, Turquie
Le grand-seigneur ne prend guère le divertissement de la musique que pendant qu’on le rase. Le sàzend-bachy conduit les musiciens; il ne chante pas, et marque seulement la mesure avec un tambour de basque (planche D, no 7.) On mêle à cette musique des baladins qui chantent et jouent des castagnettes en dansant. (Voyez la planche en regard.) Ces baladins se nomment tchenguy, et ce nom est commun aux personnes des deux sexes.
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"Mœurs" 6/208
harems, Turquie
Les femmes se dédommagent de la privation de leur liberté par des jeux plus ou moins innocents. On leur permet quelquefois de faire venir dans le harem des danseuses, des femmes qui font des tours d’adresse, et même les ombres chinoises ou la lanterne magique, dont les peintures représentent parfois des actions fort libres. Elles exécutent aussi entr’elles des comédies bouffonnes, dans lesquelles elles s’attachent à contrefaire les chrétiens, et à jeter du ridicule sur leurs moeurs, leurs usages et leur religion. Les principaux rôles sont ceux de Cara-gueuz et de Hadjy-aïwatte, qui ressemblent fort à l’Arlequin ou au Pantalon des Italiens.